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Michel FULCONIS [1] – La politique de construction des refuges au Club Alpins Français (A.M.) des origines aux années 1930

 

Introduction

Dans les dix dernières années du XIXème siècle, la montagne des Alpes-Maritimes était encore largement inexplorée. L’Alpine Club, créé depuis longtemps (1857) et les Clubs Alpins italien et suisse en 1863, avaient devancé les Français (création du C.A.F. en 1874). Seuls quelques alpinistes anglais et italiens - mis à part le Niçois Joseph ANDRÉ, auteur de quelques « premières » en Gordolasque - avaient « cueilli » quelques cimes de notre massif comme l’Argentera ou le Gélas. Les Alpes étaient alors pratiquement toutes connues.

À partir de 1896, le grand pionnier Victor de CESSOLE va écrire les premières monographies sur la haute montagne en découvrant plusieurs vallées et en réalisant des premières. Lors de ses excursions, il descendait aux points de base pour dormir (Saint-Martin-Vésubie, les thermes de Valdieri, Saint-Etienne-de-Tinée), ce qui nécessitait une résistance exceptionnelle. L’alpiniste anglais COOLIDGE était aussi un de ces marcheurs infatigables parcourant de grandes distances. Il bivouaquait où il pouvait dans des abris de bergers, ou chez l’habitant. À l’époque, seul le petit hôtel de la Madone de Fenestres offrait un hébergement avancé.

Élu président du C.A.F. Nice en 1900, CESSOLE allait s’attaquer à la création de refuges, ce qui deviendrait en deux décennies la plus sérieuse des œuvres du Club.

 

L’inauguration d’un refuge : un rituel

Dès le début, les inaugurations suivirent un rituel mêlant convivialité et sportivité, le tout sacralisé par la présence de prêtres et très solennellement officialisé par des élus et soldats. Les rapports de ces rencontres restituent avec une précision d’horloge toutes les étapes incontournables de ces réunions. Leur préparation ne laissait rien au hasard.

D’abord, les transports pour accéder aux villages étaient réservés. Sur le chemin, il était traditionnel de faire halte pour visiter un village, rencontrer un maire et son conseil municipal, jouir d’un bal ou d’une fanfare. Le jour J, plusieurs groupes partaient alors à différents horaires de divers lieux pour se réunir au refuge où, à une heure précise, un prêtre disait la messe avant de bénir la bâtisse. C’était ensuite le traditionnel vermouth et quelques mots de chacun des personnages présents (CESSOLE est toujours présent) suivi d’un banquet à la fin duquel ces mêmes personnages portaient des toasts. S’ensuivait le commentaire de ces toasts entre les convives. Puis une petite randonnée aux alentours en guise de digestion. Enfin, avant la descente, certains montaient encore sur une cime après une nuit au refuge.

Ces événements conciliaient de nombreux aspects - sport, montagne, convivialité, patriotisme, chrétienté mais aussi poésie dans la découverte de la nature et son admiration -, à l’image d’une certaine partie de la société bourgeoise niçoise de l’époque, et en particulier d’un homme qui réunit en lui toutes ces facettes, le chevalier de CESSOLE.

Il en résulte même une singularité pour nos regards d’aujourd’hui : imaginons ces personnages en complet veston (mais aux mollets d’acier !) plaisanter autour d’une table à plus de 2 000 m d’altitude où seuls quelques bergers passaient l’été ! Personnages d’un tableau insolite, chacun avait conscience de l’originalité de la situation. Construire en haute altitude était bien hors du commun, et seuls quelques initiés citadins aisés et de rares guides locaux avaient accès à ces refuges.

 

Armée et Clergé omniprésents

Le choix des dates d’inauguration, les bénédictions, et les discours prononcés prouvent le rôle important de l’armée et du Clergé à cette période de patriotisme fort. Cependant, on prend soin de ne pas froisser la susceptibilité italienne. On sent que l’équilibre est toujours recherché entre les deux tendances, revancharde et pacifique. Deux éléments puissants liaient pourtant les alpins des deux versants : le long passé culturel commun (la langue en particulier et l’immigration piémontaise) et la religion (les pèlerinages comme à Sant’Anna di Vinaï qui drainaient de très nombreux Gavouots).

 

Économie : du désenclavement au tourisme de montagne

L’aménagement de l’accès aux montagnes sous l’impulsion de Napoléon III dès 1860 fut poursuivi en cette période de construction des refuges Les randonneurs empruntèrent alors les lignes de tramways et profitèrent peu à peu des différents axes routiers créés ou améliorés, leur permettant une approche plus rapide et confortable aux points de départ des excursions.

Mais tout cela prit du temps. Prenons l’exemple de l’opiniâtre Justinien DURANDY, seul homme politique ayant bien compris l’importance des sports d’hiver en 1913. Il fit voter des subventions au Conseil Général pour l’amélioration de la route du Cians. La guerre et la dévaluation du Franc repoussèrent les réalisations, il créa un concours de chasse-neige mécanique, mais celui-ci n’eut pas lieu car on pensait que le succès du ski serait éphémère. Ce n’est qu’en 1930-31 que l’on essaya enfin des chasse-neige.

Avec l’introduction du ski par CESSOLE, les stations vont naître et drainer de plus en plus de monde ; les refuges trouveront une deuxième utilité grâce aux skieurs. Enfin, on peut parler d’aménagement du territoire si l’on rajoute les à-côtés des constructions : édition de topo-guides, balisage des sentiers, pose de poteaux indicateurs, entretien des boites des sommets, apprentissage du ski aux scolaires, … La Section des Alpes-Maritimes se félicitait de toutes ces actions et pensait « avoir bien servi la cause du tourisme en général et de l’alpinisme en particulier », et ce « pour rendre le séjour des alpinistes le plus agréable possible ».

 

I/Les premiers refuges

1/ Les refuges Barma et Nice

Le premier de tous avait été l’abri sous roche de la Barma (Gordolasque) construit en 1888 à grands frais grâce à des fonds du Club Alpin International. Il dut, au grand regret de tous, être abandonné, condamné par l’expérience dans les Alpes et les Pyrénées, car trop dangereux en cas de chutes de rochers ou d’avalanche, et inaccessible en hiver à cause de la neige[2]. Soumis à de fréquentes infiltrations d’eau, il fut remplacé en 1902 par le refuge Nice, situé un peu plus haut deux ans avant l’édification de celui de Rabuons (Tinée).

Le refuge Barma (la grotte, en langue d’Oc), effectivement creusé dans la roche vive, avait donc du être abandonné. Les suintements d’eau et la voûte devenue une « véritable fontaine » s’ajoutèrent aux pillages et eurent raison de cet abri[3]. Il était primordial de doter la Gordolasque d’un refuge, car elle constituait une des vallées les plus intéressantes et grandioses et des plus difficiles d’accès dans le département.

 

L’emplacement du refuge Nice (2 250 m) fut choisi avec précision au lieu-dit « le Clot de Roquebillière ». Sur le premier contrefort du mont Clapier - un des six « 3 000 m » du département - entre le vallon du même nom et celui de Lusiera, il jouirait d’une belle vue sur le lac de la Fous, et serait avant tout bien orienté, construit sur un rocher où la neige ne restait pas en hiver, laissant l’accès libre. C’était très important car un des buts de son utilisation était de permettre d’y séjourner à la saison froide pour effectuer à partir de lui des « hivernales », comme le Clapier. À environ 6 heures de marche de Saint-Martin-Vésubie et Belvédère, 3 heures de la Madone par le Pas du mont Colomb et aussi à 3 heures du nouvel hôtel de la Gordolasque au bord du lac de la Cabane (Saint-Grat), il était situé alors en territoire italien. Bien que la propriété et l’administration étaient françaises ; la cession du terrain et des bois fut faite par la commune de Belvédère. CESSOLE eut en effet des difficultés face aux autorités italiennes qui voyaient d’un mauvais œil l’installation du C.A.F. dans les hautes vallées.

 

Le vice-président de la section départementale, Lee BROSSÉ - réalisateur par ailleurs de nombre de croquis montagnards avec itinéraires d’escalade - dressa les plans et devis du refuge Nice (appelé par la suite improprement « de Nice ») et en surveilla la réalisation[4]. Ce « home » alpin construit selon le « dernier genre adopté » de l’époque pouvait accueillir dix personnes dans les « couchettes-paquebot » et une quinzaine dans une petite pièce sise au-dessus et en principe réservée aux guides. D’une superficie d’environ 42 m², sa toiture était faite de « tuiles en bois ». Quant au bois pour se chauffer, il fallait le monter à l’avance. Au tout début, les alpinistes, comme CESSOLE, prévoyant une excursion hivernale, faisaient monter des charges à la fin de l’automne. Les clés étaient déposées dans les principaux villages avoisinants.

 

Il fut inauguré lors d’une brillante fête le 14 juillet 1901. Le choix de la date n’est pas un hasard pour cette époque. La devise du C.A.F. était d’ailleurs « pour la Patrie – par la Montagne ». Dans son discours d’inauguration du refuge du Rabuons, le chevalier de CESSOLE dit que « les idées communes (…) animent le soldat et l’alpiniste (…) pour la patrie par la montagne. » Un général présent indiqua au C.A.F. : « Vous apportez votre puissant appui à l’œuvre de régénération nationale dont l’armée revendique, aujourd’hui, plus que jamais, sa très large part », avant d’ajouter qu’il représentait des « auxiliaires précieux » pour les Alpins (les Chasseurs Alpins). Amédée MATTON, de la section Provence, répondit à cela : « L’armée française (…) nous prouve (…) que notre société est une institution d’élite pour la préparation des jeunes hommes à la défense éventuelle du sol natal ». On ne peut être plus clair sur le sentiment de fierté nationale de l’époque dans cet effort de « régénération » suivant la défaite de 1870. L’armée avait compris l’aide nouvelle et conséquente que pouvait leur apporter les refuges de montagne, surtout en zone frontalière. Avec le développement des voies d’accès stratégiques comme l’Authion ou les Granges de la Brasque, l’influence de l’infanterie dans nos montagnes grossissait sans cesse[5].

 

2/ Le refuge du Rabuons

CESSOLE visita pour la première fois le cirque de « Rabiouns » en août 1892, l’idée naquit d’y construire un refuge comme point de départ pour les sommets environnants. En 1899, le projet se concrétise, tandis que le refuge Nice était commencé. Un membre du C.A.F.., Camille SCOFFIER et le vice président de la section, l’architecte alpiniste Léonce BROSSÉ édifièrent les plans et l’on construisit le bâtiment (début le 24 juillet 1904) ainsi qu’une écurie en pierre sèche à proximité en un peu moins d’un an (sans compter les mois d’hiver). On utilisa la pierre « du pays », le bois de mélèze (concédé gratuitement par la commune tout comme l’emplacement de la construction et ses abords) et on couvrit les 70 m² de Rubéroïd incombustible. Une cave en sous-sol, un RDC et un étage mansardé ont donc été construits au sommet d’une barre rocheuse à l’ouest du grand lac, à 2 515 m, dominant le vallon de Rabuons et ses imposantes cascades. La position isolée garantit contre les avalanches et chutes de pierres.

Le 14 juillet 1905, pour acheminer les invités à l’inauguration, des wagons avaient été réservés et des voitures attendaient en gare de la Tinée. Après un repas à Saint-Sauveur et une visite du village, on dîna à Saint-Etienne où les militaires jouaient les sérénades de la fête nationale[6]. Deux semaines plus tard, un groupe de vingt personnes plus six guides et porteurs partit à 3 h 30 pour le mont Ténibres. À 5 heures, un autre groupe nombreux avec CESSOLE et accompagné de mulets partit pour le « chalet de Rabuons », suivi des militaires partis à 6 h 30. Entre-temps, un troisième groupe de membres de l’Automobile Club s’élançait depuis le refuge à 6 h 30 en direction du Ténibres, lieu de ralliement des Italiens du C.A.I. qui étaient partis de Pietraporzio et devaient passer par le Pas de Rabuons.

Peu avant midi, tout le monde se retrouva au refuge pour la cérémonie. La marraine était la femme de Lee BROSSÉ. On nota de l’émotion lorsque l’abbé George RAYNAUD, curé de Cantaron, fit la bénédiction. Puis on dressa deux tables (intérieur et terrasse) pour les 82 convives. Le service, sous la direction du gérant M. FAY, fut assuré par quatorze guides et porteurs de la région qui mangèrent après les autres[7]. Les autres excursionnistes - dont les ouvriers ayant participé au chantier - pique-niquèrent aux alentours. CESSOLE fit le discours traditionnel[8] retraçant l’historique du lieu. Il remercia les membres de l’Automobile Club et du Club Nautique. L’heure des toasts ayant sonné, Edouard SAUVAGE déclarait que « dans les Alpes, l’homme se sent plus près de Dieu ». Le général GOETSCHY quant à lui, rappelait les soldats de MASSÉNA et enjoignait chacun à conserver « pieusement l’immortel souvenir », prouvant par là même les liens forts entre patriotisme et foi chrétienne[9].

Le traditionnel registre consignant impressions et signatures fut ouvert par un P.V. d’inauguration dressé en bonne et due forme par M. ROVÉRY, notaire à Saint-Etienne, assisté du notaire MORIEZ de Nice. Tous les excursionnistes signèrent.

Le programme n’était pas terminé : à 15 heures, on baptisa le Chamois avant de la lancer à l’eau, une barque à fond plat battant pavillon du Club Nautique de Nice[10]. On l’avait acheminée à dos d’homme. Lors de cette première sortie sur le lac celui-ci est décrit non sans humour comme « une jolie petite mer ouverte désormais à la navigation ». On essaya même, mais en vain, de briser, avec sa quille avant (!), la glace qui couvrait encore un coin du lac. On admira ensuite le paysage, en baptisant quelques points vierges de ce même lac.

Quarante personnes restèrent pour la nuit. Le soir, on tira un feu d’artifice au bord de l’eau. Le lendemain, à 4 h 30, l’abbé RAYNAUD dit une messe en plein air sur un autel improvisé garni de sacs, de piolets et autres objets d'équipement alpestre. CESSOLE et quelques personnes gravirent le Corborant où ils déposèrent une boite de sommet dans le Montjoia, avant d’aller à la cime des Challanchas.

Ainsi se terminèrent trois jours de fête dont le programme s’était déroulé « merveilleusement » selon le rapport du C.A.F. L’année suivante, on compta par centaines les hôtes du refuge. La répercussion dans le public et la presse fut considérable (au moins douze magazines et journaux français et italiens). Cela ne démentit pas le souhait de « longue vie et prospérité au refuge » du chevalier de CESSOLE.

Avec le refuge Nice, il jouissait d’une valeur inestimable aux yeux du C.A.F.. tant pour les difficultés excessives éprouvées pour les bâtir que pour l’importance et la beauté des massifs dont ils facilitaient l’accès. Aussi étaient-ils constamment entretenus avec « un soin jaloux ». Lors de leur construction, CESSOLE et ses amis Lee BROSSÉ, PLENT, MAUBERT, VÉRANI … se rendaient sur place pour se rendre compte de l’avancement des travaux quand ils le pouvaient.

 

3/ Les refuges Poullan (ex Adus) et de la Maïris

Après la première guerre mondiale, le Parlement vota une loi attribuant au tourisme une subvention d’un million, répartie entre l’Office National du Tourisme, le Touring Club et le Club Alpin. Cette loi fut proposée par F. REGAUD, député du Rhône et ensuite président du C.A.F., et par Antoine BORREL, député de la Savoie, membre du Comité Central. Les crédits à venir coïncidèrent dans les Alpes-Maritimes avec le legs du député Félix POULLAN, mort le 13 février 1918. Il avait construit deux chalets servant de rendez-vous de chasse aux Adus et à la Maïris, en Vésubie. Il les laissait à treize de ces amis, membres de la Section locale du C.A.F., et stipulait qu’à l’extinction du dernier survivant, ces refuges reviendraient à la Section. Des conditions auraient pu faire des deux chalets des propriétés particulières. Mais les légataires, très reconnaissants au testateur, préférèrent les mettre directement à disposition de la Section. La commune de Saint-Martin-Vésubie redevint alors propriétaire du terrain après avoir régulièrement transmis le refuge des Adus[11] et renouvelé la concession, comme à l’auteur du refuge ; ce dernier fut restauré en 1921 et au printemps 1922 pour le rendre plus confortable.

Il était dans le vallon de Salèses à 2 180 m, près du lac des Adus, au nord-est de la cime de la Vallette. Au milieu d’un cirque verdoyant, il jouissait d’une vue splendide. Fait en maçonnerie couvert de tuiles de bois, avec une grande pièce servant de salle à manger et de dortoir pour neuf couchettes, et une cuisine garnie de trois couchettes avec paillasses[12]. Une pièce annexe avec cheminée et deux lits de camp était ouverte en permanence. L’eau était proche et le refuge toujours approvisionné en bois selon la coutume.

L’inauguration eut lieu le 27 août 1922. On y vit « une nombreuse et élégante société ». Après le service religieux à Saint-Martin-Vésubie, une caravane de 80 personnes quittait tôt le village (6 heures) conduite par le maire et conseiller général, le Dr FULCONIS, et le chevalier de CESSOLE. On franchit la frontière pour se retrouver dans le vallon de Salèses. Halte à 8 h 30 à la source de Naucetas pour une demi-heure. Pendant que certains goûtaient alors l’eau de la Ciardola, réputée fameuse entre toutes celles de la région, d’autres se rendaient au plateau des Adus où le refuge était pavoisé aux couleurs franco-italiennes.

Les différents groupes se réunirent entre 10 h et 10 h 30, leurs arrivées respectives saluées par des salves successives de mousqueterie. Puis on fit une visite champêtre sur les berges du lacs à quelques centaines de mètres du chalet, autrefois rendez-vous de chasse. À 11 heures, une salve annonça le début de la cérémonie de bénédiction. Le parrain était le Dr FULCONIS, la marraine Mme Félix POULLAN était représentée par Mlle HANCY. L’abbé BARNOIN, lui-même membre du C.A.F. et fervent alpiniste, prononça une charmante allocution où il vanta l’utilité des refuges « loin des complications d’en bas ». Puis il bénit l’extérieur et l’intérieur. Mlle HANCY, « selon le baptême alpin », brisa une bouteille de champagne contre la porte.

Après le vermouth, des groupes de dix personnes se réunirent sur la pelouse autour de tables improvisées[13]. Au champagne, CESSOLE excusa les absents et remercia les présents, notamment le Dr FULCONIS et son adjoint De CAQUERAY pour leur zèle dans la création du refuge. Dans son discours, il rappela la mémoire de POULLAN et retraça les étapes d’évolution du bâtiment. Après un abandon de plusieurs années, livré aux intempéries et plusieurs fois aux cambrioleurs, il fut réparé et aménagé à grands frais. FULCONIS dit ensuite son discours et l’on signa à la fin du déjeuner le P.V. d’inauguration sur le registre, ainsi que trois photos du refuge pour la mairie de Saint-Martin, la marraine et la Section[14]. Six personnes allaient au Caïre Archas tandis que les autres redescendaient. Cette journée fut jugée comme une « magnifique fête de la montagne » qui « comptera parmi les brillantes solennités organisées par la Section ».

 

Les mêmes formalités furent remplies pour le refuge de la Mairis, créé spécialement pour l’usage du ski à 2 100 m. Il faut rappeler qu’en ce début de siècle, le ski était essentiellement axé sur la promenade, et que d’autre part, le C.A.F. s’installait où il pouvait à cause de la domination italienne dans les Alpes du Sud. Situé à proximité de la Baisse de la Mairis, versant Boréon, à une vingtaine de mètres au dessous de l’arête reliant l’Agnelliera au Piagu, il était en maçonnerie, couvert de tôle ondulée. Il n’y avait qu’une pièce avec au fond, deux bas-flancs superposés de quatre places chacun, huit paillasses et 32 couvertures. Un fourneau à bois, de la vaisselle, un brancard, etc… La surface du refuge était complétée par une terrasse en bois et à l’est une pièce annexe toujours ouverte, avec cheminée et lit de camp. Une source coulait en contrebas, du bois était disponible à proximité en été. Créé uniquement comme refuge d’hiver, il se révéla un excellent point de départ facilitant l’accès aux principales cimes de la Madone et du haut Boréon. On s’y rendait en 20 minutes, le lac Trecolpas ou la Madone étaient à 1 h 15 de marche. Il fut inauguré le 16 septembre 1923.

 

4/ Le refuge de Fenestres

Un autre projet tenait depuis longtemps à cœur à la Section : aménager un refuge d’hiver à Fenestres. Elle obtint du curé de Saint-Martin-Vésubie, avec l’autorisation de l’Evêque de Nice[15], la location, pour une somme modique, de trois chambres dans le bâtiment de l’ancienne hôtellerie dite « Refuge des Pèlerins ». Réduites ensuite à deux, ces pièces furent aménagées en refuge alpin selon le modèle des autres refuges[16]. Fenestres était à l’époque la plus haute station alpine du département (1904 m). Son nom, « Refuge d’Hiver de Fenestres », souligne le fait qu’il ne pouvait et ne devait être ouvert que pendant « la saison rigoureuse », et serait donc fermé l’été (pour ne pas gêner l’exploitation de l’hôtel), tout cela étant consigné dans les clauses du bail. Il servit en fait également au printemps et à l’automne aux alpinistes. Lors de la fête du centenaire du couronnement de la Madone du 15 août 1926, Mgr RICARD, évêque de Nice, donna la bénédiction en présence d’une cinquantaine de membres de la Section. Il admira « la belle œuvre » et félicita le C.A.F.

L’inauguration quant à elle eut lieu le 12 septembre suivant. Une nombreuse caravane venue de Saint-Martin rencontrait d’autres alpinistes venus de la Maïris et du Boréon. La messe fut dite à 10 h 30 par l’abbé FERRERI [17], puis à nouveau une bénédiction du refuge. Le parrain et la marraine étaient CESSOLE et Mme INGIGLIARDI [18]. Dès lors, le Président proclama le refuge ouvert aux alpinistes, et l’on visita les locaux. La Section offrit le vermouth à l’hôtel, on signa le P.V. d’inauguration sur le registre. En même temps, les membres s’inscrivaient sur les quatre tableaux, ornés d’une vue de Fenestres et destinés à l’évêque, au curé, à la marraine et à la Section.

Le repas fut pris à midi en plein air sur la terrasse de l’hôtel. M. MOTTI, membre de la Section, fut complimenté pour son menu excellent et copieux. Au dessert, CESSOLE excusa les absents, remercia les personnalités présentes, puis avec « son érudition habituelle »[19], il passa en revue la petite histoire du Sanctuaire de Fenestres et les grands noms (alpinistes et autres) qui s’y étaient illustrés. Il redéclara le refuge ouvert, but à la santé des gens présents et ceux du C.A.I. Puis ce fut au tour du curé de Saint-Martin d’évoquer le passé de CESSOLE et l’ancienneté de sa famille et de leurs bonnes œuvres, en souhaitant que les deux nations sœurs, unies dans l’alpinisme, gardent les liens ancestraux d’amitié cordiale.

Enfin, le Dr FULCONIS, maire de la commune et conseiller général félicita le C.A.F., émit des souhaits pour le développement de l’alpinisme, « source de prospérité pour nos montagnes ». Suivirent d’autres remerciements et souhaits, même d’un M. Joseph LÉONARD du Club Alpin Belge, présent.

Un toast cordial pour l’Italie et le C.A.I. acheva les discours. Le brigadier des carabiniers, invité par le C.A.F., exprima en quelques mots combien il était touché par cette marque de sympathie[20]. À 16 heures, c’était le départ pour Saint- Martin.

 

II/ Les refuges à Beuil

1/ Les refuges d’hiver

En 1909, c’est les débuts du ski développé par CESSOLE avec notamment la création au sein du C.A.F. du Ski-Club des A.M. – devenu après Ski-Club Alpin de Nice né à Peïra Cava. Les refuges vont avoir une seconde raison d’exister : après celle d’abriter les alpinistes, ce sera les skieurs.

Le C.A.F. concentra ses efforts à Beuil, là où se tenait leur principal concours de sports d’hiver. Ils ne possédaient aux Launes qu’une installation de fortune, en plein « champ de neige », qui s’avéra trop petite et peu commode pour des visiteurs en nombre croissant.

La commune concéda alors un terrain sur lequel le C.A.F., subventionné par le Conseil Général, édifia un chalet en bois, qui ne devait servir que pour la période du concours. L’inauguration eut lieu le 15 mars 1925, jour du concours. L’engouement pour le ski était formidable à cette époque : « presque toute la population de Beuil » à laquelle s’ajoutait des militaires participaient à l’événement. Le succès du ski ne cessait de croître d’année en année, notamment avec les concours de saut à la fin des années 1920 auxquels participaient des champions internationaux[21].

Ce refuge d’hiver bâti en bois était donc au centre du « plateau neigeux », surélevé d’un mètre pour être toujours au niveau de la neige. Il comprenait deux pièces, un vestiaire, un poste de secours et une terrasse. À l’intérieur, les éléments traditionnels d’un refuge dont une batterie de cuisine réduite pour préparer des boissons chaudes pour les skieurs. Aujourd’hui disparu, les Beuillois se rappellent encore de ce qu’ils appelaient « la cabane » où ils allaient jouer étant enfants, située non loin de l’actuelle petite piste de ski pour débutants.

 

Deux ans plus tard, les difficultés de logement s’amplifiaient pendant la période du concours, aussi celui-ci dut être scindé en deux parties afin d’éviter l’encombrement. Il devenait urgent de pouvoir loger concurrents et collaborateurs, et l’on décida d’établir un refuge dans le village. Grâce au guide local Michel ROBION qui offrit en location une maison toute neuve, l’on disposa, là encore, les pièces en manière de refuge montagnard. Elle se composait de cinq étages : le rez-de-chaussée était occupé par le Club des Sports d’Hiver de Beuil avec un bureau et un magasin à matériel. Au 1er étage, une antichambre, une cuisine, un dortoir/salle à manger avec six places en bas-flanc. Au 2ème et au 3ème étages, un dortoir de quinze places en bas-flanc et des commodités. Au 4ème, un grenier pouvant loger une vingtaine de personnes en cas d’affluence. Le tout était fourni en paillasses, poêles à bois, lampes, couvertures, etc…ainsi qu’un râtelier pour 40 paires de skis.

Le même SALICIS qui avait œuvré au refuge du Mounier un an auparavant, réalisa beaucoup plus facilement et rapidement les transformations. Il fut inauguré le 23 février 1929. Cette maison est toujours à l’entrée du village, à gauche, sur le boulevard Napoléon III, peu avant l’ancien hôtel du Cians, et est restée propriété de la famille du guide ROBION. Elle servit plus tard de lieu d’accueil pour les Auberges de Jeunesse avec grand succès.

C’était le 3ème refuge sur le territoire beuillois. Il faut dire que le plateau des Launes était considéré d’un avis unanime comme « le plus merveilleux de tous ». Il importait donc de l’aménager : hébergement (grands hôtels et refuges), élargissement des routes par la compagnie P.L.M. Déjà à l’époque, on se souciait de la concurrence des autres régions (Suisse, Savoie, Pyrénées) qui pouvait être « fâcheuse pour la Riviera » ; chacun était conscient de cette nouvelle source de prospérité qu’étaient les sports d’hiver avec des stations bientôt «en mesure de rivaliser avec celles du monde entier» selon Jean Médecin, maire de Nice en 1930. Le chevalier de CESSOLE avait vu juste quelques 36 ans plus tôt en évoquant la possibilité de créer une station à Beuil. C’est lui en effet qui a « découvert » le plateau des Launes, et il envisageait en 1894 que l’on pourrait y créer « à peu de frais » une « station d’été » et cela « à condition qu’un chalet-ferme fût construit dans un endroit abrité et boisé ». Toutefois il ne parlait pas uniquement des Launes mais aussi des lieux-dits Pra Battaglier, le Buosc Negre à Beuil, ainsi que la Roja et le Quartier, campagne de Péone (où se développera plus tard Valberg).

 

2/ Le refuge du Mounier

Le C.A.F. avait donc beaucoup investi dans ces refuges d’hiver conjointement au développement fulgurant et prometteur du ski, mais il s’attaqua entre-temps à un projet d’envergure en réhabilitant la maison du gardien de l’Observatoire du Mounier. Rappelons que l’Observatoire avait brûlé une seconde et ultime fois en 1910 frappé par la foudre[22].

L’Université de Paris devint propriétaire de l’Observatoire construit par le député et membre de l’Académie des sciences Raphaël BISCHOFFSHEIM qui l’avait abandonné le 31 décembre 1918. La maison d’habitation resta fermée de 1918 à 1926. À cette date, l’Université proposa de céder la propriété des bâtiments du Mounier au C.A.F. Outre l’attachement de CESSOLE pour la montagne qu’il connaissait bien, le Comité Central de Direction examina longuement cette offre, et, en accord avec la Section des Alpes-Maritimes, il retint ce projet en reconnaissant que le Mounier occupait une des plus belles situations dans les Alpes-Maritimes françaises et que son panorama ne le cédait à aucun autre, en dehors des cimes de la chaîne franco-italienne.

L’acte fut signé à Paris le 8 décembre 1926 stipulant la location au C.A.F. pour une longue période de la maison d’habitation du gardien météorologiste située sur le plateau du Mounier à 2 741 m. La Section des Alpes-Maritimes reçut la charge d’utiliser les ruines de cette cabane pour établir un « chalet à usage de refuge alpin ». Les plans et devis furent dressés comme ceux du Refuge de Fenestres, par l’architecte Jean RAFIN. L’entrepreneur SALICIS, de Beuil, qui fit les travaux.

D’une superficie de 67,50 m², il fut couvert de plaques ondulées d’Everite, un matériau étanche proche de l’Eternit. Il comprenait trois pièces : une cuisine/salle à manger (4,50 m x 3,60 m) avec batterie de cuisine complète, fourneau à bois, réchaud à pétrole, de la vaisselle, ainsi qu’un lavabo et une grosse cuve à neige. Puis un grand dortoir (5,15 m x 3,60 m) avec deux bas-flancs superposés de huit places chacun, et un poêle rond dans la pièce. Enfin, une chambre (2 m x 3,60 m) servant de débarras et de magasin à bois. Il y avait aussi adossé au refuge, au midi, un abri à mulets. On notait diverses améliorations de confort : outre le lavabo, le refuge était muni d’un paratonnerre, d’un brancard - élément de secours désormais présent dans un refuge - et pour l’hiver, d’une prise intérieure à la citerne, elle-même équipée d’un appareil de puisage. Enfin, la porte d’entrée s’ouvrait en deux parties pour permettre l’accès en toute saison, sans oublier une porte de secours dans le pignon sud à une hauteur jamais atteinte par la neige.

Ce fut à nouveau et pour plusieurs années, le point le plus élevé du département qui soit habité de façon permanente. L’autre lieu d’altitude venant ensuite était le camp des Fourches, en Haute-Tinée, à 2 248 m, soit 500 m de moins.

 

L’inauguration[23]

Elle eut lieu le 15 juillet 1929. Comme en pareille occasion, plusieurs caravanes de marcheurs se réunirent sur place. 65 alpinistes gravirent d’abord la cime et signèrent le carnet de sommet amené spécialement pour la circonstance.

À 10 heures, tout le monde était au refuge, en présence de CESSOLE, Pierre NOAILLES représentant l’Université de Paris, Albert GATINE, Vice-Président du C.A.F.., Just DURANDY, conseiller général, ROBION, représentant la mairie de Beuil, ainsi qu’un piquet d’honneur du 141ème R.I.A.

À 10 h 30, l’abbé ACHARD, aumônier au Lycée de Gap, dit une messe devant le refuge et un autel improvisé, suivie de quelques mots de l’abbé BARNOIN, professeur à l’école Masséna de Nice. La bénédiction fut faite malgré l’absence du parrain, le député Léon BARÉTY, et de la marraine, Mme DURANDY. C’est la fille des DURANDY qui fut donc la marraine et qui, « selon le rite alpin », baptisa l’édifice en brisant contre son mur une bouteille de champagne.

Après l’incontournable vermouth, le banquet put débuter à 11 h 30. 80 convives étaient attablés par groupes de dix, sans compter 90 randonneurs ayant leur pique-niquant aux abords. Dans la préparation du repas, on nota le « véritable tour de force » des deux frères HIRLEMANN, sportifs et désintéressés propriétaires des hôtels de Luxembourg et des Étrangers, de Nice, avec leur maître d’hôtel Honoré MURAIRE et une équipe de cuistots. Comme à l’inauguration du refuge du Rabuons, l’importance et la démesure de la fête en un lieu si éloigné de la civilisation lui confèrent un aspect surréaliste.

À la fin du repas, le traditionnel petit discours de CESSOLE retraça l’historique depuis 1821 de l’« une des montagnes les plus célèbres de l’ancien Comté de Nice », et rappela la mémoire de MAYNARD, homme « d’une résistance opiniâtre (qui) mérite réellement d’être admiré pour sa force d’âme ». Ces visiteurs du Mounier, étaient, outre les inconnus, des hommes de science et des géographes militaires et civils, depuis les lointains RISSO et FODÉRÉ, jusqu’à d’autres moins connus comme CANDOLLE, Léon BERTRAND, BURNAT et HELBRONNER.

Parmi les autres discours, on retiendra l’humour de NOAILLES qui rappela spirituellement pour l’Université de Paris les conditions du bail : « le propriétaire est un personnage peu exigeant. Il vous donne un long bail de 30 ans et ne chicanera pas sur le prix de son loyer qu’il a fixé à 1 F par an. Je ne crois pas m’engager en promettant pour lui qu’il n’enverra pas l’huissier pour le recouvrement de sa créance. » Enfin, la poésie elle-même ne fut pas oubliée puisqu’un certain INGIGLIARDI lut une invocation à la montagne de M. HELBRONNER, membre de l’Institut, qui voulut féliciter la section pour son œuvre.

La cérémonie s’acheva par une présentation des armes par le piquet d’honneur.

 

Le refuge du Mounier fonctionna jusqu’en 1956. On y effectua diverses améliorations comme l’augmentation du nombre de places, le nettoyage de la citerne et sa réunion à l’abri à bois, le remplacement des pièces cassées ou détériorées, le prolongement du toit à l’Est où il s’appuyait sur les rochers et son remplacement par de la tôle ondulée, le réaménagement de l’abri à mulets, l’isolation pour lutter contre l’humidité, etc… Le règlement des refuges commençait à être en vigueur[24].

M. Léopold MICHEL, éleveur à Beuil, connut le gardien MAYNARD (fils) quand il ne restait que l’été au refuge (il montait au printemps et redescendait à l’automne). Gardant les bêtes sur la montagne de l’Estrop, il montait pratiquement tous les jours le voir ou l’aider dans les années 1941-42. MAYNARD était ravitaillé le plus souvent de Beuil, mais le grand-père de M. MICHEL montait lui-même de Péone de temps à autre pour faire de même. Le refuge était essentiellement ravitaillé à l’approche des fêtes, à l’occasion des réveillons.

Au départ du gardien, le Touring-club de France se chargea du ravitaillement et de l’entretien pour les randonneurs de passage. M. Léopold MICHEL fut le dernier à y monter du bois avec un mulet et un âne. Pour l’anecdote, il se souvient qu’ils portaient chacun 120 kg, et que l’âne, malgré « un passage à vide » dans le col de Moulinès – toponyme trouvant son origine dans le mot « mul, muou », la mule – reprit du poil de la bête et arriva au but fixé !

 

À nouveau abandonné, le refuge tomba en ruine en 1980. On pense que la foudre s’abattit dessus, ouvrant une brèche dans un pan de mur, ce qui sonna le glas de la bâtisse aux murs pourtant épais. Selon d’autres sources, le refuge laissé ouvert – ce qui est logique pour abriter les randonneurs en difficulté – fut tout simplement la proie de pilleurs et autres vandales. Même le poêle fut jeté au dehors et ses morceaux éparpillés. Ce problème, hélas récurrent dans les bâtiments éloignés, ne date pas d’hier. Déjà, le tout premier refuge Barma avait été dévalisé de ses meubles et ustensiles à la fin XIXème siècle. En août 1925, un cambrioleur avait dérobé des planches, du fil de fer et du charbon dans le refuge du Mounier. Deux ans plus tard, il fut condamné en correctionnelle à deux mois de prison avec sursis et aux frais liquidés à la somme de 49,55 F ainsi qu’à 200 F à titre de dommages intérêts[25].

 

Le projet de reconstruction du refuge-observatoire

Fin 1986, une association nommée M.A.R.M.O.T.E. vit le jour dans le département. Ce Mouvement d’Astronomie et d’Activités Récréatives en Montagne Ouvert au Tourisme et à l’Environnement eut l’audacieuse ambition de reconstruire une maison d’habitation et une coupole au Mounier, en réutilisant si possible les matériaux de l’ancien refuge. Ses membres mettaient en avant les intérêts touristiques et sportifs des lieux - faisant valoir que les randonneurs du G.R.5 feraient à nouveau étape au Mounier - mais aussi scientifiques. Les astronomes amateurs pourraient y faire des séjours d’une semaine ou plus pour les familiariser avec le domaine céleste. Les astronomes éclairés suivraient quant à eux des stages de perfectionnement avec un programme spécial de recherche sur les « énergies dites nouvelles » (solaire, éolienne…)[26]. Enfin, un emploi de gardien serait créé, et après le bénévolat des débuts, cette nouvelle structure ferait participer les entreprises et artisans locaux pour la construction, la maintenance et le ravitaillement. L’association, le président de l’Université de Paris et son recteur passèrent une convention mettant à disposition la parcelle d’un hectare 36 ares 25 centiares (sur laquelle était édifié l’ancien refuge) à la disposition de l’association. En contrepartie, celle-ci le réhabiliterait et paierait un loyer annuel de 100 F.

L’association monta un plan de financement en plusieurs tranches, faisant intervenir les différentes collectivités territoriales. Notons que la commune de Beuil avait voté l’octroi d’une subvention de 15 000 F en mars 1987, et que des jeunes participeraient au chantier (on utiliserait des bons de la caisse d’allocations familiales).

Il était prévu deux étages au refuge, ce qui le fit qualifier « de luxe » par la presse. On voulait néanmoins respecter l’architecture et le cachet d’antan.

Outre les démarches longues et fastidieuses, comme les autorisations des nombreuses autorités compétentes et les subventions à obtenir, la réalité des lieux rappela vite aux concepteurs les difficultés d’exécution d’un tel projet. Et ce qui fut possible un siècle plus tôt sans technologie moderne ne le fut pas fin des années 1980[27].

Aujourd’hui, le site de l’ancien refuge n’offre plus d’intérêt car il est en dehors du GR 5. Ses ruines et sa citerne demeurent sur le passage des seuls randonneurs allant à la cime du Mounier. Après avoir profité d’une certaine « réhabilitation » de fortune (une petite partie de ce qui était la cuisine avait été arrangée tant bien que mal) le temps atmosphérique et des personnes malveillantes eurent à nouveau raison de cet abri précaire.

Ainsi après bien des vicissitudes peut-on voir à nouveau aujourd’hui ces vestiges fantomatiques en proie aux conditions très dures de l’altitude. Mais que de volonté de la part d’hommes courageux au travers des générations, pour réaliser le tour de force d’ériger des bâtiments - et d’y rester - dans un endroit si singulier et hostile.

 

CONCLUSION

Entre 1922 et 1929, pas moins de six refuges furent inaugurés, symboles d’une activité importante de la Section et du succès grandissant de la montagne du Pays Niçois. Les deux premiers refuges n’étaient pas oubliés puisqu’ils étaient aménagés afin d’être utilisés pour l’alpinisme hivernal (couchage et chauffage). Au total, 108 couchettes étaient disponibles sans compter 69 places supplémentaires dans ces huit maisons. Le développement du ski et des sports d’hiver joua un rôle essentiel dans cette politique d’hébergement d’altitude.

Dans les années 1930, on continua cette accélération de création des refuges. CESSOLE loua une grange au docteur COSSA à Auron, pour un franc par an, mais cela n’eut pas de suite. Puis les successeurs du chevalier, INGIGLIARDI et HANCY, inaugurèrent en 1932 le refuge de Sestrière, en haute Tinée. La vogue du ski exigeait des abris ; pourtant, le C.A.F. jugea d’abord qu’il y avait assez de refuges, certains étant très peu fréquentés l’hiver, et préféra aménager ceux de Beuil, la Colmiane et Sestrières. On améliora ce qui existait et on insista sur l’entretien par des rappels constants au règlement intérieur des refuges.

Puis en 1933, ce fut le refuge d’Auron, deux pièces qui seraient plus tard un prieuré. Suivirent des locaux dans les hameaux enneigés de Chastelonnette, Bousieyas, Estenc, les Launes encore, la Colmiane, le Boréon, et aussi plus loin à Salèses, Jalorgues, Vens. Le Club Alpin Italien aussi réalisa des bâtiments au pied du Marguareis et au Lago Soprano della Sella, sous le Matto. Enfin, ce fut l’apparition des « bivouacs », abris de fortune en des lieux très éloignés comme dans le vallon de Guillié, ou au Baus en Italie. La Fédération de ski de la Côte d’Azur construisit également des abris ouverts à tous sur les trajets éventuels des compétitions (Auron : col du Blainon et au pied de las Donnas ; Beuil : l’Adrech de Forcha et le col de Crousette).

 

Un siècle après les premiers refuges, il convient de saluer l’œuvre du C.A.F.. et de son initiateur Victor de CESSOLE : la plupart d’entre eux sont toujours fonctionnels. Entretenus, il s’en construit même de nouveaux comme l’an dernier à côté le vieil abri de tôle jaune de la Cougourde. Les conditions sont plus contraignantes dans la législation avec le parc national et les règles de sécurité des bâtiments (l’exemple du Mounier est significatif). Par contre, la réalisation est plus aisée grâce aux moyens modernes d’acheminement et de construction. Les tensions frontalières sont heureusement retombées et n’entravent plus les marcheurs italiens et français dans leurs déplacements, perpétuant ainsi l’amitié multi séculaire des habitants du Piémont et du Comté de Nice. Des liens que l’on ressent d’autant plus lorsqu’on se retrouve à la sousta dans un refuge chaud du C.A.F. ou du C.A.I.

 

Carton d’inauguration du refuge du Monnier le 15 juillet 1929.      Dim. 36 x 54 cm

Nous pensons que ce type de document devait être réalisé à chaque inauguration, mais nous ne connaissons pas d’autres exemples. Parmi les signatures, celle de CESSOLE en haut vers la droite.   Coll. privée.


 

Remerciements particuliers

Nous tenons à remercier :

-          le Club Alpin Français de la section locale, sa secrétaire  et son bibliothécaire M. Martin ;

-           la Bibliothèque de CESSOLE en les personnes de M. Malausséna, M.  Jean-Paul Potron pour la mise à disposition des photos du chevalier, Olivier Monge pour les tirages de celles-ci – souvent difficiles vu le mauvais état des plaques ou des contrastes peu marqués.

-          Les Editions Gilletta – Nice-Matin et son directeur M. Grisoni

-          Enfin, Noël Fiorucci et Nathalie Gallarino pour leur aide technique.

 

Bibliographie

Bulletins du CAF Section Alpes-Maritimes, premières années du XXème siècle

Projet M.A.R.M.O.T.E.,  livret photocopié rédigé par l’Association, 1986

Annuaire de la Section des A.M. du C.A.F. Nice 1926

Cinquantenaire de la Section des Alpes-Maritimes, Club Alpin Français Nice 1930

PASCHETTA V. « La découverte du massif des Alpes-Maritimes », in Nice-Historique 1959 et 1961

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[1] Professeur de Langue d’Oc au Collège de Saint-Sauveur sur Tinée, Michel FULCONIS est l’auteur de nombreux articles dans la revue culturelle bilingue Lou Sourgentin. Spécialiste des dialectes locaux (gavuot), de la toponymie et des surnoms, il a pour terrain de prédilection les vallées de la Tinée et de l’Estéron (Article : « La politique de construction des refuges au Club Alpins Français (A.M.) des origines aux années 1930 », Pays Vésubien, 4-2003, pp. 44-61).

[2] Cessole y dormit le 3 août 1890 d’où il partit pour gravir le lendemain le Clapier et le Gélas.

[3] Ce désagrément était monnaie courante dans ces premiers types d’installations.

[4] On ouvrit une souscription. La direction centrale donna 2 000 F, la ville de Nice 200 F, Saint-Martin-Vésubie 100 F, et les membres : 5, 10, 20, et même 100 F (Brossé, Cessole, Lacaille, Maubert et Vérani).

[5] Cf Pays Vésubien n° 2, juin 2001.

[6] Un deuil annula la fanfare prévue au Rabuons.

[7] Voici le menu de ce banquet : potage tinéen, hors-d'œuvre de Vinadio, omelette aux herbes alpines, noix de veau à la stéphanoise, mouton d’altitude, salade d’Ischiator, pudding au rhum du Fort Carrà, gimblettes du Ténibres, fromage de Ciastiglion, fruits de Rabuons, café et fine champagne. Le tout arrosé de Côtes de Roussillon, Château de Respide 1893 et champagne 1893 « en dons très abondants » ainsi qu’en Bordeaux. Ce service figurait sur une carte en partie double donnant en regard le refuge en photo en première page, et les simples roches qu’on voyait servir d’abri aux pionniers des temps héroïques. Le dessin de cette seconde scène les montre installant leur bivouac dans un site voisin de Rabuons. Cette composition originale fut tirée à un très petit nombre d’exemplaires numérotés par Lee Brossé.

[8] Il s’adressa en italien aux représentants du CAI, représentés par Giovanni Bobba.

[9] Le choix de Masséna n’était pas lui non plus anodin, puisqu’il se battit aux côtés des Français (contre les Niçois-Sardes-Piémontais)… quelques deux siècles auparavant. On notera aussi la dimension religieuse de ce discours d’un soldat, au moment de la séparation de l’Église et de l’État.

[10] La marraine était la fille du secrétaire général de la Section. Le bateau resta longtemps sur le lac et permit d’y pêcher.

[11] Une délibération du 9 juin précédent changea le nom pour le rebaptiser refuge Poullan en mémoire de son créateur.

[12] Le mobilier consistait en une table, un placard, des bancs, 48 couverts, un râtelier à skis, un poêle, une batterie de cuisine, etc…

[13] Le repas était préparé par M. Guigo, propriétaire de l’Hôtel des Alpes. Le service fut assuré par les guides Plent, Ciais, Corniglion et l’entrepreneur ayant travaillé au refuge Thomas Martin.

[14] Outre les vœux de l’ancien président de l’Automobile Club, Vincent Paschetta, qui deviendrait plus tard président de la Section, recevait l’insigne scolaire de commissaire de 2e classe pour service rendu.

[15] Le domaine de Fenestres appartenait à la cure de Saint-Martin-Vésubie, dépendant de l’évêché de Nice. C’est l’abbé Ferreri, curé et « commandeur de Fenestres » qui accepta de louer pour une somme infime les chambres à l’extrémité occidentale du bâtiment, face au Sud.

[16] Architecte : M. Rafin. Il y avait un dortoir avec dix couchettes superposées deux à deux avec matelas plus 40 couvertures, ainsi qu’une cuisine salle à manger avec fourneau, ustensiles habituels et aussi un brancard. On allait chercher le bois dans la forêt à côté, l’eau était proche également.

[17] Il était assisté du curé Saint-Martinois Matteudi (en place à Roquebrune-Cap-Martin).

[18] Femme de l’un des vice-présidents du C.A.F.

[19] Les guillemets sont du rédacteur de l’article du Bulletin de la Section.

[20] Les relations s’étaient réchauffées entre France et Italie : pour preuve, lors de l’inauguration du refuge Poullan, sur une propriété particulière de Saint-Martin mais en Italie, on avait crié « Vive l’Italie ! Vive la France ! ».

[21] C’est aux concours de Beuil que Cessole prendra le plus grand nombre de clichés en comparaison avec Peïra Cava.

[22] Pour l’histoire de l’Observatoire du Mounier, cf Pays Vésubien n° 3, 2002.

[23] Tous les détails de la cérémonie furent imprimés dans un livret spécial que nous n’avons malheureusement pu nous procurer.

[24] Un délégué aux refuges s’occuperait désormais de cette partie d’activité au C.A.F. Il existe un règlement pour tous les refuges. Il concerne tous les détails pratiques sur les clés, la sécurité, les registres, les tarifs, le matériel… Il est affiché dans tous les refuges. Il y est bien spécifié que ceux-ci « ont été créés pour les alpinistes et ne doivent servir que dans le seul but d’alpinisme (…) et qu’ils ne sont pas (…) un lieu de villégiature (…) mais (…) réservés aux excursionnistes qui y viennent accomplir des ascensions de cimes ou des traversées de cols ». Notons que des chasseurs et leurs chiens occupaient aussi les abris, ce qui provoqua des infestions de puces appelant des désinfections. À titre anecdotique, voyons les taxes en vigueur en 1929 : aux refuges Nice, du Mounier et du Rabuons, le petit feu du matin coûte 1 F, le feu ordinaire du soir 5 F, alors qu’il n’en coûte que 0,50 F et 2 F à la Maïris, Poullan ou Beuil (la proximité du bois expliquant cela). Au refuge Nice, la nuit coûte 3 F par personne, 1,50 F pour les membres. Les clés ouvrent aussi les refuges italiens de Pagari, Bozzano et Genova, preuve d’une solidarité montagnarde ayant gommé les anciens réflexes patriotiques exacerbés.

[25] Les travaux en montagne du C.A.F. sont protégés par l’article 257 du Code Pénal qui punit les auteurs de dégradations d’emprisonnement et d’amende.

[26] L’Agence Française pour la maîtrise de l’Énergie était prête à fournir gratuitement du matériel d’expérimentation.

[27] En 1896, dans un Bulletin de la Section du département, un certain Michel Gilly écrivait avec enthousiasme sur le Gélas « … qui sait, le progrès et la mode aidant, bientôt peut-être hélas, verrons-nous sur ton sommet une cabane… ou un observatoire ! ». Ironie ou clairvoyance, la chose n’était pas si invraisemblable en comparaison du Mounier.


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