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CERVERA Suzanne [1] - La Villégiature dans le Haut Pays des Alpes-Maritimes entre 1880 et 1939 

 

Tandis que les vieux villages de l’arrière-pays niçois groupent leurs toits austères autour de leurs clochers, villas, chalets et hôtels s’égaillent dans la verdure et sous les ombrages de leurs parcs, témoignant de la coexistence, depuis plus d’un siècle, de deux formes de vie et d’activité, une tradition rustique et complexe de mise en valeur de la montagne, un désir citadin de loisirs en altitude.

Comment remonter le temps et retrouver les secrets d’une interaction originale ? Celle-ci reflète-t-elle vraiment les aspirations, parfois contradictoires, de nos contemporains, rencontrer la beauté d’une nature presque vierge, proche de la ville, mais ne point se priver des commodités et des services qu’ils estiment nécessaires ? Ce goût de la villégiature campagnarde, assez caractéristique des régions méridionales, où l’été imposait le recherche de la fraîcheur, a-t-il été l’apport profitable de touristes dans des vallées reculées ou tout simplement le retour aux sources d’une diaspora aristocratique et bourgeoise vers un terroir originel ?

 

Dans l’espoir de déchiffrer ce passé encore proche, nous tenterons d’interroger quelques sources imprimées.

Les « Indicateurs » [2], ancêtres des annuaires, publiés dans la période comprise entre 1861 et 1951 présentent, pour les communes du département [3] un certain nombre de renseignements sur les habitants et leurs activités. On peut grâce à eux établir l’organigramme de l’encadrement administratif, municipal, scolaire, religieux, ainsi que la liste des « métiers » représentés. Ainsi pouvons-nous porter sur la vie des villages et des bourgs un éclairage rétrospectif et constater que l’ouverture de l’arrière-pays par les routes et les voies ferrées, suivie de la Grande Guerre, s’est accompagnée de la perte inexorable de l’autarcie des habitants, du départ définitif d’un grand nombre de jeunes gens, et, ce qui intéresse notre propos, du rôle accru d’une population de passage ou de résidence. Celle-ci ne figure dans ces indicateurs que sous la forme de ses propriétés bâties ou des établissements qui l’hébergent lors de son passage.

Notre région, favorisée par la présence des magnats de l’édition [4], se révèle particulièrement riche en journaux de toutes sortes [5]. Non seulement fleurissaient alors de nombreux quotidiens, mais encore des feuilles spécialisées qui nous traduisent ce que furent la naissance et l’essor du phénomène de la villégiature dans le Haut-Pays, souvent au grand dam d’une presse religieuse active qui voulait lutter contre « l’envahissement de nos montagnes par une presse impie » [6].

Si Nice, Monaco, et les stations du littoral furent le berceau de revues mondaines de Saison [7], on ne peut en dire autant de l’arrière-pays qui, dans le milieu du XIXème siècle, ne connaissait ni mondanités « étrangères » ni saison. Bourgs et villages, foyers de vie rurale authentique, semblaient, en tout cas en hiver, peu ouverts à la fréquentation d’hôtes aristocratiques et fortunés, à la recherche de soleil et d’exotisme plus que de rudesses montagnardes. L’absence de publicité émanant d’entreprises locales en est révélatrice. Mais, dès les premières années de la République, les élections, fréquentes, furent un stimulant pour la presse. Goûtant aux joies du suffrage universel masculin et d’un mode électoral qui projetait de faire de chaque citoyen un acteur de la vie politique, du niveau municipal et cantonal, au législatif, les habitants de ces lieux récemment intégrés au territoire national commencèrent à participer au fonctionnement des institutions. Ils opposaient une résistance passive, mais efficace par le vote, aux personnages parfois inconnus dont trop d’intérêts contradictoires tentaient de leur imposer la candidature. Conçue, rédigée, réalisée à Nice ou même ailleurs, tributaire d’un financement et d’influences extérieures à nos montagnes, la presse engagée, qui se prétendait le porte-parole des enfants du pays, ne pouvait dissimuler l’intérêt que beaucoup avaient à une mainmise culturelle, politique ou économique de la partie alpestre d’un département à la représentation convoitée. Des titres comme L’Avenir de Roquestéron, le Réveil de la Montagne, ou Le Petit Montagnard se voulaient énergiquement représentatifs de leurs cantons. Le succès était promis aux candidats qui pouvaient prouver leurs attaches locales.

« Regardez-nous en face, voyez qui nous sommes ! Des paysans, des artisans. Nous avons tous les jours la charrue ou l’outil à la main. Ils constituent nos armoiries et notre main est propre ! » [8]

Par contre, une levée de boucliers tentait de gêner la progression politique des autres candidats, quel que fut leur potentiel financier et les visites qu’ils tenaient à faire aux hameaux les plus reculés, malgré les difficultés d’accès. Ainsi les libéralités du banquier Raphaël BISCHOFFSHEIM laissaient-elles de marbre ceux qui calculaient que celles-ci étaient tout simplement l’équivalent de son traitement de député  [9].

En somme, malgré des objectifs bien différents, toutes ces formes de presse, assez polyvalentes, reflètent l’évolution des aspects de la villégiature et leur impact dans la région.

 

Ainsi se déroulent les travaux, les jours et les fêtes de vallées à l’orgueilleuse autarcie que les difficultés des transports laissaient alors à leur mystère et à leur abandon. Peu à peu pourtant le pays, par sa beauté et ses atouts, suscita des commentateurs enthousiastes et des poètes qui en donnèrent une image de plus en plus attractive. François BRUN, architecte lorrain amoureux de Nice constatait dans une étude sur Lucéram :

 

« A tous points de vue nos montagnes des Alpes-Maritimes sont intéressantes à étudier et nous considérons comme une oeuvre patriotique d’en signaler à nos concitoyens les beautés et les richesses » [10].

 

Le Monde élégant faisait en 1904 le constat du succès d’un nouveau modèle de séjour :

 

« Le goût des villégiatures est passé dans nos mœurs, à tel point qu’aujourd’hui le moindre bourgeois déserte la ville pour prendre sa part de bien-être à la station à la mode où il se rend escorté de sa famille...Passer le mois d’août et les deux premières semaines de septembre à Paris ! Fi donc ! »[11]

 

Eugène EMANUEL sut, dans l’Echo de la Montagne, faire passer une vision à la fois réaliste et poétique du terroir dont le journal représentait les intérêts [12], Emile RAOUX, du Rappel Niçois et de l’Echo de Beaulieu, et surtout Dominique DURANDY, l’enfant prodigue de Guillaumes et d’Utelle mêlèrent l’effet d’image au réalisme. Sous l’effet de la révolution des transports, les hautes terres se désenclavèrent. Chaque bourg tenta de prouver les privilèges de son site réservé à de fidèles initiés. Le chevalier de CESSOLE et ses amis montrèrent que l’aventure de l’alpinisme était possible ailleurs que dans le Massif du Mont Blanc. Avec le développement de la civilisation des loisirs, les montagnes du Haut-Pays se firent « produits d’appel » pour un « retour aux sources » en toutes saisons, sans pour autant que se produise, malgré l’essor des vacances d’hiver, un basculement démographique en leur faveur.

Le Haut Pays resta dans l’ensemble, après l’essor spectaculaire des années de la Belle Epoque, et avant celui des déplacements d’évasion de fin de semaine, réservé à une clientèle de proximité, composée de fidèles cossus.

 

Les pionniers de la Villégiature dans le Haut Pays

La période du Rattachement et de l’Empire correspond à un stade pionnier de la villégiature en montagne. La plupart des journaux, tout en insistant sur le sens de l’hospitalité des naturels, leur aménité, leurs fêtes accueillantes et ouvertes, n’en donnent pas moins une image de régions reculées, privées de voies d’accès faciles, où la rudesse du paysage a pour pendant le caractère fruste des habitants.

Dans une « Lettre d’un électeur âgé de soixante-dix printemps », publiée dans le Réveil de la Montagne en 1906, on relève cette description, certes excessive, mais qui comporte sans doute une part de vrai, de la situation en 1860 :

 

« Dans quelle situation lamentable la nature nous avait-elle placés ! Nous étions isolés du restant de la population. J’étais obligé, pour alimenter mon ménage, de ramasser dans un puits infect l’eau de pluie qu’un toit de chaume déversait dans une gouttière vermoulue. Les plus favorisés, habitant les bords d’un cours d’eau, buvaient néanmoins une partie de l’année de l’eau bourbeuse, par suite des pluies et des fontes de neige » [13].

 

La vie montagnarde est rude alors pour les naturels, reconnus comme une race vaillante dont l’existence se passe dans une lutte perpétuelle contre la nature. Ils exploitent habilement toutes les ressources de leur terroir : élevage de petit bétail, utilisation rationnelle des pâturages et du bois, récoltes de fruits d’été et d’automne, artisanat. La monnaie sous sa forme matérielle de pièces et de billets fait défaut à leurs échanges. Les manifestations de solidarité, nombreuses à l’occasion des catastrophes locales, orages, incendies, inondations, écroulement de maisons, morsures de chiens enragés, se comptent en chemises, sacs de haricots, pains ou pommes de terre ; les loteries proposent le gain d’un agneau ou d’un fromage. Le docteur MALGAT, médecin des Hôpitaux de Nice, relèvera à Saint-Martin-Vésubie des cas de malnutrition aux séquelles inquiétantes [14]. L’isolement géographique et culturel de ces hautes terres rend tentante toute forme de pénétration, et elles n’échappent pas aux tentatives missionnaires ; ainsi le Littoral évangélique conte-il une « Conversion dans la haute vallée du Var » :

 

« Il lui était arrivé, peu d’années auparavant, d’acheter un exemplaire des Saintes Ecritures d’un colporteur de passage. Je pus remarquer que par la seule lecture de la Bible, ses yeux s’étaient très bien ouverts sur les erreurs du papisme » [15].

 

Quant aux familles que l’histoire provençale ou sarde a gratifiées d’une modeste seigneurie, d’un bien foncier, ou d’une fonction juridique, elles donnent depuis le XVIIIème siècle l’exemple du départ et d’une ambition toute noble de service public. Elles ont constitué un vivier d’administrateurs et de militaires pour l’état sarde, ou, de façon transitoire, pour l’Empire napoléonien lors de son aventure italienne ; les filles, elles, représentent des partis titrés, mais peu dotés, et restent souvent célibataires. C’est aussi parfois le « service » qui a anobli une lignée, transformant juristes, administrateurs ou commerçants en possesseurs d’un domaine et surtout d’un titre, ardemment revendiqué depuis le XVIIIème siècle.

Ces familles conservent avec piété leur « château », « palais », « villa », disons leur bien de famille dans leur fief ou bourg d’origine, embelli, quelquefois transformé ou dédoublé lorsque la famille s’est trop agrandie pour se contenter d’un seul toit. Elles y séjournent longuement en période estivale pour fuir les miasmes d’un littoral réputé malsain et s’y ressourcer au contact de la branche familiale restée au pays, comme les RAIBERTI à Lantosque et Saint-Martin-Vésubie, ou de la clientèle locale que leur valent leur notoriété et leurs libéralités. Cette tradition aristocratique est fondatrice du concept de « résidence secondaire » qui va triompher et se démocratiser dans la deuxième moitié du XXème siècle.

Ainsi trouve-t-on entre autres les CACCIARDI de Montfleury à Breil, les DURANDY à Guillaumes, les BARRALIS et les De FORESTA à Lucéram, les CAïS de Pierlas à Valdeblore, les ALZIARY à Roquesteron.

Sospel bénéficie de la convergence des vallées voisines, de la richesse de son terroir, de son altitude moyenne et de son accessibilité : ses palais et villas s’ouvrent toute l’année et un va-et-vient de voitures à cheval convoie les ALBERTI, les BLANCARDI, les VACHIERI de Châteauneuf, et la famille d’Alfred BORRIGLIONE, qui en 1900 cèdera une partie de ses terres à bâtir à sa fille et son gendre fonctionnaire du corps préfectoral Gabriel Le TAINTURIER. 

La comtesse Marie LAURENTI-ROUBAUDI, fille d’un député au premier parlement d’Italie, mais dont le gendre est officier dans l’armée française, prend ses quartiers d’été à Saint-Martin-Vésubie, ainsi que son cousin MICHAUD de BEAURETOUR. Joseph CAGNOLI, médecin, leur cousin éloigné, comte de Sainte Agnès et de Massoins, en est maire. Ils y retrouvent la famille du  comte d’Ongran, originaire de Saint-Sauveur-sur-Tinée, mais dépossédé de ses domaines depuis son émigration [16], et le comte de Caserta.

A Saint-Vallier de Thiey, au dessus de Grasse, la famille De FONTMICHEL possède le domaine des Arboins, les GAZAGNAIRE celui des Chênes. Au dessus d’Andon, les terres à lavande des FUNEL, dont l’un des membres notables est directeur de la Société foncière à Nice, occupent tout le plateau de Thorenc.

Sur place, la population permanente s’est étoffée de l’encadrement administratif, judiciaire et policier que l’état sarde et le Second Empire ont mis en place, du dévouement des religieux, des enseignants dont l’influence va heureusement agir sur la santé publique, et d’un personnel de santé minimal. Par contre elle s’appauvrit régulièrement d’une partie de ses élites, attirées vers Nice, Aix-en-Provence ou Marseille pour y poursuivre des études, et y exercer une profession gratifiante, et des « gavots » qu’attirent les perspectives de travail bien rémunéré que promet sur la côte l’essor du bâtiment, de l’hôtellerie et des services.

L’intérêt pour le développement des voies d’accès routières ou ferrées ne se dément pas, car une meilleure circulation, pense-t-on, conditionnera la régularité des services postaux, l’assiduité des chalands aux foires, l’arrivée d’éventuels vacanciers. Les journaux consacrent aux problèmes des transports et à leur amélioration le quart environ de leurs pages, les candidats aux élections l’essentiel de leurs promesses électorales. La plupart des correspondants des journaux et des responsables partagent l’inquiétude d’Emile RAOUX, qui écrit dans Le Petit Montagnard à propos de Roubion :

 

« Malgré la fécondité du sol, la population de la commune diminue tous les jours. La cause principale de cette émigration paraît résider dans le manque de communications » [17].

 

Aucun des responsables politiques ou des rédacteurs n’envisage que les progrès de celles-ci peuvent accélérer le déclin démographique des vallées. Par contre l’injection d’espèces sonnantes apportées par des hôtes ponctuels serait considérée comme une manne céleste. D’aristocrates visiteurs hantent la Riviera proche que la spéculation immobilière couvre d’or. Les villages du Haut-Pays ne renoncent nullement à en avoir leur part.

 

Comment faire monter vers les cimes ce nomadisme saisonnier de luxe ?

Exemplaire est l’annonce parue pour le compte du Syndicat d’intérêt local de Clans dans le Réveil de la Montagne. On y trouve bien sûr la suggestion publicitaire de vivre ici une saison estivale, un appel au désir de se retrouver dans un « rendez-vous chic » que pourrait avoir le microcosme du Tout Nice Mondain. S’ajoutant à l’attrait de la merveilleuse situation géographique de tout l’arrière-pays par rapport aux rivages méditerranéens, un tentant ancrage immobilier  ne pourrait-il pas rapporter le même pactole qu’aux propriétaires fonciers du littoral ? Mais surtout, après la récurrente promesse d’amélioration des transports, en cette époque de forte morbidité le principal argument reste l’atout thérapeutique d’une région où le soleil et la beauté font reculer la mort.

 

« La saison estivale qui commence s’annonce aussi brillante que celle de l’année dernière. Des villas et des appartements nouveaux seront mis à la disposition des personnes désireuses de trouver une localité située à quelques heures du littoral et pouvant offrir une merveilleuse cure d’air, d’eau et de lait. Le Syndicat s’est de nouveau assuré le concours du docteur Breton, médecin en chef de la marine, en retraite. Un dépôt de médicaments se trouvera à Clans pendant trois mois. Le transport rapide et direct des voyageurs va être établi incessamment » [18].

 

Devant cette exigence hygiéniste [19], le manque de commodités et d’élémentaire propreté du pays serait particulièrement mal ressenti par une clientèle exigeante en matière de qualité de vie. La presse camoufle savamment les cas de maladies, variole, choléra, typhus même, met au compte du pittoresque le ruisseau au gazouillement poétique qui traverse la rue principale de Saint-Martin-Vésubie ou la crasse des devants de portes de certains hameaux. Le fumier qui stagne dans la neige fondue, la paille qui vole jusque dans les jardins, les mouches bleues, rebutent ceux qui en connaissent les dangers. Les municipalités s’efforcent de remédier à l’insalubrité par des équipements et travaux qui dans certaines communes vont se poursuivre jusque dans les années trente : installation de fontaines, puis adduction d’eau (le canal de la Vésubie est mis en eau en 1883), éclairage public à l’acétylène, au pétrole puis à l’électricité lorsque des petites usines électriques équipent les rivières, déplacement des lavoirs en dehors des zones touristiques, électrification des zones résidentielles.

La fraîcheur tonique de l’été et la qualité de l’eau font partie dès la fin du XIXème siècle des atouts majeurs de ces montagnes. En effet sur le Littoral l’approvisionnement en eau, la poussière, le déversement des eaux usées représentent des problèmes aigus que les édiles et les gouvernements n’ont pas encore résolus. La fuite au printemps des « hirondelles d’hiver » que sont les hôtes de la Saison sur le Littoral s’explique par la crainte de la chaleur et surtout celle des épidémies que la presse locale occulte, nous l’avons vu, mais que les journaux parisiens ou étrangers exagèrent, stipendiés par l’hôtellerie des grandes stations à la mode, surtout Vichy, car « la mort de Nice, c’est la vie de Paris »...

 

Victor de CESSOLE prend dans la région le relais des montagnards italiens et sardes qui prospectent depuis 1875 leur versant de la chaîne alpine, dotés d’excellentes cartes d’état-major. Fondateur en 1889 de la section niçoise du Club Alpin Français, il dresse peu à peu une nomenclature complète des sommets. Sur ses traces, des « excursionnistes » en groupes importants, comme ceux de la Société des Amis des sentiers, de Berthemont-les-Bains, commencent à arpenter les sentiers de la « Suisse Niçoise », devenue à la région ce que la Suisse est à l’Europe. Valentin De GORLOFF, ami de la comtesse De SAUTEYRON, relate ses ascensions dans le journal de cette dernière, l’Union artistique et littéraire [20]. Certes, il paraît difficile de capter la clientèle internationale adepte d’Interlaken, mais il faut savoir jouer du site riant de Saint-Martin-Vésubie et de ses lacs mystérieux, pour Roquebillière de la proximité des sources sulfureuses de Berthemont, de l’engouement que suscitent les promenades en montagne, davantage d’ailleurs auprès des hôtes qu’auprès des naturels du pays, accaparés par les façons culturales et rebutés par des rigueurs qu’ils n’affrontent que trop dans leur quotidien. Bergers ou paysans, ceux-ci se proposent tout de même pour guider les excursionnistes, comme Jean PLENT à Saint-Martin, louer des bêtes de somme pour le portage. L’approche à cheval ou à mulet met à la portée de tout cavalier des cols et des sommets d’une altitude relativement modérée, même si les tenues de montagne ne sont pas encore tout à fait fonctionnelles.

 

La Belle Epoque de la Villégiature

Le haut pays se révèle ainsi de plus en plus attractif. De hautes personnalités politiques s’y intéressent, profitant de la relative crédulité des habitants en matière de promesses : l’implantation d’un fief électoral y est réputée plus facile que dans les grandes villes de la Côte, saturées de personnalités. Cumulant souvent les mandats de maire, conseiller d’arrondissement et conseiller général, les élus deviennent des points de mire et leur attitude au Conseil Général se mesure à l’aune des retombées pour leur circonscription. Gare à eux s’ils jouent dans ces assemblées le rôle de la « carpe muette », et si les réseaux de circulation ne s’allongent pas en kilomètres.

 

« Ainsi le canton de Saint-Etienne de Tinée est en 1906 le seul de France n’ayant pas sa route carrossable, ce qui rend pénible et périlleux l’accès de la haute vallée. Le charroi se lamente, les excursionnistes se découragent, les châtaignes gèlent ou pourrissent, tout le canton souffre de l’incompétence de cet audacieux charlatan dont les réalisations se résument à 2 400 mètres de route » [21].

 

Une fois déplorée cette incompétence des représentants en place, c’est avec espoir que les journaux abordent le thème des attentes des électeurs. Ceux-ci, ayant toujours vécu sous la tutelle lointaine d’états protecteurs et centralisés ont une tendance naturelle à beaucoup espérer de la puissance publique, et des courroies de transmission entre désirs et réalités que sont leurs élus.

 

« On sait que la vallée de la Haute Tinée est une région d’avenir, destinée à devenir un centre de stations estivales. Altitude, climat, promenades, panoramas, elle a tout pour prospérer. Que faut-il pour cela ? Un homme qui soit dans une situation sociale lui permettant de recruter parmi ses relations mondaines des amateurs de sites alpestres. Toutes les stations de la Riviera ont été lancées, à leurs débuts, par une personnalité en vue de l’aristocratie ou de la finance. Nos montagnes ne peuvent devenir des centres d’été qu’en allant créer leur clientèle parmi la clientèle d’hiver des stations du littoral. La Haute Tinée vaut autant que les Pyrénées, et mieux que la Suisse » [22].

 

Dès 1872, le baron Augustin CACHIARDI de Montfleury, maire et conseiller général de Breil, avait présenté un mémoire sur le chemin de fer régional. La personnalité de Dominique DURANDY, conseiller général d’Utelle de 1898 à 1902 avant de l’être de Villefranche, le rôle politique national de Flaminius, président du Conseil Général de 1911 à 1927, député et ministre, firent beaucoup pour avancer le désenclavement des vallées et les liaisons ferrées, comme la voie Nice-Coni [23]. Quant aux routes carrossables, c’est avec lenteur qu’elles remplacèrent les chemins muletiers vers les villages les plus reculés, puisque Saint-Etienne de Tinée ne fut atteint qu’en 1897, les fréquents éboulements ralentissant le rythme des travaux.

 

Les membres des grandes familles du pays, devenus notabilités niçoises, ne manquent pas l’occasion de profiter l’été de leurs demeures familiales, devenues « villas » par analogie avec leurs équivalents aristocratiques de la côte. 

 

« Cannes, Monaco, Nice, nous ont envoyé une partie de leurs rentés. Nos estivants sont venus goûter nos ombrages et surtout notre eau fraîche » [24].

 

Dans les listes d’hôtes de marque, comme dans celles de la Vie mondaine, on trouve surtout des estivants originaires de la région, comme le comte de Massoins, préfet en Italie. Les Savoisiens [25], qui au début des années du Rattachement s’étaient tenus en marge de la République et avaient souvent prôné le séjour dans les montagnes du nord des Alpes, ne boudent plus ces séjours de proximité, même si des Monégasques notoires, comme le comte GASTALDI, maire de Monaco, restent fidèles à la rivale Suisse, en l’occurrence Ferney-Voltaire. Des notabilités de la côte, les POULLAN, les TIRANTY, les NOGUÈS, certains hôtes d’hiver du littoral, Albert GAUTHIER, le vénéré maître d’armes, et sa femme, Sir Temple WEST, professeur de médecine à l’Université de Londres, se font à leur tour construire des demeures. Le village le plus accueillant aux étrangers semble être Saint-Martin-Vésubie.

Mais les propriétaires locaux ne tiennent pas toujours à vendre leurs terrains qui sont des biens de famille, sis dans différentes parties du terroir en une complexe marqueterie qui permet à chaque héritier lors des partages d’équilibrer ses ressources entre pâtures, terrains arrosables, versants ensoleillés ou terres en friches et en réserve. Même si les propriétés sont inexploitées, elles ont une valeur sentimentale, et l’étude du cadastre et des mutations montre ces réticences ; les nouvelles constructions ne sont pas toujours très bien situées. Ceux qui peuvent acheter des terrains à bâtir ou des maisons à améliorer sont parrainés par des notabilités ou le sont eux-mêmes, liés au village par des attaches familiales. Les entreprises de construction sont facilitées par la tradition d’un artisanat habile et bien outillé, et la présence d’ouvriers due à l’édification et l’entretien des casernes de chasseurs alpins.

 

Créés en 1888 face aux Alpini italiens, ceux-ci font la gloire du pays, et en même temps sa prospérité, puisque leur installation à demeure vivifie l’économie par le biais du bâtiment, draine des courants d’échanges, entretient un climat de patriotisme et de fêtes [26]. Les jeunes recrues originaires du département, le 6ème de Nice, le 24ème de Villefranche, le 27ème de Menton, portent crânement la cape et le béret dans les bataillons que les soldats allemands baptiseront les « Diables bleus ». Ils s’aguerrissent dans des manœuvres de plus en plus fréquentes. Les lecteurs de journaux deviennent, grâce aux lithographies de Pierre COMBA, de véritables connaisseurs de la défense des crêtes. Augustin ANGLÈS, du Petit Poète, prend même sa lyre pour chanter l’appartenance étroite de ces troupes à l’arrière-pays niçois [27].

Les inspections régulières des états-majors, des ministres de la guerre, et des préfets mettent l’accent sur les secteurs proches de l’Italie, dont l’attitude lors d’un conflit éventuel n’est pas encore très sûre. Grâce aux frontières que l’habileté de CAVOUR a imposées aux diplomates de Napoléon III, l’Italie contrôle les vallées du Comté. Tandis que le nombre d’hôtels et de cabarets croît, des guides proposent leurs services dans les stations frontalières pour des randonnées autour des forts de la région, en particulier à Sospel dont  l’armée fait la fortune. On se méfie des randonneurs en culottes courtes et à  besace photographique, des bergers en houppelande ou ouvriers en casquette, qui pourraient n’être que des espions déguisés. Aux réquisitions des gendarmes, il faut montrer patte blanche et produire ses papiers, ce qui indigne les touristes anglais et allemands. Le général de l’armée sarde comte GILETTA de Saint-Joseph sera même soupçonné d’espionnage.

Le Progrès de la Corse nous décrit, sous la plume de Xavier GIACOBINI, les avantages de la villégiature estivale dans le Haut-Pays niçois ; ses arguments portent essentiellement sur la fraîcheur et les bienfaits de l’altitude, la beauté de la nature, les avantages de la proximité.

 

« On boucle à la hâte quelques valises, on entasse dans une malle aux profondeurs mystérieuses des serviettes, des mouchoirs, un smoking, un habit, quelquefois même un simple veston, et l’on part, en quête d’un petit trou pas cher, salubre et gai... Nous sommes à même, nous, habitants des Alpes-Maritimes, de satisfaire pleinement ce désir d’air pur, cette griserie de la montagne, cette aspiration de l’inconnu et du grandiose, en nous rendant soit à Thorenc, à Saint-Martin-Vésubie, à Saint-Dalmas, à la Bollène, ou à Peïra-Cava... » [28].

 

Attirer des visiteurs par la sérénité des paysages est bénéfique, il faut encore les retenir, les distraire, au besoin les loger. Certains hommes d’affaires n’hésitent pas à partager risques et bénéfices entre l’hiver à Nice et l’été en montagne, comme les CASSINI, qui louent villas et meublés à la Bollène-Vésubie, et possèdent à Nice une agence de services et le journal La Vie mondaine. L’Indicateur de 1903 vante ainsi les charmes de la villégiature à Lantosque :

« Villa Saint-Sébastien : appartements confortablement meublés. Belle situation indépendante sur le versant ombragé de châtaigniers, à l’ouest du village réputé pour son climat tempéré. Approvisionnements faciles. Aller-retours dans la même journée ».

 

Les résidents ne font généralement le déplacement qu’à la belle saison, et pour plusieurs semaines. Pour en augmenter le nombre, les hommes d’affaires tentent de lancer des programmes immobiliers : construction et vente de chalets par exemple. Des journaux à l’apparence toute mondaine les appuient d’habiles publi-reportages, comme le Journal de Thorenc au printemps 1906. La Société Anonyme de la station d’altitude climatique de Thorenc, fondée en 1898, procède en effet en plusieurs étapes et achète d’importantes surfaces en essarts et pâtures, tout en s’assurant les services de l’architecte GAILLANDRE, dont les bureaux sont à Nice, rue de Paris. Les acheteurs sont des petits notables marseillais et grassois, des fonctionnaires, des gendarmes, des amoureux du site, comme le docteur GUÉBHARD, quelques étrangers, et des ingénieurs de la compagnie P.L.M. venus pour leur travail et séduits, clientèle de techniciens que l’on retrouve en nombre à Saint-Martin-Vésubie et à Berthemont-les-Bains. L’implantation des candidats à une responsabilité politique se voit aussi, comme celle d’Alfred DONADEI ou de Félix POULLAN à Saint-Martin-Vésubie où achètent aussi tous ceux qui participent à l’essor économique du village.

 

Un maximum de services  existe en effet sur place : non seulement on peut se procurer les bons produits du pays, fruits délicieux, légumes frais, lait de chèvre et bientôt de vache, fromages, mais encore en cas de besoin, se faire confectionner vêtements, chapeaux et chaussures. Bientôt le modeste artisanat local ne suffit plus ; le commerce de détail se développe et des fabrications plus luxueuses arrivent de la ville. On se distrait et reçoit des amis. Ce « grand monde » se mêle à l’occasion à la population locale aux coutumes pittoresques. Les cérémonies religieuses, les processions de Pénitents blancs comme celles du Jeudi et du Vendredi Saints, les solennités mariales, les fêtes votives sont des mises en spectacle que se donnent mutuellement la population résidente et les hôtes saisonniers, une occasion de montrer sa piété, sa famille au complet, ses toilettes, ses talents musicaux. Très fréquentés sont aussi les concerts réalisés par les nombreuses et vivantes sociétés de musique du cru, comme la Philharmonique « L’Avenir » à Berthemont-les-Bains, soutenus par la bienfaisance et souvent le talent des riches résidents qui à l’occasion font répéter des chœurs et tiennent orgues ou harmoniums. Les fêtes coïncident certes avec la Saison d’hiver sur la côte, mais les pèlerinages, les concours de gymnastique, les festins, les jeux de boules, prolongent cet attrait jusqu’à l’été, incitant les excursionnistes à un séjour toujours trop bref, hélas. A Saint-Martin-Vésubie, la fête du saint éponyme, le 11 novembre, reste la plus importante, mais le mois de février supplante encore l’été avec la saint Blaise, qui protège des maux de gorge, et Carnaval, ses farandoles, son bal, et les pitreries des biffous qui secouent leurs grelots et leur masseto, sorte de crécelle, en exigeant des victuailles à chaque porte. Ainsi peu à peu les festivités traditionnelles liées aux rites de fertilité sont repoussées à l’été, comme l’estacada de Breil-sur-Roya, qui scénarise une révolte paysanne contre le droit de cuissage, la jeune mariée préservée représentant le printemps naissant [29]. Ces réjouissances populaires encore spontanées sont comme l’affirmation de la personnalité villageoise avant son intégration  complète aux besoins et désirs des hôtes.

 

C’est que l’accueil des touristes représente pour ces villages que leur population déserte inexorablement une source d’enrichissement, bientôt la seule. Aubades, cavalcades, merendas, sont ouvertes à tous, des breaks partent à l’aube de Nice, place Masséna, chargés de passionnés de ces réjouissances campagnardes qui les changeront des apprêts factices du Carnaval [30]. Ils seront de retour tard dans la nuit, ou bien le lendemain s’il y a eu bal. Moins adaptés aux besoins sont les trains d’excursion vers le pays grassois, uniquement de première classe, qui permettent à certaines dates une échappée bien courte puisque le convoi, parti de Nice à neuf heures, entre en gare de Grasse à 11 heures quinze, mais en repart dès quinze heures, à peine le temps pour les voyageurs d’entrevoir le paysage et de goûter aux spécialités du cru. Des traiteurs proposent sur place des spécialités de pâtés chauds et froids pour les excursions, et même des services pour bals et soirées.

Les prêtres et les instituteurs tentent d’animer les villages par des « missions » sur des points de doctrine, ou des causeries sur des sujets d’actualité tels l’hygiène, l’alcoolisme ou l’Exposition Universelle. Ces réunions attirent les hôtes autant que les habitants curieux et cultivés [31]. L’automobile depuis ses débuts utilise les montées de l’arrière-pays pour des courses spectaculaires comme celle de Nice à Puget-Théniers, et non sans risques :

 

« Madame Laumaillé qui montait un tricycle Dion a versé à Touët-de-Beuil. Dans sa chute elle s’est fait de graves blessures à la figure » [32].

 

Un peu plus tard, en 1905, deux dames anglaises tentent la traversée des Alpes via Digne à bord d’une voiture « Italia » remarquée depuis le Salon de Turin. En panne, leur chauffeur s’adresse aux paysans pour se dégager d’une couche de neige de huit pieds [33].

On assiste aux premières tentatives d’étalement de la fréquentation touristique, au moins jusqu’en automne, proposant aux « touristes » les joies de la cueillette des champignons dans l’or très doux du paysage automnal, aux savants l’observation d’espèces animales et botaniques rares, d’échantillons minéralogiques exceptionnels, en attendant de découvrir des vestiges préhistoriques et historiques. Encore faut-il éviter que, comme un horticulteur-botaniste malintentionné originaire de Bavière, ils passent plusieurs semaines à dépouiller de plantes rares et précieuses comme la Saxifraga florentula ou la Potentilla Valderia, les pelouses alpines de Saint-Etienne de Tinée [34]. Heureusement, à la requête du chevalier de CESSOLE indigné, le préfet des Alpes-Maritimes prend dès 1905 des mesures de protection des espèces rares du Mercantour. Au même moment est créée la section des Alpes-Maritimes de la Société de protection des Paysages de France. Félix POULLAN, député, Dominique DURANDY, président du Conseil général font partie du comité fondateur aux côtés du préfet.

Les intérêts des autochtones et des visiteurs sont parfois contradictoires quant au désir de préserver l’environnement, principale richesse et attraction du pays. Ainsi en témoignent les controverses à propos du reboisement. Les forêts de la région sont alors massivement exploitées, pour le bois d’œuvre qui descend vers la côte alimenter l’extraordinaire essor de la construction, et pour le chauffage. Tandis que le « Tout mondain » participe avec un enthousiasme patriotique au reboisement par le biais de la Société des Amis des Arbres, fondée en 1894, qui suggère à chacun de ses membres de planter au moins deux arbres, beaucoup d’éleveurs déplorent la réduction des espaces en herbe et la disparition programmée de la vaine pâture, qui pouvait profiter aux pauvres. Ce problème intéresse même les bulletins paroissiaux, qui donnent des conseils pour entretenir et régénérer les vieilles prairies [35]. Ainsi les résidents temporaires veulent-ils imposer leur modèle de beauté et de sauvegarde de l’espace sans ménager pour autant le système économique sur lequel s’appuie le paysage dont ils recherchent toutes les sensations. Déjà leur modèle de loisirs issu des villes proches tend à influencer la vie quotidienne et le labeur des populations villageoises.

Des éditoriaux proposent d’avancer en juillet les vacances, mesure importante pour les jeunes de l’arrière-pays, internes dans les établissements scolaires de ville, et les résidents de l’été. Peu d’élèves reprennent les cours après le 14 juillet. Les distributions des prix ne doivent pas empiéter sur les brillantes perspectives de la fête nationale. Celle-ci a pris un aspect plus militaire que civique avec les défilés des chasseurs alpins et constitue une attraction très suivie en cette période de patriotisme ardent, que sous-tendent le désir de « revanche » et la présence dans le département de nombreux représentants des « provinces perdues » en 1871, l’Alsace et la Lorraine.

 

Certaines stations bénéficient d’un effet de mode induit par le concours de circonstances favorables, la présence de quelques personnalités notoires, médicales, mondaines ou religieuses, la réputation thérapeutique de l’air et des eaux, l’ouverture de routes stratégiques. Ainsi, les séjours fréquents à Lucéram de Mgr. CHAPON, évêque de Nice, les prières collectives assorties d’indulgences et d’espoirs de guérisons, et l’activité des confréries ajoutent encore à l’attrait de Peïra Cava, station voisine. « Sa Grandeur est plus que jamais l’Evêque de la frontière. »

 

L’engouement se traduit par une poussée immobilière, la vente de terrains souvent proposée à des prix concurrentiels par la commune, et la construction de villas et de chalets.

 

« Pour les privilégiés de la fortune et tous les amateurs de villégiatures, c’est vers les premiers jours d’août que le grand départ a lieu vers la montagne et les régions accessibles aux voitures et aux automobiles. L’on voit tous les jours des omnibus lourdement chargés et un flot de nouveaux résidents venus grossir traditionnellement les stations du massif de l’Authion, une miniature de la Suisse, aux portes même de Nice. L’air salutaire et bienfaisant de la montagne est un des grands remèdes de la médecine et de la morale. On a vu des personnes se rétablir en un mois, en une saison, à Peïra Cava. La construction d’un hôtel et de sanatoria sera une oeuvre éminemment humanitaire et patriotique, car jusqu’à ce jour nous avons été tributaires de la Suisse et de l’Allemagne. Les touristes, éclairés sur la beauté et le confort de nos montagnes, y viendront plus souvent et l’on peut espérer qu’un jour prochain Peïra Cava sera aussi connu que Vichy, Aix et Contrexeville »  [36].

 

En effet on songe à concurrencer ces hauts lieux de la villégiature par la tentation diabolique qui stimulerait les privilégiés de la fortune : un casino. Mais l’entreprise conçue par une société de financement et l’architecte Adam DETTLOFF à Peïra Cava fait long feu ; l’établissement s’effondre avant même d’être terminé et l’idée est abandonnée.

 

L’aspect thérapeutique du séjour est depuis longtemps valorisé : L’Echo de la Montagne fait dès 1892 le compte-rendu d’un ouvrage de Victor GARIEN, rédacteur de l’Avenir commercial, sur les « Stations d’été », « publication hygiénique », le mot à la mode [37]. Chaque village cherche à se baptiser station thermale, comme Berthemont. En ajoutant l’expression suggestive « les Bains » à la dénomination celtique du lieu-dit évoquant des bains bouillonnants, les propriétaires espèrent « exposer leur bien aux rayons du tourisme naissant » [38]. Grâce à ses eaux sulfureuses, dit-on, une impératrice romaine aurait recouvré la santé. C’est une aubaine pour Roquebillière, rivale de Saint-Martin-Vésubie. Propriété de la famille CARDOU, l’établissement est particulièrement recommandé aux personnes ayant de l’eczéma, des problèmes de peau, et de l’emphysème. L’architecte Hippolyte CHEVALLIER est chargé par l’hôtelier CARDOU de construire un établissement de bains, moderne et très confortable.

 

La Comtesse Zoé de SAUTEYRON dirige sous le pseudonyme énergique de Léon SARTY l’un des principaux journaux mondains de Nice, l’Union artistique et littéraire [39], original par sa parution annuelle, et non saisonnière. Dès le mois d’août 1885, son journal fait de la publicité pour Saint-Martin-Lantosque et Peïra Cava, et les numéros de l’été 1900 valorisent l’idée d’une saison en montagne, éventuellement à l’hôtel, comme à Berthemont-les-Bains, en reliant les stations au littoral par le tramway.

 

« Il y a vraiment quelque chose à faire dans la région, dans le sens du progrès ».

 

Elle fait construire à Berthemont un chalet dont elle loue une partie en meublé, ce qui peut parfois profiter à ses amis. Elle ne manque pas dans son journal de vanter les mérites de sa station préférée, et d’inciter ses lecteurs à une villégiature d’été dans l’arrière-pays niçois. Les militaires, dit-elle, et les coloniaux sont les précurseurs de ce choix reposant.

D’une vieille famille provençale et savoisienne dont certains membres, son cousin germain entre autres, ont choisi la nationalité italienne, elle est restée fidèle au Comté dont elle adore les paysages. Randonneuse intrépide, féministe de la première heure, elle a déjà circulé des collines du littoral à l’arrière-pays avec l’architecte lorrain François BRUN, « inventeur » des « Promenades d’un curieux dans Nice » [40], et rassemblé la matière de guides touristiques de la région, qu’elle a publié sous le nom de Guides SARTY. Elle réussit à attirer son amie Magda MALGAT, épouse du docteur MALGAT, médecin des prisons de Nice, charmante femme de lettres et d’esprit, qui arpente avec elle les sentiers forestiers. Elles participent à toutes les actions charitables et hygiéniques du bourg. Mais ces « mondaines artistes » profitent de la présence de Cinto TARELLI, fils du propriétaire de l’hôtel du même nom, violoniste, pianiste, et compositeur à ses heures, pour organiser des matinées théâtrales, des soirées poétiques et musicales, et même des « revues » où Magda chante ou déclame, Zoé tient le piano, Cinto le violon. Le confiseur RUMPELMEYER possède lui aussi une villa et organise pour son officine niçoise de l’avenue Victor Hugo le transport de bon beurre frais et de crème, surtout pendant la haute saison hivernale où il sert une clientèle exigeante. En effet, sous l’impulsion de conseillers suisses, l’élevage des bovins remplace peu à peu celui, traditionnel, des moutons, et des fruitières s’installent auprès de prairies que le printemps émaille de fleurs.

 

Bien que son mari ait été député au Parlement italien, la comtesse LAURENTI-ROUBAUDI, née CRESPEL de Constantin de l’Alp , cousine des ROISSARD de Bellet, estive à Saint-Martin où, héritière d’un fief, elle possède d’importantes propriétés. Elle poursuit la tradition bienfaitrice de sa famille en offrant des dots à des jeunes filles pauvres et vertueuses, et son mécénat encourage les concerts du dimanche et des fêtes car par une tradition bien établie chez les hôtes de l’été, elle a offert les instruments de musique à l’harmonie locale.

 

L’arrière-pays grassois est lui aussi atteint par la mode, et on voit le docteur Adrien GUEBHARD, époux de la journaliste Séverine, lancer la nouvelle station de Thorenc. Esprit curieux, ce professeur agrégé de médecine, spécialiste de physique, décide de s’établir le plus souvent possible à Saint-Vallier de Thiey. Séduit par le site de Thorenc, il lui donne une certaine notoriété par ses fouilles et ses découvertes. Il en parcourt les environs, boîte d’échantillons de roches et de plantes au côté, pratique des fouilles dont il publie les résultats dans les nombreuses revues des sociétés scientifiques auxquelles il adhère. Il organise dans cet esprit les séjours de vacances de son jeune fils Roland, interne au Lycée Masséna, qui le suit avec des camarades et des estivants comme Paul GOBY, un jeune cannois futur savant (1879-1937). Ils observent les spécimens des minéraux, de la flore, de la faune, et même les vestiges préhistoriques et « gaulois » des plateaux de Caussols et Saint Vallier [41].

Les souvenirs de Fernand NOETINGER, fonctionnaire du Trésor à Cannes, puis dans le Morbihan, compagnon de randonnée de Victor de CESSOLE et sociétaire du Club Alpin français nous permettent d’imaginer les « résidents d’été » :

 

« Ils montrent la plus grande simplicité d’allure. Les hommes arborent des coiffures pleines d’abandon ; gilets et cravates sont relégués au fond des malles ; la pipe et le bâton ferré ne cessent de se produire. Les dames et demoiselles qui, à Nice, portent des chapeaux très étroits et très lourds, probablement parce qu’il y fait un soleil brûlant, adoptent d’immenses couvre-chefs en paille qui rappellent vaguement ceux que mettent les bédouins » [42].

 

L’hôtellerie semble en retard par son manque de luxe et même d’élémentaire confort par rapport à ses rivales de Suisse, l’éternelle référence, et d’Allemagne. Le Petit Montagnard énumère pour les hôteliers les améliorations que ceux-ci doivent apporter à leurs établissements pour résister à la concurrence :

- Dans l’entrée de l’hôtel, installer un tableau de renseignements météorologiques et géographiques, une carte des randonnées, une liste des guides.

- Dans les chambres, supprimer les tapis, tentures et rideaux, réceptacles à poussière, et les remplacer par un carrelage bien propre.

- Améliorer la literie, permettre l’aération nocturne et l’ouverture des fenêtres, contrôler la propreté des tables de nuit et de toilette, multiplier les prises d’eau et les cabinets d’aisance.

- Pour la table, rechercher l’allègement des menus, la qualité des produits, la sûreté bactériologique de l’eau de boisson.

 

Cependant, le journal reconnaît qu’un excès de propreté nuirait aux mœurs naïves et rustiques qui ont leur charme dans ces hautes vallées. Quel dommage de supprimer le ruisseau d’eau fraîche qui court dans la rue centrale de Saint Martin !

Hâtivement des auberges anciennes, des fermes ou même des couvents comme celui des Augustins à Saint-Dalmas de Tende sont transformés en hôtels. Le plus urgent semble être le remplacement des conduites d’eau en terre par des canalisations en fonte, une couverture plus solide de la toiture, une bonne table. Un appel est lancé à la clientèle anglophone qui aime assez rester « entre soi » à travers des appellations suggestives telles que « Pension anglo-américaine » ou « Pension Victoria ».

Malgré l’impression délicieuse qui se dégage de l’ensemble, et qui, nous dit Fernand NOETINGER, fait s’exclamer aux visiteurs : « Qu’il ferait bon passer ici tout un été ! », en dehors d’un petit nombre d’habitués, presque tous originaires de la région, les résidents restent relativement peu nombreux. Les villas et chalets, rapidement édifiés au temps de la prospérité, sont souvent cédés à des collectivités qui en font des colonies de vacances. L’hôtellerie ne fait pas le plein.

 

On assiste aux débuts du ski, d’abord présenté comme un sport utile, en fait  passe-temps hivernal de luxe réservé à la fois aux militaires gardiens de l’intégrité frontalière et à quelques sportmen excentriques qui se livrent aux premières compétitions dès 1909 à Peïra Cava. Mais Victor de CESSOLE et ses amis du Club alpin français ont reconnu l’intérêt du Plateau de Beuil et la possibilité d’y organiser des concours [43]. Le premier concours de fond en 1910, l’installation de tremplins, le pittoresque de la route des « gorges rouges » du Cians oeuvre du sénateur Joseph GARNIER et de l’ingénieur Joseph DURANDY, tout concourt à faire de Beuil une future « grande station ». 

 

« Quel pays merveilleux où l’on va de l’hiver le plus rigoureux au printemps le plus doux, de la neige aux fleurs d’orangers, des sapins poudrés de givre aux palmiers et aux fleurs en moins de deux heures ! Il n’y a qu’un pays au monde où se produise ce miracle, qu’un Peïra Cava et qu’une Riviera ! »…« Ce n’est vraiment plus la peine de se déplacer en pleine saison pour aller à Davos et à Saint-Moritz !» [44].

 

Les concours de mars 1914 à Beuil sont privés de quelques vedettes qui ont choisi de participer plutôt aux concours d’aviation à Nice ! Les journaux mondains n’hésitent pas à raconter comment deux gentlemen ont été refoulés à l’entrée des salons de jeu au Casino de Monte-Carlo : ils avaient eu l’incongruité de s’y présenter en tenue de ski, descendant à l’instant même de Peïra Cava ! [45] La possibilité de skier et de participer en même temps aux régates de printemps, les perspectives d’arpenter des sommets encore presque inviolés sur les voies du vicomte de CESSOLE permettent alors d’espérer un prolongement de la saison d’hiver, et une nouvelle saison d’été dans les montagnes du département. En effet, des magasins de matériel d’escalade s’ouvrent à Nice, et la direction de L’Hiver au Soleil, journal mondain sous-titré « L’hiver à Nice, l’été à Chamonix », qui assure la promotion de l’action de Joseph VALLOT [46], passe à l’un de ses disciples niçois, Henri MEYNET, chef des troupes scoutes des Alpes-Maritimes. La tradition d’alpinisme ne sera pas perdue avec Jean FRANCO, émule de Victor de CESSOLE.

 

Vers une villégiature plus démocratique

Hélas, la guerre de 1914-1918, avec la disparition de tant de jeunes hommes, « gars campagnards devenus de braves et courageux poilus », ralentit ce dynamisme touristique qui pourtant s’affirmait primordial pour un département privé d’industries traditionnelles, malgré la foi récurrente en la richesse des vallées en matières premières, « eau, bois, laine, fruits, lait, gisements de gypse et de pierres à chaux ». Les responsables locaux ont du mal à envisager le tourisme comme une industrie à part entière, et Emile RAOUX est l’un des premiers à employer dans un éditorial l’expression « l’industrie du Tourisme » [47].

 

Dans ce domaine, élu, journaliste au Petit Niçois sous le pseudonyme de Paul DECLAUS, et poète à la fois, Dominique DURANDY, fils de l’ingénieur Joseph DURANDY qui a contribué à la modernisation du Haut-Pays, gendre d’Alfred BORRIGLIONE, valorise particulièrement les Alpes-Maritimes dans les billets d’un style enlevé et heureux que La Côte d’Azur et les Alpes françaises, journal de promotion régional, fait paraître à partir de 1916. Auteur émouvant de Mon pays, souvenirs lyriques d’Utelle, il estime qu’il faut abandonner l’idée d’un exclusif tourisme de qualité, et, avec une réflexion de précurseur, voit plutôt un tourisme démocratique de petites gens que la guerre a frustrés et qui vont bientôt arpenter à pied ou en bicyclette les sentiers de l’arrière-pays niçois. Il ne se trompe pas et les circuits organisés en car par des associations ou des agences de tourisme viendront bientôt confirmer sa vision. La Vie pratique-Courrier des étrangers se bat dans les années vingt pour une amélioration des dessertes, surtout ferroviaires, de l’arrière-pays, et en particulier pour le croisement indispensable des deux grandes voies Nice-Digne-Grenoble-Anvers et Bordeaux-Odessa, ou ligne du quarante-cinquième parallèle [48]. La ligne Nice-Coni sera enfin inaugurée en 1928. Mais les capitaux privés se portent plutôt vers des placements générateurs de profit à court terme, même les petites fortunes du pays toujours tentées par les bénéfices presque immédiats de l’immobilier.

La clientèle aristocratique d’antan s’est diluée en effet dans une fréquentation plus disparate, plus exigeante en matière de loisirs, de confort, mais en moyenne plus démocratique. Certes Cannes et Monaco montrent dans leur presse de luxe les photographies au savoureux noir et blanc des circuits et rallyes automobiles, comme le Rallye de Monte Carlo. En plein hiver le papier glacé met l’accent sur les beautés enneigées du col de Turini, mais cette connotation de sport extrême et coûteux, déjà usitée dans les années 1900, n’atteint qu’une minorité [49].

Le ski, considéré comme un sport agréable et utile, semble plus populaire dans la foulée des loisirs d’effort que l’époque met à la mode [50]. L’Echo des Palaces, lancé en 1924 en tant que « Gazette officielle de la vie mondaine sur la Côte d’Azur », tient compte de toutes ces nouvelles données : ses rédacteurs veulent considérer l’hôtellerie comme une forme moderne de l’économie, constituer une « région de tourisme » homogène, lutter contre la concurrence italienne en dénigrant habilement la monotonie de l’autoroute, insister sur l’intérêt des nouvelles stations de sports d’hiver, Beuil, Peïra Cava, Les Colmianes.

 

« La Côte d’Azur est toutes ces beautés réunies, accumulées en un espace restreint, avec un art infini, un sens exquis de la nuance et de la gradation ; La Côte d’Azur, c’est une maquette, c’est un idéal » [51].

 

Les ski-clubs se développent dans les années trente, ainsi que la capacité hôtelière. L’inauguration de l’hôtel du Mont Mounier à Beuil le 6 janvier 1932 est caractéristique d’une offre qui s’étend à la saison d’été. La fin de la décennie verra s’installer les premiers sites spécialisés, comme Auron et Valberg, avec pistes et remonte-pente. Et lorsque la fin de l’hiver est par trop pluvieuse, il ne faut pas oublier que « quand il pleut à Nice, il neige à Beuil et à Peïra Cava » [52].

Il faut cependant lutter sur place même contre la concurrence d’une certaine presse de capitaux à peine douteux qui fait dans ses pages la promotion de séjours d’hiver et d’été en Bavière ou dans le nord de la péninsule. La saison d’été s’affirme de plus en plus et met à la mode la plage, qui rend la chaleur supportable et même désirable, et le bronzage. La clientèle étrangère de luxe, surtout américaine, recherche le littoral et le snobisme de la proximité des vedettes du cinéma, la bourgeoisie, que les restrictions légales d’exportations de capitaux limite à son territoire national, n’a plus les moyens financiers de venir dans notre région, sinon pour de brefs séjours sur la Côte.

Certes le Haut Pays figure toujours dans la presse touristique comme un « produit d’appel » que valorise son authenticité préservée et la permanence de sa vie agricole, par exemple l’attrait du bon lait et des fromages que proposent sur place les coopératives laitières. Pourtant les sociétés de chasse recensent les propriétaires qui acceptent de céder un droit de passage sur leur terrain, témoignage d’un processus d’abandon et de concurrence entre les activités ludiques et les façons culturales. Elles fustigent les excès, par exemple la chasse les jours de semaine, ou la nuit à la lueur des phares, des « rentiers » de la Côte, et les « tableaux de chasse » triomphalistes qui obèrent le futur cynégétique de la région [53].

Le rythme des cessions de propriété s’accentue un peu, mais bien des villas construites dans l’euphorie du début du siècle abritent à la fin des années trente des loisirs collectifs et sociaux plus adaptés à leur taille trop optimiste. Des équipements nouveaux du même ordre les accompagnent, donnant à la villégiature de la veille de la seconde guerre mondiale un aspect résolument jeune et démocratique, symbolisé par le patronage du Touring-Club de France.

Les étés parfois pluvieux de la montagne autorisent aux vacances un aspect instructif, ainsi l’Athenaeum groupe à Saint-Etienne de Tinée étudiants, garçons et filles du pays et de la « colonie estivante » [54] pour des séances récréatives et causeries au profit des oeuvres paroissiales, destinées à faire de nos montagnes « des centres de vie intellectuelle et morale » [55]. Mediterranea se fait porteur de publicité pour la saison thermale de Berthemont-les-Bains et la « Première Saison d’Art » dans la montagne niçoise [56].

Le journal satirique Le Caméléon ne goûte pas cette pénétration pacifique des montagnes, et critique particulièrement l’expression publicitaire « La Suisse Niçoise » qui accouple deux idées contradictoires.

 

« Il y avait un beau petit village, Saint-Martin de Lantosque, avec une place sans kiosque à musique et guérite à cars. Il n’y avait pas de Niçois nissardants sur la place, estivant comme un troupeau de ruminants ennuyés. Chaque été la colonie niçoise monte à l’assaut, s’y étale, s’y vautre, et tue Saint-Martin. Il y avait naguère des allées, longue promenade ombreuse avec de beaux platanes. Fini. Maintenant il y a une quelconque place de sous-préfecture avec brasserie, cinéma, et des bancs pour s’asseoir, s’il vous plaît » [57].

 

L’hôtellerie accompagne l’essor du ski, celui de l’alpinisme, et valorise ses propres installations sportives comme la présence de tennis privés. Mais elle ne peut rivaliser avec les établissements de luxe de la côte, leurs installations de jeu, puisque toutes les tentatives d’installations de jeu dans le Haut Pays ont avorté. Ses prix malgré tout élevés la réservent à une classe moyenne aisée qui s’allie bien à ce que sont devenus les habitués, possesseurs sur place d’une résidence secondaire et tenants des longs séjours d’été. Une fréquentation de proximité, déjà connue lors des fêtes votives, des pèlerinages et des festins, préfigure avant la seconde guerre mondiale le phénomène du « week-end » et les déplacements pendulaires du dimanche qui s’accentueront dans les années soixante en complémentarité avec les modes de vie urbains [58]. Des personnalités italiennes antifascistes, comme le communiste Giorgio AMENDOLA, ou menacées, en Europe centrale, par la montée d’un antisémitisme agressif, comme l’écrivain hongrois Arthur KOESTLER, goûtent particulièrement la vallée de la Vésubie pour sa beauté sauvage, certes, pour le confort de son hôtellerie, mais surtout pour la proximité de la frontière qui permet, ils l’espèrent, un éventuel passage sans risque. Ainsi se fondera pour Saint-Martin-Vésubie une tradition de refuge qui se confirmera dans les années tragiques de la guerre [59].

 

L’aspect convivial du tourisme et de la villégiature dans le Haut Pays, en reste encore la caractéristique, bien loin de l’image frelatée que l’on a souvent voulu en donner, et ce charme un peu désuet, familial, ces beautés préservées, que l’on retrouve dans la montagne corse, donnent à notre région, loin des trajets embouteillés et des routes polluées, des atouts pour l’avenir que le vingt-et-unième siècle saura sans doute exploiter.

 

Sur les documents présentés en annexe, on remarquera l’évolution de la terminologie concernant les lieux d’accueil. Si les villas et chalets sont signalés sur les « Indicateurs » dès 1861 par un petit signe représentant un château, symbole de l’aspect aristocratique que revêt la villégiature au début de la Belle Epoque, et se louent souvent en meublé, les auberges, étapes nombreuses en ces temps de charrois et de foires, cèdent après 1900 la place aux hôtels tandis que les cabarets deviennent des cafés. Les restaurants font leur apparition dans l’annuaire de 1913 pour les stations les plus en vogue, Saint-Martin-Vésubie et Thorenc. Les night-clubs n’apparaissent qu’en 1951.

 

Les exemples retenus permettent de remarquer des évolutions parallèles pour l’ensemble des lieux de villégiature des Alpes-Maritimes.

L’impulsion donnée à la villégiature par une aristocratie de naissance ou d’argent, possédant des demeures familiales, ou construisant villas ou chalets, a dynamisé certains lieux devenus des « prototypes » de « vacances à la montagne ». Ce phénomène de mode est souvent étayé par une réputation due à ce que l’on appelle alors l’« équilibre climatérique » du lieu (Thorenc), à la qualité ou à la composition de ses eaux (Berthemont-les-Bains), et de son paysage (Saint-Martin-Vésubie, Lucéram-Peïra-Cava).

Tous les atouts, qualité du paysage, de l’ensoleillement, et des eaux, accessibilité, promotion de l’alpinisme puis du ski, se superposent avec le temps dans les grandes stations comme Saint-Martin-Vésubie, plus tard Valberg, par exemple, pour en faire des « résidences de cœur » plus qu’une destination de week-end. En témoigne l’importance de la construction privée.

Les efforts pour l’étalement de la saison sont limités par les bouleversements de société que génèrent les crises économiques et politiques internationales, les changements de mentalités et de consommation, l’attrait nouveau des plages. Sur le plan local, les rivalités entre vallées sont également nuisibles. Après le conflit, la deuxième moitié du vingtième siècle verra le rebond inespéré du tourisme de l’arrière-pays sous la forme de la résidence secondaire et de la popularisation du ski, le tout en projection des villes les plus proches.

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[1] Suzanne CERVERA, docteur en Histoire de l’U.N.S.A. (Article : « La Villégiature dans le Haut Pays des Alpes-Maritimes entre 1880 et 1939 », Pays Vésubien, 4-2003, pp. 3-27).

[2] Exemple : Annuaire administratif, statistique et historique du département des Alpes-Maritimes publié sous les auspices de M. Gavini de Campile, préfet (1861).

[3] Notre étude se limite arbitrairement aux centres de villégiature les plus importants, parfois composés d’un village et d’une station devenue sa projection touristique. Certaines rubriques du tableau de synthèse n’ont pu être remplies, faute de renseignements précis pour l’année citée en référence.

[4] Hippolyte MARINONI, directeur du Petit Journal et inventeur de la rotative, était, ainsi que James et John GORDON-BENNETT, propriétaires du New York Herald, hôte fidèle de Beaulieu, tandis que le Baron REUTER, fondateur de l’agence de nouvelles du même nom, séjournait dans une villa, sur la Promenade des Anglais. Grâce aux lois de liberté de la IIIème République, la presse a connu un irrésistible essor à partir de 1880.

[5] De nombreux exemplaires sont consultables aux A.D.A.-M.

[6] A.D.A.M., PR.650, Le Petit Alpin, décembre 1912.

[7] Plus de trois cents revues et journaux mondains et touristiques parurent dans les Alpes-Maritimes en soixante ans, essentiellement pendant la « Saison », c’est-à-dire entre novembre et avril.

[8] A.D.A.M., P.R.793, Le Réveil de la Bevera, 25 juillet 1907.

[9] A.D.A.M., P.R.971, « Il a donné au département 80 000 francs pour l’adjudication des eaux, or il touche 9 000 francs par an pour un mandat de député qu’il exerce depuis huit ans », in La Voix des Alpes, 20 avril 1902.

Par contre, L’Echo de la Montagne, journal appointé par Raphaël BISCHOFFSHEIM, commente son échec dans un éditorial signé « Les pauvres gens » et rappelle les bontés du député pour l’arrondissement de Puget-Théniers dont il a représenté les intérêts plus de dix ans : « Les fontaines chantonnent dans presque toutes les communes et leur murmure répète clairement : « Ingrats ! Ingrats ! ». Les roues des moulins répètent ces deux tristes syllabes, et sur le mur de la laiterie, le même mot se trouve écrit. Refusez tout service, pompes à incendie ! Crevez, tambours ; faussez-vous, instruments de musique ; écroulez-vous, hôpital, cercles et syndicats, sous le poids du remords ! Et vous, instituteurs, pères de famille, achetez vite d’autres livres, d’autres cahiers ! », in A.D.A.M., P.R.0775, Le Réveil de la montagne et de Nice, Puget-Théniers, Nice, Nice-Campagne, 20 mai 1906.

[10] Annales de la Société des Lettres, Sciences, Arts des Alpes-Maritimes, tome IX, p.264.

[11] A.D.A.M., P.R.549, Le Monde élégant , 4 septembre 1904.

[12] A.D.A.M., P.R. 0287, L’Echo de la montagne, Organe des intérêts de Puget-Théniers (1889-1895).

[13] A.D.A.M., P.R. 0775, Le Réveil de la Montagne et de Nice, 3 mai 1906.

[14] L’Echo de la Montagne. Deux cas d’arrêt de croissance de l’homme observés dans la montagne de Nice. Annales de la Société des Lettres, Sciences et Arts des Alpes Maritimes, tome XVI, p. 269.

[15] A.D.A.M., P.R. 0510, Le Littoral évangélique, 1er février 1897.

[16] COLLETTA G. Saint Sauveur de Tinée. Des Ectini aux Blavets, Editions Serre, Collection Régionales, 1983. Voir aussi ORESTIS De Castelnuovo J. La Noblesse niçoise, Laffitte Reprints, Marseille, 2002.

[17] Le Petit Montagnard, 24 juin 1906.

[18] A.D.A.M., P.R. 670, Le Petit Montagnard, 10 juin 1906.

[19] A Nice, les résidents anglais préfèrent faire entretenir leur linge à la Blanchisserie internationale qui utilise du charbon britannique et de l’eau élevée à la température de 110° (sic) pour une meilleure désinfection, cité dans CERVERA S. La belle époque de la presse mondaine, Editions Alandis, 2002, p.144.

[20] A.D.A.M., P.R. 1921, L’Union artistique et littéraire, 24 août 1890.

[21] Il s’agit bien entendu du conseiller général auquel le journal tente de substituer un nouveau candidat. In A.D.A.M., P.R. 889, La Tinée, juin 1906 et A.D.A.M., P.R. 0294, L’Echo de Sospel, 17 juillet 1913.

[22] A.D.A.M., P.R. 393, La Haute Tinée, 7 juillet 1912.

[23] SCHOR R. (sous la Dir.) Dictionnaire historique et biographique du Comté de Nice, Encyclopaedia niciensis, volume IV,  Editions Serre, Nice, 2002.

[24] A.D.A.M., P.R. 648, Le Petit Alpin, septembre 1911.

[25] Des personnalités niçoises ou savoyardes qui, tout en vivant en France, et sans pour autant souhaiter prendre la nationalité italienne, gardent vif leur attachement à la Maison de Savoie. En l’occurrence, il s’agit du chef de la branche italienne de la famille CAGNOLI, dont le proche cousin, médecin était alors maire de Saint-Martin-Vésubie. In A.D.A.M., P.R. 958, La Vie mondaine, 8 juillet 1882.

[26] L’Echo de la montagne souligne l’importance de la présence des chasseurs alpins pour la région, et en particulier pour Sospel.

[27] « Le chasseur alpin de la France,

Bon troupier le petit chasseur,

En passant, jette l’espérance !

Gloire à notre cher défenseur !

Le regard fier, la tête haute,

Le cœur chaud, l’éclat dans les yeux,

In A.D.A.M., P.R. 648,

Le Petit Alpin, 8 janvier 1899

A travers monts toujours il saute,

Et bondit parfois jusqu ‘aux cieux !

Petit chasseur, petit chasseur,

Nous avons foi en ton audace

Si quelque jour on nous menace

Tu sauras vaincre l’oppresseur ! »

 

[28] A.D.A.M., P.R. 0712, Le Progrès de la Corse, 9 mars 1902.

[29] MOURGUES M. « Le folklore du Pays niçois, l’Estacada de Breil, et les fêtes traditionnelles de Saint-Martin-Vésubie », in Annales de la Société Scientifique et Littéraire de Cannes et de l’arrondissement de Grasse, tome XXVII, années 1975-1976.

[30] Fernand NOETINGER évoque avec complaisance l’époque où « tout était bon pour tourner le dos à la grande ville, en proie au Carnaval, à la poussière des confettis, à la cohue des fêtes généralement quelconques dont la cité niçoise est si prodigue envers ses hôtes ».

[31] La Voix des Alpes, février 1902.

[32] L’Echo de la Méditerranée et du Léman, 7 mars 1898.

[33] Barnett’s Riviera Weekly, 25 janvier 1905.

[34] Victor de Cessole La Suisse niçoise, ouvrage cité.

[35] L’Echo de la Montagne, et A.D.A.M., P.R. 2162., La Fleur des sommets, Bulletin paroissial de Beuil, 1934.

[36] A.D.A.-M.PERA. 1956, Bulletin paroissial de Lucéram et Peïra Cava, septembre 1905 : Voir sur la répartition des établissements d’accueil le document statistique en annexe. THUIN-CHAUDRON V. La construction à Nice de 1860 à 1914, Thèse de doctorat, Université de Nice-Sophia-Antipolis, 2002.

[37] A.D.A.-M.P.R. 0287., L’Echo de la Montagne, 3 juin 1892.

[38] « Etymologie de Berthemont-les-Bains », Institut des Fouilles de Préhistoire et d’Archéologie des Alpes Maritimes, tome II, Années 1929 à 1953.

[39] A.D.A.-M.P.R. 1921, L’Union artistique et littéraire, 1881-1924.

[40] Cet architecte, membre fondateur dès 1861 de la Société des Arts, Lettres et Sciences des Alpes-Maritimes, qui a fondé et commandé en 1870-71 cinq compagnies volontaires de francs-tireurs, a appris en quelque sorte aux Niçois à aimer Nice. L’Union artistique et littéraire, 28 avril 1894.

[41] Né en 1849 et mort en 1924, venu à Nice en 1856, il finit ses études à Paris, puis en Suisse. Il aide Jules Vallès, connu par l’intermédiaire de Caroline RÉMY, plus tard journaliste sous le pseudonyme de Séverine, à relancer Le cri du peuple. Il épouse Séverine, qui vient d'obtenir son divorce, en 1885. C’est alors que tous deux deviennent des hôtes assidus de la Côte. Membre de l'Académie des Arts, des Lettres et des Sciences de Nice, il publie des articles dans des domaines scientifiques très divers, se mettant à la portée des lecteurs mondains dans la Revue de Cannes et du Littoral, comme dans « A propos du radium », en 1904. En 1909, il est nommé président de la Société préhistorique de France. Personnalité engagée dans tous les combats idéologiques de l’époque du côté de la Ligue des Droits de l’Homme, du pacifisme, Séverine était une habituée de la Côte (et une admiratrice du prince Albert  de Monaco qui militait pour ces causes), mais elle n’y résidait pas toute l’année contrairement à son mari. Annales de la Société scientifique et littéraire de Cannes et de l’arrondissement de Grasse, tome IX, 1937-1938.

[42] DE CESSOL V. – NOETINGER F. La Suisse niçoise, collection « Les grandes heures du C.A.F. », Réédition 1982, Sirius International Editions.

[43] BOVIS-AIMAR N. « Les débuts de la station de sports d’hiver de Beuil », in Nice Historique, N°4, 1994.

[44] A.D.A.-M.P.R. 313, Les Echos de Nice et Monte Carlo, 19 janvier 1907 & A.D.A.-M. P.R. 533, Le Mercure de la Riviera, 18 janvier 1908.

[45] A.D.A.-M. P.R. 0100, Barnett’s Continental Weekly, 11 février 1908.

[46] Astronome et géographe, né à Lodève en 1854, il étudie la région du Mont Blanc à partir de 1881 et y installe un observatoire, initiative reprise au Mont Mounier par Raphaël BISCHOFFSHEIM. A sa mort à Nice en 1925, il lègue à la ville sa bibliothèque de dix milles volumes. A.D.A.-M. P.R. 396, L’Hiver au Soleil, 1er novembre 1913.

[47] A.D.A.-M. P.R. 0196, La Côte d’Azur et les Alpes françaises, 4 mars 1922.

[48] A.D.A.-M. P.R. 212, La Vie pratique-Courrier des étrangers, 20 février 1919.

[49] A.D.A.-M. P.R.286, L’Echo de la Méditerranée et du Léman nous conte l’accident de « Madame Laumaillé, dont le tricycle à moteur Dion a versé à Touët-de-Beuil », 7 mars 1898. La Barnett’s Riviera Weekly relatait déjà en 1905 les voyages automobiles alpestres et aventureux de dames anglaises dans l’arrière-pays, et Dominique DURANDY lui-même défrayait la chronique par ses trajets, ses moyennes et ses accidents. A.D.A.-M. P.R. 0100, Barnett’s Riviera Weekly, 25 janvier 1905. On peut aussi consulter A.D.A.-M. P.R. 549, Le Monde élégant du 20 mars 1902, « L’automobile dans nos montagnes ».

[50] A.D.A.-M. P.R. 0141, Cannet Journal, février 1928 & A.D.A.-M. P.R. 0131, The Cannes News, 8 février, 15 juin 1930.

[51] A.D.A.-M. P.R. 304, L’Echo des Palaces, 6 janvier 1925.

[52] A.D.A.-M. P.R. 96, Azur, Grand périodique de la Riviera française, 5 mars 1934.

[53] A.D.A.-M. P.R. 0156, La Chasse et la Pêche fluviale dans les Alpes Maritimes, 1933-1939, Organe officiel des Sociétés de chasse et de pêche des Alpes Maritimes.

[54] Le terme « colonie » est employé pour définir en quelque sorte une communauté exogène, telles la « colonie militaire », la « colonie anglaise », ou la « colonie corse ».

[55] A.D.A.-M. PER. 2163, Les Echos de Saint Etienne de Tinée, 10 septembre 1922.

[56] A.D.A.-M. PER.1238, Mediterranea, août 1929.

[57] A.D.A.-M. P.R. 0122, Le Caméléon, 19 août 1930.

[58] La fête de la saint Jean à Beuil est l’occasion pour les Niçois, les Mentonnais et les Monégasques, d’une grande sortie de deux jours, et les incertitudes du printemps réservent bien des surprises : la messe en plein air du 22 juin 1925 est interrompue par une tempête de neige, et « force fut de partir avec le panier à provisions vers les maisons de Bergeons et des Launes pour chercher un abri, car dix centimètres de neige couvrirent rapidement le sol », in A.D.A.-M. PER. 2164, Les Echos de Saint Etienne de Tinée, 16 août 1925.

[59] CAVAGLION A. Les Juifs de Saint-Martin-Vésubie, septembre-novembre 1943, Editions Serre, 1995.


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