de la
Vésubie
MERCADIER
Daniel
Un peu d’histoire :
Le plâtre
est, dans notre région, un des plus ancien matériau utilisé dans la
construction . Le gypse comme nous l'appelons ici, a été utilisé depuis
bien longtemps déjà dans la fabrication de l'habitat et toute autre
construction locale.
Il est
difficile de dater l’utilisation par l’homme de ce matériau dans la
Vésubie, mais, lors de recherches sur de très vieux édifices ou ruines
dans la vallée, l’omniprésence du plâtre transparaît à toutes les étapes
des constructions. En prenant l’exemple de Roquebillière, sur
l'emplacement du lieu-dit le Caïre del Mel, qui fut construit,
dit-on au temps des Ligures Vesubianii,
on peut s’apercevoir que diverses pièces de maçonnerie témoignent de la
présence du plâtre à la base des fondations. L’existence fréquente de
gypse dans la vallée, sa mise en oeuvre aisée en faisait la matière idéale
pour l’aménagement des constructions. Les plus humbles demeures furent
progressivement recouvertes d’un enduit d’origine locale. Les paysans eux
mêmes, furent les premiers à fabriquer le plâtre.
Très
abondant sur le site de Lantosque, il est très facile de l'extraire, avant
de le faire cuire et de le rendre, après broyage, concassage manuel et
tamisage, prêt à l'emploi. Sa couleur pour l'époque n'est pas celle que
nous connaissons. Le plâtre de fabrication rustique était même,
quelquefois, mélangé aux cendres. Sa couleur est alors rosée gris. Pour le
broyage, il était utilisé de grosses masses carrées en bois. La chance
voulait qu'une énergie raisonnable soit utilisée pour ce genre de travail.
La roche
de gypse est la plus tendre que nous connaissions. C’est une roche
d’origine sédimentaire, secondaire (Trias ou Jurassique Supérieur à
Lantosque). Elle se présente sous forme de couches, ayant un aspect de
sucre, blanc, incolore ou de miel. Elle peut également être rosée ou
rouge, ce qui indique la présence de fer (Fe2O3), ou
encore gris. Les carrières sont exploitées à ciel ouvert. Son critère de
dureté est de 2, rayable à l’ongle (crt. 2,5). C’est une roche qui se
forme par évaporation, après un dépôt dans des eaux peu profondes, lagunes
ou lacs. On obtient le plâtre en la chauffant, entre 110 et 160 °. Sa
composition chimique explique sa transformation : CaSO4, 2H2O,
sulfate de calcium hydraté, qui perd les ¾ de l’eau qu’elle contient lors
de cette opération pour former cette nouvelle matière aux multiples
usages. En y rajoutant de l’eau, on obtient de nouveau du gypse, que l’on
peu modeler. Une de ses particularité principale, hors sa plasticité
propre, est qu’il résiste aux incendies. Il a pu servir également, dans
des régions d’accès et de transformation facile, à amender les terres (le
« chaulage »), mais cela assez tardivement. Ce n’était pas alors la roche
qui faisait défaut, mais le bois nécessaire à la chauffer. C’est justement
en portant ces mêmes températures au-delà de 1.250 ° que l’on pouvait
transformer cette même matière en chaux (CaO). La différence entre ces
deux degrés explique que le plâtre pouvait être préparé par ou pour
l’usage d’un seul individu. La chaux nécessitait une organisation toute
particulière, et la participation d’un grand nombre d’individus, donnant
même lieu à des manifestations festives communes.
L’on comprend alors qu’on ne la fabriquait que rarement dans l’année,
parfois même une seule fois, mais que les quantités produites n’avaient
aucune commune mesure d’avec celles du plâtre. Celui-ci était un produit
suffisamment simple pour être fabriqué à la demande, et en quantité
désirée. Point s’en fallait d’en produire trop.
Le
témoignage d’Armand :
Ce qui
nous intéresse, nous, « farfouilleurs », ou ficanas comme on dit
ici dans la Vésubie, c'est de pouvoir, par nos recherches et notre
curiosité, comprendre les raisons et les méthodes. Pour nous aider, il y
existe souvent des personnes disponibles, comme notre ami Armand Palayer,
ancien chef de chantier de la plâtrière de Lantosque, aujourd'hui à la
retraite. Il connaît la façon la plus moderne pour fabriquer cette
matière. Mais aussi, de par son âge, il a connu les méthodes, quelques peu
rustiques, voir archaïques, qui étaient employées au début de
l’exploitation de l'usine. Par la curiosité de son jeune âge, il a appris
les méthodes de fabrication de nos ancêtres.
Et il nous raconte : «
Petit, si tu veux faire du plâtre comme avant, la recette est très simple,
et nos anciens faisaient ainsi :
- Le plus facile pour
eux étaient de choisir des endroits où ils pouvaient trouver en abondance
la pierre qui leur servira pour la matière finie, mais aussi le bois pour
la cuisson.
Au flanc d'une colline
, d'un talus, ou d'un mur, ils creusaient un demi-cercle, de façon à
enfoncer le plus possible le four qu'ils allaient construire. La forme de
celui-ci était ronde, sa grandeur était variable suivant la quantité que
l'on voulait fournir. D'une base très approximative, les dimensions
étaient, pour le sol, un peu celle d'un four à pain communal : 1,50 à 2
mètres de circonférence. Pour le reste des opérations, il n'y a plus rien
à voir avec celui-ci , car les murs sont montés droit sur une hauteur de 1
mètre. L'ouverture pour l'approvisionnement en bois est de la même
hauteur, et la largeur de 30 centimètres environ. Ces mesures ne sont bien
sûr que très approximatives, car toute la fabrication était a vista
des nas, au pif quoi !
Une bonne quantité de
bois devait bien sûr être préparée. Il fallait un choix de bois très sec
pour donner une grande chauffe. L'organisation de la matière à cuire se
faisait de la manière suivante : Très minutieusement, on redouble les
murs. Les pierres de gypse rondes et épaisses sont assemblées de cette
façon, pour que le maximum d'étanchéité soit obtenu. Ainsi on gardera le
plus possible toute la chaleur dans le four. Là, on peu comprendre
pourquoi le four est ancré le plus près possible d’un talus, voir dans la
terre. Tout cela pour apporter des calories en plus. Une fois que le
doublage des murs arrivait au niveau de la margelle, on pouvait commencer
la voûte. Pourquoi une margelle ?
Lors de la cuisson il y
a dilatation et tassement de la matière, donc pour éviter l'effondrement
de la voûte on avait recours à cette méthode. La voûte était, après
cuisson, désolidarisée des murs de doublage cuit.
Quand les murs et la voûte étaient chargés et finis, on commence la
cuisson. Celle-ci devra monter à une température d'environ 150° c.
Il faudra de 24 à 36
heures, suivant les saisons, pour clore la cuisson. Pour évaluer cette
même cuisson, il y avait une petite astuce : cela consistait à positionner
au-dessus de la voûte, de l'arrière à l'avant, des morceaux de bois dur
très secs, que l'on enfonce de façon à ce qu ils tiennent droit dans le
gypse avant cuisson. Quand la chaleur monte, l'arrière, qui est alors le
plus protégé de l'ensemble, cuira le premier. C’est alors que nos petits
morceaux de bois tombent en cendre, d'abord l'arrière, et progressivement
vers l'avant du foyer, ce qui montre alors le stade de la cuisson. Quand
tous ces petits morceaux de bois ont brûlé, on doit charger le maximum de
bois dans le foyer, puis fermer avec d'autres pierres de gypse l'entrée.
Quand le bois est
entièrement consumé, le gypse est cuit. Après refroidissement, le gypse
est broyé avec des masses en bois. Il est alors devenu du plâtre. Nous
avons tous remarqué que les murs construits avec le plâtre des temps
anciens, avaient quelques fois la particularité d'inclure dans la matière
de la cendre, ou du charbon de bois. Ce charbon de bois ou cette cendre,
bien sûr, provient de la cuisson, et du mélange pendant le broyage. A part
peut-être de fausses idées à l'époque, qui aurait considéré que le mélange
pouvait apporter une plus grande solidité a la matière ? Il semblerait que
le mélange ne soit en fait qu'une tromperie, pour la revente du plâtre. Le
vendeur pouvait gagner un ou deux sacs sur la quantité, ce qui, pour cette
dure époque, pouvait être très appréciable ».
Remercions
Armand de son témoignage si précieux aujourd’hui, qui rappelle ces temps
révolus où l’environnement immédiat des personnes fournissait l’essentiel
de leurs besoins. De cette manière, les techniques et savoir-faire du
temps passé ne disparaîtront pas. Mais si les exigences et nécessités de
chacun étaient ainsi satisfaites, le plâtre a été plus généralement
utilisé de manière massive pour les constructions « publiques », dans les
édifices communs. C’est surtout le cas des bâtiments religieux, qui sont
encore de nos jours des exemples uniques et fragiles de cet emploi.
Revêtement, il pouvait également être à la base de la fabrication de ces
faux stucages, véritables gypseries, qui couvrent nos chapelles et
églises, et leurs donnent cet aspect trompeur et ostentatoire de richesse.
Ce n’étaient plus les simples particuliers qui en décidaient la
confection. Les municipalités ordonnaient sa fabrication
en quantité, en prévoyaient la rémunération de celui qui s’en chargerait,
afin de répondre à la nécessité de travaux importants.
Le plâtre,
si commun fut donc un élément important de l’environnement de nos anciens.
Sa facilité de fabrication, d’emploi, et son moindre coût ont fait sa
célébrité, mais aussi l’ont rendu omniprésent dans les ouvrages des maçons
d’autrefois. Ce témoignage se veut une trace de cette activité ancienne,
qui tend aujourd’hui à disparaître de notre vallée.