pendant la Révolution
REZIO Lionel
Le thème
de recherche proposé, « Belvédère pendant la Révolution », n’a rien
d’exhaustif, et n’atteint, par les réalités de la recherche historique,
menée essentiellement dans les archives municipales de la commune, qu’une
profondeur relative d’analyse, un degré de vérité qu’il faut savoir
apprécier. Il reste donc surtout une incitation à approfondir le relevé
documentaire et élargir les ressources qu’il peut offrir. C’est à ce prix
seulement que se dévoilera peut être un jour la vraie nature de cette
Communauté si particulière de Belvédère.
Une
structure économique et sociale de la fin du XVIIIème siècle.
La vie
communautaire, c’est d’abord l’organisation communale. En ce sens,
Belvédère est une communauté exemplaire.
A Belvédère, il est plus
difficile de reconstituer une chronologie des seigneurs. Quelques coups de
sondes, effectués dans des documents partiels permettent cependant de
faire quelques affirmations : au XVIème siècle, le village fut un temps
inféodé à la famille Del Pozzo. En 1590, c’est Andrea Del Pozzo Brucheta,
puis, en 1598, est investi Antonio Del Pozzo di feudi di luoghi di
Bayone e Belvedere
.
Le 20 juin 1615, profitant sans doute d’une erreur commise par Del Pozzo,
la communauté obtient l’affranchissement de son patrimoine, confirmé le 9
septembre 1700, contre 50 £ versés chaque saint Michel
.
Mais, selon P.R. Garino
,
les Boschetti di Chieri, habitant Modène, conservent leurs titres de
châtelains perpétuellement. Le village donne aussi le titre comtal à la
famille Raynardi. Jean François Raynardi est ainsi investi le 15 octobre
1785 ; tandis que l’on connaît le destin militaire glorieux de Joseph
François Félix Raynardi, son petit-fils, qui fut un des premiers officiers
à recevoir la croix de la Légion d’Honneur.
Tandis qu’à Belvédère, on
peut reconstituer la liste de ceux qui possèdent de tels biens, témoignage
d’un passé judiciaire tumultueux. Ainsi, en 1771, outre ceux de la
Parrochia et de la Capelle, apparaîssent aussi des biens du
Baron Grimaldi, d’un certain feu Sig. Giacobi, du Comte Emeric, et enfin
d’un certain Gio Franco Giacobi (peu de choses). La cavalcate est
aussi plus importante, soit 89 £
. Plus important que ces preuves matérielles, le Comte à Belvédère semble
jouir d’un certain prestige. Le mouvement de désacralisation des pouvoirs
traditionnels ne semble que très peu avoir joué ici. D’ailleurs, bien plus
que le niçois Ribotti, le Comte et sa famille montent, chaque année,
passer l’été à la fraîcheur de la montagne. Il n’empêche que l’essentiel
du pouvoir communautaire, dans ces trois villages, est détenu par les
clans oligarchiques des officiers municipaux.
On compte jusqu’en 1771 :
deux syndics, un baile, et plus de neuf conseillers. Ce chiffre redescend
à six en 1775. En 1750, les officiers sont le Secrétaire archiviste, le
Père Prédicateur, Senatori delle campagne in occazioni di cativi tempi,
l’Auditeur des comptes, des avocats, un Procurateur, un Servant Juré, un
Maître d’école et un Prieur per le messe campestri e altre, soit
dix officiers jusqu’en 1771.
Ainsi, à Belvédère, à la
fin du XVIIIème siècle, le Comte de Savoie n’a plus qu’un pouvoir
économique : lui appartiennent des fours, des moulins, des droits de
chasse et de pêche, et des terres qu’il met en location. Le pouvoir
quotidien appartient donc à un clan de notables, et se transmet par
cooptation, c’est-à-dire par connivences et connaissances de père en fils
ou en petit-fils en neveu, ou même en beau-fils.
Entre 1765 et 1788, le
clan oligarchique se compose de 51 personnes (avec la lacune de 1777).
Cela peut paraître beaucoup, mais il ne faut pas oublier qu’il y a là neuf
conseillers en plus des deux syndics, au total, près d’une trentaine
d’officiers. Durant ces 23 ans, on perçoit un faible renouvellement de
générations, par exemple, avec l’apparition dans le conseil de Ludovic
Rainardi, qui n’était pas visible entre 1765 et 1773. La particularité
entre ces deux dates est que les deux syndics d’une année sont directement
conseillers l’année suivante. Ce système assure une continuité politique
en même temps qu’il permet aux syndics de ne pas échapper à leurs
responsabilités.
Un regard un peu plus
attentif encore nous permet de constater, ce qui n’est que peu visible
dans les autres villages, la fréquence de certains noms aux postes de
syndics ; comme ceux de Francesco GIACOBI (1768 et 1771), Pietro Francesco
MILLO (1765 et 1769), Giacomo GIAUTARDO (1766 et 1773) ou Bartolomeo
CASTELLI (1773 et 1775). La persistance de certains noms est assez
surprenante. Suivons la carrière de Dioniggio GIACOMO (son nom
caractéristique est pour nous une aubaine) pour nous en convaincre. Comme
la plupart des noms, Dioniggio semble prendre le relais de Gio Batta,
certainement un proche parent. Dioniggio est conseiller en 1765, syndic en
1766, conseiller de nouveau en 1767, 1768, 1771, 1775, 1787 et 1788, et
syndic de nouveau en 1771. On pourrait multiplier ainsi les exemples.
GIACOBI, GIORDANO, EUSEBI, GAUDINO, MILLO, ROBINI, DRAGO, CASTELLI,
CARLONE, RAINARD sont les principaux noms identifiables du clan
oligarchique, avec un canard noir en 1770, un certain Giuseppe HANTIER.
Cette cooptation entraîne
parfois des déconvenues. Le 20 janvier 1769, Antonio DRAGO est nommé
Conseiller, mais on s’aperçoit bien vite qu’il est au second degré de
consanguinité (cousin germain) avec le syndic de 1768, Gio Francesco
GIACOBI. On nomme donc Gio Batta GUIGO. Même type de problème, le 25
novembre 1774, où les conseillers veulent obtenir de l’Intendance l’irrenouvelabilité
du mandat du Percepteur, pour empêcher les abus dus à la rétention du
reliquat.
Globalement, un savoir
minime est requis, quoi qu’on en dise. Lire et écrire sont utiles, presque
indispensables, mais pas éliminatoires. Très peu nombreux sont les
conseillers et encore moins les syndics qui ne savent pas lire et écrire.
Nous en avons pourtant identifié un à Belvédère. Il s’agit de Ludovico
GIACOBI, meunier de son état, en 1774. D’ailleurs, comme le montrent nos
documents, l’Intendant y veille. Ainsi, en 1764, il écrit à Belvédère que
li soggetti a quale puonno conferische li publici uffici di cadesta
Comta devono tanto che sia possibile essere letterati, capaci e di
migliori registranti
.
De toute façon, il est clair que ce critère n’est pas essentiel pour
obtenir l’influence dans nos villages. Le bel exemple est celui des veuves
borghese, souvent illettrées, qui n’en restent pas moins très
considérées au sein du village, par leur argent, leurs crédits, leur
charisme hérité de leur mari ou de leurs ancêtres. Toujours à Belvédère,
nous possédons un témoignage extraordinaire, dans le budget de 1764,
concernant le pouvoir : « In conformità del disposto delli annuali
manifesti dell’Uffizio, prohibiano apressamente alla Comta di più deputare
in avvenir per la presentazione del causato e conti al detto Uffizio altra
personna che il di lui segretario qual sia il più informati del publico
mesaggio, e degli altri affari di conti quande che le altre pesonne idioti
e rurali non hanno capacità sufficienti per eseguire a dovere una tal
incombenza ... in caso d’inosservanza a quanto soura si rispediranno li
deputati »
Ces hommes usent plus ou
moins consciemment de la notion de népotisme éclairé pour justifier leur
omnipotence. Et cela, il faut le dire, bien souvent de manière justifiée,
car ce sont eux qui organisent la vie villageoise autour du système des
adjudications, c’est-à-dire un système de mise aux enchères des biens
communaux, d’autant plus important que l’on est dans une économie
sylvo-pastorale. Ce sont, par exemple les bandites de Ferrisson (pâturages
d’été), d’Autès (d’hiver) ou les pâturages du « Cluo di l’Eva » et
Vignuols (l’hiver), ou encore ceux d’été à proximité du village :
Graviérés, Lagautier, Verain, Véséou, Adret, Saranova, Tuor, Traverse,
Maïris, La Foux
Mais ce sont surtout les
provisions, car la Communauté n’est alors pas auto-suffisante. Il fut
aller chercher le sel, le vin, l’huile et la viande jusqu’au Port Lympia,
à Nice, à Aspremont, Massoins, Villars, Malaussène, Tournefort, La
Rochette (près de Levens)
Les manœuvres sont bien
huilées. On les a étudiés pour notre village. La commune se charge en
effet annuellement des provisions de vin (piccolo et grosso),
de l’huile, du sel, du pain et de la viande, qu’elle met en adjudication.
D’abord, il y a l’incanti deux ou trois jours avant la mise en
adjudication ; ensuite, au son du tambour ou de la cloche, les principales
personnes intéressées se rassemblent au Porche du Tribunal, où le baile,
le secrétaire et éventuellement les syndics ou les conseillers mènent les
enchères. Ils allument trois bougies, l’une après l’autre, tentant ainsi
d’obtenir le meilleur prix possible. Il n’est pas nécessaire d’une longue
analyse, pour voir que ces adjudications tombent pour les plus
importantes, c’est à dire celles des provisions, des pâturages et de la
Taille, dans les mains des notables
.
Les batailles sont parfois rudes, comme en témoigne cet exemple, de
l’adjudication de la Taille en l’an VII. Le 7 pluviose, en effet, Giuseppe
EUSEBI, ennemi juré de Paul François LAURENTI, engage une lutte d’honneur
pour obtenir le poste de Percepteur, pourtant si peu apprécié en ces temps
difficiles. Voici les différentes propositions. Il s’agit du pourcentage
perçu sur les 100 £ d’imposition :
Giuseppe
EUSEBI - 4 £ 15 s, 3 £ 19 s, 3 £ 17 s, 2 £ 19 s, 2 £ 9 s, 2 £ 7 s, 2 £ 5 s
;
Paul
François LAURENTI - 4 £ 18 s, 4 £ 14 s, 3 £ 18 s, 3 £, 2 £ 10 s, 2 £ 8 s,
2 £ 6 s.
A 2 £ 5 sous s’éteint la
troisième chandelle. On voit le bénéfice dont peut tirer la communauté de
tout cela
.
Ainsi le pouvoir, la
gestion du patrimoine communautaire, le marché de l’argent, du crédit, du
travail même, par le biais des adjudications et plus largement de la
gestion du patrimoine communautaire ; tout demeure entre les mains d’un
groupe plus ou moins éclairé, plus ou moins jaloux de ses prérogatives,
plus ou moins nombreux »
Le pouvoir ne se conçoit
donc pas hors de la notion de territoire.
Sorti de la maison,
l’espace le plus proche, auquel étaient confrontés ces hommes était
l’espace rassurant du village emmantelé. La place, la maison commune, le
cimetière, l’église, les murailles et les portes, les chapelles et autres
édifices religieux, à la périphérie du village sont les repères rassurants
ou sacrés d’un espace codifié par des coutumes ab memorabili comme
se plaisent souvent à le répéter les Administrateurs, en guise de
justification. On pourrait ainsi ajouter toutes les boulangeries,
boucheries, fours et moulins communaux qui sont autant de centres nerveux
du village et lieux de rassemblement et de subsistance. Notre village
possède un certain nombre de ces espaces publiques codifiés, dont la
mémoire persiste jusqu’à nos jours, et qui sont bien identifiables : la
place de la Frairie (où se situe la maison commune), le porche du Tribunal
où se déroulaient les actes de la vie communautaire, le cimetière, sont
les plus évidents. Ces lieux symboliques sont très ancrés dans les
mentalités. On sait que la Révolution voulut surtout au moment où l’on
planta les fameux Arbres de la Liberté (1792-1793) rompre ces liens. Elle
y réussit parfois, comme pour le porche traditionnel de Belvédère. Ce
dernier événement est bien daté : le 29 fructidor an XIII, les
adjudications se font à l’abri du bureau du Maire. La plupart du temps, la
Révolution n’a fait qu’accélérer des mouvements bien avancés. C’est le cas
pour la translation des cimetières, qui passent au cours du XVIIIème
siècle, du lieu traditionnel, dans ou à côté de l’église, à la périphéries
des villages. A Belvédère, les destructions ont, par la force des choses,
obligé cette translation. Le cimetière passe au quartier Saint-Roch, en
son emplacement actuel.
La Population à
l’intérieur de nos villages est peu nombreuse, bien qu’en croissance de
1750 à 1793. En 1754, nous comptons 200 feu à Belvédère, soit environ 850
âmes, 830 en 1800, 841 en 1804, et 961 en 1820. Cette population n’est pas
répartie uniformément dans le village, d’un point de vue social. Nous
possédons un document intéressant pour le démontrer
:
une consigne des bêtes effectuée par quartier. Certes, le nombre et la
qualité des bêtes par personne ne sont certainement pas strictement
proportionnels aux richesses de chacun ; un médecin, dont la notabilité
est évidente, la bourse conséquente et les propriétés bien grandes, peut
vivre en rentier et ne posséder qu’une chèvre ou une brebis. Globalement,
cependant, en grossissant les traits, les deux indicateurs se superposent.
Sept quartiers ou rues sont représentés : contrada del Tuort
(ancienne forme du Fort ?), alla plazetta, contrada Dritta, contrada
della Bancheta, contrada delle Erbe, contrada Colet, contrada Gorga.
Au total, 206 familles sont représentées. Le plus populeux est
incontestablement le quartier du Tuort, tandis que la Plazetta
ne regroupe que 9 familles. La richesse des bêtes, exprimée en lires,
rapportée au nombre d’habitants, donne le résultat suivant :
Bancheta
2,41 Colet 4,5 Dritta
3,41
Plazetta
4,77 Tuort 3,65 Erbe
5,5
Gorga
4,1
Si l’on surimpose sur ces
indices les personnes bénéficiant d’un dégrèvement du cappage de 1800, il
s’avère que la majorité d’entre eux a pu être identifiée au Tuort.
Dans l’espace, cette étude mène à une conclusion à peu près certaine : la
partie supérieure droite du village, Erbe et Collet semble
la partie la plus opulente, elle s’organise autour de la place de la
Frairie; tandis que le quartier du Tuort et globalement la
partie inférieur du village, est plus populeuse et moins riche. Trop peu
d’indices ont été pris en compte pour être plus précis. Que dire, par
exemple, de la Banchetta, incontestablement partie la plus
misérable du village, au cœur du quartier des Erbe ? Le plus
important est de sentir au sein même du village un semblant de répartition
sociale.
Après le terroir immédiat
et les marges, on l’a vu, plus ou moins bien définis, vient le « grand
extérieur » et d’abord le premier cercle de villages : c’est encore un
espace de vie quotidienne, où tout le monde y a un accès fréquent dans les
limites des conditions topographiques. Pour Belvédère, il s’agit de La
Bollène, Roquebillière, Saint-Martin et peut être Lantosque et Utelle. La
circulation intra-villageoise s’effectue aussi par les cols. Ce sont de
véritables voies de communication très fréquentées. Ainsi, le 24 juin
1744, le bail, le syndic et le chirurgien du village se transportent au
col de Fenestres pour la reconnaissance d’un uomo di Ribion ritrovato
morto ; le malheureux avait tenté de passer le col, malgré le mauvais
temps
.
Comme pour toute la communauté, les cols sont pour les notables des portes
ouvertes vers des communications extérieures qu’ils conditionnent. Ainsi,
les conditions topographiques entraînent des contraintes fortes dans cet
espace, dont la toute première conséquence est l’isolation relative des
villages par rapport à l’extérieur. Un témoin contemporain, Louis RAVET,
nous en donne une image précise. Le 6 Brumaire an XIII, il met, de
Belvédère à Nice, quatorze heures, par la route de l’Escarène dont jusqu’à
cette dernière localité neuf heures trente, à Levens sept heures trente, à
Lantosque deux heures, et même à Roquebillière trois quart d’heure
.
Ces chiffres, incompréhensibles de nos jours, ne sont évidemment pas un
facteur de retrait complet de la civilisation. Depuis longtemps, on y est
habitué. D’ailleurs, le Haut Pays Niçois tout entier est légendaire pour
ses mauvaises routes dont se plaignent tous les voyageurs, dans leurs
récits, même jusqu’au début du XXème siècle. L’espace est long, dur, mais
en même temps source de richesse, et réservé dans sa gestion quotidienne
et sa maîtrise, à un petit nombre d’individus pour les distances, au-delà
du premier cercle du village. L’espace est un privilège, que les plus
pauvres et les « classes moyennes » ont depuis longtemps tenté de
s’approprier, par exemple par la contrebande traditionnelle.
La
Révolution à Belvédère
La
Révolution est à Belvédère un anachronisme monstrueux, qui débouche sur le
mécontentement. On peut ici comme partout ailleurs en France où se
manifeste la contre-révolution, faire intervenir les notions suivantes :
- l’attachement des
Belvédérois à l’Economie morale (ce sont les adjudications, les
monopoles communaux, et tout ce qui tend à rendre la vie communale
agréable du fait de l’assistanat communautaire, en quelque sorte un Etat
Providence, ou plutôt une Communauté-Providnece, qui assure une sécurité
sociale).
- Il y aurait donc bien
une Conscience politique des Vésubiens, réactivée par la
conflagration révolutionnaire et débouchant sur une Résistance
culturelle : le Barbétisme.
J’insisterais ici sur deux
points : les faits, les conséquences de la Révolution sur le pouvoir au
sein du village de Belvédère
En septembre 1792, après
le retrait de Monsieur de Courten, Commandant en Chef des troupes Sardes,
le Lieutenant Général d’Anselme se dirige sur Nice à la tête des troupes
françaises d’invasion. L’Escarène tombe le 1er octobre, Sospel le 12.
Cette même année, la vallée de la Vésubie ne subit que des coups de mains
: confusions des ordres, indiscipline des hommes, résistance de certains
villageois alliés aux Milices, et l’escarpement des lieux sont surtout en
cause :
« Ils firent halte à 10
heures au Figaret, où ils vidèrent, partie en le buvant, partie en le
versant, le vin de pas mal de tonneaux ; ils arrivèrent à Lantosque, sans
prendre aucunes précautions, comme par exemple, occuper le Gaudissart,
La Cerisière et d’autres postes ; ils ne pensèrent qu’à exproprier ce
lieu à d’autres, qui sont au long de la Vésubie, et leurs bestiaux, blé et
effets de quelques importances, en les faisant diriger à Nice (...)
Pendant que les Français accumulaient leurs butins, quelques hommes armés,
qui à l’approche avaient abandonné leurs maisons, se montrèrent sur les
hauteurs de Lantosque, Bollène, Belvédère, et pour faire croire qu’ils
étaient nombreux, ils battaient jour et nuit du tambour. Les Français,
soit par crainte, soit parce qu’ils ne se fussent rendus dans cette vallée
que dans le but de tout dépouiller les habitants, l’abandonnaient, après 4
jours en se repliant sur Utelle . (...) Ils expédiant pourtant une
avant-garde commandée par un certain Masséna de Levens, qui était pour
ainsi dire l’Aide de Camp susdit Général Barral. Il n’avait pourtant, à
toutes qualités, que celles d’homme habitué à toutes exposés de délits, et
terriblement contre le gouvernement du Roi de Sardaigne, espion qu’il
avait été »
.
Le 28 avril 1794, eu lieu
l’offensive décisive du Général Garnier dans la Vésubie, depuis Calmette.
La Bollène, Lantosque, la redoute de la Cerisière, celle de la Tête des
Pins, et celle de Villars tombèrent. Le lendemain, toute la vallée est de
nouveau entre les mains des Républicains, qui poussent, même dans la nuit
du 30 au 1er mai, jusqu’au Col de Fenestres, dont le Général Garnier
s’empare durant la fameuse bataille du 8 mai ; les Républicains étaient
désormais maîtres de tous les passages conduisant en Piémont par les Alpes
Occidentales. Le fait important pour la vallée est d’ors et déjà, on peut
le constater, le flux et le reflux de 1793, avec 7 mois d’occupations
Républicaines intégristes, et 7 mois de réoccupations Sardes, avant la
prise de possession définitive d’avril 1793.
Des résistances se
développèrent tout naturellement. Ce fut le cas de Belvédère. Le 2 mars
1793, le Général Brunet basait ses troupes à Saint-Julien, les rangeait en
bataille, et leur faisait donner l’assaut au village : « les soldats
escaladèrent rapidement les terrasses, complantées d’oliviers qui les
mettent à l’abri du feu d’artillerie et de mousquèterie »
.Ainsi
Belvédère ne fut pas seulement victime de simples camisardes, mais d’une
véritable prise d’assaut. Dagobert, qui a délogé les troupes de Flaut,
menace aussi le village, et les troupes Sardes sont obligées de se replier
précipitamment sur Saint-Blaise, Saint-Martin, le Col de Fenestres et même
Entracque. Avec Belvédère, c’est toute la vallée de la Vésubie qui tombe
entre les mains des Républicains. Le succès ne dure que 6 mois. En
septembre 1793, le village subit de violentes attaques à partir du Col de
Raus ; les redoutes de Saint-Julien, Del Vesca et du Caïre de
Saint-Sauveur sont le théâtre de luttes acharnées. Le 8 septembre,
Belvédère tombe à nouveau, et ce n’est qu’en avril 1794, qu’avec toute la
Vésubie, le village est repris.
Le flux et le reflux du
front a laissé à Belvédère, cas exceptionnel, une documentation originale
: quelques actes de la première période française et les actes du conseil,
entre le 31 octobre 1793 et le 25 mai 1794, c’est à dire pendant la
période de réoccupation Sarde.
La première sorte de
documentation est teintée avant tout des préoccupations intégristes, sur
le plan religieux, essentiellement par le serment des Prêtres, mais
surtout, sur le problème des Biens Nationaux. Voici comment un des
administrateurs du district de Nice, qui affirme que cette dernière mesure
est la plus importante della nostra rivoluzione face aux
Belvédérois sceptiques sur la manœuvre : « perché e assai nota che
possono ripatriarsi senza ostacolo atesa la facilità ch’hanno mentre fanno
le patroglier, o che sono di guardi avansati, in questi tali invece di
profitare dell’occasion che hanno di abbandonnare le bandiere del disposto,
e venir rendersi utili alla Patria, all’mentro arrestano quivi nusiabili
disertori che stanche di servire un tirano voglia venir sopra la terra
della libertà per godere dei benefici ch’accordo la nazione francie a
quelli che vogliano diffendere la causa dell’uquaglianza »
Mais d’un autre côté, on
se veut rassurant en promettant que tous les dommages subis seront payés.
Le Commissaire du Directoire J. LOMBARD, le 27 mai 1793, le Commandant
LASSAL le 1er juillet 1793, le Général SERRURIER le 10 vendémaire, tous
proposent de faire à Belvédère l’estimation des dégâts, toutes ces
intentions sont suivies effectivement d’estimations, mais aucunes
d’entres-elles ne sont réellement suivies d’un remboursement
.
Les dégâts semblent
pourtant conséquents, comme ils se retrouvent dans les autres villages de
la vallée. Il est difficile de faire la même analyse pour Belvédère où
notre information est plus parcellaire. Sans doute, le village souffrit
encore davantage des réquisitions, autant que du piétinement de sa glèbe.
Le va-et-vient des troupes, tirant de lourds canons dans les champs semés
et cultivé, principali susistanza dell’uomo, dévastant, abattant un
grand nombre d’arbres fruitiers, mangiati i fieni di prati ad
arbitrario di mulatieri, détruisant et incendiant les bastides de
campagne (au nombre de 140) et ruinant les maisons d’habitation du village
e anche per i danni subiti nella campagna a causa dei camini formati
per le transporte dell’artiglieria alla ridotta di Flaut. A tout cela,
on pourrait encore rajouter l’enlèvement de nombreuses caisses d’abeilles
(180 au total, dont 108 à Jean BOIN, cultivateur). La perte de nombreux
bestiaux entraîne là aussi des conséquences irrémédiables : i vasti
campi arativi sitti in queste montagne saranno senza dubio per rendersi
infruttisersi, salvo di pochi per non potersi lettamare secondo la
consuetudine dagli truppatti avveraggio, tanto locali che da quelli soliti
veni dalla volta della marina ad estivare per esser questi nella massima
parte stati volti dai francesi e parti dai proprietari venduti poi terra
di simil asportazione, onde verebbe questa publica a rissentersi pendanti
4 a 5 anni gravissimi prejudici per tal mancanza di granaglie
.
Le bilan chiffré, pas plus qu’à Saint-Martin ou Valdeblore, n’est
possible.
Les actes de la période
suivante sont assez semblables à ceux énoncés précédemment : demande de
remboursement, descriptions et comptabilisations des saccages .... On
continue aussi comme si de rien n’était à nommer les conseillers, adjuger
les Bandites ...
.
Eut égard à la période
précédente, l’on a des mots violents et l’on traite les Français en
ennemis universels. On se rappelle aussi que l’on a un Roi. Même si l’on
ne peut parler du réveil d’une conscience nationale, qui n’existe pas, les
notables savent où sont leurs intérêts, du moins ils croient le savoir,
puisqu’on l’a vu, depuis cent ans au moins, ils se battent pour la
conservation des statuts et le respects des règles communautaires qui les
favorisent. On parle donc de pernici Francesi, du joug (saggionggato)
de la Truppa Nazionale, des nemici nazionali, et au
contraire on se complaît d’essere ritornato sotto il dominio di S.M.
nostro legitimo e Buon Padrone, affirmant fièrement que le peuple a
tout tenté pour retourner sotto il felicissimo dominio di S.M. nostro
Benignissimo Padrone
.
On oublie que, comme ils le diront six ans plus tard, voyant charger
« 3.000 hommes »
rangés en bataille : i locali preferano la fuga per timore della vita
nelle campagne e foresti montagne, onde veruna sostenza di viveri, mobili,
robbe effetti e bestiami d’ogni generi furono inlevati ed importati dalla
truppa che mese un tal spettacolo non mai udita questi abitanti a piangere
e la grimore
.
C’est un fait, que, seule
une minorité semble avoir combattu les Français au côté de la Milice. Lors
de l’assaut que subit Belvédère en tout cas, tous se réfugièrent au sein
de la forêt, décidément grande protectrice.
Que dire des
administrateurs ? Il est difficile parfois de pouvoir dresser les mêmes
listes que pour les période antérieures, souvent par manque de
documentation. On s’y ait quand même essayé. Les années 1792-1793 ne sont
évidemment pas les meilleures pour être Conseillers ou Syndics. Dès le 22
octobre 1792, à Belvédère, ils subissent humiliations et violences :
... in un angolo di
questa piazza publicca arestare tutti gli amministratori, baile,
secretarie, con fali custanine da suoi soldati tenando il sciabba nuda in
mana, indi per arrepire dinari andavano essator con un esatore di questa
com.ta in casa, e da ici lo condussero con un soldatto strittamenti legati
al colla informo di lascia nella sudetta piazza
.
On les menaça de les
lanternare in sudetta piazza... Le syndic lui-même fut arrêté et
incarcéré à Lantosque où, « à défaut de lanterne », il dut assure les
réquisitions suivantes : 300 Francs pour la subsistance des troupes, 100
septiers de grain, 400 quintaux de foin, 100 vaches et bœufs et 1.000
moutons ; tout cela à conduire à Lantosque. La communauté donne alors 15 £
et le négociant Onorato CASTELLANO 3 £ 1.000 deniers (!). En décembre
1804, le maire en est encore à implorer un remboursement « qui li S.M.
l’Empereur par effet de clémence et bénignité nous faira sentir part de la
bienfaisance à tel égard leur en faire alors la répartition à mesure des
articles fournis
».
Pourtant, le phénomène de
continuité est tout aussi frappant. Malgré le va-et-vient du front, entre
le 2 mai 1793 et avril 1794, il n’existe aucune forme d’épuration massive
des anciens notables (mais l’on n’a pas les listes des Administrateurs de
1792). D’abord ce ne sont pas des nobles ; ensuite, parce que l’Armée
Républicaine a durant cette période bien d’autres choses à faire que de
pratiquer de semblables épurations.
Ainsi, la valse du front
accentue même la persistance des notables dans leurs fonctions. Contre
l’adversité et l’incertitude, on resserre les rangs. De fait, ce fait, le
20 mars 1793, on retrouve Ludovico GUIGO, Antonio Francesco FRANCO,
conseillers en 1791, Carlo Batta LAURENTI syndic en 1779, conseiller en
1781 et 1785, Ludovico GIACOBI syndic en 1774, et enfin Ludovico RAVETTO
conseiller en 1783, 1786-1787. Ce même 20 mars, la séance est suffisamment
importante (il s’agit de faire le résumé des préjudices commis par l’Armée
Française durant les années 1792 et 1793 et de l’envoyer à Nice) pour que
l’on y rappelle à siéger Antonio Francesco GIACOBI (conseiller en 1781
entre autres), Antonio CERVELLO (conseiller en 1791), Pietro CASTELLI
(conseiller en 1786 et syndic en 1787), Giacomo CASTELLI (conseiller en
1775, 1784 et syndic en 1785) et Giovanni CERVELLO (conseiller en 1788) ;
bref, la vieille garde des notables.
Sous la période Sarde, à
partir du 5 septembre, les hommes au pouvoir restent les mêmes. Cependant,
Ludovico GUIGO prend la place de FRANCO au syndicat. Peut-être cette
élection a-t-elle été accélérée par le retour des Sardes. En tout cas,
l’équipe municipale ne varie pas d’un iota. FRANCO se retrouve simplement
conseiller. Le 12 décembre a lieu l’élection de trois nouveau conseillers
seulement. Parmi eux, seul Ludovico PROSA n’a pu être identifié. Giovanni
CERVELLO remplace GUIGO au syndicat. En avril 1794, au retour définitif
des Français, le même procédé qu’en septembre 1793 est utilisé : Ludovico
GIACOBI remplace Giovani CERVELLO qui n’est plus que conseiller. Nul ne
peut dire si ces changements sont plus ou moins forcés. De toute manière,
ce sont les notables au pouvoir qui y gagnent, puisque, par exemple,
Ludovico RAVETTO demeure sans cesse au pouvoir de 1793 jusqu’en août 1799.
On le retrouve même marie en l’an IV, en compagnie de tris conseillers au
moins, ce qui est d’ailleurs contre toute logique vis à vis de la
Constitution de l’An III, établie depuis un mois. Qu’importe ! le 29
fructidor an VII on retrouve RAVETTO comme Agent Municipal. Seul le
vocabulaire change. Un certain ROBINI, Adjoint de son état, n’a pu être
reconnu.
La liste du 20 vendémiaire
an IX nous donne les noms de huit conseillers. Il y a d’abord le Médecin
Gio Andrea EUSEBI fils de Giambattista. Son père fut peut-être syndic en
1758 et en 1767, sans qu’on puis l’affirmer avec certitude. Charles
GIACOBI est le beau-fils de Louis RAVETTO, déjà cité. Antoine RAINART,
conseiller en 1768, 1773, 11787 et syndic en 1788. André LAURENTI est le
fils de Bartolomeo LAURENTI trois fois baile de 1784 à 1786. Louis
CORNILLIONS, André GUIGONIS et Francesco ROBINI n’ont pu être identifiés.
Enfin, le 11 brumaire an
IX, a lieu le serment des conseillers nommés sous le régime de la
Constitution de l’An IX. On retrouve le notaire Antonio Francesco CASTELLI,
conseiller en 1775 et 1776 ; Francesco CARLON, cinq fois conseiller (1779,
1786, 1787, 1788) et syndic en 1788 ; enfin, Giambattista GIORDANE,
conseiller en 1766, 1767, 1769, 1772, 1773, 1775, 1784 et 1785, syndic en
1768 et 1786. Ce dernier, conseiller encore en l’An XIII, « démissionne, à
rapport de sa vieillesse et de son infirmité ». Tous les autres font
partie d’une nouvelle génération de notables (c’est ce que Jessene appelle
la « continuité élargie »), fils, petit-fils, neveux, beau-fils des
notables des années 1770-1780. C’est le cas d’Antoine RAINART, fils de
Ludovic RAINART, conseiller en 1768, 1773, 1787 et syndic en 1788. C’est
encore le cas de Jean André EUSEBI, Ludovico PROSA, déjà cité, Louis
MATTEUDI (maréchal ferrant) et Joseph FERRIER. Les nominations d’avril
1813 confirment cette tendance.
La tendance, jusqu’à la
Constitution de l’An VIII, et surtout sous le régime de celle de l’An XIII,
semble être à un relatif renouvellement. Cela tient aussi à l’application
stricte de l’article concernant les parentés des personnes au pouvoir. Des
personnes jusqu’alors cantonnées à des offices mineurs, se retrouvent
Agents ou Adjoints. Après la Constitution de l’An VIII, on voit le retour
de grands notables du clan oligarchique des années 1770-1780 ; ou de leurs
descendants. Pourtant, globalement, c’est la continuité qui prévaut. Les
nouvelles institutions permettent une extraordinaire persistance de
certaines personnes au pouvoir.
Il en va de manière encore
plus significative pour les maires. A Belvédère, tout commence avec la
perception de Paul François LAURENTI, en 1792
.
Profitant apparemment des temps troublés, ce dernier se serait alors
fourvoyé dans la concussion. De l’homme, on ne sait rien. Par exemple,
quel est son niveau de parentage éventuel avec les notables prénommés
LAURENTI identifiables jusque là ? Il ne paraît pas avoir occupé de places
majeures dans la vie communautaire jusqu’en 1796, où on le retrouve
conseiller pour la première fois. Le 5 messidor an VII, cependant, se
monte contre lui une véritable coalition. L’Agent Municipal Ludovico
RAVELLO en est le meneur. On l’accuse d’infideltà dans sa
perception, et l’on rappelle la sentence verbale du baile CARLONE, le 12
mars 1792, qui avait remarqué une alterazione di 3 £ di taglia sotto la
colonna di feu Gioanni GIAUTARDO feu Raffaël. De plus probabilmente
non sarebbe dificile scoprire altre. Quarante personne se réunissent
pour s’entendre de l’exclure des offices publics
.
Pour rémonse, il ne serait pas douteux que LAURENTI soit à l’origine du
début de la révolte de subsistance du 6 pluviose an VIII, mais l’on n’a
encore pu retrouver aucune preuve
.
D’autant que parmi les contestataires se trouve l’un des signataires de
l’an VII.
Evidemment, le Préfet mis
en place par la Constitution de l’An VIII n’entend rien à l’affaire (il
voit surtout dans LAURENTI l’acquéreur des Biens Nationaux), et le 12
septembre 1800 (23 fructidor an VIII), LAURENTI, alors âgé de 55 ans, est
nommé maire. Pour Ludovico RAVETTO et son clan, il va s’agir désormais de
faire tomber ce maire si peu désiré. Le 5 vendémaire an X, on l’accuse au
Préfet d’avoir déchiré l’affiche du percepteur, et de lui avoir retiré le
rôle. Il se défend d’abord « à l’égard de la dénonce de l’enlèvement de
l’affiche du percepteur non déchiré », puis il condamne les délais trop
courts, qui risquent « d’étrangler les contribuables, pour vicieusement
profiter en préjudice d’eux ». Ensuite, s’il a retir le rôle au
percepteur, c’est, se défend-il, pour s’assurer de sa conformité avec les
ordres donnés par le Commissaire VIDOR, passé à Belvédère il y a peu. Et
de conclure : « ... je n’ai jamais voulu les retirer pour suspendre les
versements, et je cris que les dénonces du percepteur, qui est un des
chefs de la cabale contre moi, ne doivent avoir lieu, et mérite que me
compatissez pour cette fois ».
Puis il promet de
s’occuper de cette perception sous 3 jours. Il faut souligner que ce
percepteur, à savoir Joseph CASTELLI, avait été nommé d’office le 27
vendémiaire an VIII, ce qui laisse, on le comprend, certaines rancœurs
.Aussi,
ce dernier dénonce de nouveau au Préfet le maire pour n’avoir pas encore
reçu les comptes. Le maire se défend : c’est simplement par manque de
temps que le conseil n’a pu délibérer. Au sein de l’équipe municipale,
l’entente n’est pas non plus des plus cordiale
.Il
faut dire que la liste des conseillers du 20 vendémaire an IX, nous montre
qui s’y trouvent Charles GIACOBI, le propre beau-fils de louis RAVETTO, et
François ROBINI, un des signataire de l’an VII. Le 15 pluviose, les
conseillers refusent encore de s’assembler sous prétexte des « frais
horribles (comme est vrai) ». le 29 pluviose, LAURENTI se voit ainsi
accablé « de beaucoup de reproches... » à propos des subsistances des
Barbets, de la réparation des meules et des ponts..., « tels injures,
reproches m’ont fait troubler l’esprit, motifs pour lesquels ont été
suspendu le travail ». Puis le maire demande un assistant. Il propose le
notaire AIRAUDI, secrétaire à Saint-Martin ou le notaire BARELLI de
Saint-Martin également. Ceci pourrait prouver que LAURENTI n’a guère de
soutien à Belvédère même
.
Finalement, sous la
pression, le Préfet destitue Paul François LAURENTI (le fait que se
dernier fraye avec les Barbets n’est sans doute pas innocent à sa
destitution), et nomme ... Louis RAVET. Son premier acte est de dénoncer
LAURENTI comme débiteur de 2.407 francs : « ... le 10 compte, le même
LAURENTI aurait dû vous envoyer à la demande de moi à désister ici
enfermement pour ne pas faire connaître la dette, pour bâtir celle-ci, il
faudrait avoir le jeu des Causat et des Comptes de 1792 que je ignore où
soyent où perdus »
.
Le 8 vendémaire an XIII,
on réitère. Le 3 nivose an XIII, LAURENTI est ainsi accusé de « mauvaise
foi ». Finalement, après de nombreuses lettres où LAURENTI est
systématiquement mis en accusation, le 19 janvier 1806 il est déclaré
reliquataire de 5.525 francs, en plus de sa dette de 2.400 francs. Le 16
mai 1806, on l’accuse même de ne se donner aucun mal pour payer. Il a
même, dit-on, hypothéqué tous ses biens en faveur de sa femme « pour
mettre à la commune sa dette en perte ». En l’an IX, il aurait acheté les
créances envers la commune d’une certaine Marianne REBECQUI de Nice, d’une
valeur de 1.500 francs, pour laquelle il n’aurait payé que 1.000 francs.
Et RAVET conclut « vous voyez qu’il cherche à ruser à préjudice de la
commune ». En février 1807, LAURENTI est toujours reliquataire de 5.587
francs. « Je vous prie, Monsieur le Préfet, de faire poursuivre le dit
LAURENTI » s’époumone Charles GIOACOBI, installé maire le 10 octobre 1807
(RAVET avait demand son remplacement depuis le 3 août 1806, mais il ne fut
donc remplacé que le 10 août 1807, malgré « la continuation de mon
indisposition corporelle, l’âge de 74 ans, et ma petite mémoire »
).
Alors, que dire sur les
nouveaux administrateurs ? Il est important de remarquer que tous ces
conflits que nous venons d’étudier ne sont pas le fruit d’opposition entre
Républicains et Traditonnalistes. Rien, ou peu de chose, ne doit être
compris en termes d’idéologie, mais en termes de rapports de forces. En
cela, les actes des conseils et bien d’avantage encore les échanges
épistolaires maire-préfet sont une fantastique documentation partisane, et
non plus simplement administrative. A les étudier sur le long terme, on
voit s’y opposer les clans et les personnalités. Mais les notables se
battent avant tout pour conserver leurs intérêts sous le prétexte souvent
fondé de l’ordre public.
Pour évoquer cette absence
d’idéologie et donc illustrer le localisme qui détermine les choix
politiques de chacun, on peut revenir sur le phénomène Barbets. Iafelice
rapporte que le 24 mai 1804, Barthélémy RAINARDI dit Salari, le
célèbre Barbet sus-cité, est arrêté alors qu’il « s’amusait à boire avec
le maire »,
c’est-à-dire LAURENTI, il faut le souligner, acquéreur des Biens Nationaux
de la Confrérie de la Miséricorde, le 17 frimaire an VII ! Cette action
est-elle d’ailleurs la cause du fameux pacte du messidor an VII ? Il est
peu probable. Aussi étrange que cela puisse paraître, dans une population
de notables en apparence si religieuse, l’acquisition des Biens Nationaux
ne semble donc pas influencer la politique des clans ! En tout cas, pour
en revenir au Barbet de Belvédère, le clan de RAVETTE semble également
contre ce dernier.
Ainsi, Giuseppe EUSEBI,
adjudant de la Garde Nationale, est manifestement contre Paul François
LAURENTI. Car ce Giuseppe EUSEBI serait le frère de Gio Andrea EUSEBI, le
médecin qui est bien dans le clan et dans la famille de Ludovico RAVETTO.
Il ne faut pas confondre ce dernier avec un autre Giuseppe EUSEBI, frère
du Curé Paolo, le clerc héroïque, dont on reparlera et qui est aussi un
adversaire de LAURENTI. On a vu la lutte qui s’était engagée entre les
deux personnages, pour obtenir la perception de l’an VII. On voit combien
le barbétisme est finalement inscrit dans les luttes internes du village.
On perçoit bien cette
absence d’idéologie chez tous les villageois dans les fêtes de village ;
pas un soupçon des grandes idées qui ont fait la Révolution n’a été
pédagogiquement inculqué (on l’a bien vu, les Français se conduisent comme
en pays conquis, ce qui est effectivement le cas du Comté de Nice).
A Belvédère, sous l’Ancien
Régime, la fête est d’abord une procession par Ordres. Le premier poste
est réservé au Vassal, puis vient sa famille : frères puis enfants, enfin
le Giudice, le Procurateur Fiscal, puis les conseillers. Si il y a
des soldats du Régiment Provincial, ils peuvent prendre la deuxième
position, après le Vassal. On porte aussi un étendard … rappresentante
da una parte la Vergina Santissimo di Fenestre e dall’altra quella del
Rosario Sant-Deomenica
.
Or, le 29 messidor an X, on célèbre le premier 14 juillet à Belvédère.
Cette fête, qui, selon les propres mots du maire « concerne la fondation
de la liberté et de l’égalité », et que l’on veut considérer depuis le
XIXème siècle jusqu’à nos jours comme une grande fête populaire, fondée
sur un joyeux désordre, reste ici une fête traditionnelle au sens où
l’entend Maurice Agulhon : « … annoncée par cloches et par salves, messes
solennelles, défilés de la population en Corps, réjouissances,
bienfaisances (distributions aux pauvres) ».
A Belvédère, la fête se déroule donc ainsi : « … du son du tambour,
appelant le peuple à la réunion on a été solennellement chanté le Te
Deum dans cette église paroissiale et successivement, avec le cortège
de plusieurs personnes plus apparentes on a été fait le tour des rues
accompagné des Directeurs de la Séance et du son du tambour et du
flagiollant en défaut d’insuffisants musiciens. Ensuite, j’ai invité les
citoyens au bal que j’ai destiné à faire ce soir environ de 7 heures en
cette place publique, et pour rendre plus éclatante la fête leur faire
genter la liqueur… » ; cependant, « je surveillerai afin qu’il n’arrive
aucun défendu (…) ayant mis en activité la Garde Nationale avec 20
hommes »
.
Après le maire, la
position des religieux est extrêmement difficile. Purement et simplement
brimés et rejetés dans les premiers temps (et protégés autant que possible
par les municipalités), peut à peu, tous les éléments de la vie religieuse
sont entièrement réintégrés dans la gestion quotidienne du patrimoine
communautaire. Lorsque les Belvédérois apprennent le rétablissement de la
religion catholique, le 16 août 1806, tous se réunissent « en l’honneur du
dit Napoléon », « avec le bon ordre et les somptueuses cérémonies
ecclésiastiques ». On porte à travers le village l’image de Notre-Dame de
l’Assomption, avec le bruit du mortarêts. Au retour, les villageois
se réunissent pour chanter des incantations religieuses, et le desservant
bénit le peuple « et pria pour la conservation de notre Empereur et bon
maître », « de sorte que j’ai l’honneur de vous assurer que la fête a été
remplie avec joie sans aucun trouble » conclut le maire
.
Pourtant, tout n’avait pas été toujours aussi simple. Lors de la première
invasion française, le 2 mars 1793, le prieur, Giuseppe ROSTAGNI (57 ans,
natif de Breil), qui avait été employé comme Aumônier et Chapelain dans
les troupes royales cantonnées dans le village, s’enfuit avec ces mêmes
troupes. Ainsi, sous la première période française, il est signalé absent,
au côté du Comte Gio Ludovico RAINART et d’Antoine François CRISTINI,
Capitaine des Milices. On signale même que deux malles lui appartenant, et
qui étaient dans la maisondu Comte, ont été pillées. Le syndic fait alors
appel au curé de Roquebillière per assistere moribondi locali e loro
interramenti. Mais cela ne suffit pas, et le Commandant français
propose, après quelques jours, de faire venir un Chapelain National.
Evidemment, personne ne veut de cette solution, pire que le mal qui est
psychologiquement incompréhensible, puisqu'elle revient à se faire soigner
par ses propres agresseurs. Le syndic décide alors de faire appel à une
personne locali più apparentii : Dom Paolo EUSEBI
.
Le 5 août, date du nouveau
départ des Français, ROSTAGNI réapparaît. Il entend bien réintégrer et
d’ailleurs également faire réparer sa maison claustrale. En effet, dans
cette dernière, les Français s’y sont allogiare et l’ont détruite
en allumant un feu de joie dans la cheminée. Ce dernier ne fut d’ailleurs
éteint qu’avec diligenza da una quantità di soldati. Les dégâts
sont évalués à 600 £
.
Les Conseillers ne l’entendent pas de cette oreille ; ils considèrent
ROSTAGNI comme un renégat, qui n’est même pas fidèle à ses propres
capucinades endiablées, dévoilant sa pagnoterie naturelle : Nonostanti
che poco avanti della spaventosa venuta sudetta dall’altari maggiore della
chiesa avesse predicato di efesse questo popolo constante alla sudetta
fede e che lui piutosto che di abbandonare questa parochia avrebbe esposta
la di lui propria vita
.
Paolo EUSEBI, au
contraire, est porté au pinacle pour son dévouement, que l’on prend pour
du donquichottisme, senza quale assistenza gli defonti sarebbero
passati ad altra megliora vitta senza sacramenti
.
Cependant, peu à peu, ROSTAGNI est réintégré au sein de la vie
villageoise, mais on lui en voudra toujours. Le 21 ventose an XII, le
maire nomme les religieux au service de la communauté en soulignant leur
« sincérité, … bons exemples, … vie morale, … solitude claire »… , et au
moindre dérapage, il assure : « je me ferai un devoir de vous faire un
prompt rapport ». Il y a donc : le curé desservant Charles Joseph ROSTAGNI,
deux prêtres assistants à la paroisse, CASTELLI Joseph et Paul François
EUSEBI, et un diacre, Paul François GHINTRA
.
Le 11 messidor an XII,
ROSTAGNI n’en démord pas : il revendique les dîmes que lui auraient
rapporté trois petites terres vendues comme tous les biens de l’Eglise à
titre de Biens Nationaux, de l’an VI à l’an XI, date à laquelle ils furent
restitués. « Il me semble ridicule la plainte de Monsieur ROSTAGNI »
,
déclare le maire LAURENTI. Peu de temps après, ROSTAGNI met ses menaces à
exécution : « ROSTAGNI, ex-desservant de cette paroisse, est parti pour sa
destination de La Brigue ; lequel il n’a pas laissé en son habitation un
morceau de bois ni un petit clou, particulièrement les bois intérieurs
d’une armoire, son équipage consiste en 25 charges …, en conséquence est
indispensable de fournir les meubles et effets nécessaires à l’actuel
desservant Mg. Jean Baptiste DRAGHO de Roquebillière, lequel le 17 de ce
mois à 10 heures du matin a fait l’entrée convenable, le peuple en pleine
connaissance de lui et en leur toute confiance »
.
On voit donc que ce
ROSTAGNI, pourtant prêtre assermenté, n’en garda pas moins des rancœurs.
Par la suite, les choses se stabilisent, même si jusqu’au bout le paiement
du curé et autres desservants resta un problème. Le 24 fructidor an XIII
enfin, Belvédère reçut la visite de l’évêque. Cette visite consacra un
presque retour à la normale, pour les hommes d’Eglise, jusqu’en 1814.
3. Retour
aux sources
Pour conclure cette
présentation de Belvédère sous la Révolution, il semblait impensable de ne
pas citer le document original très particulier dont il a déjà été fait
mention : « Une histoire de Barbet ». Il s’agit d’un procès-verbal dont
l’origine paraît incertaine, que nous retranscrivons in extenso.
« Nous soussignés Joseph
EUSEBI, adjudant du bataillon de la Garde Nationale » (texte barré)
« Procès verbal
Aujourd’hui, 3 frimaire an
VI de la République en Belvédère canton de Roccabillière, Département de
Nice et en la maison Commune par devant nous Charles GIACOBI, Adjoint
Municipal de cette Commune ; attendu la démission faite par le citoyen
François CASTELLI Agent Municipal. Sont comparus le citoyen Joseph EUSEBI
adjudant du bataillon de la Garde Nationale de ce canton, et Joseph
CASTELLI capitaine de la Seconde Compagnie de la dite Garde, les quelle
d’après le serment par eux prêtés, ont déclaré certifié, et dit que le 26
et le 29 du mois de germinal 1796( ?) ne se rapellent pas du précis jour,
on eut notice que le Barthélémi RAINART surnommé Salari de cette
commune Barbet renommé il se trouvé à environ de 11 h de nuit à l’entrée
de ce village et au quartier du Serre et en la bastide de la citoyenne
Angélique BATTIST, ont de suite commandé Louis DAVID, Antoine RAINARD,
François RAINARD, André CORNILLON, Jean Baptiste CARENC, et Clément natif
de France soldat en la … marié en cette commune soldat de la ditte Garde
avec les quels ce sont cito avec les susnommés adjudant EUSEBI et
capitaine CASTELLI portés au dit quartier du Serre pour procéder à
l’arrestation du susdit Barbet RAINART Salari celui ci il s’est
aperçu de la poursuite il a pris la fuite et tous ensemble se l’on
poursuivi pour quelque tems, mai et dans l’instant qu’arrivons à
l’intérieur de la Bastide le dit Barbet il est escapé et vu le courir
inférieurement lui ont fait par ses armes, mais attendu la nuit très
obscure n’ont pu pas le scaper ; et surveillant le susnommé citoyen EUSEBI
et CASTELLI avec le susnommé Agent Municipal sur l’arrestation du dit
Barbet ayant mis des espions pour savoir ou se trouvait le Barbet, le 29
du même mois on su par les espions qu’il se trouvait à l’endroit où il
s’en allait en Piemont passant par la route de cette montagne de
Gordalolasque vers Saint-Grat, et que allait dormir à la Bastide des
frères GIACOBI sittuée au quartier dit de Cantront dans la
Gordolasque. Disant de plus les dits adjudants du bataillon et capitaine
CASTELLI se sont en la même nuit du 29 sur ordre du susnommé Agent
Municipal CASTELLI de concert avec le Juge de Paix sont partis en
patrouille escortés des susnommés Antoine RAINARD sergent, Louis DAZVID,
Benjamin ROBINI, Jean DAIDERI, Louis RIS et Clément soldats choisis de la
Garde ; avec une patrouille de la Garde Nationale de Roccabillière de dix
hommes commandés par le capitaine Carlin GASTAUDI, et arrivés de nuit à la
susdite Bastide des frères GIACOBI et faite la visite ne l’ont pas trouvé,
ont ensuite délibéré de faire la perquisition par toutes les bastides
existantes en la dite Gordolasque et arrivant de l’entour proche de la
chapelle de Saint-Grat qui a servi de caserne à la Garde avancée se sont
perçus à la première claireur du jour que le dit Barbet il monta pour le
quartier appelé la Faisse de Prals, et quoique la terre fut
couverte d’une grande quantité de neige les individus composant la
patrouille ont déterminé de poursuivre le Barbet, et prenant sa trace, et
chemin l’ont poursuivi quoique éloigné d’une heure et demi environ et
arrivés sur la somité de la Faisse de Prals sont vus tirer le
Barbet le chemin du col ont continué à suivre le chemin et trace du Barbet
jusqu’à la rivière du col de Fenestres où est repoussé alors approchant la
patrouille en la distance d’un tir de fusil leur lui cria arret là arret
là et il s’est arrété il a le Barbet répondu je suis arrété et cito le dit
adjudant du bataillon, Capitaine CASTELLI et soldas de Belvédère voulant
passer la rivière quoique glacée pour l’arréter, en tel instant un des
soldas qui tait des derniers de la patrouille de Roccabillière lui a fait
feu de son fusil sans ordre et l’a manqué, allors le dit Barbet il a pris
la fuite par les Bois descendant par la rivière ; l’on perdu de vue ne
l’ayant pas pu poursuivre pour n’avoir pu trouver la trace et se voyant la
patrouille pénible pour le froid la neige, la faim et la longue et forte
marce du chemin se sont retournés descendant à Saint-Martin.
De plus les susnommés
adjudants de Roccabillière et Capitaine CASTELLI ont déclaré et dit que
Louis SCAUTARD habitant de ctte commune leur a dit en les derniers jours
de may que venant de Bendéjun en arrivant par les colles et ( ?) chemins
publics terroir de Lucéram fut attaqué par un nombre de Barbets parmi
lesquels il était le prénommé ci dessus Barbet Salari en lui volant
quelques peu d’argent que avoir le dit Barbet demande aussi dit SCAUTARD
si l’Agent Municipal, l’adjudant EUSEBI, Capitaine CASTELLI, le sergent
RAINARD, Louis DAVID, ROBINI, soldas et Joseph VASSERON soldat de Nice
venant du Piémont avec son congé, et autres individus de cette commune
était encore en selle et s’ils se portent bien car dit le dit Barbet il
lui répondu prend garde de parler car autrement lui aurait levé la vie et
que quelques jours il serait venu à revendiquer contre tous eux, savoir
que en tel jour fut par les dits Barbets assassinés et tuées sur les
colles cinq soldats de la République qui escortaient le citoyen Receveur
Général.
Et successivement en ces
derniers jours certifient les susnommés Commandant EUSEBI et Capitaine
CASTELLI que le susdit Barbet Salari fut arrété en le terroir en
ces jours derniers de Duranus où soit ( ?) par les éclaireurs et conduit
en cette commune sans précaution et puis conduit à Roccabillière où il a
escapé de nuit, et disant les susnommés citoyens EUSEBI et CASTELLI que le
dit Barbet il a en vengeance de la poursuite faite comme ci dessus, il
s’est parlé au citoyen ALBERTINI Commandant des éclaireurs les susnommés
Agent CASTELLI, soldas Antoine RAINARD, Louis DAVID, ROBINI, et autres, et
aussi du susdit PASSERON déjà soldat du Régiment de Nice pour des Barbets
et qui tenayent la main aux Barbets ; en conséquence, et en défense d’une
telle dénonciation fausse ici toujours pressons les susnommés Commandant
EUSEBI et Capitaine CASTELLI au nom de la vérité et en décharge de leur
place ils certifient et déclarent que les susmentionnés Agent Municipal
Antoine RAINART, Louis DAVID, ROBINI, Joseph PASSERON, et autres
mentionnés inscrits à la dénonce sont des honnetes hommes bons
républicains incapables de faire aucun tort ayant toujours remplis son
devoir en la Garde Nationale et dans les cas de patrouille n’ayant (comme
il est notoire) rien à dire sur la conduite et confiance de leur courage
et zèle pour contenir les Barbets, ont déclaré d’aller en cet instant les
commander le susdit Sergent RAINARD, soldas Louis DAVID,ROBINI, PASSERON
et autres injustement et faussement accusés pour citot alors battre et
faire patrouille par tout ce terroir en lequel sont espéré retrouvé le
susdit Barbet Salari ( ?) Avec des autres soldas marcher en
patrouille par tout ce terroir et jusque que le cas exige pour arréter,
vif ou mort le prénommé Salari un des Barbets suivant le bruit, et
sont d’avis et conclusion de nommer dessus infame Barbet et scelerats ne
se doivent pas quoique ce soit préter aucune fois, car sa mauvaise
conduite est toujours ouverte à meurtres et maltraite quelconque de sa foi
et son signé. »
En
conclusion, insistons sur l’originalité des sources à Belvédère, pour la
période révolutionnaire, qui comprennent une suite intéressante de
correspondances et d’ordonnances d’une grande richesse pour cette période
troublée. L’intérêt du récit est naturellement lié à l’originalité des
faits, quand le village se débat entre les différents belligérants, mais
aussi avec la surimposition de l’administration française révolutionnaire
puis impériale, à des pratiques anciennes existantes. Il s’agit selon
toute vraisemblance d’une véritable situation charnière de la période pour
le village (mutations des pratiques, conscription ...), qui retourne sous
la domination Sarde en ayant subit d’importantes transformations
structurelles. L’économie locale, dominée par l’ancienne notabilité, connu
alors un véritable renouveau par l’intégration immédiate des nouvelles
générations de dirigeants, dont la quasi-totalité est issue de l’ancienne
oligarchie. La Révolution ne semble pas avoir bouleversé plus que cela le
système de clan. La tourmente des guerres révolutionnaires et impériales
est sans aucun doute le catalyseur de phénomènes plus profonds que l’on a
regroupé sous le titre d’ouverture mentale, que l’étude des fonds
Sarde devrait permettre de préciser. Ce n’est que plus tard, après la
« réaction » de la Restauration, que l’évolution profonde des mentalités,
touchées moins directement par les idées que par la nécessité de
l’adaptation en milieu hostile, provoqua ces transformations de la société
Belvédéroise qui lui permis d’entrer rapidement dans le « monde plein du
XIXème siècle ».
Document :
Les administrateurs de Belvédère sous la Révolution
et l’Empire