le Belvédère Médiéval
GILI Eric
« Belvédère est un vieux village… »
En partant de ce constat
oral, il nous a semblé important de s’interroger sur ce caractère
« ancien » tellement évident.
Les archives du village
nous présentent encore aujourd’hui des documents datant du XIVème siècle
(des parchemins, comme ont pu vous le présenter nos élèves du Club
Patrimoine). Nous n’avons malheureusement que peu de documents pouvant
nous « parler » de l’histoire de Belvédère avant cette époque, ce qui est
un phénomène comparable aux autres villages alentours.
Regardons et essayons
d’imaginer la Vésubie au début de l’époque Médiévale.
Que connaissons nous de
cette époque ?
La première mention connue
de la vallée apparaît au XIème siècle
.
Nous ne possédons que quelques documents, qui permettent de replacer notre
région dans un ensemble plus vaste, celui de la Provence au temps de la
Réforme Grégorienne. Le mouvement connaît une certaine ampleur, secoué par
la reconquête de l’autorité épiscopale, officiellement « spoliée » par les
seigneurs locaux qui se seraient approprié les terres que détenait
l’Eglise auparavant, profitant de l’époque de « troubles » consécutifs à
la fin de l’Empire Romain. Encore faut-il largement revenir sur cette
notion de « troubles », lors des temps que nous appelons
traditionnellement les « Invasions Barbares ». En fait de spoliation de la
part des seigneurs, on sait aujourd’hui qu’il s’agit avant tout de créer
un nouveau cadre à la société, celui imposé par les évêques, préparant
l’avènement d’un Etat fort, à travers le temps que l’on a appelé l’époque
des Principautés
.
Ces rappels historiographiques sont nécessaires pour comprendre ce qu’a pu
être la Vésubie au tournant de l’An Mil.
C’est donc l’évêque de
Nice qui prend pied dans la Vésubie, au détriment des anciennes familles
seigneuriales, qui tenaient le haut pays depuis plusieurs décennies. Nous
sommes loin des mythes « Sarrasins », qu’aucunes sources historiques
critiquables ne présentent
.
Cette histoire, peut être jugée comme une vaste opération de propagande
lancée par la nouvelle maison seigneuriale, celle des Comtes issus de
Guillaume, que l’on nomma alors « Le Libérateur ». Le terme lui-même est
une façon de légitimer, a posteriori, sa prise de pouvoir dans
l’ensemble de la Provence, et surtout dans cette partie Orientale
longtemps délaissée par le pouvoir.
Les Terres Neuves, le
futur Comté de Nice, restent des terres de Marche, véritables frontières
vers le Piémont. Cette notion de Marche est importante, car elle ne fixe
aucune frontière linéaire telle qu’on en imaginerai aujourd’hui. Il s’agit
d’une zone territoriale, d’une profondeur importante, servant d’espace
tampon entre deux territoires identifiés, et définis comme antagoniste.
Le Comte est loin de la
Vésubie, vers la Provence centrale, à Aix. C’est à l’évêque, ou à l’abbaye
de Saint-Pons-hors-les-murs, qu’échu la reprise d’autorité. Ce sont les
deux seules institutions ayant conservé une structure forte et des liens
familiaux proches des pouvoirs de tutelle. Les familles « féodales » sont
obligées de céder à la pression d’un pouvoir ecclésiastique capable de
lancer excommunications et anathèmes contre elles (en fermant les églises,
refusant les sacrements…), mais aussi de mobiliser des troupes
« fidèles », plus sûrement intéressées par les dépouilles des futurs
vaincus, qui ne manqueraient pas de leur échoir en guise de butin. Ces
mêmes autorités ecclésiastiques n’hésitent pas, après soumission, à
restituer aux anciens seigneurs une partie de leurs terres, contre la
reconnaissance de leur domination, après la cérémonie de l’hommage que
l’on imagine selon le modèle couramment usité.
Nous ne sommes pas encore
au temps des castrum. Il s’agit plutôt d’une période de transition,
dans une zone où la majorité de la population n’est pas encore totalement
christianisée et où subsistent d’anciens cultes fortement impréniés de
paganisme. Dans cet espace, l’habitat reste en partie isolée, prenant la
forme d’exploitations agricoles d’importance, héritières du mode
d’occupation antique. Plusieurs lieux peuvent encore être identifiées dans
la vallée. Mais en négatif. Ce sont les documents du XIIIème siècle
qui nous donnent ces informations.
Revenons aux alentours de
l’An Mil. Au XIème siècle, je propose d’identifier deux espaces
différenciés par leur domination politique :
au nord, la haute vallée,
possession de la famille Rostaing
,
qui tiennent aussi le Valdeblore ainsi que de vastes territoires dans la
Tinée. Ce lignage est apparenté à la seule famille Vicomtale de Nice, dont
nous connaissons surtout la Comtesse Odile, au Xème siècle.
au sud, ce sont
vraisemblablement les seigneurs de la famille de Vintimille qui dominent
.
La zone de contact passe
aux alentours de Berthemont – Fenestres.
Ces deux familles sont
vraisemblablement apparentées, puisqu’elles luttent ensemble contre les
prétentions Gênoises sur la vallée, et nous pouvons les suivre
conjointement jusqu’au début du XIVème siècle
.
Les Vintimille tiennent encore quelques biens ou revenus jusqu’au début du
XVème siècle sur les villages de la Vésubie
,
comme le montrent nos archives, alors que les premiers ont sans doute déjà
perdu l’essentiel de leurs possessions au profit des Communautés
d’habitants « libres » ? Celles-ci deviennent une véritable particularité
de notre vallée dès le XIIIème siècle, très rapidement après la période
d’établissement des villages
.
Car le Comte de Provence
joue de ces Communautés récemment constituées comme de véritables
interlocuteurs contre le pouvoir seigneurial local, trop souvent enclin à
rechercher l’autonomie contre leur suzerain. D’où également l’octroie de
nombreuses « libertés », ce que nous appelons généralement les Statuts,
véritables lois locales qui régissent nos villages
.
C’est au Parlement Général des chefs de famille que revient alors
l’autorité législative, accordé par le Comte de Provence contre la
reconnaissance de leur domination.
C’est à ce moment que se rattache la place de la Frairie, ou du
Saint-Esprit, modèle commun à tous les villages de la vallée.
De ces époques, il ne nous
reste sur le terrain que peu d’informations. Période de transitions
rapides, l’installation des seigneurs « féodaux » a nécessité de pouvoir
dominer la population. Dans un premier temps, celle-ci s’effectue en
relation avec la structure d’autorité : la motte féodale castrale.
Puis vient l’autorité
ecclésiastique concurrente, puis la nécessité de regrouper les populations
dans des structures où la domination pourrait être plus efficace, afin de
diriger l’espace productif. C’est du moins la conception communément
reconnue du phénomène, dans un schéma par nature simplificateur, faisant
abstraction des particularismes : c’est le temps du castrum, pour
nous entre la fin du XIIème et le début du XIIIème siècle.
Mais en créant ces
nouveaux centres de pouvoir, les seigneurs se trouvent en confrontation
directe avec les habitants qu’ils ont contribué à regrouper, et qui
forment ainsi une nouvelle puissance. Les tentatives autonomistes du Val
de Lantosque furent durement punies par les troupes du sénéchal de
Provence
,
dans le premier tiers du XIIIème siècle. Romée de Villeneuve, de mauvaise
mémoire, détruisit de nombreux castrum (Saint-Colomban, Manoinas,
pour ne citer que les plus connus), comme en témoignent les mentions de
dirupta (détruits) reportées dans la grande enquête du premier Comte
Angevin de Provence, Charles Ier, en 1252. Sur les 17 localités connues au
début du siècle, seules 8 sont encore habitées. Les autres sont citées
comme abandonnées. Il n’y a plus, après ce terrible épisode, qu’un seul
château reconnu « comtal » dans la Vésubie, à Belvédère même.
La toponymie « féodale »,
la terminologie locale, nous restent comme des signaux indicatifs de ces
anciens lieux : une série de quartiers appelés villar et ses
dérivés, castel, condamine, des lieux aux saints oubliés
(comme Saint-Sauveur
ou San Esteve
…),
sont autant d’indicateurs. Mais ils ne suffisent pas à eux seuls, et
nécessitent de croiser une série de sources.
Pour Belvédère, le modèle
est le même.
Il faut consulter les
archives des Comtes de Provence pour pouvoir remonter au-delà du XIVème
siècle. La première mention d’un castrum apparaît vers 1232
(on parle alors de Belvezer, dont l’église est connu un siècle
auparavant
).
Cette présence nous est
confirmée en 1247, 1252 et 1263, dans les grandes enquêtes
que lancent les premiers souverains provençaux de la maison d’Anjou. On
parle alors de plusieurs membres d’une même famille du lieu.
Dans la grande enquête de
1252, le Comte de Provence possède à Belvédère l’albergue sur la
tour et dans le château du lieu (albergum sive turnum, et castrum est
suum). Il est intéressant de noter la présence de ces deux structures
identifiées. Nous proposons comme thèse d’étude, que l’une, la tour,
aurait pu être élevée après la victoire du Comte, pour imposer sa présence
au castrum, comme le laisse supposer le modèle similaire de
Gréolières.
Ce même Comte possède
alors les droits sur deux fours, deux moulins et un paratore. Il
tient encore des droits sur les prés et les champs. Mais aussi sur deux
jardins, dont un est dit « sous le rempart » (barrium), et un autre
au quartier de la source (ad fontem) de Belvezer, ce qui
paraît important, puisque les jardins se trouvent en règle générale à
proximité immédiate du village. Cette mention nous permet une première
tentative de localisation. Une terre lui appartient au fossé (in Goutro)
du castrum, sans que nous puissions mieux identifier le lieu. Ces
quelques indications nous proposent déjà une image du site.
Au XIVème siècle, nous
connaissons le nom du châtelain de Belvédère : un certain Matthieu. Et
lors de la dédition du Val de Lantosque à la Savoie, en 1388, ce sont des
seigneurs de la famille de Vintimille qui possèdent le castrum et
la villa de Belvédère. Il est alors possible que les deux lieux
soient désormais distincts. Le premier restant l’installation dont nous
venons de parler, le second pouvant être désormais le village que nous
connaissons aujourd’hui.
La population du lieu nous
est inconnue. L’enquête de 1252 ne laissait apparaître que 58 feux
(l’importance du feux est discutable, mais généralement reconnue entre 4
et 5 personnes, ce qui représente moins de 300 personnes). Il est vrai que
la population sortait d’une période militairement agitée, qui avait vu le
comte de Provence reprendre possession du Val de Lantosque par la force.
En 1271, par contre, la population atteignait désormais 89 feux. Au mieux,
450 personnes, même si il nous est impossible d’assurer que le
« recensement » (affouagement – le comptage des feux) ait pris en compte
l’ensemble de la population. Il est possible que seuls les feux imposables
aient été relevés par ces enquêtes. Les feux exhonérés (trop pauvres ou
privilégiés) n’ayant pas été comptabilisés. On admet généralement qu’ils
représentent, au plus, 1/6ème du total. Il n’en reste pas moins
que la différence des chiffres (+ 50 % entre les deux dates) semble un
progrès démographique considérable en une seule génération. Pour
Belvédère, rien n’empêche de penser que ce « rattrapage » puisse être la
conséquence d’une transformation radicale de l’habitat… Je propose d’y
voir le seul exemple d’un véritable déplacement du « premier » village,
par un réel déperchement du site, en contrebas de la butte originelle, me
plaçant ainsi en contradiction, infime bien sûr, de la thèse de Jean Paul
Boyer.
A la fin XIVème siècle
apparaît la famille des Grimaldi, seigneurs de Beuil, qui obtiennent les
châteaux de Roquebillière et de Belvédère en échange de ceux qu’ils
possédaient dans des régions plus éloignées de leurs nouveaux souverains,
les comtes de Savoie. Il faut voir dans ce transfert une double nécessité,
de la part des Grimaldi, de dominer directement un centre névralgique des
nouvelles terres savoisiennes (j’entend par ce terme l’appartenance à la
maison de Savoie), au lendemain de la Dédition du Val, orquestrée par
cette famille de grands seigneurs, alors au plus haut de leur ascension
sociale, dans la proximité immédiate du souverain. Mais aussi une volonté
de celui-ci d’installer au cœur de ce même réseau une présence forte,
capable d’assurer ses nouvelles positions dans ces terres nouvellement
acquises.
J’aimerai faire une petite
digression à ce moment de l’exposé :
L’enquête orale lancée par
les élèves du Club Patrimoine a rappelé, selon les dires d’un habitant
interrogé, que le château appartenait aux Grimaldi, identifiés selon notre
époque, à la famille régnante de Monaco. Ce qui n’est qu’en partie juste,
puisque les Beuil et les Monaco n’ont pas de liens directs à l’époque
féodale. Mais l’intérêt de cette enquête apparaît, je pense, à chacun de
nous.
Elle rappelle un fait
historique qui nous vient d’une époque éloignée, et qui est transmis, par
l’oralité. Il s’agit ici d’un élément essentiel dans la recherche. La
« Mémoire Orale », qui ouvre des voies de recherches, même si le fondement
historique n’est pas totalement avéré. Il en est de même des légendes, qui
forment un fond culturel important, et absolument nécessaire dans les
anciennes civilisations, où l’écrit reste marginal.
Plus encore quand elle
s’appuie sur un écrit. Rappelez-vous de la fameuse borne que nos élèves
ont rencontré en suivant M. Bois. Le fameux Napoléon, resté dans
l’imaginaire et transcrit par les élèves. Même si M. Bois n’a pas attribué
la paternité de cette pierre à l’Empereur, les élèves ont joué le rôle du
médium transmettant une légende, en la renforçant, en lui donnant une
réalité. Cela nous permet au moins de resituer un contexte. Même si il
paraît plus vraisemblable, selon les dires de M. Bois, que le « B » en
question s’apparente plus à Belvédère. Cela reste un élément de l’oralité,
et nous n’avons pas voulu y apporter de correctif, afin de créer de
nouvelles interrogations autour de sa création, se justifiant
pédagogiquement par l’analyse et le croisement des sources d’information.
Revenons aux Grimaldi.
Les archives d’Etat
conservées à Turin confirment leur emprise sur le château de notre village
au début du XIVème siècle, où il est dit « menaçant ruines », ce qui
permet à Jean François Grimaldi, nipote et héritier universel de
Cosme, d’être exonéré de 600 florins de dépenses par le Patrimoine Royal
(le Fisc), afin de pourvoir à ses réparations (vers 1429 ?). Rien ne dit
alors que le site « haut » ait été abandonné au profit de l’installation
actuelle, mais cela devient probable par la tardiveté de la restauration,
qui nous rapproche des époques constatées dans le village.
Quelques années plus tard,
Raymond Alegre, prieur de Valdeblore, est également vice-gouverneur de ce
même château.
Enfin, en 1495, ce sont
des Patentes Ducales qui installent Honoré Grimaldi, fils de Jacques,
seigneur de Beuil, dans la charge de châtelain du lieu de Belvédère. Ainsi
y a-t-il eu continuité, depuis l’époque des comtes de Provence, et
Belvédère possédait encore, à la veille de l’époque Moderne, le seul
château « régalien » du Val de Lantosque.
Mais posons nous la question de l’implantation de
ce château aujourd’hui disparu. Il paraît certain, après l’étude menée sur
le bâti du village actuel, qu’il ne se trouvait pas implanté sur ce site.
Les parties les plus anciennes du village ne semblent pas être antérieures
au XIVème siècle. Il faut donc le chercher ailleurs. Et pour cela,
quelques indices peuvent nous y aider.
Rappelons nous du jardin
cité précédemment pour le localiser dans le quartier qui porte encore
aujourd’hui le nom de Fuont. La toponymie peut également nous aider
dans ce repérage, en nous permettant de localiser des quartiers dont
l’origine peut nous ramener à l’époque médiévale. Si il n’y a pas, à
proximité du village, de lieu-dit « le château », nous retrouvons un
quartier dont le nom est évocateur de ce temps : la condamine, qui
rappelle le con-dominium, autrement dit la « double seigneurie ».
Le terme est généralement formé quand il y a partage entre le pouvoir
laïque et ecclésiastique d’un espace réputé pour être « les meilleures
terres ». Il peut, dans ce cas, résulter d’un partage entre le seigneur du
lieu, de la famille des Vintimille, obligée de céder son « bien » au comte
de Provence, qui lui en aurait alors rétrocédé une part en fief (simple
hypothèse s’appuyant sur d’autres exemples connus dans notre vallée).
Bien orienté, fortement
ensoleillé, l’endroit paraît propice à une occupation médiévale. De plus,
il surplombe l’actuel village. Ce quartier représente encore un espace «
symboliquement approprié ».
Nous y retrouvons, au
nord, une butte dont le caractère symétrique et la situation entre les
deux vallées (de la Vésubie et de la Gordolasque) est indicative d’un
choix réfléchit. A son sommet, les ruines que la carte topographique nomme
« Saint-Jean », faisant penser à l’implantation d’une chapelle.
Et c’est bien ce que l’on
trouve en s’y rendant. Une carcasse s’ouvrant par une voûte massive, au
parement très irrégulier. Les murs sont essentiellement constitués de
pierres roulées (de galets), de dimensions relativement importantes
(jusqu’à 60 cm de long). Il y est difficile de découvrir des pierres
taillées, qui se nichent capricieusement sur un pan du mur nord. Les
parements sont assemblées sans assise apparente. Nous pouvons également
imaginer le départ d’une voûte intérieure, qu’il faut découvrir dans les
angles les mieux conservés de la bâtisse. Mais rien n’indique qu’elle fut
en pierres, et moins encore l’épaisseurs des murs, qui semble trop faible
pour soutenir une telle construction à pareille élévation. Le couvrement
de l’édifice que nous voyons aujourd’hui devait être une simple charpente.
Deux ouvertures, des
fenêtres, semblaient être présentes sur le mur sud, lui permettant un
éclairement. La chapelle n’est pas orientée, et ne paraît pas médiévale.
Elle aura pu être réédifiées à une époque tardive, et peut être s’appuyer
en partie sur un bâtiment antérieur. On décèle une porte, à partir d’un
chaînage grossier, à l’ouest du mur sud, ouvrant vraisemblablement sur la
partie postérieure du bâtiment, du temps de son élévation. On y accédait
par des marches.
Le liant employé est un
mortier de chaux, grossier, en joint larges, du fait de l’irrégularité des
pierres. La bibliothèque de Cessole nous a permis de retrouver une
photographie que le Chevalier avait prise à la fin du siècle dernier, nous
montrant encore l’édifice, sans couverture, mais dans son élévation
principale. Elle est présentée dans l’exposition. On découvre au-dessus de
la voûte d’entrée, la présence d’une fenêtre de façade, en deux ouvertures
(il ne s’agit visiblement pas de fenêtres jèmelées). Ce modèle se retrouve
sur la façade de l’église paroissiale actuelle. L’intérêt de ce document
est essentiel, car il nous montre la chapelle une trentaine d’années avant
les travaux qui y ont installé un fort « Maginot ».
Un autre document retrouvé
par notre Centre d’Etudes revêt une importance certaine. La paternité en
revient à M. Cyril Isnart, Chargé de la Conservation au M.T.V. Une note
manuscrite de Paul Canestrier, l’ancien folkloriste du Comté de Nice,
retrouvée également à la bibliothèque de Cessole, nous apprend que, je
cite : « les gens de Belvédère s’y rendaient en procession toutes les
années, et voulaient alors qu’elle soit mieux entretenue que l’église
paroissiale ». Sans doute rappelle-t-il une tradition remontant à une
époque antérieur à la Révolution, car il semble certain que les combats et
l’occupation française de la fin du XVIIIème siècle ont été la cause de la
ruine de l’édifice.
Cette indication de Paul
Canestrier confirme, par l’intermédiaire de la Tradition, l’importance
symbolique que revêtait l’édifice. Elle est corroborée par un témoignage
oral (encore une fois M. Bois) nous présentant quelque personne
sacrifiant, il y a encore quelques années, à ce rituel dont la
signification avait totalement disparue pour beaucoup de ses
contemporains. La procession est un phénomène social important, qui
perdure souvent quand bien même son origine et sa signification se sont
perdues dans un temps disparut, où l’objet de ce déplacement conservait un
rôle fondamental dans l’organisation politique et symbolique du site.
Il rappelle la présence
d’un lieu de culte qui fut essentiel pour la communauté des habitants. Je
propose d’y voir un « premier » site d’implantation de l’habitat, et
pourquoi pas le château que nous recherchons, sinon la tour, à proximité
de cette éminence.
La géologie, même si elle
ne représente pas un élément essentiel dans cette démonstration, nous
précise que le site de Saint-Jean se situe sur la roche (schiste), alors
que la Condamine et tout le versant de Belvédère est installé sur de la
sédimentation et du conglomérat glaciaire. Et l’on se rappelle que
l’implantation d’un édifice de défense reposait sur un choix réfléchi du
site, puisqu’il était fait, par nature, pour durer, voir résister.
Il nous paraît
vraisemblable qu’un premier habitat ait été installé à proximité de cette
bute, à une époque indéterminée, mais de toute façon antérieure au XIVème
siècle. Sa physionomie peut permettre l’implantation d’un château entre la
fin du XIIème et le début du XIIIème siècle, selon les informations
offertes par Jean Claude Poteur.
Le village aurait pu s’y
agglutiner à l’époque de l’incastellamento (vers le XIIème siècle)
pour ensuite quitter ce site et s’installer, vers la fin du Moyen Age (XIVème-XVème
siècles), sur son emplacement actuel. Ce qui permettrait de comprendre
l’absence relevée de toute trace antérieure à la cette époque dans le
village de Belvédère.
En 1932, l’armée française acquérait le site pour
y installer un fort, en continuité de la fameuse ligne « Maginot », afin
de surveiller le débouché de la vallée de la Gordolasque, dont la partie
amont restait italienne depuis le traité de Paris de 1860. Poste avancé,
merveilleusement camouflé (M. Bois racontait à nos élèves que l’écurie des
mulets était construite à l’intérieur des ruines de la chapelle, ce qui la
rendait invisible), fort souterrain, il n’eut qu’une utilité réduite, et
fut abandonné rapidement dès les premiers efforts italiens, pour permettre
de tenir la ligne des ouvrages plus important… Il représentait un choix
similaire à celui qui avait été réalisé au lendemain de l’An Mil.
Lexique
Albergue
– droit d’hébergement du Comte de passage
dans l’un de ses château.
Castrum
– habitat fortifié autour d’un château.
Incastellamento
– phénomène d’ « enchâtellement », ou de
constitution des villages, commun à l’ensemble des pays de Langue d’Oc et
du Nord de l’Italie, entre le XIIème et le XIIIème siècle.
Paratore –
paroir, ou moulin à foulon, servait à
nettoyer le drap de laine de son graissant. Ses marteaux, en bois,
frappaient dans des cuves, souvent en pierre, dans lesquelles trempaient
les draps soupoudrés de terre de sommières ou équivalent, qui absorbaient
la graisse du linge.
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- Je tiens à remercier tout particulièrement M. Jean Claude POTEUR qui
nous a fourni de très nombreuses informations pour composer cet
article
- BUEIL L. "Les seigneurs du Val de Blore", in Nice Historique,
1953, pp. 6-15.
- BOYER J.-P. & VENTURINI A. "Les consulats ruraux dans le ressort de
l'évêché de Nice (circa 1150-1326)", in Actes des Journées
d'Histoire régionale de Mouans-Sartoux, 1984, Le Cannet, 1985, pp.
17-46.
- E. BARATIER Enquêtes sur les droits et revenus de Charles Ier
d’Anjou en Provence (1252 et 1278), Paris, 1969
- Taxe du XIIème siècle (cartulaire de l’ancienne cathédrale de Nice)