Réformés de
Lantosque
Etat des recherches
(Recherches archives menées sur les indications de M. Alain
BOTTARO des A.D.A.-M.)
GILI Eric
Il existe, sur la commune
de Lantosque, les ruines d’un ancien monastère, aujourd’hui totalement
envahies par une végétation exubérante.
Il n’en fut pas de même de
tout temps. L’époque de son installation reste pour nous un mystère, même
si certains auteurs n’hésitent pas à la faire remonter au XVème siècle
.
Nous savons par ailleurs que les ordres Mendiants abordèrent tôt notre
région. Les premières fondations en Italie datent du XIIIème siècle, et du
XIVème siècle à Nice. Il est pourtant plus sûr de dater le monastère de
Lantosque (début ?) du XVIIème siècle, sans prendre trop de risques
,
et ce, jusqu’à ce qu’une étude des reliques architecturales soit menée. Un
procès de 1732
nous apprend que le desservant, Pierre FIGHIERA, est mis en cause par le
prieur de Lantosque. Le recueil Visage des Alpes-Maritimes
affirme qu’il fut « fondé dans les dernières années du XVIème siècle par
le Père Paul BREA, gardien du couvent de Cimiez ». Lantosque a donné à
l’Ordre des Mineurs Réformés l’un de ses plus brillant canoniste, en la
personne du Père Ange AUDA (+ 1680)
.
L’implantation du monastère, longeant le grand chemin muletier, appelé
avant l’invasion française strada ducale, montre clairement le rôle
qu’entendaient jouer les moines de Lantosque. Il peut être rapprocher de
celui d’autres monastères « ruraux » de cet ordre, ceux de Saorge et de
Sospel, également sur le tracé d’axes principaux des communications entre
Méditerranée et Piémont, accédant aux cols (dans la Vésubie principalement
celui de Fenestre, dans la Roya, le col de Tende).
Les
documents que nous possédons décrivent principalement son histoire au
siècle dernier. Sans doute les pertes dues au passage des troupes, dès
1792, peuvent expliquer le peu d’ampleur de ce fond. Peut être les moines
ont-ils finalement rapatrié les documents vers d’autres dépôts, hors de
notre diocèse, comme certains ordres religieux l’ont fait alors et depuis.
Nous savons pourtant que notre monastère fut effectivement détruit lors de
l’invasion française qui débuta à la fin de l’année 1792. Un acte de vente
comme bien national, dressé peu après, le 28 ventose an V
(le ../../1797), nous le présente dans un état de ruines :
« le Citoyen Joseph André
THAON, de La Bollène, achète un petit terrain non cultivé sis à Lantosque,
provenant des ci-devant Pères de Saint-François dudit lieu, en friche,
clos de murs de 3 côtés et le mur du côté du Nord de pierre à sec, où il
se trouve le bâtiment qui servait de couvent aux dits pères composé d’un
rez-de-chaussée et un étage, le tout dégradé, manquant de couvert, de
portes et fenêtres et réduit d’aucun produit.
De la capacité, compris
l’emplacement du susdit bâtiment d’1 setier et 6 mottureaux
(environ 2.150 m²) borné le tout, au couchant et nord le Citoyen Jean
Baptiste OTTO, au couchant la rue commune qui va à Utelle, et le vallon,
et au midi le Citoyen Jean BRUN.
PV d’estimation du 14
nivose dernier, par Louis UBERT expert nommé par l’acquéreur, et par
soumission du 6 thermidor dernier, et Barthélémy LAURENTY expert du
département, pour un revenu net de 14 frs, et en capital estimé à 308 frs.
A la charge de l’acquéreur
de laisser jouir le fermier actuel pendant le temps qu’il en a le droit,
conformément à son bail. Le fermage de l’année IVème appartiendront
jusqu’au dit jour 8 thermidor à la République venderesse et le surplus
audit acquéreur. »
C’est la première image du
monastère que nous possédons. Le bâtiment proprement dit confronte
immédiatement à l’église des Pères. Il semble avoir été l’objet d’un
incendie, et ce, dans les années qui ont précédé sa mise en vente. Le toit
a disparut. Portes et fenêtres également, soit qu’elles aient été brûlées
lors de la destruction du monastère, soit qu’elles aient été
« récupérées » à ce moment. Le monastère est alors devenu propriété
privée.
Lors de la
Restauration, en 1814, le sort du monastère évolua de nouveau.
L’inventaire dressé au moment de la loi d’incamération dans les Etats
Sardes, en 1855, nous apporte d’autres précisions
.
Le 13 juin 1818, le propriétaire, Giuseppe THAON, de La Bollène, décide de
rétrocéder aux religieux le monastère. Mais il s’agit en fait d’une simple
jouissance accordée aux Pères Franciscains, le temps qu’il leur sera
agréable. Sorte de compromis, pour ne pas causer de perte financière trop
importante à l’acquéreur des biens nationaux de 1797. Mais qui s’explique
sans doute par l’état piteux dans lequel se trouvent les bâtiments. De
fait, la même loi d’incamération
nous apprend qu’en 1820 et 1825, deux actes font foi de la propriété
d’Alexandre THAON. L’inventaire de la saisie de 1855 nous décrit une
nouvelle fois les lieux :
« * une maison
d’habitation inservente de couvent aux Mineurs Réformés, situé sur
les limites (fini) de la commune de Lantosque, région de
Saint-Pancrace, lequel est déclaré ne pas être propriété de corps, mais
propriété du sieur THAON Félix, médecin à La Bollène, de droit annuel pour
52,50 £, suivant l’extrait de matricule de fabbricato (imposata
sui fabbricato - 12,93 £ à déduire).
* le jardin attenant au
couvent, d’une capacité d’environ 16 ares, tenu et cultivé en faire valoir
direct (ad economia diretta), d’un droit annuel de 48 £. Pour
moitié propriété du feu médecin THAON, et l’autre aux héritiers du sieur
Carlo Antonio OTTO.
* le mobilier consiste en
ustensiles variés de cuisine, armoires, lits et tables à manger, le tout
de peu de valeur, non susceptible d’être décrit comme cause prévue.
* les objets sacrés et
mobiliers de l’église sont 2 calices d’argent et 2 de matière composite (composmione),
1 ostensoir en cuivre, 6 sous-tasses (pianete), 4 ordinaires et 2
pour le dimanche, quelques chandeliers de peu de valeur, et 4 de peu
d’entité (di poco entità). Le délégué est d’avis que ce mobiliers
du couvent, présent ou consumé, et qui servait à leur quotidien, ne sont
même pas de valeur de 500 £.
OTTO
Giuseppe, syndic de Lantosque
GASTALDI
Angelo Francesco, secrétaire
de la
communauté
PASSERON
Giomi, conseiller délégué de
Lantosque »
Le couvent accueil alors
quelques moines, et ce, depuis la Restauration. Mais leurs conditions
d’existence semblent avoir été bien plus frugales qu’elles ne l’étaient
avant le passage des troupes révolutionnaires françaises. Et cela même
pour des Mendiants, si on compare l’état présenté à celui que l’on connaît
des autres monastères du même ordre, Cimiez ou Saorge.
Un bien
des plus précieux fut sans doute celui provenant d’un don de Dom. PASSERON,
effectué en 1839, pour redonner vie au monastère. Le Père offrit des
reliques de saint Pancrace
,
qu’il tenait de l’évêque de Porphyre. Un trésor authentifié en 1422. Ce
don attirant sans doute à lui de nouveau la ferveur populaire, toujours
proche des Franciscains. Leur influence est même rappelée dans le tableau
ornant l’autel des Ames du Purgatoire de l’église paroissiale de
Saint-Martin Vésubie, où l’on retrouve un membre de cet ordre déversant
par le moyen d’une jarre l’eau apaisante sur les pauvres suppliant
cherchant à gagner la miséricorde divine. Tout naturellement, le monastère
accueillait les sépultures de nombreux fidèles. Ainsi possédons nous un
registre de catholicité les concernant pour les années 1838 à 1841
.
Ce serait là un excellent indicateur de l’époque d’érection du monastère,
puisqu’il est de coutume de trouver dans les vœux testamentaires le désir
d’une inhumation dans ce type de sanctuaire, et cela pour des périodes
fort reculées
.
Cela nécessiterait que l’on s’attarde sur les nombreux registres notariés
de Lantosque qui nous sont parvenus.
Nous
atteignons pourtant les derniers temps de l’existence du monastère. Les
derniers moines quittèrent Saint-Pancrace de Lantosque avec la loi d’incamération
(1855), abandonnant le couvent ruiné en 1858. Le Père théologal en dresse
le constat, et donne la dernière destination des frères franciscains
.
Les Frères essaimaient, depuis la Restauration, en France, ouvrant de
nouvelles voies aux vocations. Le monastère de Lantosque a alors
définitivement perdu sa vocation. Pourtant, un acte du 25 novembre 1859
nous présente encore la supplique de la population locale. Le monastère
fut l’objet d’une importante dévotion, comme peuvent en témoigner les vœux
testamentaires désireux d’offrir une dernière sépulture dans ce lieu sacré
.
Les Lantosquois restaient désireux d’en conserver la présence, mais aussi
d’en restaurer les édifices, alors fortement détériorés :
« Observant qu’il existe
un ardent désir et un véritable besoin de la part de la population unanime
pour la conservation de l’Oeuvre antique et utile établissement qui se
trouve dans cette localité et pour le sacerdoce des communes voisines ...
en regard de la situation de l’état dans lequel il se trouve, déclare le
besoin de multiples réparations urgentes ... sans détailler les travaux et
les plus indispensables et le prix relatif
»
Comme semble le rappeler
cet acte, les nombreux prédicateurs qui parcoururent nos village, pour
répondre aux préceptes du Concile de Trente, vinrent souvent de
Saint-Pancrace de Lantosque. Mais, dans la seconde moitié du XIXème
siècle, la nécessité n’était plus aussi forte. La seule volonté de la
communauté ne suffisait pas à conserver cette fondation dans la vallée.
Ses seules revenus non plus. Car là est sûrement la cause de son abandon.
Avec le rattachement du Comté de Nice à la France, le monastère perdait
son rôle d’étape sur la route encore pratiquée des cols de la Vésubie.
Même si celle-ci était devenue secondaire. Le prix élevé des réparations
nécessaires à la restauration des édifices semblait alors prohibitif.
Aujourd’hui propriété privée, l’ancien monastère des Pères Franciscains
Réformés de Lantosque, sous le vocable de saint Pancrace, n’est plus
qu’une ruine abandonnée. En perdant sa vocation religieuse, le site s’est
dénaturé. Il est vrai que de nombreux événements extérieurs ont provoqué
cet abandon : passage des troupes françaises, loi d’incamération de l’état
Sarde (à rapprocher de notre loi de séparation des églises et de l’Etat,
du moins dans ses résultats sur le patrimoine de l’Eglise), ouverture de
nouvelles voies de communication avec le Piémont (la route du col de
Tende, puis, avec l’acquisition de Gênes par le roi de Sardaigne,
ouverture de l’arrière-pays Ligure), rattachement à l’empire français,
mais aussi évolution certaine des mentalités et des besoins religieux de
nos régions. Le monastère de Lantosque reste le témoin d’une époque
totalement révolue, mais prend place dans notre histoire locale si riche
et pourtant oubliée. Il est à espérer que les injures du temps et des
hommes
ne le fasse pas entièrement disparaître.