Chapelles rurales
à Saint-Martin Lantosque
Espace historique
et sacré d’un terroir
GILI Eric
& ISNART Cyril
L’histoire
des chapelles d’un terroir est l’un des révélateurs de la vie d’une
communauté organisée. Leur étude permet de retracer l’organisation humaine
d ’un terroir au cours des siècles. L’intérêt dont elles sont l’objet
aujourd’hui démontre qu’elles font totalement partie de l’image du lieu
qu’elles représentent, mais aussi de celle que se font ses visiteurs.
Saint-Martin Vésubie, site riche en édifices religieux, ne déroge pas à
cette règle. Les différentes phases de l’histoire locale y sont inscrites.
Leur localisation géographique, leur dispersion réfléchie sur le
territoire de la commune, et la particularité affichée par les chapelles
latérales dans l’église paroissiale, offre pourtant une qualité commune :
marqueurs de l’espace, elles le sont également des mentalités
,
révélant les phases d’évolution du sentiment religieux. La durée
historique permet d’en appréhender les caractères et d’en dresser un
tableau fidèle. La personnalité du fondateur
ouvre la voie de l’explication. Le sens spirituel, parfois eschatologique,
de la fondation s’y exprime généralement. L’histoire du monument
(érection, restauration, reconstruction ou encore embellissement) nous
offre des clés pour une compréhension plus globale du phénomène
identitaire qu’il invoque.
Saint-Martin Vésubie est un village d’origine médiévale. Son terroir est
mentionné pour la première fois dans la seconde moitié du XIème siècle
.
En 1067, l’Eglise devient le principal seigneur de ce territoire, et en
tire des revenus. Les seigneurs de la famille de Thorame, sous l’autorité
de Rostang RAINARD, « rend » à l’Eglise les droits qu’il possédait
« indûment » sur les hautes vallées, entre Vésubie, Valdeblore et Tinée.
Les exploitants paient pour ‘loyer’ de la terre qu’ils cultivent les
dîmes. Cet impôt est un droit que possède l’Eglise de prélever 1/10ème
(souvent ‘seulement’ 1/12ème) des productions de chaque
parcelle. Tout chrétien, en dehors de la noblesse privilégiée, est
astreint à ce prélèvement. A cette époque, elles sont essentiellement
versées en nature. Plus tard, avec le renouveau et les progrès de
l’économie monétaire, elles le seront en espèces. Ce sont les grands
établissements religieux niçois, la cathédrale Notre-Dame del Platea
(sur la colline du Château, dont il ne reste que la structure arasée, dont
il ne reste que les fondations, « inventées » par les archéologues qui les
ont remises à jour, après la destruction de la citadelle) et l’abbaye
bénédictine de Saint-Pons (aujourd’hui dans la dépendance de l’hôpital
Pasteur, dont elle forme l’antenne psychiatrique et divers dépôts), qui
sont propriétaires du site. Encore s’agit-il d’une indication marginale,
puisque seul est mentionné le lieu d’Andobio. Le cartulaire de la
cathédrale
qui nous le présente ainsi ne parle d’ailleurs que de revenus tirés du
site, sans même indiquer la présence d’un édifice religieux, et a
fortiori en citer le vocable. Cette localité est indiquée sans qu’il
soit parlé d’un quelconque habitat groupé. Le toponyme d’Anduebis
(prononcez Nanduébis), d’origine celtique, conservé encore de nos jours,
rappelle pourtant une présence humaine Antique dans cette région.
Le
village de Saint-Martin n’existait pas encore, quand Venanson était
qualifié de Castro, et que Saint-Dalmas Valdeblore avait depuis
longtemps regroupé quelques habitations à proximité du prieuré de la
Sainte-Croix. Il est vraisemblable que Saint-Martin soit l’aboutissement
d’un regroupement progressif des populations jusqu’alors retenues sur
leurs exploitations agricoles. Ils se rassemblèrent autour du lieu choisi
par l’autorité seigneuriale (les seigneurs de Thorame) qui dominait
jusqu’alors le Valdeblore et Venanson. Pierre GIOFFREDO, illustre
précurseur des historiens niçois, fait apparaître pour la première fois le
village de Saint-Martin en 1130. Son existence n’est confirmée par les
archives qu’en 1242
,
lorsque le comte de Provence devient plus présent dans nos vallées.
Raimond Bérenger V, partisan Guelfe, reprend le contrôle de la partie
orientale du Comté, en soumettant les consulats alpins par la force,
causant d’importants dégâts dans la Vésubie. On attribue à son sénéchal,
Romée de Villeneuve, les nombreuses destructions des fortifications qui y
étaient élevées : Loda, Saint-André de Lantosque, la Mainonas, et
plus loin Saint-Estève de Blora. Saint-Martin fait partie des consulats
cités pour avoir été soumis à ce moment. Mais le bourg n’est pas détruit,
sans doute grâce à sa position stratégique intéressante. Les successeurs
Angevins du Comte de Provence prolongent sa politique d’alliance avec les
communautés constituées. Il leur attribuèrent, ou reconnurent leurs
statuts, ou libertés (privilèges des communautés libres), contre la
reconnaissance exclusive de son pouvoir. Cette politique régalienne
limitait, puis supprimait de fait ceux des seigneurs locaux.
Le cœur du
terroir est alors constitué par l’espace sacré de la chapelle San
Nicolao, composé d’une ‘église’, accompagnée de sa maison claustrale
.
Elle entretien alors d’évidents liens avec le prieuré de Saint-Dalmas de
Valdeblore, et plus loin avec l’abbaye-mère de Pedona. Son vocable,
saint Nicolas, se retrouve dans de nombreuses possessions autant
Piémontaises que Provençales. Sa nature, comme sa structure, nous sont
inconnues. Seules subsistent aujourd’hui quelques ruines, insignifiantes,
un restant d’abside effondrée et des fragments des murs d’origine. La
comparaison avec d’autres édifices régionaux survivants
,
d’époque comparable et appartenant à la même Maison, nous montre une
structure très comparable : un bâtiment à nef unique, terminé par une
abside en cul-de-four, une ouverture donnant au sud
,
possédant son cimetière au nord. Les dimensions sont fort variables, mais
restent généralement modestes : de 10 à 25 m de longueur.
La
chapelle, au siècle dernier, couvrait une superficie de 43 m². Elle était
déjà en ruines
,
depuis près d’un siècle, quand le cadastre « Napoléonien » nous permet de
la repérer et de constater son emprise au sol. L’édifice est proche d’un
chemin de liaison, venant de Saint-Martin par le pont Saint-Nicolas,
menant au Valdeblore, mais aussi aux quartiers septentrionaux du
territoire (le Villar, le Ciastel…). Une placette dégageait
un espace au nord. Plus rien ne subsistait des bâtiments annexes qui
devaient, selon RAIBERTI, l’entourer. Seuls quelques édifices ruraux,
entrepôts et granges (réserves de foin) formaient le ‘hameau’. Les terres
les plus proches étaient réservées aux prés, à cause d’importantes
résurgences des sources et canaux d’irrigation. Le sous-sol morainique
explique la faible importance de la couche arable superficielle, et
l’omniprésence des affleurements rocheux, stérilisants. Les champs
réservées aux céréales se situaient plutôt sur les premiers contreforts,
aménagés en planches de culture.
L’espace
de Saint-Nicolas fut longtemps le lieu des réunions du Parlement Général
des chefs de familles de la communauté de Saint-Martin
jusqu’à la fin du XVIème siècle, cette assemblée se réunissant chaque fois
que des décisions importantes concernant l’ensemble des habitants du
village devaient être prises. En effet, l’une des caractéristiques de
Saint-Martin était la forte cohésion de son Universitas. Le
phénomène peut s’expliquer par les nécessités géopolitiques de la
localité, les seigneurs et souverains successifs acceptant plus facilement
de concéder quelques ‘Libertés ’ à ces populations marginales, sur une
zone frontière, faisant ainsi reconnaître leur autorité, tout en leur
permettant de se défendre par elles-mêmes, sans grever les finances
comtales. La chapelle ne devait pas se relever des ruines
révolutionnaires, le XIXème siècle, répondant à de nouvelles
préoccupations, ne permettant plus d’y pourvoir.
Le
mouvement qui provoqua l’implantation définitive du village sur son site,
connu par ailleurs sous le nom d’incastellamento, transforma le
rapport qu’entretenait la communauté avec son territoire, et l’obligea à
renforcer le phénomène d’appropriation déjà initié. Le marquage
symbolique, par la dispersion des chapelles, fait partie de ce phénomène.
Création seigneuriale, Saint-Martin acquit, en deux siècles, l’essentiel
de ses réglementations (statuts), forgeant son identité en s’émancipant
des droits seigneuriaux et en les rachetant. La chapelle champêtre fut
souvent le symbole de cette époque. Dès le XIVème siècle l’amalgame entre
l’administration communautaire et les confréries pieuses
renforçait la cohésion et la puissance du groupe
.
Le plus souvent, les familles qui dirigeaient le Conseil ‘communal’
formaient également l’encadrement des confréries. L’individu est alors
intégré dans ces cadres sociaux, appartenant tout à la fois à une famille,
une confrérie et à la Communauté. Les plus apparents pouvaient alors
compter sur une clientèle importante.
Plusieurs
modes d’érection président à la création des chapelles. Il pouvait s’agir
d’une décision commune au village, mais pouvait aussi être l’œuvre d’un
particulier. Pour en faire un lieu de culte, encore fallait-il
l’entretenir, y faire dire des messes. Des dons de terres leur étaient
octroyés. La chapelle (souvent confondue sous le terme de chapellenie),
personne morale, en devenait propriétaire. Elle les gérait, les donnant en
emphytéose (sorte de location perpétuelle) contre un cens annuel (un
loyer), qui lui restait dû, comme gage de sa propriété. L’acquéreur
conservait un droit de mutation du bien, qu’il pouvait transmettre par
vente ou héritage. Ce ‘loyer’ pouvait être payé en numéraire, mais bien
souvent, il était versé en nature, généralement en mesures de seigle
,
la céréale la plus communément cultivée. Les monnaies sonnantes étant
rares, et le seigle resta un moyen d’échange jusqu’à la Révolution
française. Les terres appartenant aux chapelles étaient souvent tenues par
les grandes familles locales. Ainsi, le patrimoine cédé ne quittait
qu’artificiellement la famille du donateur, qui continuait de cette
manière à l’administrer, sans avoir physiquement abandonné la propriété.
Les valeurs en argent ayant tendance à se dévaluer, les cens en nature
conservaient ainsi leur importance dans une société aux échanges
numéraires réduits. Les fluctuations climatiques ou conjoncturelles, comme
les temps de guerres ou les mauvaises récoltes, réduisaient d’autant les
capacités productrices de la communauté, limitant les revenus des terres.
Le temps des crises frumentaires nécessitait les efforts de chacun pour
limiter l’intolérable et réduire les plus flagrantes misères. Le rôle des
notables envers les indigents de la communauté ne faisait que renforcer
leur clientèle d’obligés, en accordant les aumônes en céréales et pains,
assuraient la survie ou les prochaines semailles.
Quand la
Communauté était propriétaire du rectorat de la chapelle, le Conseil
ordinaire, dirigé par les syndics et composé d’une douzaine de
conseillers, désignait son administrateur, son recteur. Il se chargeait
d’en percevoir les revenus et de faire dire les messes prévues par les
donateurs testamentaires, au bénéfice et soulagement de leur âme et de
celles de leurs proches. Saint-Martin faisant partie d’un ancien pays de
droit écrit, les habitants entretenaient des relations naturelles avec les
notaires
,
dès l’instant où ils détenaient une propriété quelconque. La dévotion des
Saint-Martinois, proche de la sensibilité baroque, s’employait à réclamer
un grand nombre de messes, « en plus de la solennelle ». Certains notables
demandaient ainsi que soient célébrées plusieurs centaines de messes dans
l’année qui suivait leur décès
.
Le plus souvent, il s’agissait de quelques dizaines, réparties entre
plusieurs autels.
Certaines chapelles étaient placées sous la responsabilité d’une famille.
Elles étaient alors partie intégrante de leur propriété privée, comme
fondation de l’un de ses membres. Ses descendants, titulaires du jus
patronat de la chapelle, nommaient alors, quand cela s’avérait
nécessaire, un prêtre qu’ils rémunéraient. Celui-ci célébrait des messes
en consolation (in refrigerio) des âmes des défunts de la famille.
La chapelle familiale représentait un symbole de leur puissance, de leur
pouvoir et de leur rang dans la communauté.
L’année
1400 marque la fin du pouvoir seigneurial sur Saint-Martin, avec la
cession des derniers droits possédés par la famille LASCARIS de Tende
.
Désormais, la communauté est seule maîtresse de ses dépenses et de ses
revenus. Seuls restaient dus les impôts versés au duc (de Savoie), qui
s’appuyèrent, dès la fin du siècle, sur un livre cadastre
,
rendant ainsi la perception uniformément répartie selon la richesse
foncière des propriétaires. Les droits du ban, concernant la police des
champs, celle des forêts et pâtures, étaient prononcés par des agents de
la communauté qui les avaient acquis
.
Une partie des amendes revenait au Fisc ducal quand le délit relevait de
moyenne ou haute justice, touchait des droits régaliens. L’autre était
partagée entre la partie lésée, généralement le propriétaire du bien, et
l’agent prononçant la peine (l’arbitre, le campari - garde
champêtre - ou risguardatori - vérificateur municipal). Les droits
les plus fameux, ceux des fours et des moulins, étaient recouvrés par la
communauté par simple propriété, qui louait ces équipements collectifs
tous les ans, en retirant quelques rapports qui formaient une part
importante des revenus fixes de son budget.
La
nouvelle « richesse » du pays est symbolisée par la restauration des
monuments communautaires, parmi lesquels San Nicolao tient la
première place. A la fin du Moyen Age, l’évêque de Nice décide l’octroi
d’indulgences, gages de la réduction des peines futures au Purgatoire,
attribuées à ceux qui relèveront ses ruines. La chapelle nous était alors
présentée comme abandonnée. Cela pourrait être une preuve supplémentaire
de l’importance acquise par le village lui-même à nouveau capable de
réhabiliter ses lieux symboliques et sacrés. Elle est restaurée, et
consacrée le 30 avril 1439
.
En 1518
,
le Parlement Général de la Communauté tient toujours ses réunions aux
pieds de l’édifice. Ce furent pourtant les derniers rassemblements qui s’y
tinrent. Le Parlement se tint alors ‘traditionnellement’ sur la place de
la Frairia, au pied de l’église paroissiale, où s’établit la Maison
Commune durant toute l’époque Moderne. Saint-Martin était définitivement
devenu un village groupé, rompant avec son passé haut médiéval, plongeant
délibérément vers la Modernité.
La
couverture spirituelle du terroir de Saint-Martin nous apparaît à la
lecture du testament de Jean DROSONI
.
Les legs pieux dont il oblige ses héritiers, en 1454, nous font connaître
les chapelles Saint-Grat, Saint-Antoine et Saint-Sébastien. Ces dernières
font office de rempart anti-épidémique. La couverture spirituelle
protectrice se complète par la construction de la chapelle la plus
méridionale du terroir, Saint-Bernard. Les habitants demandent
l’autorisation à l’évêque de Nice de la construire au quartier Antella
ou Quessa de Fenestre. Monseigneur Bartolomeo CHUET en accepte
le principe, le 6 décembre 1497
.
La
progression multiséculaire vers le sud de la vallée s’achevait. Elle avait
débuté alors que le village lui-même n’existait pas, que des groupes
isolés d’habitants peuplaient déjà les pentes du Villar, et
quelques autres espaces de défrichement. L’acquisition de biens
dépendants du sanctuaire de Fenestres fut sans doute l’élément moteur
accélérateur de ce mouvement. Ces fonds se situaient effectivement, en
majorité, dans la partie sud du terroir de Saint-Martin, entre le vallon
de la Madone et le quartier de Castagniès
.
La vallée du Boréon dépendait historiquement d’une autre aire
d’implantation, sans doute plus ancienne.
A l’époque
moderne, de nombreuses chapelles quadrillent le territoire de
Saint-Martin. Elles sont au nombre de 8, rurales, auxquelles s’ajoutent
les chapelles comprises dans l’espace urbain du village. Il existait
alors, du nord au sud du terroir, la Très Sainte Trinité, Saint-Nicolas,
Saint-Grat, Saint-Antoine, Saint-Lazare, Saint-Joseph,
Saint-Sébastien-Saint-Roch, Saint-Bernard, et aux abords immédiats du
village Saint-Jean et Sainte-Anne. Les chapelles des saints Nicolas, Grat,
Antoine, Sébastien et Bernard sont médiévales comme nous venons de le
voir. Leur érection s’étend du XIème au XVème siècle. Les autres
apparaissent à l’époque moderne. Dans l’agglomération elle-même, l’espace
est partagé selon les diverses phases d’extension du village. La chapelle
des Pénitents blancs, archiconfrérie du Gonfalon, est placée sous le
vocable de la Sainte-Croix. Celle de la Vierge de la Miséricorde
appartient aux Pénitents Noirs. Elle possède le double vocable, dédié à
Saint Jean Baptiste, le Précurseur. Et enfin l’église paroissiale, sous le
vocable de Notre-Dame de l’Assomption, est dédiée à l’origine à saint
Martin.
Le
sanctuaire de la Madone, dont l’existence nous est confirmée dès le début
du XIVème siècle, longtemps dominant, perd progressivement de son pouvoir.
A la fin du Moyen Age, ses biens sont déjà administrés par les grandes
familles locales, dont certaines monopolisent progressivement la charge de
Commandeur (mise en commende du Sanctuaire et de ses revenus). De
nombreuses légendes expliquent l’origine du sanctuaire, sans qu’il nous
soit permis d’en juger de façon scientifique. Son ancienneté est pourtant
admise. Lazare RAIBERTI, reprenant Pierre GIOFFREDO
,
rappel que le site fut occupé par un autel païen, un temple dédié à
Jupiter, assertion invérifiable, puis par les fameux Templiers, ce qui fut
démentit par des recherches plus récentes
.
Le comte de Barcelone et de Provence, Raymond Bérenger, récemment
vainqueur de son rival Toulousain pour la possession de cette dernière
terre
,
leur aurait attribué, en 1130, par testament, des terres sur le territoire
de Saint-Martin, dont celles de la Madone, deux ans après leur
installation en Provence. Au XVIème siècle, la possession du sanctuaire
est l’objet de nombreux affrontements entre les commandeurs successifs
appartenant à différentes familles, qui y trouvent un terrain pour vider
d’anciennes querelles
.
C’est particulièrement le cas pour les familles RAIBERTI et INGIGLIARDI,
qui s’opposent en de longs procès, les seconds obtenant la restitution des
produits (foins) retirés des terres de la Madone par les premiers après le
décès de leur oncle jusqu’alors commandeur.
Les
chapelles organisent les différentes parties du terroir de Saint-Martin.
Chacune possède un patrimoine propre, qu’elle loue à des particuliers, et
dont elle tire des revenus, une part importante, souvent l’essentiel, est
attribué au desservant. Un prêtre se charge d’y dire les messes ordonnées
par divers légataires testamentaires, au fil des siècles. L’exemple de
François BOCIONE, de feu Pierre, en donne un excellent exemple. Son
testament, dressé le 16 avril 1687 auprès du notaire RICOLVI
,
prévoit un certain nombre de legs pieux, de messes que ses héritiers
devront faire dire dans l’année qui suit sa mort aux différentes chapelles
de Saint-Martin. Ainsi oblige-t-il à faire dire 8 messes à chaque autels,
en commençant par ceux de l’église paroissiale, puis des chapelles rurales
.
Les « propriétaires » de la chapelle, tenant son jus patronat,
droit héréditaire de patronage (propriété réelle), reçoivent les fonds
laissés à cet effet pour les faire dire à leur chapelain. Bien souvent la
Communauté et ses syndics en sont nominalement responsables. Les
fondateurs s’en remettent à la puissance ‘publique’, gage de la continuité
et de l’éternité de leur fondation. La chapelle est une véritable personne
morale. Les syndics, au nom du Conseil ‘représentatif ’ du Parlement
Général de tous les habitants, procèdent à la nomination des desservants.
Ils les rémunèrent, au nom des testateurs, faisant ainsi perdurer les
dons, rappelant les œuvres des pieux légataires. Donner, être en mesure
d’immobiliser dans ce dessein une part du patrimoine foncier de la
famille, est alors un signe ostentatoire important de richesse, de
puissance. Ce geste engage l’ensemble de la descendance, ce qui explique
son caractère si particulier, et les précautions qui l’entourent. Il ouvre
ou ouvrira plus rapidement la porte de l’Eternité à son auteur.
Les
visites pastorales
du siècle dernier nous présentent un terroir sacré fortement détérioré.
Les chapelles Saint-Bernard, Saint-Grat, Saint-Nicolas et Saint-Joseph ont
été détruites, pendant les « guerres françaises » nous dit-on. Par contre,
celles de Saint-Antoine, Saint-Lazare et des Saints-Sébastien & Roch, sont
toujours « tenues décemment ». Elles possèdent chacune un autel unique,
dédié au saint titulaire. Elles sont le lieu d’une procession annuelle.
Les chapelles de Saint-Jean et de la Très Sainte Trinité sont dites
‘privées’. Leurs recteurs ne sont pas nommés par la communauté, mais par
les héritiers du fondateur. En 1837, Don Casimir CAGNOLI administre les
biens pro tempore de la Trinité.
Les
chapelles ont souvent eu une existence irrégulière. Certaines sont restées
familiales, telle Saint-Lazare, dont se souvient encore Lazare RAIBERTI
,
à la fin du siècle dernier, ayant appartenu à sa famille, mais déjà
détruite à ce moment.
Elle est
attestée en 1548
,
localisée près du pont au bas du village, qui en pris le nom. Lazare,
protecteur et guérisseur de la lèpre, offre une dernière protection du
village. Lors de la visite pastorale de 1836
,
elle est encore « en bon état », et accueille une procession annuelle. On
y dit toujours des messes, et le Saint Sacrement y est pratiqué. Même
constatation en 1847. Le cadastre « Napoléonien » indique à cet
emplacement la présence d’un bâtiment rural de 10 m² (Section E parcelle
546), sans plus de précision. Une aquarelle conservée au Musée des
Traditions Vésubiennes montre le lit du pont jeté sur le vallon de
Fenestre au bas du village. Cette peinture fait apparaître la roche sur
laquelle s’appuie la chapelle (sans que celle-ci ne soit visible),
émergeant bien plus qu’aujourd’hui du sol visiblement rehaussé.
L’hypothèse qui fait de ce bâtiment un édifice de culte pourrait alors
s’avérer exacte, si l’on se rappelle que bien souvent le pont donnant
accès à la ville est protégé par une chapelle (comme à Nice, sur le
Pont-Vieux, où se dressait une chapelle Saint-Antoine), et qu’il paraît
illogique de bâtir une grange dans une zone inondable. Ce serait alors un
exemple unique. Retrouver le sol originel, fortement enfoui dans les
matières de comblement serait alors nécessaire pour apporter la preuve de
cette hypothèse de travail. Avant guerre, les agriculteurs s’abritaient
sous cette voûte pour leur déjeuner, ayant déjà oublié la vocation
première de ces ruines.
La famille
RAIBERTI était également propriétaire d’une chapelle latérale dans
l’église paroissiale. En 1907
,
elle y revendique celle des Ames du Purgatoire. La chapelle est située
dans la proximité immédiate de l’autel majeur, dans la travée de droite,
accolée à la niche qui abrite actuellement la statue médiévale de la
Madone de Fenestre pour l’hiver. Il parait vraisemblable qu’elle fut un
lieu d’inhumation familiale, jusqu’à ce que le roi de Sardaigne décide
d’en interdire la coutume, en 1775, arguant des risques épidémiologiques
que cela entraînait en période de forte mortalité. Cette décision
précédait de peu l’obligation de transporter les cimetières hors-les-murs,
imposée par le régime français par la loi du 26 prairial an XII (1804).
A la fin
du XIXème siècle, le cadastre « Napoléonien »
nous permet de retrouver l’emplacement des chapelles sur le territoire de
Saint-Martin, et nous en donne un descriptif succinct. Quelques-unes ont
disparu, comme Saint-Grat et Saint-Lazare. Beaucoup sont en ruines. C’est
le cas de Saint-Nicolas, déjà cité.
Saint-Grat,
déjà citée au XVème siècle, a laissé dans la micro-toponymie du village
une simple impasse rappelant son nom. Même le cadastre de Saint-Martin
n’en porte plus la trace. C’est par l’intermédiaire d’une ancienne carte
postale
,
que nous pouvons dater d’entre la fin du siècle dernier et le début de
l’actuel, que nous avons remonté une piste archivistique
Tout au
nord de la rue principale du village se dressait le corps de garde de la
Douane française. Poste qui n’a pu être établit qu’après l’annexion
française, dont des traces écrites de son implantation devaient subsister.
La forme particulière du bâtiment, de faibles dimensions, possédant un
œilleton sur sa façade méridionale, pouvait laisser penser qu’il
s’agissait d’une ancienne chapelle. La vérification dans les délibérations
municipales permis de découvrir « l’acte de cession d’un terrain pour un
corps de garde pour la Douane »
,
en date du 23 juin 1867, « à l’embranchement des deux chemins de la
Madone, et Boréon ou Cerise ». La municipalité décide de donner « le lieu
même où existait la chapelle de Saint-Grat », pour une superficie de 3,60
x 3 m, agrandie à 4 m pour les besoins de la nouvelle construction. De nos
jours, l’emplacement considéré a été réaménagé. Une niche rappelle le
caractère sacré des lieux.
La
chapelle Saint-Jean est déjà abandonnée à cette époque. Elle appartient à
la commune, qui gère les biens du rectorat du même nom. Elle fut érigée en
1684, par Jean GILETTA
,
qui lui lègue l’essentiel de ses biens dans le but de former son
patrimoine. Sa femme fait de même lors de l’établissement de son
testament. Ses héritiers conservèrent le jus patronat. Ils le
tenaient encore en 1836, quand il s’agit d’affirmer les droits de la
famille CAGNOLI sur la chapelle et son patrimoine
,
pour la nomination du chapelain. Jean André BALDONI en est le recteur en
1817. Nous connaissons également l’un de ses prieur, Michel ROSTAGNI, en
1852
.
Mais en 1868, Saint-Jean est devenue une dépendance de l’église
paroissiale, ce qui met fin à son autonomie. Finalement abandonnée après
sa sécularisation au début de notre siècle, elle abrite aujourd’hui la
médiathèque municipale, après voir été convertie en bains-douches
publiques.
A la
sortie septentrionale du village, la chapelle Saint-Antoine est également
en ruines. Elle a été aujourd’hui remaniée, laissant place à un garage,
fortement bétonné. L’ancienne parcelle représentait 340 m², mais l’édifice
n’en couvrait qu’une faible partie. L’espace disponible servait à
l’accueil, démontrant l’importance de cette chapelle comme lieu de
dévotion. Elle formait une étape essentielle et traditionnelle sur le
chemin menant à la Madone et au col de Fenestres. Elle était aussi la
dernière halte respectée avant l’entrée dans le village, de retour des
sommets, quand revenaient les processions coutumières. Elle est pourtant
alors décrite, en ruines, et l’est toujours lors de la séparation des
églises et de l’Etat, au début de notre siècle.
Seul le
mur sud conserve la trace de sa destination première. Un fenestron de
forme ogivale s’ouvre dans la dernière partie de l’édifice. A l’intérieur
se trouve encore une partie de la voûte en pierre d’origine, rappelant
l’érection médiévale de cette chapelle
.
Elle est aujourd’hui malheureusement bétonnée, ne laissant rien paraître
de sa structure d’origine, sinon son importance certaine, qui place
l’édifice parmi les plus important du Moyen Age de notre village. Le
fenestron, à l’intérieur, s’ouvre très bas dans le mur, laissant entrevoir
un comblement important du sol à cet endroit, surélevé par rapport à la
surface d’origine. Les multiples remaniements contemporains ont totalement
dénaturés l’édifice.
Lazare
RAIBERTI
en faisait un établissement des Templiers, affirmant qu’elle était
accompagnée de plusieurs bâtiments, ouvrant sur le col et le sanctuaire de
Fenestre, que ceux-ci contrôlaient. Mais la présence de cet ordre
militaire dans notre vallée est totalement remis en cause par les
recherches exhaustives de J. DURBEC
.
Après avoir commenté les inventaires de saisie de leurs biens, lors de la
déchéance de l’Ordre, il affirme que les Templiers ne possédaient aucun
bien ni revenu dans notre vallée. Ce qui renvoie au rang de légende (née
au XIXème siècle ?) les récits qui les font intervenir à Saint-Martin.
Notre
historien du siècle dernier nous offre encore une vision de l’édifice à
son époque. Mais il regrette déjà qu’elle ait perdu son cachet médiéval,
« recrépie et blanchie à la chaux ». Quelques décennies plus tôt (1836),
présentée lors des comptes-rendus de visites épiscopales, elle était
encore « décemment tenue ». Des messes y sont alors dites sur le seul
autel de l’édifice. Elle fut de nouveau restaurée en 1847, ce que nous
confirme Lazare RAIBERTI. Le tableau qui ornait son autel se trouve
actuellement dans l’église paroissiale
.
La
chapelle Saint-Sébastien est connu dès le milieu du XVème siècle, par le
testament de Jean DROSONI (1454)
.
Mais ce n’est qu’au début du siècle suivant qu’est adjoint au culte
initial celui de saint Roch, offrant le double vocable à l’édifice. Cette
adjonction fait suite à une « peste » qu’un vœu collectif arrêta
(« répondant à un vœu solennel que leurs ancêtres ont émis lors d’une
épidémie contagieuse qui a fait tant de victimes dans cette ville »
).
Protectrice collective, elle fut de tout temps administrée directement par
la Communauté, qui nommait ses recteurs, les chargeant en son nom de la
conservation (custode) de son patrimoine, de pourvoir à son
entretien par les revenus qui en étaient tirés. Ces administrateurs furent
essentiellement des membres des grandes familles locales : FABRI, RAIBERTI...
. Monet AUGIER
,
dans son testament de 1528, attribue 10 florins à la fabrique de la
chapelle Saint-Roch, étant touché par la « peste ». A la même époque, le
culte de saint Roch était également établit dans l’église paroissiale de
Saint-Martin, où un rectorat lui était dédié
.
Pratiquement toujours associés, ces deux saints se retrouvent
picturalement représentés dans la quasi totalité des villages avoisinants.
Cette chapelle est un lieu privilégié de la fête patronale, où se rend la
procession annelle. Elle se trouve à l’entrée méridionale du village.
Après la Restauration de l’autorité Sarde, les édiles de Saint-Martin
pourvoient rapidement à sa réhabilitation, mais dans les années 1870-1880,
celle-ci demande de nouvelles restaurations, « ses murs et ses enduits, et
même sa voûte et sa couverture menacent de s’écrouler »
.
L’édifice visible aujourd’hui n’est qu’une reconstruction relativement
récente.
Son
emplacement, à l’origine, se situait sur le tracé de la route
départementale n° 1 - aujourd’hui 2565. Le plan de 1876 nous permet encore
d’identifier son emplacement, en un temps où la route atteignait
péniblement le quartier du Toron. Désirant qu’elle rejoigne le
village, la municipalité avait proposé l’établissement d’une promenade
ombragée jusqu’au débouché du vallon de Fenestre. Mais le tracé envisagé
obligeait à démolir cette chapelle. Elle ne pouvait être détruite sans
compensation, et l’acte de cession, établit pour un prix de 200 francs,
prévoie sa réédification dans la proximité immédiate du bâtiment
d’origine. Mais cette provision s’avéra insuffisante.
C’est le
comte de Caserta, de la famille des Bourbon-Parme de Naples, en voisin
propriétaire, qui assura l’essentiel de son financement, permettant sa
réédification dès 1881. Il pourvut à son aménagement intérieur, très
sobre, conforme au néoclassicisme dominant. Son caractère rural disparut
avec l’introduction du marbre, mettant fin au baroque alpin représenté par
la décoration des autres édifices religieux saint-martinois, s’accommodant
avec noblesse de stuc. Si ses dimensions n’ont pas changé, son style est
vraisemblablement très différent de celui de la construction médiévale.
Cette chapelle a été entièrement restaurée, ré enduite, mise hors eau à la
fin de l’été 1995. Le clocheton lui-même reçut les derniers renforcements
au début de l’été 1997. La chapelle a été inaugurée avec toute la
solennité qu’imposait un vœu « immémorial » le 16 août de cette année.
La
chapelle Sainte-Anne, était située immédiatement après la porte fortifiée
qui en a conservé le nom, tout comme le quartier des jardins hors-les-murs,
dans sa proximité. Elle donnait naissance au chemin menant à Venanson et
au Valdeblore. Cette chapelle ne laisse que peu de traces dans nos
archives. Elle est visible sur un plan du début du XIXème siècle
,
mais fut détruite pour les mêmes raisons que celle dédiée aux
Saints-Sébastien et Roch, à la fin du siècle dernier. Autant qu’il est
possible d’en juger, il s’agissait d’un simple bâtiment, aux dimensions
forts modestes, qui ne se différenciait que peu des édifices ruraux, si ce
n’est justement pas sa superficie limitée (20 m² pour la parcelle décrite
dans le cadastre « Napoléonien »). Son « antiquité » n’est pourtant pas
discutable, puisque la première matrice cadastrale moderne mentionne déjà
le toponyme des Jardins do Sant’Anna
en 1702. Elle se trouvait sur un nouvel axe de communication, le tronçon
de contournement du village que la commune décida de tracer sur la proche
ceinture des jardins entourant la ville
.
Cette nouvelle voie devait raccorder le pont récemment construit,
aboutissement de la route départementale, et la vaste place de l’hôtel de
ville moderne, symbole de l’entrée de Saint-Martin dans l’époque
contemporaine, élevé dès 1861.
Le
projet voulait remplacer le traditionnel passage par la Rue Droite,
aujourd’hui Rue Docteur CAGNOLI, longeant le beal (ruisseau) sur
toute la longueur du village. L’ancienne chapelle, cédée par la Fabrique
paroissiale à la commune dès 1876
,
ne fut pas reconstruite. Les fonds réservés à cet effet, s’élevant à 1.200
francs, s’avérèrent également insuffisants. Elle ne bénéficia
malheureusement pas de la présence d’un généreux donateur dans son
voisinage. Nous ne connaissons même pas l’iconographie qui ornait son
intérieur. La seule trace probable qu’elle nous ait laissé pourrait être
le tableau (XVIIème siècle) conservé dans la chapelle de la Miséricorde,
représentant la sainte à la droite de la Madone de Fenestre.
Le
cadastre du siècle dernier nous présente d’autres ruines. Celles de la
chapelle Saint-Joseph, au quartier du même nom. L’édifice est déjà connu
au milieu du XVIIème siècle (1644). Le culte de l’époux de la Vierge,
modèle de la Bonne Mort du Chrétien, est réactivé et renforcé après le
Concile de Trente. Il devient alors un intercesseur essentiel dans la vie
du croyant, sensé le protégé contre les accidents mortels, qui auraient
empêché la confession des derniers instants offrant un dernier soulagement
et un premier pardon. Saint-Joseph est alors présent hors du village,
offrant une protection aux agriculteurs dans leur labeur quotidien. Mais
il siège également en bonne place dans l’église paroissiale, immédiatement
après les cultes les plus importants de la période post-tridentine (la
Madone du Rosaire et les Ames du Purgatoire).
Nous
connaissons une première chapellenie fondée sous ce vocable par le
Révérend Père Dom. Joseph AIRAUDI, le 18 août 1700, par acte testamentaire
(enregistré par le notaire Ludovic RAIBERTI)
,
attribuant les revenus nécessaires pour qu’il soit dit « éternellement »
une messe sur cet autel. Nous avons peut être atteint l’origine de la
chapelle latérale que nous connaissons dans l’église paroissiale, même si
il est possible qu’il en est existé une, érigée sur un autre emplacement
avant cette date. Chapelle du XVIIIème siècle, outre son aspect rassurant,
elle offre un superbe vitrail composé des outils de menuiserie. Il s’agit
de la seule trace connue à Saint-Martin pouvant faire penser à l’existence
de confréries de métiers, connues à Nice, et dont on connaît l’importante
sociabilité qu’elles engendraient. Dominées par les maîtres, la confrérie
possédait sa propre chapelle (comme les maîtres-maçons tenaient celle des
4 Saints Couronnés dans la cathédrale Sainte-Réparate), ses statuts
enregistrés au Sénat, et sa fête patronale. Elle participaient aux
processions coutumières, suivant un ordre de préséance prédéfinis, parmi
les gens des Métiers. Economiquement, elle contrôlait l’entrée dans le
métier, et évidemment limitait la concurrence par cooptation des maîtres,
en réduisant les possibilité d’ascension sociale interne. La corporation
de métier n’existait pas à Saint-Martin, qui ne possédait qu’un tissu
artisanal trop ténu pour cela.
Après sa
destruction « pendant les guerres françaises »
,
cet ancien lieu de culte connaît une nouvelle destination. Lors du Conseil
Municipal du 5 novembre 1876
,
le Maire soumet la délibération du Conseil de Fabrique (qui gère les biens
temporels de la paroisse) datée du 1er octobre précédent, concernant la
concession du terrain d’une ancienne chapelle démolie « depuis un temps
immémorial » au quartier Saint Joseph (63 m²) au profit du sieur
BELLEUDI Louis, époux CIAIS, propriétaire, pour 50 f. L’affaire est
entendue. L’Administration des Cultes accepte la transaction, prouvant de
fait que l’édifice avait été auparavant désacralisé
.
Le nouveau propriétaire la transforma en fabrique de savon, mais cela dura
peu. Elle redevint une ruine insignifiante jusqu’à ce qu’elle disparaisse
définitivement.
Il
existait enfin la chapelle Saint-Bernard, dont nous avons déjà parlé, en
précisant l’époque de son érection. Elle symbolise une importante phase
d’appropriation de l’espace méridional du territoire de Saint-Martin,
concentrée entre les mains de quelques familles, dont la plus illustre
alors, était celle des VEGLIO. Ceux-ci demeurent les principaux
propriétaires fonciers dans ce quartier, jusqu’au milieu du XIXème siècle.
Ce sont les membres de cette famille qui tiennent la rectorie de
Saint-Bernard, dès le début du XVIIIème siècle : Jean Louis VEGLIO en
1699, Pierre Antoine VEGLIO en 1700, le Medico VEGLIO en 1701.
Edifice rural par excellence, périphérique, elle ne laissa que peu de
traces dans nos archives.
Elle donna
son nom au quartier l’environnant, surimposant un nouveau toponyme à celui
de Nantello. Autour de l’édifice se regroupèrent alors de nombreux
bâtiments. Puis, ruinée et délaissée, elle fut transformée en grange et en
entrepôt à la fin de la décennie 1980.
Dernière
chapelle périphérique, tout au nord des terroirs de Saint-Martin, la
chapelle de la Très Sainte Trinité s’élève au quartier de Ciastel.
Ell est encore en état de recevoir le culte de nos jours. Elle se dresse
sur le mamelon rocheux dominant la partie méridionale du vallon du Boréon
et l’espace de Saint-Nicolas. Orientée vers le Midi, elle couvre également
l’espace mystérieux du Villar. Elle nous est connue à la fin du
XVIIème siècle
.
Le bâtiment actuel présente d’évidents remaniements, dont un
agrandissement significatif à partir d’un bâtiment d’origine à l’est, et
peut être une nouvelle orientation. On distingue avec quelques difficultés
l’élévation de l’ancien édifice, à partir de la porte d’accès de la
chapelle. Sa superficie a alors été approximativement doublée. Sa
structure est celle d’un bâtiment rural anodin, totalement intégré dans
l’architecture locale. Il s’agissait d’une chapelle privée, dont le
chapelain était, en 1836 le Révérend Recteur Dom. Casimir CAGNOLI.
Pourtant, l’inventaire dressé en 1905 nous la présente sous un jour fort
sombre. Son espace intérieur, complété par une cuisine à l’étage, en fait
un lieu où l’on passe un certain temps, ce qui s’explique par
l’éloignement du village. Son équipement destiné au culte est des plus
succinct, et de peu de valeur si on le compare aux autres édifices dont on
nous présente l’inventaire.
Quelques
chandeliers en bois doré, de rares pièces en métal, calice ou patène. Un
seul tableau orne l’autel unique, représentant la Très Sainte Trinité.
Cette vision peut être trompeuse, puisqu’il s’agit de l’unique chapelle
champêtre dont nous puissions encore visiter l’intérieur.
Les autres
lieux du culte rural devaient vraisemblablement lui ressembler. Le
mobilier destiné à accueillir les fidèles est limité à l’indispensable.
Ceci s’explique au vu de l’espace disponible. Pourtant, nous y trouvons 5
bancs en bois blancs, et 4 chaises. Ces sièges étaient destinés aux
personnes les plus importantes, le commun assistant aux offices debout.
Leur nombre était matériellement limité. Rappelons qu’au Moyen Age, et
jusqu’à une époque tardive, les édifices religieux ne possédaient pas de
sièges ni de bancs. Loin d’être une chapelle de proximité comme toutes les
autres, son éloignement même lui attribue un caractère particulier. Au
cœur de la région qui est, selon toutes probabilités, une zone de
peuplement originel sur ce versant, elle joue aujourd’hui encore un rôle
important dans la structure religieuse de Saint-Martin. Elle est toujours
le lieu et le but d’un pèlerinage annuel.
L’espace
urbain du village complète cette couverture spirituelle par deux grandes
chapelles des Pénitents. Elles sont encore aujourd’hui entretenues, grâce
à l’action incessante de quelques courageuses personnes, leur redonnant
leurs couleurs pluriséculaires. Celle de la Sainte-Croix est la plus
vaste. Elle occupe une superficie de 238 m², alors que la chapelle de la
Miséricorde ne couvre que 115 m². Ces deux bâtiments, de styles très
différents, ont été élevés à des époques elles aussi fort différentes. Ils
expriment les plus belles représentations de l’art alpin, largement
agrémenté d’un style baroque local surimposé à l’édifice médiéval pour la
seconde, intégré dans la décoration intérieure plus que dans sa structure
architecturale pour la première. Leur mobilier reflète encore la richesse
et l’ostentation qu’ont voulu leur donner les fidèles.
La chapelle de la
Miséricorde est de conception médiévale. Elle se compose d’une nef unique,
divisée en trois travées, de formes et d’élévations différentes. La
sacristie se trouve immédiatement au nord de l’autel principal. Le
soubassement est composé d’une « cave » voûtée, décelable par une faible
ouverture du mur donnant sur le vallon de Fenestres. Son mur Est semble
avoir été remodelé à la suite d’un événement qui nous échappe. Les
bas-côté de l’autel sont percés par deux portes-placards aujourd’hui
murées, puisque donnant sur ce même vallon. Il est possible qu’une
extension du bâtiment ait existé. Son clocheton, par contre, a été élevé
dans les années 1840. Son aménagement intérieur reste relativement sobre.
Les enduits sont, à l’origine, de chaux, sans autre richesse surajoutée.
Le style baroque apparaît autour du maître-autel, par la surimposition de
colonnes torsadées, et surtout de petits anges, discrets mais présents.
Pour compléter la trilogie, il reste aujourd’hui quelques traces d’une
peinture de plafond, qui devait ouvrir le bâtiment sur le Ciel. Son éclat
est rehaussé par l’emploi de bois de noyer (considéré comme le plus
riche), composant les bancs des chantres, comme les portes, sculptées.
Celle de la sacristie est datée de 1789. L’iconographie de la chapelle est
composée d’un ensemble de 6 grands tableaux. Le maître-autel est illustré
par une « Décollation de saint Jean-Baptiste, surmontée de la Madone de la
Miséricorde étoilée ». Côté Evangile, une « Sainte Famille avec saint
Charles Borromée et sainte Catherine de Sienne » (XVIIème siècle), et
« Saint Pierre et saint Lazare » (XVIIème siècle), d’une composition
effectivement tardive, malgré les positions en pieds des personnages
représentés, saint Lazare ayant un couteau planté sur le crâne (plus tôt,
il aurait été poignardé dans le dos). Côté Epître, « Jésus au Temple
devant les Docteurs de la Loi (sans doute du XVIIIème siècle), puis une
« Madone de Fenestre accompagnée de sainte Anne et de saint Jean
l’Evangéliste », daté de 1655 et signé par Iohan (Jean) PLENT. Deux autres
tableaux sont jugés « indéchiffrables » lors de l’inventaire du début de
notre siècle.
La
chapelle des pénitents blancs, sous le vocable de la Très Sainte Croix est
la plus récente, (vraisemblablement édifiée au XVIIème siècle) mais aussi
la plus richement ornée. Un acte notarié de 1689
fait apparaître une chapelle jusqu’alors inconnue placée sous le vocable
de la Madone du Portalet. Nous pouvons l’identifier comme étant
notre chapelle, construite alors hors-les-murs, au-delà de la place du
Portil qui formait l’aboutissement du village. Il est fort probable
qu’à cette époque ses dimensions n’étaient pas celles que nous connaissons
aujourd’hui. Les nombreux remaniements que nous offre le mur extérieur sud
sont là pour nous le confirmer. Ses stucs s’étalent sur de vastes
surfaces. Elle renferme les plus vastes tableaux, au nombre de 9, mais
aussi 3 plus petits, dont le sujet a échappé aux fidèles comme aux agents
des Domaines. Quelques pièces du culte sont en argent. L’espace intérieur
permettait d’accueillir un grand nombre de fidèles, membre de la
confrérie. Dans son aménagement intérieur, elle est en tout point
comparable à la chapelle des Pénitents blancs d’Utelle, sinon pour le
choix des sujets représentés.
Les
chapelles sont naturellement des bâtiments attrayants, révélant une
culture et un intérêt certain pour celui qui cherche à mieux appréhender
un milieu. Celles de Saint-Martin Vésubie permettent de mieux comprendre
une histoire locale oubliée. Elles sont le révélateur des sentiments des
habitants du village, soulignant leurs rapports très étroits avec la
Religion, l’interpénétration de ses rythmes avec ceux de la vie
quotidienne. Lieux de vie, elles sont marquées par la présence humaine et
ses manifestations les plus ostentatoires. Mais le destin même des
édifices, scandé par des points forts (érection, restauration, ruines)
nous fait entrer dans les particularités de l’histoire locale.
Saint-Martin s’est édifiée sur plusieurs siècles, pénétrant et
s’appropriant successivement les quartiers qui forment aujourd’hui son
terroir. Par l’histoire des chapelles, nous pouvons découvrir cette lente
conquête de l’espace, symbolisée par l’implantation de l’édifice, qui
renforçait ainsi son caractère communautaire en en marquant le terme.
Œuvre
collective, la chapelle a vécu tant que la Communauté (L’Universitas
médiévale) a existé. A la fin du XIXème siècle, l’ouverture sur l’époque
contemporaine et le déplacement de la population vers le littoral aidant,
la cohésion nécessaire à la survie des symboles du village s’est
progressivement estompée. Elles ont souvent été sacrifiées à la modernité.
Notre siècle, particulièrement déchristianisateur, n’a fait qu’accentuer
la décrépitude des chapelles, dont la plupart ne pouvaient même plus, dans
leur majorité, revendiquer leur caractère indispensable au culte local.
Par un juste retour de l’histoire, elles forment aujourd’hui un élément
nécessaire dans le paysage culturel de notre village, point d’orgue de son
passé historique, qui parvient ainsi jusqu’à nous. Elles sont les
représentantes d’un patrimoine commun de notre histoire.
-----
- E. CAIS de PIERLAS - G. SAIGE Chartrier
de l’abbaye de Saint-Pons hors-les-murs de Nice