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DIAZZI S.

La famille DE GUBERNATIS, entre noblesse et notabilité.

  

Intéressée par les rapports sociaux, je me suis attachée à étudier la famille DE GUBERNATIS de Nice, attirée depuis longtemps par la présence toponymique (une rue porte son nom) et psychologique (elle est encore reconnue comme faisant partie des « anciennes » familles du Comté) qu’elle laisse encore de nos jours dans la ville. De fait, ses membres sont encore présents aujourd’hui dans le milieu politique, faisant partie de la notabilité locale. Considérant cette continuité historique et politique, j’ai tenté de découvrir comment cette famille a pu conserver une telle emprise sur la société mémorielle niçoise, malgré les changements successifs de régimes de ces deux derniers siècles. J’ai alors fait le choix de m’intéresser tout particulièrement à ceux qui agitèrent notre société entre 1792 et 1860, depuis les bouleversements du régime révolutionnaire, la mise en place du Consulat, puis de l’Empire français, et enfin le retour au régime sarde.

 

Alors qu’en 1792, la Révolution française déborde sur le Comté de Nice, celui-ci est rapidement transformé en un tout nouveau département des Alpes-Maritimes. Il le resta jusqu’en 1814. A cette date, il reprend son appellation ancienne de Comté de Nice, en retournant sous la dépendance du roi de Sardaigne. Ce n’est qu’en 1860 qu’il redevint de nouveau et définitivement le département français des Alpes-Maritimes.

L’approche micro-historique proposée dans cette étude concernant le Haut Pays du Comté de Nice ne permet pas de s’appuyer sur une bibliographie préexistante. Les revues locales nous apportent quelques précisions, parcellaires. Le plus souvent, ce sont seulement quelques lignes qui  concernent les personnages les plus importants de la famille qui nous intéresse. Au mieux, nous pouvons glaner quelques informations sur l’importance de sa noblesse.

Quelques ouvrages viennent en appui de ces travaux. D’anciens auteurs, comme Toselli[1], nous donnent quelques informations, complétées par le travail collectif réalisé sous la direction de M. Derlange[2]. Cependant, dans les études spécifiques concernant la noblesse niçoise, la famille DE GUBERNATIS est rarement prise comme exemple, et n’est finalement que très peu mentionnée. Cette quasi absence tendrait à prouver qu’elle n’est pas considérée comme appartenant aux familles nobles les plus importantes du Comté de Nice, comme le sont les LASCARIS ou les GRIMALDI, qui, eux, connaissent des développements conséquents.

C’est justement cette particularité qui a motivé cette étude. Il s’agissait moins de s’attacher à considérer la grande notabilité locale pendant la période révolutionnaire, pour laquelle les études foisonnent, que de mettre en évidence les mêmes difficultés rencontrées par une famille moins connue, moins en vue, de la bonne société « moyenne ». Nous sommes donc partis à la recherche des traces laissées par la famille DE GUBERNATIS dans les différents dépôts d’archives.

 

Comme préalable, nous proposons de retracer l’origine de la famille et le contexte politique dans lequel ont évolué les DE GUBERNATIS. En second lieu, nous avons tenté d’établir quel avait été son degré d’adaptation dans sa confrontation avec la Révolution française. Et comme l’époque voulait que l’essence d’un homme tienne avant tout à son rang social, nous avons tenté de répondre à la question fondamentale de leur place dans la société d’Ancien Régime finissant, en replaçant au plus juste les DE GUBERNATIS entre noblesse et notabilité.

 

La noblesse niçoise

Il est de tradition de placer la famille DE GUBERNATIS parmi les membres de la noblesse niçoise. Cette place nous oblige à tenir compte de ses spécificités. Si on la compare avec les noblesses françaises, savoyardes et piémontaises, la noblesse niçoise possède de nombreuses caractéristiques.

Prenons l’exemple de la noblesse savoyarde et piémontaise, dont la principale implantation correspond à la capitale des Etats de Sardaigne, Turin, lieu de résidence du roi. Toutes deux sont dominées par le souverain de Sardaigne, sous ses divers titulatures de duc de Savoie et de prince de Piémont. Il en va de même pour le Comté de Nice. La noblesse piémontaise était très stricte dans le choix de ses membres. Son accès était limité, les nobles ne  constituant qu’une faible minorité de la population. La noblesse de robe était certes tolérée mais elle était méprisée par la noblesse de sang. Le Conseil du Roi se faisait l’agent de cette limitation, en tentant sans cesse d’en réduire l’accès, notamment en rendant difficiles les possibilités de transmission des fiefs au travers de la primogéniture masculine.

 

[1] TOSELLI J.-B. Biographies niçoises anciennes et modernes, Marseille, Laffitte Reprints, 1973

[2] DERLANGE M. (sous la dir.) Les Niçois dans l’histoire, Toulouse, Privat, 1988

 

Cependant, la réalité était certainement plus souple dans la noblesse de Savoie[1], ceci étant d’autant plus vrai que les territoires concernés étaient éloignés du siège du roi. C’est le cas du Comté de Nice. La noblesse niçoise était très nombreuse, surtout au XVIIème siècle, et si l’on en croit Smollet[2], « on ne trouve presque que des nobles dans le Comté de Nice élargi par l’intégration de familles nouvelles ». Il fut frappé par le nombre considérable de nobles que l’on rencontrait dans les rues de la ville[3]. Cette profusion de qualité noble s’explique par le peu de différence qui existait entre les anoblis et les anciens nobles. Il ne suffisait donc plus d’être né noble. On élargissait d’ailleurs naturellement le concept jusqu’à admettre un certain mérite à la noblesse issue des classes économiques, par l’entrée régulière des bourgeois et des notables. La noblesse niçoise était ainsi proche des couches supérieures de la société roturière. Les bourgeois les plus riches vivaient noblement. Ils étaient propriétaires, souvent d’une boutique ou d’une terre qu’ils n’exploitaient pas directement. Les notables se consacraient aux professions libérales, tels qu’avocats, hommes de loi, notaires… Cette position professionnelle et sociale leur assurait une certaine influence, de notoriété publique, qui leur permettait bien souvent d’acquérir un rang noble. Les notables forment l’élite de la société, confondus soit aux bourgeois, soit aux nobles. Cependant, on ne peut être noble sans avoir une terre, même si l’on pouvait être propriétaire d’un fief réputé noble sans l’être. Ce dernier ne pouvait être acquis sans l’accord du roi. Le prestige de l’anoblissement pouvait être complété par l’acquisition d’un titre d’honneur (comte, marquis…), de droits de justice et diverses prérogatives leur afférent : c’est le fief de dignité. Acquérir un fief souligne donc une véritable ascension sociale. Dans le Comté de Nice, le fief était traité comme un bien économique, et comme tel pouvait être l’objet de vente, de donation, de succession, de constitution de dot. Ce fut le cas des fiefs niçois inféodés à partir du XVIIIème siècle. Ces diverses utilisations étaient possibles grâce à une pratique successorale très souple du fief, notamment grâce à l’acceptation potentielle des héritages en ligne féminine. Elle permettait à des familles de petite noblesse d’hériter d’un fief et d’accéder à un rang supérieur. Pour d’autres familles nobles, elles pouvaient ainsi accroître leur prestige en s’adjoignant un nouveau fief. C’est le cas des seigneurs de la Roquette, la famille LASCARIS. Grâce aux mariages de Marc LAUGIERI avec Julie LASCARIS, héritière de la Roquette et d’une moitié du fief de la Brigue, et de Jean-Baptiste LAUGIERI, son frère, avec Honorine LASCARIS, sœur de Julie, héritière du fief de Bonson, les LAUGIERI, issus de la petite noblesse, voire de la notabilité locale, accrut son prestige jusqu’à occuper les premiers rangs. Ces alliances ont un avantage pour chacun. Pour la nouvelle noblesse, il s’agit d’acquérir une alliance avec les lignages « de sang », et pour l’ancienne, de consolider leur pouvoir, principalement économique, afin de ne pas connaître, comme le remarque Smollet, une déchéance sociale les rapprochant des couches paysannes. C’est ce processus d’alliance, propre à la noblesse niçoise, qui permit à la famille DE GUBERNATIS de s’élever socialement.

 

Les DE GUBERNATIS

Son origine grecque présumée, véritable légende familiale, a certainement dû lui être très utile pour assurer son ascension sociale. Le prestige de la civilisation orientale et notamment de la philosophie grecque, vers la fin du XVème siècle, considérée comme précurseur de l’humanisme occidental, apparaissait comme dans toute sa grandeur et conférait une certaine noblesse intellectuelle à qui s’en réclamait. Nous savons avec certitude que le premier GUBERNATIS connu, Nicolas DE GUBERNATIS, était marchand à Saint-Martin-Vésubie, au XVème siècle. Il était alors considéré comme le plus riche personnage du lieu. Si l’on en croit Scoffier et Blanchi[4], Nice fut une ancienne colonie grecque, nommée Nické. Le savait-on à l’époque de la grandeur des GUBERNATIS ? Il semble plus proche des sensibilités contemporaines de se référer au prestige de l’autre famille « Grecque » du Comté de Nice, les LASCARIS, dont la noblesse est liée aux derniers empereurs romains « latins » d’Orient. C’est sans doute de cette filiation qu’il faut rapprocher la possible origine grecque de notre famille. Elle a certainement été un grand avantage pour eux, contribuant à leur ascension sociale et à leur accès à la noblesse au XVIIème siècle.

 

Jérôme Marcel DE GUBERNATIS est certainement la figure la plus prestigieuse de la famille. Il est né à Nice en 1633, et serait le fils de Donat DE GUBERNATIS. Il étudia à Bologne la jurisprudence pendant 4 ans, avant de débuter son cursus honorum. Il devient docteur ès loi, littérateur distingué et jurisconsulte, membre de l’Académie d’Arcadie.

 

En 1653, il est nommé podestat ou juge ordinaire de Nice jusqu’en 1655. Puis, fut nommé sénateur en 1661. En 1674, il devient Chevalier de justice des Saints-Maurice et Lazare. Il fut en 1682, président du Sénat de Nice, puis ambassadeur dans les grandes cours européennes : Lisbonne, Madrid et Rome[5]. Se rajoutant à ses compétences juridiques, il est un très bon diplomate, et devient ainsi un précieux sujet pour le Duc de Savoie. D’une noblesse certaine, il accentue celle-ci par une noblesse de charges. Mais, comme le fief fait le noble, en 1684, Jérôme Marcel cherche à devenir l’heureux bénéficiaire du fief de Saint-Martin-Lantosque (Vésubie), accordé dans un premier temps en récompense des mérites de ses longs services. Cependant, cette inféodation ne fut effective que pendant 7 mois car, s’il fut un proche du Duc de Savoie feu Charles Emmanuel II, il n’en allait plus de même avec son fils et successeur, Charles Emmanuel III. Ce dernier profita

[1] NICOLAS J. La Savoie au XVIIIème siècle, noblesse et bourgeoisie, Nice, 1978

[2] SMOLLET T. Voyage à travers la France et l’Italie, trad. Paris, 1994

[3] BOTTIN M. Fiefs et noblesse dans l’ancien Comté de Nice (XVIème-XVIIIème siècles), 1985

[4] SCOFFIER E. – BLANCHI F. Le Consiglio d’Ornato, l’essor de Nice de 1832 à 1860, Serre, Nice, 1998

[5] DERLANGE M. (sous la Dir.) Les Niçois dans l’Histoire, Privat, 1988, en autre référence

 

de l’occasion pour s’émanciper de la régence de sa mère et affirmer un pouvoir personnel par un geste fondateur : la libération de Saint-Martin-Vésubie de l’inféodation de Jérôme Marcel[1]. Cependant, en considération des services rendus à l’Etat, le nouveau duc se devait de récompenser son fidèle sujet, et Jérôme Marcel fut finalement gratifié du titre de Comte de Bonson, pour compenser l’échec de ses prétentions sur Saint-Martin. Cette investiture fut célébrée le 2 décembre 1688. Il entra ainsi véritablement dans la noblesse niçoise, où il devint l’égal de l’ancienne noblesse en devenant Comte de Bonson. 1684 fut également l’année de sa nomination au titre de Commandeur de Saint Gervais de Sospel. En 1713, il devient finalement Chevalier de Malte et de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Il meurt la même année, le 6 octobre. Jérôme Marcel représente l’archétype de cette noblesse de fonction, qui a profité des antécédents de sa famille et des avantages de la noblesse niçoise pour s’élever le plus haut possible dans la hiérarchie sociale. Il égale ainsi, voire dépasse en prestige l’ancienne noblesse niçoise.

 

Jérôme Marcel appartient à l’une des 2 branches de la famille DE GUBERNATIS connues dans le Comté de Nice. Son arrière-grand-père, Donat est issu d’une famille de notables sospellois. De son mariage avec Lucrèce GALLÉAN, il a un fils, Jean-Baptiste, qui prend comme épouse Dorothée ISNARDI. Naissent deux enfants, Fabio, docteur ès loi, et Donat qui se marie avec Anne Marie VIVALDI. Donat et Anne Marie ont pour fils Jean-Baptiste et Jérôme Marcel. Ce dernier, grâce à la richesse de sa famille put étudier dans les meilleures écoles et côtoyer l’élite de la société. Son objectif conscient fut d’élever le pouvoir de sa famille en accédant à la noblesse. Pour cela, il chercha à s’allier avec de grandes familles de la noblesse niçoise.

 

Il se marie, en 1656, à Lucrèce Marie de Vintimille. Le mariage de son fils est l’occasion de consolider cette alliance avec l’une des familles les plus puissantes du Comté de Nice. Jean-Baptiste épouse Paule Marie de VINTIMILLE. Celui-ci prend alors le nom DE GUBERNATIS-VINTIMILLE.

 

A la mort de son père, il devient à son tour Comte de Bonson et Commandeur de Saint-Gervais de Sospel. Il eut 4 fils : Jérôme Marcel, Horace, Honoré Roger et Antoine Gaétan qui hérite des titres de son père et de sa mère, et devient Comte de Bonson, seigneur d’Aurigo, de Cenova et Lavina. Il hérite également de la Commanderie de Saint-Gervais de Sospel. Il épouse Constance DAL POZZO en 1723. Il meurt en 1735, sans aucun héritier mâle. Son héritage revient à son frère, Honoré Roger qui, lui-même, n’a pas d’héritier mâle. Il transfère alors sa succession à son neveu, Luc Marcel FERRERO, fils d’Emmanuel FERRERO et Lucrèce Marie DE GUBERNATIS- VINTIMILLE.

 

Le nom DE GUBERNATIS est désormais confondu avec celui des FERRERO. Ainsi disparaît la première branche des GUBERNATIS.

 

La seconde branche des GUBERNATIS reconnaît pour chef Barthélemy, né en 1589. Son successeur est Maurice (1639-1715). A la même génération appartient Michel Ange (1629-1690), mais aussi Hyacinthe, mort en 1716, et Joseph Marie, mort en 1721. De Maurice et de Françoise RICCI né Marcel Hyacinthe (1696-1778). Celui-ci épouse, en 1725, Marie Madeleine RAYMONDI, héritière d’une partie du fief de Gorbio, et en obtient le titre de seigneurie le 14 mai 1725. Ils eurent 6 enfants, dont Jérôme François Maurice Victor qui fut également investi du même fief en 1782, avec le titre de Comte. Ce dernier se marie avec Anne Marie Camille RICCORDI, dont il eut 7 enfants : Marinet, marié à Rose REVELLI (7 enfants) ; Charles Eugène, marié à Elisabeth ROSSETTI (5 enfants) ; et Lazare, marié à sa cousine Anne Marie Antoinette, fille de Joseph Raymond et de Anne Françoise Claudine JOFFRES, frère de Jérôme François Maurice Victor, co-seigneur de Gorbio. Ils eurent 12 enfants.

 

Les enfants de Jérôme François sont contemporains de la période qui nous intéresse, comme l’est Joseph Raymond. Les DE GUBERNATIS se retrouvent installés dans différents lieux du Comté de Nice. Ils occupent tout d’abord Saint-Martin de Lantosque (Vésubie) et Sospel au XVème siècle.

 

Comme leur principale activité était liée au commerce, il est probable qu’ils se soient établis sur le long des routes du sel : l’une passant par la Vésubie et l’autre, quelques décennies plus tard, par le Col de Tende et donc par Sospel. Le fait est que ces deux villes soient des étapes importantes sur ces grandes routes commerciales, et tout particulièrement au transit du sel. C’est cette dernière caractéristique qui expliquerait leur départ de Saint-Martin de Lantosque, lorsque le village connut une importante régression économique, à partir de 1780, lors de la construction de la Strada Reale. Leur établissement à Gorbio à partir de 1725, suite au mariage de Marcel Hyacinthe et Madeleine RAYMONDI, n’était pas anodin ; en effet, ce village se trouvait peu éloigné de Sospel et recevait le passage des marchands génois venus pour les foires annuelles de Sospel. Les DE GUBERNATIS se sont trouvés dans toutes les villes les plus importantes du Comté de Nice : Saint-Martin, Sospel, Gorbio et Nice. Si les 2 branches étaient issues de la ville de Sospel, c’est à partir de Jérôme Marcel et Marcel Hyacinthe que la famille DE GUBERNATIS se divisa, sans pour cela que les liens existant fussent rompus entre les différentes

[1] C’est du moins la thèse défendue par E. GILI in Familles et Patrimoines à Saint-Martin-Vésubie, XVIème-XIXème siècles, Thèse, U.N.S.A., 2003

 

branches du lignage installées dans différents lieux du Comté de Nice. Cela tout d’abord parce que les DE GUBERNATIS possédaient conjointement des biens à Sospel. C’est le cas, entre autre, de Joseph Raimond, domicilié à Nice et né à Gorbio. On sait qu’il se rendait à Sospel au moins deux fois par an, avec sa famille, où il possédait des biens. D’autre part, la famille DE GUBERNATIS maintenait des liens étroits avec Turin, en la personne de Nicolas DE GUBERNATIS, né à Turin et avocat à Sospel. Lui aussi possédait plusieurs biens à Sospel. Dans une de ses dépositions, il affirme être domicilié à Turin et garder des liens très forts avec Sospel. Ainsi, la famille DE GUBERNATIS saura-t-elle faire face à la Révolution française ?

 

Le patrimoine matériel des DE GUBERNATIS lors à la Révolution Française

La Révolution Française a entraîné non seulement un changement de régime, mais également un changement dans les mentalités. En France, elle met fin à la royauté et à tous les privilèges qui l’accompagnent. Elle semble sonner la fin de la primauté de la noblesse, provoquant un important bouleversement dans l’ordre social. La noblesse est rattrapée par la bourgeoisie des notables. Ces caractéristiques étaient connues dans le Comté de Nice avant qu’elles ne s’y introduisent par la force et y aient des répercussions. La noblesse française émigrée dans le Comté contribuait au contexte de panique qui expliqua la fuite éperdue lors de l’arrivée des premières troupes ennemies. La propagande française estimait qu’ils préparaient, du moins en parole, une véritable contre-révolution.

 

Pourtant, ils ne cherchèrent même pas à s’opposer à l’entrée des troupes françaises à Nice, le 28 septembre 1792, commandées par le général D’ANSELME, préférant gagner Turin et l’Europe centrale. Tous les historiens s’accordent à dire que Nice fut conquise sans coup férir. Cette absence de résistance s’explique par le retrait des troupes sardes dans les montagnes, la fuite des magistrats du Sénat et du Consulat de la mer à Saorge. Les troupes sardes étaient commandées par le général DE COURTEN, qui suivit les conseils émanant des informations du Duc d’Aoste, qui affirmait qu’il « allait être attaqué par la mer et par terre par trente-cinq milles français... Sauvez les troupes et le Piémont à quelque prix que ce soit »[1] l’exhortait-il. La ville fut livrée à elle-même et au pillage. P. Gonnet raconte encore « qu’en l’absence de garde, des portefaix et des bourgeois s’emparent des munitions, saccagent plusieurs maisons ». Les deux Consuls restés en ville n’eurent d’autre solution que de livrer la ville aux troupes françaises afin qu’elles y rétablissent l’ordre. Le 28 septembre 1792, l’évêque VALPERGA, au côté d’un Consul, remet les clefs de la cité au général D’ANSELME. Cette reddition n’empêcha pas les troupes révolutionnaires de commettre, elles aussi, de nombreux excès, alors que D’ANSELME réorganisait la partie du Comté qu’il pouvait contrôler. Il créa une administration civile provisoire répondant au nom « d’Assemblée des corps administratifs réunis de la ville et ci-devant Comté de Nice ». Le 3 octobre 1792, les magistrats du roi de Sardaigne ayant fui la ville, D’ANSELME créa un tribunal civil et criminel, un tribunal de commerce et quatre justices de paix. Il prit également d’autres mesures, comme l’établissement de la vente libre du sel et du tabac, jusqu’alors monopole de l’Etat sarde, perçut les autres impôts, abolit les droits féodaux et, ce qui nous intéresse particulièrement, mit sous séquestre des biens des émigrés.

 

Les DE GUBERNATIS, émigrés

Les DE GUBERNATIS, comme la plupart des nobles, furent victimes de la vente des biens des Émigrés. En effet, la noblesse du Comté de Nice, connaissant la destiné de son homologue française, voulu protéger leur famille dans la fuite. D’après M. Derlange[2], il y eut deux vagues d’émigration : la première concerne les nobles et les ecclésiastiques, alors que la seconde fut davantage populaire. En effet, les plus nombreux à émigrer furent des paysans. Cette dernière vague apparaît comme une réponse aux problèmes de ravitaillement, aux réquisitions de l’armée et aux décrets sur la levée en masse, et concerna notamment les paysans désignés volontaires par les municipalités. Il s’agissait vraisemblablement d’une émigration « de la pauvreté ».

 

Quelles conséquences ce phénomène eut-il sur la famille DE GUBERNATIS, et tout particulièrement sur son patrimoine ? Dès 1791, l’administration française considérait comme Émigrés les individus ayant quitté la France à la suite des événements du 14 juillet 1789. Dans le Comté de Nice, dès les 16 et 17 janvier 1793, la Convention des Colons Marseillais impose aux municipalités de dresser une liste des absents et de séquestrer leurs biens. Les GUBERNATIS furent touchés par les séquestres, comme la plupart des Niçois. C’est surtout le cas à Gorbio et à Sospel. D’après ces listes, étaient installés à Gorbio un avocat, Nicolas GUBERNATIS ; un cultivateur, Lazare ; un officier militaire, Marinet ; et trois religieux, Jean (prêtre), Joseph (dominicain) et Marion. A Sospel, on compte 2 avocats, Nicolas et Jean-Baptiste GUBERNATIS ; 2 militaires, François et Joseph ; un notaire, Ignace et un prêtre, Jean[3]. Il semble que dans le cas de Marion GUBERNATIS, il y ait une erreur, car elle n’a apparemment jamais existé, et aurait pu être confondue avec une autre personne. Cette erreur apparut lors de la succession de Maurice GUBERNATIS de Gorbio. Son vrai nom est en fait Marie Hyacinthe. Elle est mariée à Monaco avec Joseph GASTALDI[4]. Il semble donc que les listes des Émigrés aient été

[1] GONNET P. - PERONNET M. La révolution dans les Alpes Maritimes, Horvath, 1975

[2] DERLANGE M. « L’émigration des niçois pendant la Révolution », in Nice Historique, n°3-4, 1992, p179 à 184

[3] A.D.A.M, 1Q 180 : District de Menton, 1793-An III : Séquestre et liquidations

[4] A.D.A.M, 1Q 212 : séquestre et liquidation administration des domaines des Alpes Maritimes

 

dressées dans la précipitation, et qu’un certain nombre d’erreurs y soient inscrites. C’est pourquoi, il est très difficile d’obtenir le nombre exact d’Émigrés. A cela, ou comme origine, pouvons-nous rajouter que la corruption ou les complicités étaient importantes dans les administrations locales, et que certaines familles payaient ou obtenaient que les administrateurs locaux ne les inscrivent pas sur les listes.

 

Malgré cela, on peut dire que les membres de la famille DE GUBERNATIS représentaient un large échantillon social, aux métiers variés, allant du cultivateur au notable. Les plus nombreux étaient des religieux. Il semble que la plupart aient fui par nécessité. Ce fut le cas des religieux, au nombre de 4, qui furent persécutés par le régime révolutionnaire et dont tous les biens avaient été séquestrés. L’autre raison du départ des GUBERNATIS s’explique par leur métier de militaire. Dans les troupes sardes, la plupart des officiers était noble, et, imaginant, selon les dires des Émigrés français, le sort qui leur était réservé une fois aux mains des troupes révolutionnaires, ils préférèrent fuir. Pour bon nombre d’entre eux, la fuite avait eu lieu avant même l’arrivée des troupes françaises. Ce fut le cas de Joseph Raymond DE GUBERNATIS.

 

Le cas de Joseph Raymond et de sa femme

Né à Gorbio, il est le fils de Marcel Hyacinthe et de Madeleine RAYMONDI. Son frère, Jérôme François Maurice Victor, est Comte de Gorbio. Joseph Raymond est domicilié à Nice, dans une maison située sur l’actuelle place Garibaldi. Il s’agissait de la place la plus importante à Nice, dont la charge politique était importante. Elle prit d’ailleurs, selon les époques, différents noms, tous représentatifs du pouvoir politique alors en place. Sous l’autorité du roi sarde, elle s’appelait place Victor, du nom du roi de Sardaigne Victor Amédée III. Sous le régime révolutionnaire, elle devint place de la République puis, sous l’Empire, place Napoléon. C’est également sur cette place que se trouvait la porte de la route de Nice à Turin, dite « Porte de Turin », ouvrant la Reale Strada. On peut imaginer l’importance sociale de Joseph Raymond DE GUBERNATIS, dont l’habitat principal se situait sur une place représentative du pouvoir à la fois politique et économique (avec la route Nice-Turin). Joseph Raymond quitta Nice en même temps que les troupes sardes. Mais la fuite de sa famille avait été organisée avant que la guerre ne commence véritablement, dès septembre 1792. « Elle partit pour Sospel (…) et de là, il (son mari) la conduisit à Coni »… en passant par « …Tende, ensuite au Bourg Saint-Dalmas »[1]. La décision de Joseph Raymond de faire partir sa famille montre son peu de confiance dans la victoire sarde, ou du moins une sage précaution, connaissant le sort réservé à la ville de Nice dans les plans stratégiques de son pays. Pourtant, cette fuite s’était déroulée dans une certaine urgence, puisque sa femme Françoise Claudine JOFFRES DE GUBERNATIS, n’eut pas le temps d’attendre d’accoucher. Plusieurs pétitions nous la présentent lors de son périple, alors qu’elle partit pour Coni « grosse de 5 mois ». Françoise Claudine JOFFRES, originaire de Draguignan, épousa Joseph Raymond DE GUBERNATIS en 1783, à Nice où elle séjournait. Elle affirme que Joseph Raymond, capitaine des milices et lieutenant des Chasseurs piémontais, l’obligea à partir pour Sospel, puis pour Coni en laissant ses enfants en nourrice à Lantosque, chez deux familles paysannes. Cette dernière affirmation laisse tout de même supposer une intention de retour pour récupérer les enfants. Peut-être Joseph Raymond espérait-il pouvoir revenir chez lui une fois la guerre terminée. Ce ne fut pourtant pas le cas, puisqu’il meurt à Cussiano en Piémont, le 7 septembre 1794, à l’âge de 70 ans, sans revoir sa femme et ses enfants. Il espérait probablement que le temps tasserait les choses si les Français gagnaient ou peut-être s’était-il tout simplement préparé au pire.

 

Après les premières persécutions, les premiers séquestres, le gouvernement révolutionnaire mena une politique plus conciliante, destinée à se donner ou conserver une certaine légitimité. Si les administrateurs locaux étaient corrompus, ils aidaient les Émigrés en échange d’argent. Le gouvernement central français n’était certainement pas dupe de ces pratiques. Les biens séquestrés des émigrés rapportèrent suffisamment d’argent au gouvernement, et bien plus encore aux administrateurs, pour qu’ils se montrent plus indulgents. Des lois furent votées en faveur des Émigrés, notamment celle qui leur donnait droit de revenir vivre dans le nouveau département des Alpes-Maritimes après avoir fait une déclaration et prêté serment à la Constitution française. Le Senatus Consulte du 6 floréal An X donne le droit aux Émigrés de rester sur le sol français, à condition de prêter serment avant le délai déterminé par le gouvernement, courant jusqu’au 21 ou 25 mars 1793. Pour faire cette déclaration, il fallait se rendre à Nice. Pourtant, les autorités n’espéraient pas que trop d’Émigrés le feraient dans les délais, très courts. Quelques mois seulement devaient permettre de se rendre à Nice. Par ailleurs, les habitants éloignés, comme ceux du Haut Pays, n’apprirent la nouvelle que très tard. C’est le cas de Françoise Claudine JOFFRES DE GUBERNATIS, l’épouse de Joseph Raymond, qui apprit la nouvelle aux environs du 20 février 1793. A cette époque, elle se trouvait au Bourg Saint-Dalmas, près de Coni, où son mari lui avait loué un appartement chez le médecin ALLION. C’est ce qui ressort de nombreux témoignages en sa faveur. Lorsqu’elle était partie, l’année précédente, elle était enceinte de 5 mois, et accoucha le 26 février 1793, soit 5 à 6 jours après avoir eu connaissance de la possibilité d’être radiée des listes des absents. Il lui était donc très difficile, sinon impossible de se rendre à Nice, car « 24 jours ne suffisaient pas à se remettre pour faire le voyage à travers les neiges et les montagnes »[2]. De nombreux témoignages prouvent que madame GUBERNATIS était bien dans l’impossibilité de se rendre à Nice, notamment celui du médecin qui l’a accouchée. Elle cherchait pourtant, comme le démontrent ses pétitions, à retrouver ses biens et ses droits. Il semble

[1] A.D.A.M, L172 Réclamations sur l’émigration (G.H.I.L)

[2] A.D.A.M : L 172 Réclamations sur l’émigration (G.H.I.L)

 

étonnant qu’elle n’ait pas profité de l’opportunité offerte. D’autant que ses pétitions ont un ton plutôt pathétique et tendent à faire pitié. Dans de nombreux passages, elle exprime ses malheurs, elle fait référence à ses enfants laissés en nourrice à Lantosque, et se plaint amèrement que sur la vente des biens de son mari, rien n’ait été donné aux nourriciers. Ceux-ci n’hésitent pas d’ailleurs à pétitionner, demandant au gouvernement de les aider à élever les deux enfants… « qu’on refusa la juste demande de la suppliante et que ses pauvres enfants fussent privés de tout secours sur les biens du père (…) ». Le vocabulaire de cette pétition nous montre bien qu’il s’agit de supplier les autorités d’aider une pauvre femme et ses pauvres enfants à s’en sortir. A la suite de ses déboires, elle persiste en accusant des créanciers « injustes » d’avoir « saisi des biens fonds sans voie de justice tel un AUDA surnommé l’Avellana, un autre nommé TESTORIS a exigé des sommes malgré son acquit de la dette que par hasard l’exposante avait sur elle ». Il semble que, malgré ce qu’elle veut faire croire, elle ne soit pas sans argent, puisqu’elle a pu rembourser une partie de ses dettes. Cependant, il s’agit pour elle de récupérer les biens de son mari et d’être radiée des listes d’Émigrés. De même, on apprend qu’elle est dénuée de tout soutien, « dénuée de moyen, de connaissance et d’appui (…), veuve, étrangère à Nice même, et sans aucun parent, de plus mère de famille ne pourra t-elle susciter la juste compassion de ses juges ?». Il semble peu probable qu’elle ait aucun soutien. Son mari était reconnu comme appartenant à un certain rang social, privilégié, avant l’arrivée des Français, ce qui lui donnait une certaine dignité, et qui n’a certainement pas disparu totalement à la Révolution. Cependant, il semble que ce soutien vienne exclusivement du Piémont. Celui du chevalier CLÉRICI de Roccaforie, sénateur, à Carmagnole, le 15 août 1796 ; celui d’Etienne SALA, à Carmagnole, le 13 août 1796 ; et enfin celui de Jean-Louis RAIBERTI, à Turin le 19 août 1796. Pourtant, la famille de son mari est restée sur Gorbio et sur Sospel mais il semble, d’après une pétition de Françoise Claudine JOFFRES, que les communications avec le département des Alpes-Maritimes soient coupées « qu’on refusait les passeports, que toutes communications étaient ôtées et les passages coupés par les troupes des deux puissances ». Il lui était donc impossible de faire appel à la famille de son mari.

 

Il est également probable que celle-ci devait avoir les mêmes difficultés pour être rayée des listes des émigrés. Dans le cas de Françoise Claudine DE GUBERNATIS, il semble qu’elle eut du mal à être amnistiée. Ses pétitions ne reçurent que des réponses tardives et négatives. On lui refusa, notamment, le report du délai pour se rendre sur Nice, bien que ses raisons fussent légitimes. Ce refus pourrait s’expliquer par l’importance des biens de Joseph Raymond, qui possédait une co-seigneurie à Gorbio, des biens sur Sospel et sur Nice, dont la villa sur la place de la République, que nous avons déjà rencontrée. Ces biens ont dû rapporter beaucoup d’argent lors de leur vente, certains servant bien souvent d’entrepôts à l’armée.

 

Françoise Claudine fut malgré tout amnistiée, probablement en l’An X du calendrier révolutionnaire, en vertu d’un procès verbal dressé par le préfet des Alpes-Maritimes. Ce document put-il faire office de certificat d’amnistie ou fut-il suivi d’un certificat d’amnistie ? Aucune information ne permet d’y répondre. Il reste pourtant certain que madame GUBERNATIS fut amnistiée, cela sans pour autant récupérer la totalité de ses biens. La maison sur la place de la République fut endommagée et occupée par l’armée. Il semble donc pratiquement impossible qu’elle l’ait récupérée. Concernant ses autres biens sur Sospel, peut-être en a-t-elle récupéré une partie, mais il est impossible de le savoir, à défaut de connaître l’état de ses propriétés avant la Révolution, Joseph Raymond n’apparaissant nul part sur les tables de ventes des biens des émigrés sur Sospel. Pour Gorbio, il a perdu sa co-seigneurie lors de la suppression des fiefs par les lois de la Révolution. Eut-il d’autres biens sur Gorbio ? Il n’en est pas fait mention.

Le cas de Joseph Raymond et de sa femme permet de décrire les conditions de l’émigration et ses raisons. En revanche, peu d’informations nous sont fournies sur la levée des séquestres. Celle-ci aurait pu nous apprendre si la dame GUBERNATIS avait récupéré ses biens. Nous ignorons également ce qu’il est advenu de ses enfants en nourrice comme des autres. Ont-ils hérité des biens de leur père, y a-t-il eu une succession ? Nous n’en avons pas trouvé mention. Nous sommes toutefois certains que sa fille Antoinette a contracté mariage avec son cousin germain, Lazare GUBERNATIS.

 

Le cas d’autres GUBERNATIS nous éclaire, moins sur l’émigration en elle-même que sur ses suites, notamment pour ceux concernés par la loi du 30 floréal An IV, qui permet aux sujets du roi sarde nés en Piémont et non domiciliés dans le Comté de Nice, de ne pas être considérés comme Émigrés et ainsi de garder leurs droits et leurs biens. D’après l’article 9 du Traité de paix de 1796, la République française et le roi de Sardaigne s’engageaient « à donner main levée du séquestre de tous effets, revenus ou biens, saisis, confisqués, détenus ou vendus sur les citoyens ou sujets de l’autre puissance, relativement à la guerre actuelle »[1]. C’était le cas de Nicolas DE GUBERNATIS.

 

Le cas de Nicolas DE GUBERNATIS

Nicolas DE GUBERNATIS envoie une lettre à l’administration centrale dans laquelle il justifie sa naissance à Turin ainsi que son domicile dans cette même ville, rédigée au nom de François Nicolas Marie DE GUBERNATIS, fils du feu François Jean-Baptiste, né en Piémont, à Turin le 10 septembre 1779. Il a toujours demeuré dans la maison paternelle, à Turin même, après la mort de son père, selon le certificat du capitaine de la ville daté d’août 1796, François LOCHE. En

[1] MALAUSSENA P-L. – VERNIER O. « Le sénat de Nice et la Révolution », in Nice Historique, n°3-4, 1992, pp 207-216

 

août 1792, il ne demeura à Sospel qu’à la faveur de ses biens, gérés par des agents certifiés par la municipalité, le 10 ventôse An II. Comme il était par erreur considéré comme Émigré, ses biens furent séquestrés, « ayant eu le malheur de perdre pendant cet intervalle les rentes et de souffrir beaucoup de dégradations »[1]. Etant sujet du roi sarde, il ne pouvait être considéré comme Émigré, et devait bénéficier des dispositions de l’article 9 de la loi du 30 floréal An IV. Il demande donc mainlevée du séquestre, mais également la possibilité de rentrer dans tous ses droits, notamment celui de vote, de participer à la vie de la ville… D’après l’arrêté de l’administration centrale en séance du 29 ventôse An V, il résulte que depuis 1780, Nicolas a toujours eu son domicile à Turin, sans interruption, sauf lorsque ses affaires l’amenaient à Sospel. D’après ce document, il serait né en 1739, alors que nous possédons une autre date dans la lettre de Nicolas. « Ses biens furent administrés par des agents, qu’ayant été détériorés, il a dû venir à Sospel pour les faire améliorer et réparer…ayant dû aller et venir de Turin plusieurs fois, y ayant travaillé jusqu’en avril 1792, puis il se rendit à Turin »[2]. Il obtient finalement la mainlevée du séquestre et est considéré comme véritable sujet du roi de Sardaigne, et non plus comme un Émigré. Il récupère ainsi tous ses droits. Pourtant, l’obtention de cette amnistie fut longue et difficile. Nous pouvons le constater à travers une lettre de Nicolas au préfet des Alpes-Maritimes. Il lui envoie l’acte de serment, le sien et celui de son épouse, qu’il a prêté devant le commissaire VIANETTO, car il leur a été impossible de se rendre à Nice. Apparemment, le commissaire, ainsi que le précise Nicolas dans sa lettre, n’a pas fait parvenir le serment à qui de droit. Heureusement, très prévoyant, il s’en était fait faire un double, qu’il transmet dans cette lettre, et qu’il avait précédemment montré au commissaire GROS, successeur du commissaire VIANETTO, qui l’a estimé en règle. Il semble qu’en haut lieu il n’y ait pas eu connaissance de ce serment, car Nicolas n’a pas reçu l’amnistie. La lettre du 30 floréal An XII en donne effectivement une réponse négative. Comment cela se fait-il ? Le commissaire VIANETTO aurait-il abusé Nicolas, ce qui voudrait dire qu’il aurait été payé ? Nicolas aurait-il bénéficié de la corruption de certains agents locaux ? D’ailleurs, il nous semble que tous les témoignages obtenus pour prouver sa domiciliation à Turin soient faux, comme il paraît dans un certain nombre d’informations, confirmant la présence presque continuelle de la famille de Nicolas à Sospel. Il apparaît sur le recensement de Sospel en 1809, il habite au quartier du Château, le « quartier politique ». Il est marié à Anne-Marie LANCHANTIN. Ils ont un enfant, né le 23 janvier 1778 à Sospel, François Xavier. Ces éléments démontrent à l’envie une présence quotidienne. Il semble que pendant la période française, Nicolas soit très souvent à Sospel. C’est encore vrai pour sa veuve, qui lors du recensement de 1838, à 82 ans, elle-même née à Villefranche et de religion catholique, est encore dite demeurant à Sospel. Il semble qu’effectivement Nicolas soit bien né à Turin, mais il est peu probable qu’il ne soit venu à Sospel que pour ses affaires ou pour des réparations qu’il aurait fort bien pu déléguer à ses agents. D’autant qu’il possède d’importants pouvoirs à Sospel, outre la fonction d’Avocat des Pauvres qu’il y exerce. Pour cette raison, sa présence doit être quotidienne. Nous connaissons son rôle et importance locale qu’il y a acquise grâce à une lettre du 22 brumaire An XII, que Nicolas écrit au préfet de Sospel, pour le remercier de son invitation à l’occasion de la réception du collège électoral. Il avait donc une position importante au sein de la ville, participant à la vie politique. Il est en tout cas peu probable qu’une personne étrangère à la ville puisse voter au conseil municipal et y avoir une si grande influence. De plus, la distance Sospel-Turin est certes moins longue que celle Nice-Turin, et malgré les facilités dues à la route royale qui permet de se déplacer plus rapidement, il est impossible de faire l’aller-retour tous les jours. Le 23 nivôse An XII, Nicolas est enfin amnistié. On le découvre par la lettre que Nicolas envoie avec ses remerciements et l’accusé de réception.

 

L’exemple de Nicolas DE GUBERNATIS est représentatif du contexte dans lequel s’exerce la récupération des biens. Dans son cas, il bénéficie d’être né à Turin et non dans le Comté de Nice. Il reprend donc à son profit la loi sur la domiciliation en territoire étranger, qui lui permet de garder ses droits. Après avoir prouvé sa naissance à Turin et y avoir résidé durant une bonne partie de sa vie, il ne lui fut certainement pas difficile de trouver des témoins pour le soutenir. D’autre part, son père François Jean-Baptiste est conseiller en Cour Royale depuis 1760, ce qui lui donne une influence importante à Turin, ce qui peut expliquer les témoignages justifiant sa domiciliation dans la capitale. Son métier d’avocat et le rôle de son père à la cour du roi de Sardaigne aurait dû lui permettre une carrière importante en Piémont, malgré la perte de ses biens à Sospel. Cependant, leurs récupérations ainsi que les droits politiques qu’il y détenait, sont utiles à la fois à la famille GUBERNATIS, qui possède ainsi des intérêts de chaque côté des Alpes, mais également à la monarchie sarde, qui peut ainsi se tenir informée des événements niçois. On l’a vu, Nicolas reçoit également des témoignages de l’administration municipale de Sospel. La plupart des autorités locales soutenaient, souvent moyennant finances, les Émigrés. C’est pourquoi le certificat du 10 ventôse An V pourrait être un faux, dû à la corruption des agents municipaux. Le cas de Nicolas DE GUBERNATIS est le seul exemple pour lequel nous pouvons affirmer qu’il récupère ses biens, les séquestres ayant été levés par l’arrêté de l’administration centrale des Alpes-Maritimes du 29 ventôse An V : « qu’il sera donné main levée de tout séquestre mis sur ses biens confisqués ou vendus (…) dans la commune de Sospel et autre dans l’arrondissement de ce département et il sera admit à l’exercice légal des actions et droits qui peuvent lui appartenir »[3]. Nicolas DE GUBERNATIS est donc le seul exemple de la famille pour lequel il nous est permis d’affirmer que la Révolution n’a pas eu de répercussion sur ses biens. Même dans le cas des Émigrés de Gorbio, il nous est impossible de savoir exactement ce que sont devenus leurs biens.

[1] A.D.A.M, L 172 Réclamations sur l’émigration (G.H.I.L)

[2] Ibidem

[3] A.D.A.M, L 172 Réclamations sur l‘émigration (G.H.I.L)

 

Le cas des GUBERNATIS de Gorbio

Nous avons retrouvé des pétitions prouvant leur désir d’être amnistiés, selon les termes du Senatus consulte de floréal An X concernant les prévenus d’émigration. Nous avons peu de renseignements sur la raison « officielle » de leur émigration, notamment en ce qui concerne les deux frères Marinet et Lazare GUBERNATIS. Tous deux sont les fils de Maurice GUBERNATIS, Comte de Gorbio avant l’arrivée des Français. Ils auraient donc dû hériter du titre et du fief, s’il n’y avait eu la Révolution. Il semble évident qu’ils ont émigré comme la plupart de la noblesse niçoise, avant même l’arrivée des troupes françaises. D’ailleurs, dans une pétition du 26 ventôse An X, on apprend « qu’ils ont été malheureusement inscrits sur la liste des Émigrés, quoiqu’ils s’eussent absentés de leur pays avant les réunions de ce département à la France ». Nous savons que Marinet fut lieutenant au régiment d’Ivrée dès le 1er septembre 1791, et ce, jusqu’au départ du roi sarde de Turin. Son absence est donc probablement due à son service dans les armées sardes. Il s’est battu contre les Français et a probablement suivi la retraite des armées sardes en 1792. L’extrait de registre des procès verbaux de la mairie de Gorbio, du 30 prairial An X, nous montre le serment prêté par Marinet GUBERNATIS, « lequel, par l’autorisation qui nous est parvenue au préfet du département, a fait ses déclarations et avons reçu son serment dans la forme suivante : (…) Je jure d’être fidèle à la Constitution et à l’Etat et n’avoir aucune intrigue avec les ennemis de l’Etat en foi de quoi nous avons dressé le présent procès verbal que le citoyen Marinet GUBERNATIS a signé avec nous »[1]. Cependant, il n’est fait état d’aucune amnistie ni d’aucune levée de séquestre. D’après la pétition du 26 ventôse An X, les deux frères seraient rentrés à Gorbio depuis 3 ans environ, « où ils se sont occupés à la culture des campagnes de leur maison »[2]. Ce qui laisserait à supposer qu’ils aient récupéré leurs biens, ou tout au moins leurs maisons et leurs terres cultivables. Ayant perdu leur titre et leur seigneurie, ils ont donc certainement perdu des terrains. Ils n’ont probablement que les biens qu’ils possédaient en propre. Il semble d’ailleurs qu’ils soient devenus de simples fermiers cultivant leurs terres, sans autre préoccupation, comme des citoyens modèles. C’est ce que cherche à prouver le certificat de bonne conduite délivré par le Maire de Gorbio, le 26 ventôse An X : « Nous, Maire de la commune de Gorbio, certifions que les pétitionnaires depuis trois ans sont rentrés dans cette commune où ils se sont conduits en bons et paisibles citoyens… »[3]. Ce certificat est joint à une pétition des frères GUBERNATIS demandant la mise sous surveillance afin qu’ils puissent « demeurer tranquillement dans leur foyer ». La mise sous surveillance n’est pas une amnistie mais une garantie de liberté surveillée. Ils seront certes amnistiés plus tard, mais il est moins certain qu’ils aient récupéré la totalité de leurs biens. Nous avons l’assurance qu’ils en ont récupéré une partie suffisante pour continuer à vivre dans le département des Alpes-Maritimes malgré l’extrême pauvreté de ses sols, aggravée par les conséquences des guerres révolutionnaires.

 

Le cas des religieux

Un autre cas est significatif, celui des religieux, qui furent profondément touchés par la déchristianisation révolutionnaire. Les historiens s’accordent pourtant à dire qu’elle fut moins profonde dans le Comté de Nice qu’ailleurs. Les élections de décembre 1792, deuxième consultation depuis l’arrivée des Français, marquent une tendance sensible au respect de la religion. Malgré cela, les biens du clergé niçois sont placés sous séquestre dés le 8 octobre 1792, et la vente commence dés octobre 1793. Certains sont réquisitionnés par l’armée pour servir de magasins ou d’entrepôts. Certes, beaucoup d’ecclésiastiques refusèrent de prêter serment et émigrèrent, mais il y eut peu de violence dans le nouveau département français par rapport à d’autres régions. Les prêtres émigrés ne furent pas remplacés par une Église constitutionnelle comme ailleurs. La déchristianisation est surtout visible pour la cathédrale de Nice, qui devient Temple de la Raison. Toute manifestation extérieure du culte lui est retirée. Mais les Niçois n’ont jamais totalement abandonné la religion et Michel Vovelle constate que la religiosité niçoise résiste véritablement à toute déchristianisation.

 

Chez les GUBERNATIS, il semble que la religion revête une certaine importance. Tous sont évidemment catholiques, et chaque génération a donné son lot de prêtres. Certes, sous l’Ancien Régime, la carrière d’un noble cadet oscillait soit vers l’armée, soit vers l’Église. Cette caractéristique se retrouve chez les GUBERNATIS, où l’on compte un grand nombre de militaires et d’hommes ou femmes de Dieu. La plupart, voire la totalité, ont émigré avant l’arrivée des troupes françaises par crainte du nouveau régime. Mais certains étaient déjà en poste hors du Comté de Nice depuis fort longtemps avant l’arrivée des Français.

 

C’est le cas du prêtre Joseph Marie Hyacinthe DE GUBERNATIS, père dominicain. Dans sa pétition au préfet des Alpes-Maritimes, en 1809, il dit être domicilié à Gorbio « [bien] avant la réunion de ce département à l’Empire français ». Il demande « au Grand Napoléon » de le radier des listes d’Émigrés et d’être amnistié comme l’ont été tous les Émigrés de Gorbio. Cependant, « il ne s’est jamais présenté à la préfecture pour en retirer le certificat qui a dû lui être envoyé ». Pour obtenir ce certificat d’amnistie, Joseph Marie Hyacinthe DE GUBERNATIS a dû au préalable faire une déclaration certifiant sa volonté de prêter serment, puis se rendre à Nice pour y procéder et être finalement amnistié. Ça ne paraît pas être un cas puisque, la réponse du préfet étant la suivante : « Ce certificat ne m’est pas parvenu et il n’a pu être expédié (…)

[1] A.D.A.M, L 172 Réclamations sur l‘émigration (G.H.I.L)

[2] Ibidem

[3] Ibidem

 

si vous n’avez pas fait en temps utile la déclaration prescrite par le senatus consulte du 6 Floréal An X »[1]. Il semble que le prêtre Joseph Marie Hyacinthe DE GUBERNATIS n’ait pas eut connaissance du senatus consulte de l’An X. En fait, il est plus probable qu’il n’ait pas voulu rentrer dans le nouveau département français pendant la période révolutionnaire. Il a préféré attendre le moment opportun et le retour à une monarchie qui semblait plus profitable aux ecclésiastiques que ne l’était la période révolutionnaire. Il espère certainement passer outre au senatus consulte de l’An X. Il semble que Joseph GUBERNATIS l’ait finalement obtenu, peut-être par corruption. Dans le cas contraire, pourquoi aurait-il attendu aussi longtemps pour demander son certificat d’amnistie et son procès verbal de déclaration ? Il est plus probable que, bien que le senatus consulte de l’An X laissât un délai pour procéder à sa déclaration, l’Empire soit passé outre ce délai. Dans tous les cas, Joseph GUBERNATIS a obtenu son procès verbal de déclaration, qu’il reçoit le 15 janvier 1810. Il peut ainsi prêter le serment suivant : « Je jure d’être fidèle à l’Empereur, d’obéir aux constitutions de l’Empire et de n’entretenir, directement ou indirectement, aucune liaison ni correspondance avec les ennemis de l’Etat »2. La date du serment tend à confirmer cette hypothèse, comme le prouvent les autorisations du 9 décembre 1809 et du 19 décembre 1810, transmises par  Son Excellence le sénateur ministre de la police générale. Les autres prêtres ont été amnistiés avant Joseph. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé d’autres exemples nous apportant autant de renseignements pour la période révolutionnaire. Nous savons que Jean-Baptiste GUBERNATIS, prêtre de Sospel, a prêté serment le 9 frimaire An IX. Mais il n’est pas amnistié. Il reçoit simplement un acte de surveillance, délivré par l’administration municipale du 26 messidor An VI, qui lui permet de résider à Sospel sous la vigilance des autorités. Nous savons que tous les GUBERNATIS sont radiés des listes d’Émigrés et amnistiés à différents moments de la période révolutionnaire, excepté pour le cas de Joseph Marie Hyacinthe GUBERNATIS, qui ne sera amnistié qu’en 1810, sous le règne de Napoléon. Il est difficile de connaître la date exacte des amnisties puisqu’on ne les retrouve que par les listes de radiation des Émigrés, celle-ci n’étant que rarement réalisée.

 

Les pertes

La perte des titres de noblesse

A partir de la Révolution, les GUBERNATIS perdent leur titre de noblesse, si tant est qu’il leur en reste. En effet, ils ont perdu leur titre de Comte de Bonson par le mariage d’Emmanuel FERRERO et Marie Lucrèce DE GUBERNATIS, fille du sénateur Jean-Baptiste. Le fief de Bonson fut alors transmis à la famille FERRERO. La famille GUBERNATIS perdit son titre avant même que la Révolution le lui enlève. En ce qui concerne Gorbio, nous savons que les DE GUBERNATIS étaient co-seigneurs par le mariage de Marcel Hyacinthe avec Madeleine RAYMONDI, héritière de la co-seigneurie, en 1725. Son fils, Jérôme François Maurice Victor, devient Comte de Gorbio, et son frère, Joseph Raymond, dont nous avons déjà parlé, hérite de la co-seigneurie de son père. A l’arrivée des troupes révolutionnaires, ils perdent leur titre et leur co-seigneurie.

 

Cependant, pendant la Restauration sarde le titre aurait dû être transmis aux fils de Maurice Victor, alors que la co-seigneurie aurait du échoir aux enfants de Joseph Raymond. Pour le cas de Joseph Raymond. Il est fort possible que celui-ci n’ait plus de descendance mâle. Nous n’avons pu retrouver sa succession. En revanche, celle de Maurice Victor nous est connue indirectement, grâce aux nombreuses pétitions qu’elle a suscitée. Sa disparition ayant eu lieu pendant la période française, en 1797, sa succession s’est alors déroulée selon les lois françaises, qui faisaient disparaître le titre et obligeaient au partage égalitaire des biens entre l’ensemble des héritiers. Ainsi s’expliquent la disparition du titre et l’impossibilité d’en retrouver la trace lors de la Restauration sarde. La perte des titres explique que les GUBERNATIS n’apparaissent plus que comme de simples citoyens. Plus aucune marque de supériorité sociale n’apparaît à la simple mention de leur nom durant toute la période française. Toutefois, à partir de 1814, lors de la Restauration sarde, certains préfixes identifiant la noblesse réapparaissent, avec des noms précédés de « De » ou de « Illustrissimo », voire des deux à la fois, ou encore de « Chevalier ». Ainsi, même si les DE GUBERNATIS perdent leur titre de noblesse, ils ne perdent pas pour autant leur noblesse. En va-t-il de même de leurs biens ?

 

La perte de leurs biens

Dès les premières années de la Révolution dans le Comté de Nice, les GUBERNATIS perdent tous leurs biens, à la fois sur Gorbio, Sospel mais aussi à Nice. C’est le cas de Joseph Raymond DE GUBERNATIS. Qui est-il ? et que possède-il à Nice ? Que deviennent ses possessions ? Nous savons déjà que Joseph Raymond DE GUBERNATIS possédait une maison à Nice, place de la République, avec plusieurs bâtiments qu'il louait à des bourgeois. L’armée française se servait des grandes maisons et de leurs dépendances comme entrepôts et magasins pour l’armée. Ce fut le cas également pour les biens du clergé : les églises et les monastères furent transformés en entrepôts de l’armée. Une pétition de DUBREUIL, garde principal et chef aux travaux des vivres à Nice, adressée au District de Nice, le 5 prairial an II, nous l’apprend. Dans cette pétition, il demande la réquisition de la maison de l’Émigré GUBERNATIS à l’usage de l’armée[2]. Elle lui est accordée.

[1] A.D.A.-M., L 172 Réclamations sur l'émigration (G. H. I. L.) : Réponse à la pétition du prêtre Joseph Marie Hyacinthe DE GUBERNATIS, par le préfet des Alpes Maritimes le 15 septembre 1809.

 

[2] A.D.A.M : L 40

 

Nous savons également, grâce à la pétition de Jean-Baptiste VALAT, que cette maison a subi de gros dégâts, occasionnés par une explosion du magasin à poudre. En plus de cette maison, Joseph Raymond possédait des biens sur Gorbio et Sospel, comme la plupart des membres de son lignage. Ces derniers possédaient des maisons en ville, à Sospel, dans la plupart des quartiers, et au village de Gorbio. Ils avaient également acquis des terrains aux environs des villages de Gorbio et de Sospel, de grands espaces avec des arbres fruitiers, de la vigne, des forêts… Sur Gorbio, particulièrement, ils possédaient des moulins. Certains de ces biens eurent à subir les affrontements des armées sardes et françaises. Les bâtiments furent souvent détériorés, alors que les terrains et leurs récoltes étaient détruits. Les réquisitions achevèrent leur ruine. C’est alors que les décrets de la Convention Nationale, du 17 Frimaire, ordonnèrent le séquestre des biens des pères et mères dont les enfants sont émigrés. Brimade supplémentaire, les géniteurs devaient se présenter chez le Receveur du district pour payer une amende équivalente et destinée à l’entretien de deux soldats de la République. Ainsi, même si l’on n’avait pas émigré personnellement, il suffisait qu’un enfant ait émigré pour que les biens de la famille soient séquestrés. Cela permettait au gouvernement de séquestrer plus de biens et obligeait bien souvent la famille à les racheter afin qu’ils ne passent pas en d’autres mains. Il ne semble pas que les GUBERNATIS aient été concernés par ce cas de figure. Ils n’apparaissent que dans les enchères pour affermage des baux. L’émigration était considérée par les autorités françaises comme un crime puni de mort ou de bannissement sous le régime de la Terreur, dont les Émigrés et leur famille devaient assumer solidairement les conséquences. La plus importante restait la vente de leurs biens. Elle dilapidait véritablement le patrimoine familial, parfois acquis depuis plusieurs siècles. Cette déchéance économique s’ajoutait à la perte des titres de noblesse et de seigneurie. La vente des biens nationaux fut donc à la fois une perte morale d’un patrimoine âprement gagné et perpétué au sein des grandes familles, mais également économique, car la terre restait la base essentielle et le symbole de la richesse.

 

Le patrimoine est le garant de la notoriété familiale. La vente des biens demande à établir le contexte dans lequel elles se déroulèrent, et d’estimer leurs conséquences. Essayons d’apprécier en quoi les GUBERNATIS sont concernés par ces ventes, comme ils les ont vécues et ce qu’elles nous apprennent sur leur patrimoine familial. Ces interrogations nécessitent la reconstitution des patrimoines grâce aux actes d’achats et de ventes conservés dans les archives notariales. Une attention toute particulière sera réservée aux testaments.

 

La vente des biens des Emigrés

On pourrait penser que la vente des biens des Émigrés dilapide le patrimoine des familles. Mais les historiens s’accordent à dire que, pour l’essentiel, ces biens ont pu être sauvegardés. Certains acquéreurs étaient des parents des Émigrés, sans doute restés sur place dans l’espoir de maintenir leur patrimoine ainsi que celui de l’absent. Il est fort possible que les Émigrés aient eu des agents qui défendaient leurs intérêts, notamment en rachetant leurs biens. Dans ce cas, les Émigrés étaient obligés de racheter ce qui leur appartenait déjà. Chez les GUBERNATIS, ce sont surtout de proches parents qui les ont rachetés. C’est le cas pour Victor GUBERNATIS, dont les intentions restent bien obscures.

Il achète, le 29 Germinal An II, la Commanderie de Saint-Gervais de Sospel dont Jérôme Marcel DE GUBERNATIS, puis son fils Jean-Baptiste et ses descendants, étaient Commandeurs. Ce qui démontre une certaine continuité avec la période pré-révolutionnaire. De nombreux GUBERNATIS, notamment ceux que nous avons cités précédemment, portèrent le titre de Chevalier de l’ordre de Malte, ce qui les liait à cette Commanderie[1]. On peut donc raisonnablement penser que Victor GUBERNATIS chercha à conserver cette Commanderie dans la famille, même si celle-ci ne possède plus aucun revenu ni utilité. On peut pourtant penser que le pouvoir symbolique des biens ecclésiastiques persistait, le Comté de Nice conservant une forte imprégnation religieuse, alors que la tentative de déchristianisation du régime révolutionnaire eut peu d’impact sur les consciences. La conservation des biens religieux qu’ils réalisaient permettait aux notables de conserver une certaine primauté dans la conscience collective. Dans le cas de Victor GUBERNATIS, nous comprenons bien qu’il cherche à s’y maintenir.

 

Par ailleurs, il rachète des biens ayant appartenu à Nicolas DE GUBERNATIS, avocat de Sospel, ce qui confirme l’hypothèse précédente. Ce dernier tentait donc, comme beaucoup de ses contemporains, de maintenir l’essentiel du patrimoine familial.

 

D’autres membres de la famille cherchaient à l’imiter. C’est le cas de Joseph GUBERNATIS, qui a racheté la terre de son fils Jean-Baptiste, dans la région Saint-Pancrace. Ces achats permettaient également de s’enrichir, ce qui n’était pas à négliger. Ce sont les principaux intérêts des ventes des biens des Émigrés. On pourrait penser que cette vente profitait aux plus modestes. Ce ne fut pas le cas. En fait, elles ont surtout profité aux administrateurs du gouvernement révolutionnaire. « Meaussier, receveur des domaines et de l’enregistrement a deux types de registres : l’un réservé aux membres de l’administration avec les biens les plus riches, l’autre, pour les citoyens ordinaires, avec les biens médiocres ». La vente des biens des émigrés n’a donc véritablement profité qu’à l’élite et n’a servi qu’à creuser davantage le fossé entre les plus riches et les « petites gens ».

[1] A.D.A.-M., série Q, 1Q234 Fonds du District de Menton. Régie des biens nationaux meubles et immeubles de première et deuxième origines.

 

Victor GUBERNATIS appartient à l’administration municipale. Outre la volonté de maintenir le patrimoine familial, il a évidemment pour objectif de s’enrichir et de maintenir, sinon améliorer sa stature sociale. Il achète une terre ayant appartenue à Ange VACCHIERY, ainsi que 2 maisons et un grenier à foin dont l’ancien propriétaire était Charles PRIORI. La terre peut servir à la culture du sol, fertile à Sospel. Les maisons peuvent être louées et le grenier peut stoker du foin ou d’autres produits. Le bien foncier reste donc synonyme de richesse, comme sous l’Ancien Régime. Cette richesse permet de s’élever socialement et de jouer un rôle plus important au sein de la société. Beaucoup en profitèrent. Ce fut le cas de Victor GUBERNATIS, qui est officier municipal et appartient au comité de surveillance de Sospel. Il participe ainsi directement à la gestion de la ville et devient un personnage important et influent. Le peu de document concernant Victor GUBERNATIS nous interdit de connaître avec certitude son rôle dans les ventes des biens des Émigrés. Son objectif était-il d’aider les Émigrés en rachetant leurs biens et de leur rendre à leur retour, ou bien avait-il comme ambition de s’enrichir ? Des malversations ont eu lieu lors de ces ventes et Victor GUBERNATIS fut mêlé à l’une d’elle. C’est ce que nous apprend le procès de Jean-Baptiste BOSANO, Receveur des biens des Émigrés, qui en fut accusé. Celui-ci, pour sa défense, met en cause une personne très influente à Sospel, Jean-Baptiste BORRIGLIONE et ses complices, dont fait partie Victor GUBERNATIS. Un lien apparaît entre les deux hommes dans les ventes de biens des Émigrés à travers les cautions. Pour chaque achat de Victor GUBERNATIS, Jean-Baptiste se porte caution et réciproquement. Or, la caution sous-entend un lien de confiance. Il s’agit probablement d’une alliance familiale comme il y en avait sous l’Ancien Régime. Celle-ci existe entre ces deux familles depuis au moins 1778. C’est la rédaction de l’acte de naissance de Xavier GUBERNATIS, fils de Nicolas et Anne Marie LANCHANTIN, qui nous apprend que les parrain et marraine ne sont autres que François BORRIGLIONE et Rosa VACCHIERY, les parents de Jean-Baptiste BORRIGLIONE. Les familles GUBERNATIS, BORRIGLIONE et VACCHIERY constituent vraisemblablement de véritables clans locaux. Cela expliquerait l’achat de la terre d’Ange VACCHIERY par Victor GUBERNATIS, probablement dans le but de sauvegarder ses biens. On peut également établir de forts liens entre Victor et son parent Nicolas GUBERNATIS, par l’intermédiaire des mêmes familles BORRIGLIONE et VACCHIERY. Quand le bail prit fin, il fut effectivement racheté par Jean-Baptiste BORRIGLIONE. Il y a donc bien une volonté d’entraide parmi les membres des clans locaux, destinée à sauvegarder le patrimoine familial de chacun. Nous ne pouvons malheureusement déterminer avec certitude le rôle des deux personnages[1]. Il semble que Jean-Baptiste BOSANO s’occupait des ventes des biens des Émigrés en tant que Receveur. Celui-ci empiétait sur les territoires des BORRIGLIONE, ce qui l’oblige à entrer en conflit avec Jean-Baptiste. Or, ce dernier semble avoir une très grande influence à Sospel, provoquant le procès de Jean-Baptiste BOSANO. Tous les témoignages du procès sont en faveur de Jean-Baptiste BOURRILLON[2].. Victor ne serait donc qu’un complice de l’important Jean-Baptiste BOURRILLON. Les deux hommes ont le même métier, ce qui renforce leur union.

 

Jean-Baptiste BORRIGLIONE semble défendre ses intérêts, mais sont-ils familiaux ou personnels ? Nous comprenons qu’il voulait maintenir son patrimoine familial, mais également qu’il avait pour ambition de l’agrandir. Il représente l’archétype de l’enrichi qui réussit à s’élever socialement grâce à l’achat des biens des Émigrés. Pourtant, il semble que Victor GUBERNATIS n’ait pas profité autant que cela des ventes des biens des Émigrés puisque sa femme, après sa mort, eut de graves problèmes d’argent. Victor GUBERNATIS meurt en 1806. Peu de temps après, sa femme et ses enfants sont obligés de vendre des biens aux enchères pour rembourser leurs dettes. Ainsi, il ne semble finalement pas appartenir à cette catégorie d’individus qui se sont enrichis grâce aux biens des Émigrés, tel que l’a réalisé Jean-Baptiste BORRIGLIONE. Seuls quelques biens restent dans la famille, la terre de Jean-Baptiste GUBERNATIS que Joseph, son père, avait pu racheter et dont il avait renouvelé le bail. Ce fut également le cas de la Commanderie de Gervais dont nous savons qu’elle revint définitivement à la famille GUBERNATIS.

 

Locations : baux d’affermages

Nous avons remarqué que les biens nationaux vendus apparaissent également dans les baux d’affermage. Bien souvent, ces biens achetés par les GUBERNATIS sont loués par d’autres acquéreurs. Or, comment un bien acheté peut-il être reloué aux dépends de l’acquéreur ? Le problème reste entier, mais nous savons que les affermages semblent avoir porté préjudice aux biens des GUBERNATIS, plus que ne l’ont fait les ventes. C’est également le cas pour les GUBERNATIS de Gorbio. Ceux-ci n’ont d’ailleurs laissé de traces que dans ces documents d’affermage. On ne mentionne qu’un GUBERNATIS, qui perd tous ses biens. Il s’agit de Joseph, probablement Joseph Raimond. Ce dernier possédait de nombreux biens à Gorbio. Rappelons qu’il en fut co-seigneur avant la Révolution. La plupart de ses biens sont loués par la famille RAIMONDI. C’est Jean-Baptiste RAIMONDI qui les rachète pour 10 ans.

 

Il n’existe pas d’autre référence des Émigrés de Gorbio. Ni Marinet ni Lazare GUBERNATIS n’apparaissent. Qu’est-il advenu de leurs biens ? Il semble que la municipalité ait été généreuse avec eux. Comme nous l’avons dit, les municipalités hésitent à vendre les biens de leurs émigrés. « Aussi (…) retardent-elles le plus possible les ventes aux enchères des biens

[1] DAHAN S. Op. Cit.

[2] Pour avoir plus de précision sur le procès opposant Jean-Baptiste BOSANO et Jean-Baptiste BOURRILLON, il faut aller voir le mémoire de maîtrise de Stéphanie Dahan.

 

confisqués. Elles hésitent à spolier le patrimoine de leurs concitoyens absents »[1].. Il est fort possible que les GUBERNATIS de Gorbio aient bénéficié de ces « retards » de l’administration municipale et soient revenus assez vite pour éviter la vente. Nous savons qu’à leur retour ils récupérèrent leurs biens ou tout au moins, leur domicile et une terre cultivable. Ils sont alors considérés comme des fermiers dans les pétitions de Marinet et Lazare.

 

Dans l’ensemble, les GUBERNATIS n’ont pas profité des affermages ; au contraire, ils ont perdu, pour la plupart, leurs investissements. Ils apparaissent peu en tant qu’acheteurs, voire disparaissent totalement des transactions, comme Victor GUBERNATIS qu’on ne retrouve même plus comme caution. On retrouve souvent Joseph, mais seulement dans cette dernière fonction. Cependant, les affermages sont « moins graves que la vente d’un bien national »[2]. En effet, les biens loués n’appartiennent, en propre, au locataire, que le temps du bail. Ensuite, ils reviennent à la municipalité qui pouvait, si les Émigrés rentraient au pays, les leur restituer. Dans les Alpes-Maritimes, les municipalités ont le droit de gérer comme elles le veulent les biens des Émigrés. C’est pourquoi l’administration décide, à partir de l’an II et III, de procéder à l’affermage de nombreux biens nationaux dans le district de Menton auquel appartiennent les communes de Sospel et de Gorbio. On peut donc penser que les communes souhaitent protéger le patrimoine des Émigrés. La Révolution a donc profondément bouleversé l'ordre social et la vie quotidienne. Les familles sont dispersées par l'émigration et voient leur patrimoine diminuer, sinon disparaître. Mais elle a également modifié le droit familial, notamment celui de la succession.

 

Les problèmes de succession

« La famille reflète la société politique où elle s'insère : une des premières précautions du législateur sera de réformer son organisation »[3]. Pour que la notion d'égalité que défend résolument la Révolution triomphe dans la société, il faut au préalable qu'elle s’impose à la famille. Le droit successoral offrait un moyen efficace d'atteindre une véritable égalité matérielle et sociale, souhaitée par les Révolutionnaires. Pourtant, « le partage des patrimoines aboutissait rapidement à l'émiettement des fortunes »[4].

C’est ce qui arriva à certains GUBERNATIS de Gorbio. Jérôme François Maurice Victor, fils de Marcel Hyacinthe et Madeleine RAYMONDI, frère de Joseph Raymond (co-seigneur de Gorbio avant la Révolution), Comte de Gorbio avant la Révolution, meurt le 19 ventôse An V. Sa femme Camille RICCARDI le rejoint dans le monde meilleur le 2 prairial An VIII. De leur vivant, aucun séquestre n'avait été apposé sur leurs biens. Pourtant, certains de leurs enfants étant Émigrés, leurs biens auraient dû être séquestrés. A la mort du Comte de Gorbio, sa succession est soumise aux lois révolutionnaires, qui modifient complètement l’ancien droit de succession. Auparavant, seul l'aîné pouvait hériter des biens familiaux seigneuriaux. Les cadets devaient occuper une charge pour subvenir à leurs besoins. Chez les nobles, ils entraient parfois dans l'armée, mais le plus souvent dans les ordres. Les filles étaient dotées. Or, la Révolution prônant le partage des biens, les vœux du défunt sont oubliés au profit d’un partage égalitaire entre ses héritiers. Ce changement semble avoir été bien accepté par l'ensemble de la population. De nombreuses pétitions de cadets en profitent pour réclamer le partage des biens. Nous n'avons pu retrouver le testament de Maurice GUBERNATIS. En revanche, nous avons pu reconstituer sa succession grâce à de nombreux documents l’expliquant. Il eut dix cohéritiers, dont six sont portés sur les listes des Émigrés. Le sort des Émigrés se rajoute aux problèmes du partage. Ceux-ci ne pouvant être concernés par le partage, la République se porte co-héritière à leur place. Cependant, deux d'entre eux s'avèrent être les frères du défunt et non ses enfants. Rappelons également le cas de Marion GUBERNATIS, de son vrai nom Marie Hyacinthe. Joseph GUBERNATIS, dominicain, s'était retiré de la succession moyennant une rente viagère de 100 livres. Il ne restait donc plus que deux Émigrés, Marinet et Lazare, représentés par la République. D'après la loi du 13 ventôse An III, les copropriétaires pouvaient jouir, aux côtés de la République, des indivis appartenant aux dits Émigrés. Cependant, la loi du 9 frimaire An VII modifie celle du 13 ventôse An III et permet aux cohéritiers de réclamer le partage. C'est pourquoi, le 22 vendémiaire An X, le séquestre est apposé sur une maison et un petit jardin, 2 moulins à farine et 2 à huile, ainsi qu'une petite terre, 8 pièces de terre dans différents quartiers et un petit bois de pins. Les autres biens avaient déjà été partagés entre les cohéritiers non-émigrés. Cette loi prescrivait que les régisseurs devaient, à la fin du délai, directement apposer le séquestre et prendre possession des biens. Cette loi devait être affichée dans toutes les communes. Dans leur pétition du 25 brumaire An X, les cohéritiers expliquent qu'ils ne la connaissaient pas, et qu'ils n'ont donc pas pu demander le partage. « Les régisseurs des domaines n'ont jamais exécutés cette loi sur les biens provenant de la succession du dit GUBERNATIS et moins encore cette loi a été affichée dans la commune de Gorbio ainsi qu'il en résulte du certificat ci-joint de la mairie de Gorbio (...) Il ne serait pas également juste que les copropriétaires qui auraient continué à jouir paisiblement et en bonne foi des dits biens sans jamais avoir eu la moindre connaissance d'une telle loi dussent subir le même sort (celui du séquestre comme s'ils avaient fait exprès de ne pas demander le partage) »[5]. La pétition est signée par Louis GUBERNATIS, Eugène GUBERNATIS, Guillaume GUBERNATIS, en leurs noms comme au nom de Marcel, Hyacinthe, Hyacinthe Marie et Pierre GUBERNATIS, leurs

[1] CASERIO J.-L. « Menton sous la Révolution et l’Empire (1793- 1814), la vie politique et sociale », Menton, in Annales S.A.H.M, 1989.

[2] Ibidem

[3] CARLIN M. « L’introduction de la législation révolutionnaire dans le Comté de Nice : le droit familial », in Nice Historique N° 3- 4, 1992, pp. 163-166.

[4] Ibidem

[5] A.D.A.-M., série Q: 1Q212.

 

frères et sœurs. Le sous-préfet MASSA semble se joindre à leur cause. C’est ce qu’il en retourne d’une lettre qu’il adresse au préfet, le 17 frimaire An X, en lui demandant de reporter le séquestre jusqu'à ce que l'on « se soit prononcé sur le partage »[1]. Dans une lettre du préfet au directeur de la Régie, datée du 24 frimaire An X, on apprend que le partage peut avoir lieu. Le séquestre est donc levé. Les enchères, qui devaient avoir lieu, sont suspendues. Cependant, les avis divergent sur l'intérêt de la République à les suspendre. MASSA, le sous-préfet, semble penser que ces dernières ne seraient d'aucun « avantage pour le Trésor Public »[2] et ne feraient que porter préjudice aux cohéritiers. On peut en effet, se demander si la République a intérêt à mettre aux enchères les biens indivis de la succession GUBERNATIS. Peut-être serait-il plus judicieux d'en percevoir les revenus aux côtés des cohéritiers, puisque ceux-ci en avaient la jouissance conjointement avec la République, et devaient lui faire état des revenus perçus. Le Receveur des Domaines semble de l'avis contraire. Les revenus semblent plus avantageux, puisque la République va procéder au partage, mais les cohéritiers devront toujours rendre compte à la République. Cependant, le partage semble prendre du temps et des conflits apparaissent entre cohéritiers. Ils expliquent la pétition de Louis GUBERNATIS, fils de Maurice, du 24 ventôse An X. Celui-ci demande « le partage des biens provenant de ladite succession, que depuis cette époque, les autres frères se sont emparés de la jouissance d'iceux à titre de dépositaires sans qu'ils ne lui aient fait part d'aucun fruit, ainsi qu’avant le séquestre et depuis le décès de leur père, ils l'avaient toujours pratiqué ». Les traditions inégalitaires pouvaient donc être assez mal supportées.

 

Cependant, ce partage fut rapidement remis en question lorsqu'en floréal An XI, les Émigrés, Marinet et Lazare GUBERNATIS, envoient leur certificat d'amnistie et demandent à retrouver leurs biens dans la succession de leurs parents. Ils en obtiennent la jouissance, mais doivent rendre compte de leurs revenus. Ainsi, la République perçoit toujours une partie des revenus de la succession. D'autre part, comme Joseph n'est toujours pas amnistié, la rente viagère que les cohéritiers devaient lui verser est en fait versée à la République, jusqu'à ce que le dit Joseph retrouve ses droits.

Si l'égalité dans la succession semble remporter un certain succès, les cohéritiers répugnent bien souvent à enrichir la République. En effet, les cohéritiers GUBERNATIS devant rendre compte du revenu de la succession, une lettre du Vérificateur des Domaines, datée d’août 1811, les rappelle à l’ordre. Il avait demandé qu’un expert soit nommé afin d'évaluer leurs biens. D'après lui, les cohéritiers tenteraient de ralentir l'expertise. En contrepoint de ces procédures, les GUBERNATIS essaient d’obtenir que leur frère, Joseph, ne soit plus considéré comme Émigré. Ainsi, n'auront-ils plus à payer sa rente à la République. La famille semble donc bien décidée à sauvegarder leur patrimoine en donnant le moins possible à la République.

 

Cette succession constitue un exemple complexe des problèmes que peut poser la législation révolutionnaire dans son application, notamment lorsque les familles sont touchées par l'émigration, phénomène qui concerne la plupart des familles du Comté de Nice. Dans ce cas particulièrement, la République profite de la succession pour obtenir le reversement d’une part importante de leurs revenus, soit par les ventes aux enchères des biens revenant aux Émigrés, soit par la perception directe des loyers. L'acceptation du principe d'égalité par les Niçois s'accompagne d'un rejet d'enrichir le Trésor Public. L'égalité apparaît comme un prétexte pour remplir les caisses de l'Etat. La Révolution a fait quelques heureux chez les oubliés de l'Ancien Régime comme les cadets, dont le droit à une partie de l'héritage dépendait de la générosité du père, et qui devaient souvent se contenter de la rente que leur rapportait leurs charges professionnelles. Ils devaient constituer eux-mêmes l’essentiel de leur patrimoine afin de créer un lignage propre. Avec la Révolution, ils ont droit à une part égale du patrimoine familial et sont ainsi valorisés par rapport à l'aîné.

 

L'émigration est un phénomène et une conséquence majeure de la Révolution. Elle a touché toutes les couches sociales y compris les plus pauvres. Les familles s'en trouvent démembrées, dispersées, car certains restent alors que d'autres partent. Ceux qui n’émigrent pas cherchent surtout à protéger le patrimoine des absents, sans spécialement soutenir le nouveau régime. La vente des biens des Émigrés est bien sûr propice à l'enrichissement, mais seuls les plus aisés vont réellement y parvenir, aggravant ainsi les inégalités sociales antérieures. Il s'agit surtout de protéger le patrimoine familial. Pour cela, les GUBERNATIS utilisèrent différentes stratégies afin d'être amnistiés et récupérer leurs biens. Ils surent utiliser la législation révolutionnaire à leur profit. Celle-ci, bien souvent mal acceptée dans le Comté, a pu l’être bien plus positivement grâce à la loi sur l'égalité dans la succession. Pourtant, si ce principe est apprécié, l'intéressement de la République, qui perçoit une partie des revenus, l'est beaucoup moins. Si la Révolution n'est pas totalement rejetée par les Niçois, elle est mal vécue dans une situation de marasme économique dans lequel elle plonge le Comté de Nice. Les familles, bien souvent appauvries, doivent encore subir la vente des biens des Émigrés.

 

En dernière analyse, la famille GUBERNATIS s'en est relativement bien sortie. La plupart de ses membres ont été amnistiés et ont retrouvé leurs biens. Mais, s'ils ont pu sauvegarder un certain patrimoine, la Révolution ne les a pas pour autant enrichis. L'exemple des GUBERNATIS nous a toutefois montré que les Niçois n'étaient pas aussi attentistes qu'on le pense bien souvent. Ils ont subi la Révolution, mais en ont détourné les règlements à leur profit dès que cela s’avérait possible, et ont ainsi cherché à sauver leurs biens. Si certains se sont enrichis, ce sont surtout les notables. D'ailleurs,

[1] Ibidem

[2] Ibidem

 

comme le montre l'exemple des GUBERNATIS, si la noblesse Niçoise a survécu à la Révolution, c'est aussi parce que sa structure et son appartenance à la notabilité lui permettaient de bénéficier des réseaux familiaux. L’essentiel a été sauvegardé, sans pour autant que tous les notables se soient enrichis avec la Révolution. Ce fut le cas de la famille DE GUBERNATIS.

 

Une famille entre noblesse et notabilité

Bien souvent, noblesse et notabilité se confondent dans le Comté de Nice. Le notable, à peine docteur, venant de recevoir la laurea, est anobli. Il ne s'agit plus d'une noblesse oisive, mais exerçant une profession honorable, telle que juge, procureur, avocat, notaire, médecin... Les notables, grâce à leur instruction, représentent le niveau social privilégié pour diriger les communautés. Ils savent lire et écrire, connaissent également les lois. Ces qualités l’ont aidé à survivre à la Révolution. C’est de cette manière que la famille GUBERNATIS, profondément ancrée dans la notabilité, put utiliser les lois révolutionnaires à son profit. Les notables eurent un rôle très important, autant sous l'Ancien Régime que pendant la Révolution. Mais qu'en est-il des GUBERNATIS ? Il convient tout d’abord de resituer la famille GUBERNATIS à partir des critères de notabilité, qui, d’après nous, lui ont permis de conserver l’essentiel de son patrimoine, de sa richesse et de traverser sans trop d’encombre la Révolution.

 

Sous l'Ancien Régime, la famille GUBERNATIS était déjà fortement implantée dans la notabilité. C'est cette qualité qui lui a permis de faire partie de la noblesse niçoise. Son modèle est à rapprocher de celui de la famille DANI, souvent considérée comme l’archétype de l’ascension sociale par l’intermédiaire de la notabilité. La famille GUBERNATIS appartenait au monde du négoce, donc de la roture. Nicolas DE GUBERNATIS fut en son temps le plus riche marchand de Saint-Martin de Lantosque (Vésubie), au XVème siècle. Ces origines marchandes se retrouvent encore à Sospel. Ils deviennent de riches bourgeois. De même que la famille DANI, « grâce à cet enrichissement, ils manifestent une certaine ambition, poussant leurs fils à faire des études supérieures »[1]. C'est ainsi que la famille GUBERNATIS entre dans la notabilité, en tant qu’hommes de loi, notaires... Ils obtiennent très rapidement une grande importance dans l’activité juridique et atteignent des fonctions prestigieuses. Leur nom est souvent accompagné du qualificatif de « Très Illustre », qui symbolise l’accès au sommet de la hiérarchie sociale. Ils entrent ainsi dans la noblesse de robe. Mais, si les premières marques de noblesse furent obtenues par les générations précédentes, c'est avec Jérôme Marcel DE GUBERNATIS et ses descendants qu'elle atteint son apogée. Jérôme Marcel a cumulé presque toutes les charges anoblissantes, mais la plus importante fut celle de Président du Sénat de Nice. Il accédera aux titres de noblesse en devenant Comte de Bonson, en 1688.

 

Ce n'est pourtant pas la fortune, même si celle-ci est nécessaire, qui assure à la famille GUBERNATIS l'entrée dans la noblesse, mais la profession. Avec Jérôme Marcel et ses descendants, grâce à leur richesse et au genre de vie qu’ils mènent, on parvient à la fusion entre la nouvelle noblesse et l'ancienne. Cette fusion se réalise par les alliances matrimoniales, qui maintenaient, voire accroissaient le pouvoir de la famille.

 

Il existait deux sortes d'alliances matrimoniales : l'alliance dite noble, réalisée entre familles nobles souvent éloignées géographiquement, et l'alliance dite locale, qui pouvait faire également s’allier des familles nobles mais plus généralement s’associait à des familles bourgeoises riches. Il convient d'étudier ces deux systèmes d'alliance, puisque la famille GUBERNATIS les pratique tous les deux. Ce qui est somme toute normal, car bien qu'entrés dans la noblesse, les GUBERNATIS gardent toujours une grande proximité avec la notabilité.

 

Les alliances nobles

Les mariages sont synonymes de pouvoir. C'est pourquoi les mariages de raison prédominaient. « Les maisons se soutiennent et s'enrichissent par les bons mariages ; elles se ruinent et se déshonorent par les mauvais »[2]. J.-L. Flandrin affirme que « mal marié, un fils pouvait rendre impossible le mariage de ses sœurs, soit par le déshonneur que ce mariage faisait peser sur la maison, soit parce qu'il n'avait pas apporté les ressources nécessaires pour les doter »[3]. Finalement, sous l'Ancien Régime, le mariage, bien que religieux, apparaissait surtout comme une transaction de plus, visant à enrichir la famille. Il était donc normal que le père, chef incontestable de la famille, en ait la responsabilité. Nous n'aborderons les alliances matrimoniales dites nobles que dans le but de démontrer leur importance et leur raison d'être. Quelques exemples suffiront à illustrer des stratégies complexes. Ils permettront de comparer les différentes stratégies matrimoniales adoptées par les GUBERNATIS.

 

La plus importante des alliances nobles a été celle de Jérôme Marcel DE GUBERNATIS, qui s'allie avec l'une des plus importantes familles nobles du Comté de Nice, en se mariant avec Lucrèce Marie de VINTIMILLE, en 1656. Celle-ci est la

[1] SIFFRE M-H. « De la bourgeoisie à la noblesse par l’avocature. Histoire d’une famille de notaires et procureurs niçois sous l’Ancien Régime : Les Dani », Nice Historique n°2, 1975 avril-juin, p 41 à 53.

[2] COLLIER R. La vie en haute Provence de 1600 à 1850, Société scientifique et littéraire des Alpes de haute Provence, Digne, 1973. Cette phrase est extraite du livre d'Antoine de Courtois, cité par le chanoine Corriol, d'après Charles de Ribbe.

[3] FLANDRIN J.L. Familles, parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, collection, Le temps et les hommes, Paris, Hachette, 1976.

 

fille de François, seigneur d'Aurigo et de Paule ISNARDI de Gorbio. Il s’agit probablement du premier contact de notre famille avec Gorbio. Ce mariage lui permet surtout de s'allier avec la noblesse traditionnelle. Il confond ainsi la noblesse de robe, dont il fait partie, avec l'ancienne noblesse. Cependant, on peut penser, et la suite le prouve, qu'il avait également des vues sur les fiefs de cette illustre et ancienne famille du Comté de Nice. Dès que l’occasion se présente, il renforce cette alliance en mariant son fils Jean-Baptiste à Paule Marie de VINTIMILLE, en 1689. Le père  de la mariée, Roger, est seigneur d'Aurigo, de Cenova et Lavina. Ce fut une bonne affaire pour le lignage de Jérôme Marcel, puisque cette branche des VINTIMILLE n'ayant plus de descendance masculine, c’est Jean-Baptiste DE GUBERNATIS qui héritera de tous les titres et les fiefs des deux familles. Pour marquer encore plus fortement cette alliance, il alla jusqu’à adjoindre leur nom au sien, donnant naissance à la branche des DE GUBERNATIS VINTIMILLE. Par cette alliance, il obtint de devenir Comte de Bonson, seigneur d'Aurigo, Cenova et Lavina, enrichissant sensiblement son patrimoine familial.

 

Les alliances nobles ne s'arrêtent pas à ce seul exemple. Antoine Gaétan épousa Constance DAL POZZO, fille d'Alexandre François, Comte de Pern. De cette union naquit Rose Marie, qui fut mariée à son tour à un membre d’un lignage prestigieux, en épousant Charles François CAYS, Comte de Gillette. Son autre fille, Marie Lucrèce, épousait dans le même temps le marquis Emmanuel FERRERO d'Alassio. La famille DE GUBERNATIS se trouvait ainsi alliée à une autre famille très ancienne et illustre du Comté de Nice. Mais cette belle politique d’alliances prestigieuses devait prendre fin avec l'extinction de sa branche et de ses titres, qui passèrent à la famille FERRERO, à défaut de descendance mâle. Comme le fit Jean-Baptiste GUBERNATIS, Emmanuel FERRERO adjoint le nom des deux familles : FERRERO DE GUBERNATIS VINTIMILLE. Ce lignage descend d’une branche de l'illustre famille FERRERO de Mondovi, parente des marquis d'Ormea et des FERRERO THAON. Pierre François avait épousé Anne RICCARDI d'Oneille, dont la mère était Camille DE GUBERNATIS, sœur du Comte Jérôme Marcel DE GUBERNATIS, Grand Chancelier du Duc de Savoie. Pierre François eut pour fils Emmanuel qui épousa Marie Lucrèce DE GUBERNATIS, fille du sénateur Jean Baptiste. Jean Baptiste semble avoir suivi la politique matrimoniale de son père. Leur objectif était de s'allier à la puissante famille des FERRERO, certainement pour consolider leur pouvoir en s'alliant à une noblesse de sang. Les GUBERNATIS sont en effet de noblesse récente, et il s’agit pour eux de gagner en légitimité. Cependant, ces mariages semblent plutôt favoriser les FERRERO, qui héritent finalement des titres et noms des GUBERNATIS et des VINTIMILLE.

 

D'Emmanuel descend Luc Marcel, qui fut inscrit au livre d'or de la noblesse niçoise, ce qui lui donnait droit au titre de marquis. Il obtint, en 1767, des lettres patentes de nationalité sarde et, ayant accédé aux noms, biens et titres des familles DE GUBERNATIS de VINTIMILLE, il s'établit à Nice où il épousa mademoiselle Marie GRIMALDI, s'alliant ainsi à l'une des familles les plus puissantes du Comté de Nice[1].

 

Le mariage est toujours une affaire d'intérêts, permettant de rehausser l'honneur de la famille par l'alliance avec d'autres familles nobles, et bien souvent d’enrichir le patrimoine familial. Les exemples présentés ne concernent qu'une branche des GUBERNATIS, issue comme les autres de Sospel, sans que nous ayons pu établir de liens directs dans leur parenté. L'union la plus significative de cette seconde branche est celle de Marcel Hyacinthe DE GUBERNATIS et Marie Madeleine RAYMONDI, héritière de la co-seigneurie de Gorbio. Leur fils Jérôme François Maurice Victor devint Comte de Gorbio et épousa Marie Camille RICCARDI de Lantosque. Son frère, Joseph Raymond, co-seigneur de Gorbio, se marie avec Marie Françoise JOFFRES de Draguignan, créant ainsi une alliance avec une famille provençale. Suivant en cela Pierre Bourdieu[2], nous constatons que les nobles se marient avant tout entre eux, quelle que soit la situation financière de la famille. Le prestige du nom semble bien plus important. La distance géographique elle-même avait peu d'importance, l'épouse suivant le plus souvent son mari. Cette politique permettait d'avoir des attaches hors de son lieu de naissance ou de son fief et de ses environs. Ces liens étaient certes utiles, mais, bien souvent, ils étaient éloignés et finalement peu profitables, excepté pour la possession d'un fief ou d'un titre. Le principal avantage d'une alliance matrimoniale, au-delà de ses aspects pécuniaires, résidait dans la dynamique de l'alliance locale.

 

Les alliances locales

« L’argent ne suffit pas pour bien vivre au village. L’exercice du pouvoir local, le jeu du prestige et de l’honneur s’appuient sur des forces multiples où les réseaux familiaux et le clientélisme tiennent une grande place »[3].

 

Celle-ci sont très importantes, puisqu'un chef de famille a intérêt à s'allier avec les familles les plus en vue et les plus influentes de sa communauté et de sa proximité, ce qui explique les nombreux mariages avec des jeunes gens de villages environnants. Dans le cas des GUBERNATIS, cette stratégie se retrouve par les unions avec la famille TRUCHI qui n'est pas une famille noble de Sospel mais du Moulinet. Parfois, ces familles peuvent être de moindre importance sociale, de

[1] ORESTI DI CASTELNUOVO, Notes historiques sur soixante familles, Marseille, 1974

[2] BOURDIEU P. « Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction », in Annales E.S.C., 1972, pp. 4-5

[3] COLLOMP A. La maison du père : famille et villages en Haute Provence au XVIIème et XVIIIème siècle, collection, Les chemins de l’histoire, Paris, P.U.F, 1983 - LATOUCHE R. Sospel, pages d’histoires, Grenoble, 1929 - NICOLAS J. La Savoie au XVIIIème siècle, noblesse et bourgeoisie. TOME 1, Situation au temps de Victor Amédée II. TOME 2, Inflexion aux XVIIème et XVIIIème siècles, Nice, A.D.A.-M., 1978.

 

petite noblesse ou même roturières. Elles dirigent pourtant la communauté, et cela suffit pour qu’elles deviennent des alliées. La famille DE GUBERNATIS joue sur les deux tableaux, s’assurant ainsi de puissants alliés.

 

Sur Sospel, Jean GUBERNATIS épouse, en 1480, Francisquette PELLEGRIN, une importante famille de la ville. Nicolas DE GUBERNATIS se marie avec Honorée VACCHIERY, famille noble du même lieu. Lors de la première période sarde, André François VACCHIERY fut préfet de Sospel. L'importance de cette famille se retrouve lors de la restauration sarde, en 1814, lorsque Sospel envoie quatre députés à Turin afin de renouveler le serment de fidélité de la cité à Victor Emmanuel 1er. Parmi ces quatre députés, on retrouve Charles Pierre VACCHIERY et Jean-Baptiste GUBERNATIS[i].

 

D’autres alliances matrimoniales sont conclues avec la famille RICCI, notamment entre Hyacinthe GUBERNATIS et Alexandra RICCI, en 1768, complétée par le mariage de Jean-Marie Louis de Gorbio avec Marie Camille RICCI de Sospel. Cette famille noble a donné son nom au Palais de Sospel.

 

De nombreuses unions ont lieu avec la famille GAGLIARDI, qui ne semble pas être noble, mais elle doit certainement être riche, ce qui justifierait le grand nombre d'alliances conclues entre les deux lignages.

 

Bien entendu, d'autres mariages ont lieu avec des familles moins importantes car il y a toujours des mésalliances dans les familles. On peut également supposer que ces familles possédaient malgré tout une certaine aisance matérielle, et pouvaient être utile, d’une manière ou d’une autre, aux GUBERNATIS.

 

Pour la noblesse comme pour la bourgeoisie, le mariage revêtait une grande importance. Le prestige du rang primait pour les aristocrates alors que les riches bourgeois insistaient sur l'importance matérielle, sans pour autant dédaigner l’apport du prestige. « Chez les notables, les interventions des tiers s'inscrivaient dans une aire géographique et sociale relativement étroite et bien déterminée, limitée, sauf exception, à la zone d'influence du bourg ou de la ville. Dans la noblesse, au contraire, les négociations de mariage se situaient dans un cadre beaucoup plus large, qui débordait parfois les frontières »3. Cette assertion concernant la Savoie peut sans aucun doute être étendue à notre région. L'exemple des DANI[1] nous le prouve.

 

Les grandes alliances, concernant les grandes familles nobles, sont, par nature, moins nombreuses. Les GUBERNATIS semblent préférer les alliances locales et ces dernières ne sont pas obligatoirement nobles. La Révolution ne semble pas avoir bouleversé les habitudes concernant le mariage, en tout cas pour ce qui concerne la famille DE GUBERNATIS. Durant cette période, elle a cependant favorisé les alliances locales, puisque la noblesse n'existe socialement plus, et que les grandes familles nobles, dispersées, ont souvent été touchées par l'émigration.

 

Il est pourtant un point sur lequel la Révolution est plus souple, celui du mariage consanguin. Sous l'Ancien Régime, l'Église régissait les mariages et interdisait les unions consanguines. Or, la Révolution accorda le mariage consanguin jusqu'à un certain degré de parenté jusqu’alors prohibé. C'est pourquoi, Lazare GUBERNATIS, fils de Maurice Victor, ci-devant Comte de Gorbio, épousa sa cousine germaine, Anne Marie Antoinette, fille de Joseph Raymond, co-seigneur de Gorbio et frère de Maurice Victor. Rappelons que le régime révolutionnaire n’oblige plus le mariage religieux, seul le civil étant considéré comme valide. « Pour le code civil, comme pour la loi de 1792, le mariage est un contrat civil. Cette loi laissait à chaque citoyen la faculté de faire bénir son union par un ministre du culte, soit avant soit après la célébration »[2]. Ce mariage n'aurait pu avoir lieu sous l'Ancien Régime, puisque l'Église ne l'aurait pas permis. « On observait, dans l’ancien droit, la décision du Concile de Latran, maintenue par le Concile de Trente, prohibant le mariage entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré canonique, en ligne collatérale, c’est-à-dire entre enfants issus de cousins germains. Alors que la loi du 20 septembre 1792 interdit seulement le mariage à l’infini entre parents ou alliés en ligne directe, et entre frères et sœurs en ligne collatérale »[3]. Les GUBERNATIS ont tout de même dû obtenir une autorisation spéciale pour ce mariage, car même les lois révolutionnaires ne le permettaient pas. Nous n'avons malheureusement aucun renseignement quant aux justifications officielles qu'ont donné les GUBERNATIS pour obtenir cette autorisation. Nous savons que celle-ci fut donnée par un Conseil de famille. Cette pratique fut instituée par le régime révolutionnaire. Elle concernait les enfants mineurs (sous l’autorité du père) lorsque les parents sont morts ou absents. « Un décret du 7 septembre 1793 réglementa le cas où les père et mère étaient décédés ou interdits ou absents, pour cause légitime. L’enfant était autorisé à se marier sur l’avis d’un Conseil de famille composé des deux plus proches parents ou amis »[4]. C’est le cas d’Antoinette GUBERNATIS, alors âgée de 15 ans. Son père, Joseph Raimond, est mort, et sa mère, Françoise Claudine JOFFRES, est absente. Nous nous souvenons qu’elle a présenté de multiples pétitions pour obtenir son amnistie. Antoinette se trouvait à cette époque probablement en nourrice ou en garde de son tuteur, Marinet GUBERNATIS de Gorbio, et fut obligée de faire

[1] SIFFRE M.H. « De la bourgeoisie à la noblesse », in Nice Historique, n°2,1975 avril-juin, p. 41

[2] SIFFRE M.H., Op Cit

[3] GARAUD(M), La révolution française et la famille, PARIS, P.U.F, 1978

[4] Ibidem

 

 

appel au Conseil de famille. Nous pouvons formuler une hypothèse concernant les raisons réelles de ce mariage. Il a permis à la famille GUBERNATIS de Gorbio de rassembler le patrimoine familial en réunissant les biens de Maurice Victor et de Joseph Raymond. Il a peut-être d'ailleurs permis de sauvegarder une partie des biens de Joseph Raymond, Émigré.

 

Un tel mariage peut également être dû à un déficit de potentialité d'alliance favorable. Quoiqu'il en soit, le mariage avait toujours un objectif, soit pécuniaire, soit honorable. La famille cherchait à s'élever socialement ou, tout au moins, à maintenir son rang social et son prestige.

 

L'aspect pécuniaire du mariage est perceptible par l’intermédiaire de la dot. C’est le cas pour la constitution de dot de Madeleine GUBERNATIS, fille de Jean-Baptiste et de Paule DRODIBUSSET, lors de son mariage avec Paul GIUGLARI. Ce mariage ne fut autorisé qu'après un Conseil de famille, car les parents de la future mariée étaient décédés et ne pouvaient approuver ce mariage. Lors de l’héritage, les filles avaient un avantage sur les cadets masculins grâce à leur dot. Cependant, elles étaient dépréciées car il ne s'agissait que rarement de terres. En 1807, la constitution de dot réunie pour Madeleine GUBERNATIS démontre le contraire. Elle était constituée d'argent (240 francs issus d'un héritage de Sigismond PELLEGRIN), de meubles et du trousseau pour une valeur de 130 francs, mais également d'un bien fonds au quartier de Fontan, territoire de Sospel, « limité au-dessus par les hoirs de Thomas RAIBAUT, au-dessous par le chemin public, d'un côté en partie par Pierre GUBERNATIS, son frère, et en partie par Victor MANEIRA et, de l'autre côté, par un ravin à sec ». Le bien fonds était complanté en vigne et était estimé à une valeur de 450 francs environ. Il lui vient de sa mère, Paule DRODIBUSSET, qui, elle-même, l’avait probablement reçu en dot. Il est courant, en effet, que la dot d'une femme serve à doter ses filles.

 

L'importance de la dot témoigne de la richesse de la famille. Dans le cas de Madeleine GUBERNATIS, elle témoigne d'une certaine aisance matérielle ou d’une volonté délibérée, puisqu'elle est constituée d'un bien fonds venant en augmentation d’une somme en numéraire, de meubles et du trousseau. La dot représentait au total une valeur de 920 francs. Le bien fonds, à lui seul, constitue une valeur plus importante que le numéraire. Seules les familles aisées donnaient en dot un bien fonds. D'autres exemples sont connus dans l'ancien Comté de Nice, où de grandes familles nobles dotaient parfois leurs filles de parts ou même de fiefs entiers. La dot était un véritable investissement et revenait finalement cher à la famille, représentant bien souvent pour elle un endettement de longue durée. Elle était couramment payée en plusieurs fois, sur plusieurs années, afin d'en amortir le coût. Certaines filles étaient envoyées au couvent car les dots ecclésiastiques étaient beaucoup moins coûteuses, et évitaient un mariage ruineux. Cette pratique était très répandue dans les groupes nobiliaires et certaines familles cherchaient à éviter de s’appauvrir grâce au célibat des filles.

Chez les DE GUBERNATIS, certaines filles étaient destinées au mariage alors que d'autres devaient entrer dans l'Église. Il est peu fait mention des femmes du clan GUBERNATIS appartenant à l'Église, caractéristique qui concerne surtout les hommes. Nous n'avons pareillement que peu retrouvé de mariages concernant les filles GUBERNATIS. Nous savons que Paul GIUGLARI, le futur époux de Madeleine GUBERNATIS, était déjà en possession des biens meubles et des trousseaux. La somme issue de l'héritage devait lui être versée par le Bureau de Bienfaisance des hospices civils de Sospel. Le bien foncier lui est probablement revenu après le mariage. Dans notre exemple, la dot a été payée d'un seul coup. Elle constituait donc un enjeu important du mariage.

 

L'alliance contractée entre deux familles se réalisait par le mariage au travers de la dot, donc essentiellement par l'argent. Cependant, la dot à elle seule n’explique pas le mariage, car elle est souvent de faible importance (en argent ou en meuble). Pour cela, le mariage appelle ou laisse espérer une alliance profitable. Cependant, le mariage n'était pas la seule façon de créer des alliances. Le parrainage en était une autre forme.

 

Les alliances par parrainage

Sous l'Ancien Régime, les parrains étaient considérés comme de véritables parents de substitution. C'était à eux de s'occuper des enfants à la mort des géniteurs. Les parrains, qu'ils soient ou non membres de la famille, entrent ainsi dans celle-ci. Le parrainage est important à la fois dans les alliances nobles et bourgeoises.

 

La famille DE GUBERNATIS était alliée à l'importante famille noble des LASCARIS. Marinet LASCARIS est le parrain de Marinet GUBERNATIS, fils de Maurice Victor, ancien Comte de Gorbio. Ces deux familles ont souvent été, sous l'Ancien Régime, co-seigneurs des mêmes seigneuries, aussi bien à Gorbio qu’à Castellar. Quant au comté de Bonson, autrefois aux mains des LASCARIS, il revient aux GUBERNATIS, en 1688.

 

Cet exemple d'un parrainage entre deux grandes familles nobles peut être complété par ceux existant avec de puissantes familles locales. Nous connaissions déjà les liens existant entre les familles GUBERNATIS et BORRIGLIONE de Sospel sans en connaître exactement la nature. Victor GUBERNATIS et Jean-Baptiste BORRIGLIONE étaient-ils associés par des liens de famille ? En fait, le fils de Nicolas DE GUBERNATIS, avocat à Sospel, et de Anne Marie LANCHANTIN, avait pour parrain François BORRIGLIONE et Rose VACCHIERY, géniteurs de Jean-Baptiste BORRIGLIONE. Cela ne nous

permet pourtant pas de connaître la nature des liens entre Jean-Baptiste BORRIGLIONE et Victor GUBERNATIS. Pour cela, il faudrait définir les liens de parenté entre Nicolas et Victor GUBERNATIS, ce que malheureusement nous n'avons pu déterminer. En revanche, ce parrainage nous confirme l'alliance entre les trois familles : entre les GUBERNATIS et les BORRIGLIONE, entre les BORRIGLIONE et les VACCHIERY et, effectivement, entre les GUBERNATIS et les VACCHIERY, dont l'alliance est déjà ancienne. Ces alliances par parrainage sont aussi importantes que celles issues du mariage. Le meilleur exemple apparaît avec le procès de Jean-Baptiste BOSANO[1].

 

L’importance des notables

La famille GUBERNATIS semble bien intégrée dans la notabilité. Mais qu'entend-t-on finalement par le mot « notabilité », souvent simplement assimilé à la bourgeoisie[2] ? Celle-ci est souvent comprise dans un sens très large. Suivant M. Agulhon, il ne s'agit pas seulement d'un habitant du bourg, mais d'une personne aisée, dont les rentes issues des loyers de ses biens lui permettent de ne plus travailler. Il vit donc dans l'oisiveté, se rapprochant ainsi du mode de vie noble. « Les bourgeois, qui d'une manière plus ou moins aisée, vivaient de leurs terres travaillées par d'autres »[3]. M. Agulhon intègre les notables dans les rangs de la bourgeoisie. Cependant, les notables ont une profession. Ils sont hommes de loi, notaires... ce qui exclut le critère d'oisiveté des bourgeois. Toujours d'après M. Agulhon, c'est dans les familles bourgeoises que se recrutaient les avocats, les notaires... « Ainsi, le bourgeois qui devient avocat est dit ‘avocat’, mais reste un bourgeois »4. Bien que sa profession soit prestigieuse, elle reste avant tout honorifique, ce qui l’oblige à vivre essentiellement des rentes de ses propriétés foncières. Il n'y a donc pas lieu de distinguer le bourgeois et l'homme de loi ou le bourgeois des professions libérales, comme deux catégories sociales différentes. D'après Jean Nicolas, chez les notables de Savoie, ce sont les avocats qui possèdent les meilleurs revenus. Les notables du Comté de Nice devaient ressembler aux Savoyards, tout comme aux Provençaux. L'exemple de la famille PAYANI[4] le démontre.

 

Le notable bourgeois était avant tout un gros propriétaire terrien. C'est le cas des GUBERNATIS. Les archives notariales nous fournissent plusieurs actes de ventes et d'achats les concernant, qui leur permettaient régulièrement d'enrichir leur patrimoine. L'acte de vente de 1807, conclu entre Nicolas DE GUBERNATIS, avocat, et Dominique CHIANEA, cultivateur, tous deux propriétaires à Sospel, « lesquels ont exposé qu'il y a eu quelques différents entre eux » à cause d'un passage « que l'on dit, puisse être assujetti » à la terre en friche vendue par Nicolas DE GUBERNATIS au même Dominique CHIANEA, le 26 octobre 1791, pour 15 louis. Mais Nicolas n'a pas accepté l'argent. Il semble que le passage soit situé en bordure de la propriété achetée, l'acheteur affirmant qu'il lui appartient, ce que nie Nicolas. Ce dernier revient sur l'acte de vente en refusant l'argent du paiement[5]. Cet exemple démontre que les actes de vente n'étaient jamais définitifs et donnaient souvent lieu à des conflits, notamment en ce qui concerne les dimensions du terrain. Il suffit que l'acte de vente laisse planer un doute pour engendrer un conflit. Il s’agit d’un exemple parmi tant d'autres, illustrant le genre de conflit que pouvait entraîner une vente et qui risquait de séparer deux familles d'une même ville. La vente peut donc représenter un risque pour les alliances locales, même si dans cet exemple les deux familles ne semblent pas alliées. Cependant, le nombre important d'actes de ventes et d'achats concernant les GUBERNATIS semble montrer qu'ils avaient une forte activité économique durant toute la période qui nous intéresse, tant lors du régime français qu'au moment de la restauration sarde. Ce dynamisme témoigne du maintien de leur volume patrimonial, resté quasiment intact malgré les ventes des biens nationaux qui les frappèrent. En effet, pour vendre des biens, il fallait bien évidemment en posséder suffisamment pour ne pas se trouver dépourvu. De même, pour acheter, il fallait posséder une richesse nécessaire. L'important nombre d'actes de ventes et d'achats retrouvé concernant les GUBERNATIS témoigne donc d'une richesse importante et d'une forte activité économique, ce qui est une caractéristique essentielle du notable bourgeois.

 

D'autre part, la famille GUBERNATIS possédait également des revenus portant sur des biens immobiliers, comme pouvaient l’être les maisons qu’ils louaient. Nicolas DE GUBERNATIS, avocat de Sospel, possédait au moins deux maisons dans cette ville, puisqu'on lui reconnaît deux domiciles : un au quartier Castello et l'autre sur la place Saint-Michel. Mais la famille possédait également des maisons qu'elle louait à d'autres personnes. C’est surtout vrai à Gorbio, comme nous le montre le recensement de 1858[6]. Dans la rue Comessione, on retrouve deux maisons appartenant aux GUBERNATIS et habitées, l'une par la famille VIAL et l'autre par la famille GAYLO. Dans la rue Composta, se trouve une maison appartenant à la famille GUBERNATIS, habitée par les IMBERTI. Une autre maison située rue Puaja est habitée par les BOYER et les MENEI. La famille GUBERNATIS vit également de rentes foncières et immobilières, complétées par les revenus de plusieurs moulins. Ils sont des membres importants et influents de la bourgeoisie locale, proches de la noblesse et, qui, parfois, dans le cas des GUBERNATIS, se confondent avec elle.

 

[1] DAHAN S., Op. Cit.

[2] AGULHON M. « La vie sociale en Provence Intérieure au lendemain de la révolution », in Société des Etudes Robespierristes, 1970.

[3] Ibidem

[4] ANDREIS D. « Les notables au village : la famille PAYANI de Saint-Martin d’Entraunes », in Nice Historique, n°1, 1985, janvier-mars, pp. 3-20

[5] A.D.A.M : Archives notariales, 3 E 22/ 121

[6] A.D.A.M, E dépôt 31, Archives Communales de Gorbio, 1 F 2 Recensement de 1858. Tableaux récapitulatifs et feuilles de maisons

 

Les bourgeois dominent également l’économie locale, comme le font les GUBERNATIS. A. Collomp le confirme par l’exemple des communautés provençales. Ainsi dit-il que « l’exercice des charges communales se traduit par le transfert du pouvoir local des mains des représentants de la communauté à celles des bourgeois eux-mêmes. Après la vente par les seigneurs des banalités à la communauté, dans les premières années du XVIIème siècle, le four et le moulin, jusqu’à la fin du siècle, restèrent au pouvoir de la communauté, sous la stipulation des consuls et du conseil de la communauté. Le revenu des propriétés banales était alors réparti sur l’ensemble des chefs de ménage du village. Dans les dernières années du XVIIème siècle, la communauté est contrainte d’aliéner la propriété du four et du moulin »[1]. Pour liquider leur dette, les communautés vendent les fours et les moulins aux bourgeois. Les bourgeois, notaires, marchands, possédaient ainsi deux avantages sur les autres habitants. Tout d’abord par l’adjonction à leurs revenus fonciers personnels de la rente des banalités qui revenait auparavant à la Communauté. Ensuite parce qu’il leur permettait d’acquérir le contrôle des manouvriers, lui donnant le choix de ses employés, ce qui accroissait encore sa clientèle. Ils possédaient, par ce biais, un moyen de pression sur tous les habitants du village qui étaient dans l’obligation, d’après l’usage et le droit, de faire moudre leurs grains et faire cuire leur pain au four et au moulin des bourgeois. Les GUBERNATIS possédaient un véritable pouvoir économique grâce aux moulins qu’ils possédaient désormais à Sospel, tout comme à Gorbio.

 

Nombreux sont les GUBERNATIS qualifiés, dans les actes, de bourgeois. Aux côtés de leurs revenus fonciers, ils possèdent une profession, généralement libérale, qui les place parmi les notables. Les hommes de loi constituent la classe des notables par excellence, du notaire à l'avocat, tenant parfois même la charge de procureur... Ces professions donnent une certaine honorabilité et s'accompagnent souvent du titre de « sieur » ou, plus rarement, de « maître » ou « d'honorable ». Dans les actes, de nombreux GUBERNATIS sont appelés « sieurs », ce qui témoigne de leur notabilité. Parmi eux, 2 sont avocats, sur 6 en fonction à Sospel, 2 pharmaciens, 1 notaire, 1 juge de paix et 1 maître enseignant[2]. Il n’est pas rare, chez les GUBERNATIS d’entrer dans les ordres ou de choisir la carrière militaire.

 

La famille DE GUBERNATIS constitue une véritable bourgeoisie de notables, principalement installée à Sospel. A Gorbio, sa composition sociale est sensiblement différente, composée en majorité par une bourgeoisie terrienne. C’est ainsi que, de membre de la bourgeoise locale, la famille GUBERNATIS est entrée progressivement dans la noblesse. Pendant la période révolutionnaire, elle semble déchoir et s’apparente de nouveau avec la bonne bourgeoisie locale. Mais il ne s’agit là que d’un aspect conjoncturel de l’évolution familiale, car leur statut local change peu. D’après M. Agulhon, « les nobles de 1789 sont désormais des bourgeois ; officiellement, seul leur passé les distingue. Ensuite, parce que les fortunes des deux classes quoique globalement inégales, atteignent des niveaux équivalents »[3]2. C’est ainsi que leur rôle dans la communauté a peu varié. Le bourgeois oisif et le notable bourgeois ont tous deux en commun le souci de la chose publique. C’est une véritable marque culturelle de la bourgeoisie, lui donnant un caractère noble.

 

L’influence des notables

Les notables jouent un rôle important dans le village grâce à l’importance de leur patrimoine, aux contacts qu'ils entretiennent avec l'extérieur, mais aussi grâce à leur accès à une culture écrite. C’est, d’après M. Agulhon, le critère le plus important de la bourgeoisie. Elle leur a permis de survivre à la Révolution. « Parlant et écrivant la langue juridique, les bourgeois et les marchands disposent aussi de l’arme qui permet de défendre ses droits et d’attaquer ceux qui les empiètent. Avoir à sa disposition de bons papiers et savoir les utiliser, est aussi important à l’échelle individuelle des domus qu’à celle, collective, des communautés ». Ce caractère leur fut très utile lors de la tutelle française.

Le Comté de Nice était très influencé par la culture piémontaise, et, comme il convient, les GUBERNATIS en furent profondément marqués. Sospel fut un important centre intellectuel, qui a donné lieu à quelques études particulières. Ce n’est pas le cas de Gorbio. Peu d'études portent sur ce dernier village, et il est donc difficile de connaître son véritable degré d’imprégnation culturelle.

 

En revanche, le rayonnement intellectuel de Sospel fut étudié par Robert Latouche, qui s’intéressa tout particulièrement à l'Academia degli occupati. La ville fut très sensible au rayonnement de la culture piémontaise, ce qui se comprend à la fois par son rôle de siège juridique et sa place de deuxième ville du Comté. « L'académie des occupés » fut fondée le 26 juillet 1702. Ses membres étaient avant tout recrutés localement, essentiellement parmi les magistrats de la ville. Cependant, elle n’était pas exclusive et s’ouvrait aux pays voisins. Les Niçois y étaient nombreux. Le Comte de Bonson, Jean-Baptiste GUBERNATIS, originaire de Sospel, comme l’ensemble des lignages de la famille, en faisait partie. La ville était un important pôle intellectuel et avait formé bon nombre d'hommes de culture. « Le goût des lettres était alors fort répandu à Sospel et nombreux y étaient les esprits cultivés qui employaient leurs loisirs à écrire. Deux représentants de la famille DE GUBERNATIS, une des plus illustres de Sospel, ont laissé une trace littéraire. Marcel Hyacinthe publia en 1713 une petite plaquette intitulée Raguaglio istorico della città di Sospello. C'est la première monographie composée de Sospel; sa valeur

[1] COLLOMP A. La maison du père : famille et villages en Haute Provence au XVIIème et XVIIIème siècle, collection, Les chemins de l’histoire, Paris, P.U.F, 1983

[2] Le total des informations chiffrées concernant Sospel est donné par Robert LATOUCHE Op Cit

[3] AGULHON M. Op Cit

historique est mince, mais elle respire un vif patriotisme local »[1]. Marcel Hyacinthe DE GUBERNATIS est né à Sospel le 4 mai 1696, fils du préfet Maurice et de dame Victoire Françoise RICCI. Il devint co-seigneur de Gorbio, par investiture du 14 mai 1725, par son mariage avec Marie Madeleine RAIMONDI. Un autre GUBERNATIS, originaire de Sospel, appelé communément Dominique, mais de son vrai nom Michel Ange, né le 29 septembre 1629, entra, en 1646, chez les Mineurs Observants Réformés, et prit le nom de Dominique. Il devint un très illustre prédicateur. Il se fit un nom dans la littérature, la prédication, la philosophie, la théologie et dans l'histoire écclésiastique. Il a laissé nombre d’œuvres pieuses. Elles sont répertoriées dans le cahier d'inventaire de la bibliothèque de Menton, dressé en l'an III du régime révolutionnaire. Les principaux titres en sont :

Discorsi predicabili per suffragio delle purgatorio ;

Discorsi miscellanei predicabili di materie stravaganti ;

Umbra illuminata ;

Orbis seraphicus istoria ;

Anno ecclesiastico...

On a également retrouvé un ouvrage intitulé Quaresimale dans la bibliothèque des Capucins.

 

N'oublions pas Jérôme Marcel DE GUBERNATIS, Comte de Bonson, qui laissa différents travaux d'histoire. Il écrivit les mémoires historiques des Comtes de Vintimille, mais également les imprimés suivants :

 

Responsum pro veritate spoliis ecclesiasticis in regione pedemontana ;

Enucleatio historico-legalis.

La famille DE GUBERNATIS resta détentrice sous l'Ancien Régime d’un important héritage culturel. Pendant la période révolutionnaire, tout en conservant ce caractère, sachant lire et écrire, ils n’écrivent aucune œuvre particulière. Ce retrait de la vie intellectuel, savamment calculé, va de pair avec la disparition de la famille des cadres au service de l'Etat, et par extension de toute vie politique du royaume. Les GUBERNATIS ont sciemment choisi de se consacrer à leur patrimoine. Cette culture leur permet toutefois d'accéder à des métiers intellectuels, comme professeur de grammaire, afin d’enseigner au collège royal de Sospel, rétabli à la restauration sarde. Ce fut le cas pour Jean-Baptiste GUBERNATIS (1768-1841). Pour acquérir cette culture, la famille GUBERNATIS a profité de l'ouverture culturelle de Sospel. « La fondation sur Sospel d'une académie - la seule qui existât dans tout le Comté de Nice témoigne de l'activité des esprits dans notre petite ville ». Cependant, cette effervescence intellectuelle profite aux GUBERNATIS, permise comme elle l’est aux autres familles nobles et bourgeoises de Sospel. Ils en sont les principaux vecteurs de diffusion, mais aussi les utilisateurs potentiels ; elle interagit sur cette classe sociale. Il s'agit d'un apport réciproque qui permet aux notables de s'accaparer les fonctions officielles dans les communautés. Etant les plus instruits, ils sont les mieux placés pour diriger les communautés et, ainsi, avoir la mainmise sur les fonctions politiques.

 

L’importance politique des notables au sein des communautés

Avant la Révolution, les notables accaparaient déjà les fonctions municipales et se retrouvaient aux charges importantes, comme celles de maire, syndic, consul... Pourtant, le rôle politique de la famille GUBERNATIS se situait surtout au niveau de l'Etat. Jean Jérôme Marcel fut ambassadeur à Madrid, Lisbonne et Rome et joua un rôle politique de premier plan, au service du souverain au-delà des frontières du royaume. Il tint également la charge de Grand Chancelier en 1713. Pareillement, son fils Jean-Baptiste sera lui aussi ambassadeur à Rome. La famille posséda un important pouvoir politique au sein de l'Etat sarde. Mais cette importance disparut avec la branche de Jérôme Marcel.

 

Malgré cela, et parce qu’elle avait conservé de puissantes relations dans la notabilité, elle continua à jouer un important rôle local. S'ils ne tinrent pas les fonctions de maire ou de syndic, ils furent souvent consul pendant tout le XVIIIème siècle. Les consuls sont élus par le conseil général qui procède chaque année au renouvellement de la liste des magistrats municipaux. Ils sont au nombre de deux. Ils sont toujours choisis parmi les chefs de maison qui font partie du conseil général[2]. Mais la charge de consul reste surtout d’ordre honorifique. La part de pouvoir réel de cette fonction est réduite à pratiquement rien. C’est ainsi que sous l’Ancien Régime, la famille GUBERNATIS ne put véritablement jouer un rôle déterminant dans la communauté. Elle ne possédait qu’une importante charge que symbolisait leur rôle de consul. Sous le régime révolutionnaire, ils s’en dessaisirent, tout en continuant à siéger au conseil municipal de Sospel. Ils participent à la vie politique en usant simplement de leur droit civique de voter, et parfois même en se présentant aux élections communales, soit encore en tant que scrutateurs. Ils ne sont cependant jamais élus. Ils donnent l’impression d’accepter le nouveau régime politique en participant au conseil municipal. Mais cette « politique familiale » cache certainement une volonté de maintenir en partie leur main mise sur le pouvoir à Sospel, sans pour autant se laisser diriger par les Français. Ce choix permettait aux Sospellois de conserver leurs traditions politiques. Dans les communautés rurales, la volonté de maintenir une certaine indépendance vis à vis du nouveau régime restait très vivace, particulièrement à Sospel. Le nouveau régime

[1] LATOUCHE R. Op Cit., mais aussi A.D.A.M: série Q: 1 Q 154 Cahier d’inventaire de la bibliothèque de Menton. An III

[2] COLLOMP A. La maison du Père, Op. Cit.

 

était finalement obligé de composer, acceptant une certaine souplesse dans l'application des nouvelles lois et réglementations.

 

Les GUBERNATIS ont toujours participé à la vie politique de leur ville. La Révolution ne changea rien à cela. Leur volonté fut toujours d’être portés sur le registre civique, témoignage d'une certaine importance sociale. Celle-ci devient particulièrement importante durant la période sarde où le droit de vote était payant. Seules les familles les plus importantes pouvaient alors voter.

 

Pendant la période impériale, les officiers municipaux ne sont plus élus mais désignés par le préfet. Quatre GUBERNATIS sont désignés, démontrant ainsi une certaine confiance de la part du gouvernement impérial. Mais réussirent-ils à conserver leur pouvoir lors de la restauration sarde ? Il est certain qu’ils se sont adaptés à la Révolution, même après avoir combattu les armées françaises au sein des troupes sardes. Ils ont servi par la suite dans les armées françaises. Ce fut le cas de Lazare GUBERNATIS... En revanche, l'année de la restauration sarde, en 1814, « le 25 mai le conseil municipal de Sospel, apprenant le retour de Victor Emmanuel premier dans sa capitale, envoie à Turin quatre députés (...) dont Jean-Baptiste GUBERNATIS, pour déposer aux pieds du souverain l'hommage des sentiments de fidélité, d'obéissance et d'amour de la cité sospelloise ». C’est bien un GUBERNATIS qui représente les intérêts de la cité, démontrant ainsi leur capacité à se maintenir au pouvoir. L’aura politique de Jean-Baptiste lui permet d’obtenir la fonction de député auprès du nouveau pouvoir.

 

Leur fidélité au roi sarde n’a pas été entamée. D’abondants témoignages le prouvent, et font état de celle de nombreux autres Sospellois. Celle-ci ne se démentit pas, et, en 1860, trois frères et sœurs GUBERNATIS pétitionnèrent pour demander de conserver (ou plutôt d’acquérir) la nationalité italienne au moment de l'union définitive à la France. Preuve ultime de leur attachement au roi sarde.

 

Ce n’est pas pour autant que leur pouvoir a augmenté au moment de la restauration sarde. Il a même étrangement diminué. S’ils participent toujours aux élections, comme électeurs, candidats ou scrutateurs, ils sont peu élus. Ils réussissent seulement à conserver leur rôle de scrutateur. Ils participent au conseil municipal en tant que conseillers municipaux ou conseillers ordinaires, mais un seul nom revient, comme s'il était le seul à participer à la vie politique de Sospel. François GUBERNATIS fut conseiller ordinaire en 1843, 1849 et 1852, conseiller communal en 1848 et 1851. Il semble monopoliser les prétentions politiques des GUBERNATIS. Il est le fils de Charles Louis GUBERNATIS et de Marie GOIRAN et est qualifié de propriétaire et de pharmacien. Il représente l’archétype du notable, grâce à sa charge de médecine, mais est entré dans la bourgeoisie par héritage des rentes foncières de sa famille. Il est le seul représentant de la famille à se maintenir à un certain rang politique.

 

Mais qu'en est-il pour les autres ? Certains, comme Ignace, propriétaire, ou Joseph GUBERNATIS, maître enseignant, tentent de se maintenir au sommet de l’échelle sociale locale, mais sans succès. La plupart d’entre eux ont abandonné la vie politique pour se consacrer à leur patrimoine, et vivre de rentes. S'ils retrouvent une certaine noblesse grâce au service effectué dans les armées sardes, ou en recevant les ordres religieux, ils ne retrouvent pas leurs titres de noblesse. Ce qui est notamment le cas pour le Comte de Gorbio, qui n’acquit aucun autre titre. Ils perdirent définitivement leur rôle politique au sein de l'Etat et n’obtinrent jamais plus une reconnaissance équivalente à celle qu’avait obtenu Jérôme Marcel. On ne verra plus de GUBERNATIS siéger au Sénat de Nice, qui disparaît bientôt.

 

On pourrait donc penser que la Révolution a eu de lourdes conséquences sur le devenir social de la famille GUBERNATIS. Elle s'est cependant remarquablement adaptée et son rôle, autant social que politique, a peu changé. Il faut ainsi relativiser le rôle de la Révolution dans la déchéance politique de la famille GUBERNATIS. Avant même l'arrivée des Français, le pouvoir des GUBERNATIS avait diminué, principalement celui qu’ils tenaient dans les plus hautes sphères de l’Etat. Nous pensons qu'il a pris fin, avec l'extinction de la branche descendante de Jérôme Marcel. Tout ce que ce dernier avait brillamment construit s'est envolé, faute de descendance mâle et s'est finalement confondu au patrimoine de la famille FERRERO.

 

L'autre branche des GUBERNATIS, celle de Gorbio, n'a jamais eu la même importance. Les descendants de Marcel Hyacinthe DE GUBERNATIS ne se sont contentés que de leur co-seigneurie et de leur titre de comte, comme ce fut le cas de Jérôme François Maurice Victor, sans obtenir aucune charge, même honorifique, au service de l'Etat sarde. Ainsi, avant la Révolution, les GUBERNATIS vivaient déjà principalement de leurs rentes foncières. Leur réseau d’influence dans la notabilité leur a permis de se maintenir à leur rang et de s'adapter aux bouleversements engendrés par la Révolution. Mais lors de la restauration sarde, ils ne retrouvèrent pas leur pouvoir d'antan.

 

Les GUBERNATIS s'épanouirent au sein de la noblesse niçoise. Ils profitèrent d’une certaine souplesse dans les critères d’accessibilité pour s'élever socialement jusqu'à obtenir un véritable titre de noblesse accompagné d'un fief. Jérôme

Marcel devint Comte de Bonson en 1688. Les GUBERNATIS acquirent richesse et pouvoir grâce à cette particularité propre de la noblesse. Celle-ci était en fait très proche de la bourgeoisie et surtout du bourgeois notable, avec lequel il n’était pas rare qu’elle conclue des alliances matrimoniales. Ce trait de caractère permit à la noblesse niçoise de survivre à la Révolution Française, voire de s'adapter à ce nouveau régime. Ce fut le cas pour les GUBERNATIS. Pourtant ses conséquences furent bien souvent terribles. L’émigration bouleversa de nombreuses familles et secoua profondément les mentalités et l’ordre social... Elle alla même jusqu'à s'immiscer dans le droit familial par la législation sur les successions. Malgré tout, les GUBERNATIS ont réussi à conserver l’essentiel de leur patrimoine. Par un ensemble complexe de stratégies, consistant principalement à utiliser les lois révolutionnaires en les détournant à leur profit. Or, pour les reprendre, il fallait être capable de les connaître, de les comprendre. Leurs qualités intellectuelles, issues de la notabilité, leur ont été particulièrement utiles. Noblesse et notabilité étaient très proches, voire se confondaient. Les GUBERNATIS étaient avant tout une famille de notables et cette notabilité leur avait permis d'accéder à la noblesse. Mais bien que très proches, les deux élites sociales jouaient de stratégies différentes pour sauvegarder et accroître leur prestige tout en assurant leur ascension sociale. La noblesse recherchait des alliances au loin, alors que les notables bourgeois préféraient renforcer leurs attaches locales. En effet, l'importance du notable était surtout reconnue au sein des communautés et dans leurs environs immédiats. Leur culture leur donnait accès au pouvoir de diriger leurs communautés.

 

Les GUBERNATIS, faisant partie des principaux acteurs de diffusion culturelle, profitèrent de l'important développement intellectuel de Sospel. En échange, la culture leur permettait de diriger les destinées de la communauté. Pour cela, la Révolution avait besoin de ces notables, dont l'instruction, après la disparition de la noblesse, leur permettait de diriger les communautés. Les notables ont réellement profité de la Révolution. Ce n'est pourtant pas le cas des GUBERNATIS. Ils n’ont acheté que peu de biens nationaux et se sont peu enrichis ; leur rôle politique a peu évolué entre l'Ancien Régime et la Révolution, tout en participant constamment à la vie politique locale. En revanche, la période sarde a vu leur disparition presque totale de la scène politique. Un seul nom marque la volonté politique de la famille. Il a peu de succès.

 

On pourrait penser que la Révolution est à l’origine de cette perte de pouvoir. Ce n'est pourtant pas le cas. Certes, elle a pu réduire certaines familles nobles au simple rang de bourgeois[1], ce qui, dans le Comté de Nice, n’a finalement que peu modifié leur niveau de vie. D'une part, parce que beaucoup de bourgeois étaient anoblis, et d'autre part parce que leurs manières de vivre étaient les mêmes.

 

L’affaiblissement du pouvoir politique des GUBERNATIS a eu lieu avant la Révolution, avec l'extinction de la branche de Jérôme Marcel. Il constitua, avec ses descendants, la branche la plus importante de la famille, et marque un véritable âge d'or pour les GUBERNATIS. Ils étaient influent à la fois sur le pouvoir local et au cœur même du royaume. Là était la clé de leur réussite, leur potentiel de développement social. Leur retrait sur le fief de Gorbio, jouant l’unique échelle locale, pourrait expliquer le dépérissement politique de la famille, au lieu de tenter de maintenir leurs pouvoirs dans la proximité de l’Etat tout en renforçant leur implantation locale. Or, l'intérêt du notable réside également dans le maintien et le développement de ses liens avec l'extérieur. Ils lui donnent de l’importance. Les GUBERNATIS de Gorbio, retirés sur leurs terres, ont progressivement perdu de cette importance. Il en est de même à Sospel, où la famille participe de plus en plus difficilement à la vie politique. C'est également ce qui pourrait expliquer le mariage consanguin entre Lazare GUBERNATIS et Antoinette GUBERNATIS, cousins germains. Ce mariage pourrait témoigner du tarissement des alliances matrimoniales, et simultanément de l’amenuisement de leur pouvoir. En revanche, ils restent présents sur la scène économique, en vendant, achetant, échangeant... Ce qui prouve qu'ils ont délibérément abandonné la science politique pour se concentrer sur leur puissance économique. Cependant, cette hypothèse ne permet pourtant pas d'expliquer une telle diminution à la restauration sarde, alors qu'on aurait pu s'attendre au contraire. En effet, leur participation politique n'a jamais été aussi faible et, bien qu'ils aient retrouvé une certaine noblesse, ils n'ont pas recouvré leur titre de Comte de Gorbio, et restèrent simples chevaliers. Et ce, malgré la conservation de leur puissance économique.

 

Un début d'explication pourrait être avancé par l'influence retrouvée de l'Église avec la restauration sarde. Les hommes d'Église ont alors libéré leur rancune face aux notables qui ont profité de la Révolution pour s’enrichir. Ce fut le cas pour la famille PAYANI, alors que la Restauration voit bon nombre de familles notables perdre de leur puissance politique. Il ne nous semble pas que la famille GUBERNATIS fût touchée profondément par cette réaction, puisqu’elle s'est peu enrichie et n'a jamais tenu de rôle politique déterminant durant la période révolutionnaire. Imaginons alors que la Révolution fut pour les GUBERNATIS un simple accélérateur d’un phénomène qui avait pris racine bien avant qu’elle n’intervienne dans le Comté de Nice.

[1] AGULHON M. Op. Cit.


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