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Colloque de Nice

Du village à l’Etat, réflexion sur l’intégration des élites du Haut Comté de Nice : la famille RAIBERTI (XVIIème-XIXème siècles)

 E. GILLI

Cette communication a pour cadre le village de Saint-Martin-Vésubie, dont nous considèront une partie de l’histoire sur le temps long, du XVIème au XIXème siècle. Elle s’attache à mettre au jour tant des éléments matériels qu’immatériels (comme la mémoire) d’une famille des plus remarquables, celle des RAIBERTI. Le contexte historiographique se propose de présenter une synthèse, ou du moins de manière moins ambitieuse, une jonction entre la microhistoire dont je reste un fervent défenseur [1], et la vision renouvelée de l’école française des nouveaux ruralistes [2], en utilisant les méthodes de cette dernière pour donner un cadre différent à la première. L’intérêt de pouvoir suivre une pareille trame permet de s’attacher à la présentation des différents jeux d’influences, qu’elle oriente ou qu’elle subit. Elle permet  également de circoncire au plus juste les réalités d’un pouvoir qui dépasse largement le simple cadre du village, s’élargissant dans les institutions de la province du Comté de Nice, pour atteindre celles de l’Etat en élaboration. Enfin, elle met en lumière ses principales manifestations.

Je vous propose donc d’examiner les multiples formes du pouvoir détenu par les membres de la famille RAIBERTI dans le cadre de notre village, et d’en définir les fondements structuraux ; de ces pouvoirs, je proposerai ensuite une vision thématique qui devra permettre de les replacer dans l’espace plus vaste de l’Etat et de ses représentations auprès du souverain ; enfin, je consacrerai une dernière partie à l’évocation de quelques exemples significatifs du rôle de ma famille modèle, tout en soulignant son caractère évolutif et moderne, allant jusqu’à exprimer ce qui, dans la mémoire orale aujourd’hui, par non-dits suggestifs, en confirme la permanence.

Le pouvoir au village peut être décelé par ses multiples aspects. L’intérêt de l’étude familiale réside dans la confrontation des théories avec la pratique, le concret, le réel [3]. Dans ce cadre, la méthode micro-historique nous permet d’identifier un certain nombre de comportements, au travers d’exemples de parcours de vie [4].

Un document rare me permet d’en débuter l’étude. Il s’agit d’une simple lettre [5], glissée dans une procédure qui eut pour objet la confrontation entre deux familles au sujet de la construction d’une maison. L’objet du litige est une « présumée » appropriation d’un petit terrain, seulement quelques mètres carrés, suffisant à la réalisation du projet. En l’absence de preuve écrite, s’agissant de ce que l’on appelle couramment un « hors ligne », ou « délaissé », sur le bord de la nouvelle route du village, il est fait appel à l’enquête de commodo – incommodo, à la mémoire locale et aux témoignages. Après quelques mois, l’un des témoins favorable à l’érection se rétracte, et communique avec la partie adverse. Ses mots sont durs, lourds de sens, d’une éloquence directe. Il s’agit de dénoncer un « faux » témoignage. Les causes en sont les pressions exercées par la première partie. Deux personnes sont venues le voir, l’un étant le frère du propriétaire de la maison, l’autre l’instituteur du village. Nous parlerions aujourd’hui d’intimidation, sinon même de pression morale, ces personnalités lui faisant comprendre où était son intérêt, « ayant un garçon à l’école ». Si notre personnage a témoigné dans ce sens « c’est qu’ils ont le pouvoir ». Le mot est dit. Car il s’agit bien de cela.

C’est pour mettre au jour ce, ou plutôt ces pouvoirs, qu’il m’est apparu intéressant de concentrer les différents relevés d’archives sur des points forts identifiables par l’événementiel. Le caractère naturellement lacunaire du fond communal, même amélioré par les mentions relevables dans ceux des communes voisines, par les archives notariales et bien sûr par les indications retrouvées dans les archives de l’Etat, ne suffisent pas pour retrouver l’ensemble des actes des personnages intéressants. Le préalable aura été d’en retracer les généalogies [6], afin d’identifier au mieux les individus. En soit, ce long travail permettait déjà de dresser les contours d’une organisation familiale, à différentes périodes de son activité. Je ne pense pas être d’une grande originalité si je dis qu’on ne se marie pas avec n’importe qui dans la période qui m’intéresse. Le sujet a largement été exploré [7]. Mais il faut tout de même aller plus loin, et considérer les alliances comme de véritables marqueurs du pouvoir dès que l’on s’intéresse à la frange sociale qui en détient l’essentiel.

Ce sont de véritables « clans » qui se dégagent de cette étude. Le mot n’est pas trop fort, et trouve sa véritable justification justement dans les moments de crises qu’a pu rencontrer le village dans son histoire. Les différentes guerres et invasions, mais aussi les actes de l’Etat en construction, permettrent de souligner les réactions de individus. Souvent, par recoupements successifs, ils permettent de déterminer les raisons des actions considérées, et de circoncire l’ensemble humain agissant de concert. Comment alors ne pas parler de « clan » quand il s’agit d’affrontements ouverts entre différents groupes de familles. C’est le cas lors de l’Annexion française de 1860, mais plus avant déjà pendant la période des guerres révolutionnaires et de l’Empire français [8], ou encore lors de la grande réforme administrative de 1775, lors de la conquête Gallispane, pendant les interventions françaises des guerres de Louis XIV, ou juste précédemment, lors de la tentative d’inféodation de Saint-Martin au Comte De GUBERNATIS… je pourrais encore multiplier les exemples, le phénomène possède de réelles similitudes, même dans des contextes différents. Cette permanence permet d’en identifier les critères de convergence.

Le pouvoir se décline donc selon ces termes. La famille RAIBERTI peut, à juste titre, être considérée à Saint-Martin comme l’une des plus importante en prestige, et ce encore de nos jours. Selon la mémoire familiale, les premiers représentants seraient arrivés avec le Comte de Savoie, au moment de la dédition du Val de Lantosque, aux alentours de 1388. De fait, les archives communales les présentent dès la fin du XIVème siècle [9], avec Anthoine, qui tient la charge de syndic cette année là. En 1508, Jean RAIBERTI est baile du village et notaire [10]. Si l’on doit se référer aux qualificatifs connus des membres du lignage entre le XVIème et le XVIIIème siècle, ils détiennent d’importantes charges gratifiantes de pouvoir social : en ce qui concerne les notaires [11], nous en connaissons 3 au XVIème siècle, 6 au XVIIème siècle et 3 encore au XVIIIème siècle. Avocats, médecin, speciaro (apothicaire) sont nombreux. Si l’on y rajoute les charges édilitaires et communales [12], nous en connaissons 10 comme syndics, de 1497 à 1783, auxquels faut-il rajouter pour la période française le maire Eugène en 1877, la continuité étant assurée depuis Charles RAIBERTI, syndic en 1852 et 1855. Pour ce qui est de la charge de baile, au moins 11 d’entres eux le furent, essentiellement d’ailleurs dans la période du XVIème au premier tiers du XVIIème siècle, le prestige de la charge étant alors l’élément recherché. Il peut s’agir en fait d’un premier indicateur qui, par sa répétition, permet d’affirmer la prédominance d’une famille et sa proximité d’avec l’Etat en gestation. La démonstration est suffisante.

Il est une date et un moment dans l’histoire de ma famille qui marque un véritable tournant. Vers 1640, deux branches se séparent. L’une, issue du notaire Gaspard, conserve sa prééminence à Saint-Martin et y est toujours représentée. L’autre fait le choix plus direct du service de l’Etat, issue de Jean-Louis [13], avocat et sénateur au Sénat de Nice où il s’installe. Ses descendants tinrent les charges civiles les plus importantes : secrétaire d’état, régent de la Grande Chancellerie… ou charges militaires : colonel et major général… C’est un autre choix familial, celui de la France en 1860, qui offre le plus belle exemple de cette proximité et du service de l’Etat : Flaminius RAIBERTI, qui fut successivement député, sénateur, ministre et enfin Président de l’Assemblée Nationale.

Une certitude pourtant. Malgré ces choix divergents, ces trajectoires qui peuvent sembler éloignées, il a toujours existé une proximité certaine entre les membres de cette famille. Une conscience de l’appartenance, qui a pu apparaître de temps à autres, autant que j’ai pu les déceler, au moins jusqu’à la fin du XIXème siècle. Lazare RAIBERTI, modèle même de l’érudit de la Belle Epoque, historien, botaniste, naturaliste, géologue à ses heures, et surtout écrivain, conservait ces contacts, comme il se devait d’une personne de sa qualité. Même si sa trajectoire finale semble emprunte des hésitations propres à son époque. La mémoire familiale a conservé de sa décision la volonté de « partir en Italie, en ayant tout vendu à Saint-Martin » ; Il me reste à définir qui furent les acquéreurs de ses biens. Il ne serait pas surprenant de découvrir qu’il s’agit de la famille.

Revenons donc à la branche familiale qui est restée à Saint-Matin. Nous l’avons vu, elle immobilise les différentes charges communales à son profit ou en fait profiter ses proches. Il est d’autres indicateurs de ce pouvoir, laissant apparaître l’ostentation nécessaire au maintient du prestige. D’aussi loin que l’on peut le considérer, le village possède deux confréries de Pénitents. Elles nous sont avérées dans le deuxième tiers du XVIIème siècle [14] (alors qu’une trace certaine existe dans la vallée dès le XVème siècle, à Lantosque [15] ). Ces assemblées sont de véritables sociétés d’entraide, possédant un mont granatique, agissant pour les pauvres de la confrérie… Rien que de bien classique dans le rôle des Pénitents dans notre région [16]. Elles ont leur chapelle, leur prieur, leur procession, leur matériel de procession… [17] Mais elles sont aussi des regroupements d’intérêts, assemblant dans une même organisation les tenants de ce que j’ai pu présenter comme un « clan ». Les RAIBERTI, avec une autre famille, celle des CAGNOLI, dominent les Pénitents noirs de Saint-Martin. Prestige et services, mais aussi clientélisme et finalement pouvoir qui s’exerce avec l’assentiment de tous, comme il est de naturel.

Enfin, pour souligner leur puissance, deux matérialisations majeures doivent encore être rappelées. La famille RAIBERTI possédait « sa » chapelle dans l’église paroissiale, et ce jusqu’à la loi de translation des cimetières hors les murs, effective en 1784 à Saint-Martin. Il s’agit de la chapelle des Ames du Purgatoire, dont le vocable à lui seul est une attribution de pouvoir. La propriété est de prestige, mieux encore quand quand on la considère comme celle qui s’approche le plus de l’autel majeur, côté Evangile. L’importance du culte [18], commun à tous les habitants, et renforcé dès le début du XVIIème siècle par la réforme de l’Eglise, rajoute en sa qualité et dans le sens, pour les besoins de l’ostentation baroque.

L’autre symbole de leur pouvoir est leur habitation [19]. Dans un village aux rues étroites, aux intérieurs réduits, partagés à l’extrême à la suite de nombreuses successions, la famille RAIBERTI possède un véritable palais, tel que l’on peut les imaginer dans la Nice Moderne (à Saint-Martin, seuls quatre édifices peuvent ainsi être qualifiés) : le palais « R », qui peut avoir été érigé vers la fin XVIIIème - début XIXème siècle. Immeuble de 4 étages, s’élevant sur la rue principale (la Rue Droite, appelée aujourd’hui CAGNOLI, où coule le beal le canal urbain de Saint-Martin-Vésubie). Son emprise spatiale recouvre environ quatre à six structures « moyennes » du village. Au cœur du village, à proximité de l’église paroissiale, elle est un véritable symbole de l’emprise sociale de la famille. Par extension, et pour entrer dans la modernité de l’époque postérieure (la Belle Epoque), Lazare RAIBERTI, dont nous avons déjà parlé, est sans doute le premier habitant du village a construire une véritable « villa de villégiature », hors les murs, et ce dès avant 1874 [20]. La bâtisse est toujours visible sur la rive droite de la Vésubie, avant d’arriver au village proprement dit.

Enfin, un dernier indicateur du pouvoir familial réside dans la propriété foncière. Sans aller jusqu’à relever les différentes mentions présentes dans les documents fiscaux médiévaux [21], la famille RAIBERTI possède tout au long de l’époque Moderne un patrimoine foncier estimable. Près de 9 ha pour la seule descendance directe du notaire Louis en 1702 [22], ce qui ne représente pas une très grande propriété si on la compare avec celle d’autres régions [23], mais bien un patrimoine de première importance pour ce qui est de Saint-Martin, territoire de montagne et de micro-exploitations éclatées. Louis RAIBERTI se positione dans les cinq premières fortunes foncières de l’époque. En fait, la propriété foncière de la famille ne varie que peu en superficie pendant l’époque Moderne, où la microfondiae caractérise l’exploitation agricole. Elle est rendue nécessaire pour permettre au patrimoine familial de répondre à l’ensemble de ses besoins. Les informations tirées du cadastre de 1760 [24] sont en tous points d’analyse identiques. Je vois dans cette réalité un héritage des exploitations vivrières, ne posant pas véritablement de problème d’identification aux familles notables, l’essentiel de leur pouvoir n’étant déjà plus seulement déterminé par l’importance foncière. Cette caractéristique souligne justement la modernité des comportements sociaux. Cette propriété connaît paradoxalement une expansion inégalée durant le XIXème siècle. Le cadastre Napoléonien nous présente une propriété de plus de 78 ha. détenus par l’ensemble des familles RAIBERTI à cette époque. Mais à y regarder de plus près, l’orientation symbolique elle-même n’a pas véritablement changé. Ce sont de bonnes terres, les mieux exposées, et surtout formant de véritables exploitations de plusieurs ha. d’un seul tenant, ce qui est véritablement exceptionnel. La compréhension du phénomène doit faire appel à la nature des productions, qui a été totalement renouvelée par l’introduction de nouveaux modes culturaux et de nouvelles plantes, tels le maïs et la pommes de terre. Ces derniers sont capable de nourrir plus facilement une famille que ne le pouvaient les seules céréales. Ce qui explique qu’une part de ces terres soit utilisée durant cette période pour des usages nouveaux. Leur nouvelle attribution peut être qualifié de « terres d’honneur ». Nous avons déjà parlé de la splendide villa « de villégiature » érigée par Lazare RAIBERTI à l’extérieur de la ville. Elle est complétée par l’adjonction d’un kiosque et d’un plan d’eau. Des cartes postales anciennes y montrent une barque dont les occupants se prélassent, certaines dames avec une ombrelle. L’ensemble est complété par un jardin d’agrément, au tracet géométrique [25]. Un comportement de loisir, que l’on peut considérer comme un véritable marqueur social identifiable. Une autre terre, celle-ci immédiatement hors du village, voit une partie amputée pour le bien public. Elle sert alors à l’installation de la nouvelle place de la Mairie et de ce dernier bâtiment (1863), pour un prix de vente que l’on peut qualifier de dérisoire [26]. Ici encore, le comportement naturel du prestige de la famille se traduit par une abnégation réelle au profit de tous, pour embellir le village et lui donner son image de station moderne.

Après avoir dressé ce portrait des tenants réels du pouvoir d’une notabilité de village, capable de s’inscrire dans une politique plus large et d’entretenir des liens étroits avec l’Etat, quelques « moments forts » de l’histoire de Saint-Martin pourront illustrer ces caractères, et me permettront d’en renforcer l’analyse. A la suite d’une explication thématique, je vous propose d’adopter le plan chronologique imposé par la longue période. J’ai retenu trois périodes, permettant de rencontrer les acteurs de notre famille à des moments de crise aiguë, et d’en souligner les comportements.

Une première limite doit être présentée. Une très importante quantité des documents disponibles a été consultée dans les fonds précédemment cités, mais il reste sûrement de nouvelles informations à croiser. La démarche micro-historique le nécessite. Aussi, ne puis-je livrer que l’analyse d’une première prospection, avec toutes les limites qu’elle peut comporter.

Revenons tout d’abord sur le moment critique de la tentative d’inféodation de Saint-Martin, dont la nouvelle arrive dans la ville le 20 mars 1684 [27]. Le comte Jérôme Marcel De GUBERNATIS vient d’obtenir des lettres patentes du Duc lui attribuant le fief de Saint-Martin avec le titre comtal. Sans rentrer dans les détails, le village réagit violemment, interdit l’entrée du nouveau « comte » dans son village, et agit aussi bien par la voie judiciaire que fiscale pour mettre fin à ce qu’il juge être un « coup d’état ». Il obtient finalement raison en quelques mois, puisque le 30 octobre de la même année l’acte initial était révoqué. Deux avocats sont mandés par la Communauté de Saint-Martin, dont un certain Jérôme Marcel RAIBERTI. Il s’agit d’un personnage tout à fait remarquable. Docteur ès Lois, avocat au Sénat de Nice, il fut Juge de la Viguerie de Sospel puis Juge de Nice [28]. C’est en cette dernière qualité qu’il intervient au service et au profit de sa cité natale. Une personnalité de premier plan, qui joue déjà un rôle important dans la structure du pouvoir à l’échelle provinciale. Aidé par la fin de la Régence et la prise de pouvoir personnel du souverain (Victor Amédée II), il obtient satisfaction pour la Commune. Pour mémoire, il termina sa carrière comme Conservateur Général du Tabellion du Comté, en 1694, ce qui nous montre également que « l’affaire de Saint-Martin » fut pour lui un véritable tremplin. Le personnage de Jérôme Marcel RAIBERTI représente l’archétype de la notabilité locale jouant à la fois une carrière honorifique de niveau provincial puis national, mais qui ne perd pas pour autant les liens qui l’unissent à sa ville d’origine. Ses implications locales, par la famille mais aussi par la part des patrimoines physiques qu’il conserve, nous en donnent la preuve.

Autre temps, celui de la période révolutionnaire. Saint-Martin est alors sur la ligne de front pendant plusieurs années, tenue par les Français dès le mois de mars 1793 (du 3 germinal An III jusqu’au 18 floréal An IX) [29], et y séjournent une forte garnison de troupes. Saint-Martin sert de base arrière pour la guerre dans la Tinée et dans le tout proche Piémont. La « bataille de Saint-Martin » (nuit du 14 au 15 fructidor An III - 31 août au 1er septembre 1795) en marque le point d’orgue, quand les Sardes, épaulés par leurs alliés Autrichiens, échouent dans leur tentative de reprise du village et de la Haute Vésubie. Cette période connaît l’épisode des Barbets [30]. La famille RAIBERTI reste présente à Saint-Martin, malgré une perte considérable de population dont nous ne pouvons aujourd’hui encore expliquer la nature (1/3 des habitants « disparaissent » en quelques mois, essentiellement sans doute par suite de l’émigration consécutive aux combats [31] ). Mais ils ne laissent que peu de traces dans les fonds d’archives. Lazare RAIBERTI (1898) nous présente leur comportement comme une forme de résistance passive mais essentielle, car répondant aux nécessités impérieuses de l’époque. Saint-Martin possède une statue « miraculeuse » de la Madone, dite de Fenestres, du nom du sanctuaire qui l’abrite durant la période estivale, au pied du col éponyme permettant le passage en Piémont. Elle représente aux yeux des Saint-Martinois mais aussi de plusieurs villages alentours, l’objet le plus sacré et le plus précieux du lieu, chacun lui vouant un véritable culte. La statue, en bois polychrome, peut être datée de l’extrême fin du XIIIème siècle, mais plus sûrement du début du XIVème siècle. Ce qui en fait, en plus de la dévotion dont elle est l’objet, une pièce patrimoniale unique. Celle-ci aurait été cachée durant la présence française, dans le « souterrain » de la maison RAIBERTI. Le conditionnel est historiquement de mise, l’information étant tirée de la mémoire locale. Toujours est-il que cet acte ne fut jamais dénoncé, et qu’aucune perquisition, dont les registres municipaux regorgent pourtant de descriptions, ne la trouva. L’importance politique symbolique de notre famille s’en trouve fortement renforcé. Faisant une nouvelle fois appel à la mémoire familiale, Jacky RAIBERTI, actuel représentant éminent de notre famille[32], m’informa que son ancêtre obtint de l’évêché l’autorisation d’octroyer les sacrements. Ce renseignement revêt une importance considérable si on la replace dans le contexte de l’époque, et explique quelques interrogations suscitées par les fonds documentaires disponibles. En effet, le nombre de mariages a fortement diminué pendant la présence française, du fait sans doute de la moindre importance de la population, mais il fallait rechercher d’autres causes. Les mariages clandestins, imaginés jusqu’alors grâce à quelques mentions marginales dans les registres officiels de catholicité et d’Etat Civil, « officialisant » des sacrements déjà passés, peuvent désormais être considérés comme une réalité. La famille RAIBERTI ayant sans doute œuvré en ce sens. Ne concluons pourtant pas sur cette seule information, pertinament croisée, et attendons une preuve documentaire qui me permettra d’en attribuer définitivement la réalisation.

Enfin, et pour terminer, je m’attacherai à l’attitude des principaux membres de ma famille aux temps de l’Annexion française de 1860. Quand bien même certaines familles avaient pu faire le choix de l’Italie, certains RAIBERTI ayant d’ailleurs combattu dans l’armée Sarde contre les Autrichiens (Ignace Pompée, de la branche niçoise, mais sans doute d’autres encore de la branche Saint-Martinoise, le meilleur exemple étant celui de Jean TARDEGLIO dont nous possédons la lettre de Milan où il se bat dans les compagnies de Pepin, GARIBALDI, et doit s’embarquer prochainement à Gênes pour la Sicile [33] ). L’ensemble de la famille accepte de devenir française, et nous l’avons souligné, les membres les plus éminents tiennent les charges honorifiques les plus importantes aussi bien dans le village (Charles, Eugène et Charles, respectivement grand-père, père et fils, mais aussi Lazare), qu’au niveau du département et de l’Etat. Rappelons la trajectoire du « cousin » Flaminius RAIBERTI, dont nous avons déjà parlé.    

En conclusion : Pour avoir retracé une série de trajectoires de la famille RAIBERTI depuis le XVIème siècle jusqu’à la veille du XXème siècle, je terminerai cet exposé en posant la question de cette réussite. Pour celle-ci, combien d’autres familles ont échoué, totalement disparu ? Modulons tout de même cette vision, sans doute obscurcie par les transferts des successions féminines qui ont fait disparaître les noms. Cet exemple peut être repris pour l’autre grande famille du village, celle des CAGNOLI qui succède à la fois à celle des FABRI de l’époque médiévale, et à celle des GILLETTA de l’époque moderne. Le génie des RAIBERTI aura été celui du jeu des alliances et de la survivance du nom. C’est sûrement la réussite des chefs de familles qui ont fait les bons choix dans l’urgence devant les événements mais aussi au quotidien, lors des transferts d’héritages en s’assurant de la pérennisation de leurs pouvoirs.

Ainsi en était-il de ceux qui justement, « avaient le pouvoir ». Lors du témoignage initial, les acteurs contemporains l’exprimaient bien différemment, nous pouvons en convenir, qu’au début de notre période. Pourtant, le comportement du « témoin », dont nous parlions en introduction de cet exposé, est sans doute très semblable à celui de ses ancêtres des XVIème-XVIIIème siècle, quand il s’agissait de protéger le groupe familial, au nom du « clan », ne serais-ce qu’en disant « sa vérité », parce qu’il est des choses qui se font par la simple force de continuité des structures mentales.


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[1] - LEVI G. Le pouvoir au village, reste l’un des modèles de cette approche. Les Quaderni storici offrent les mises à jour nécessaires.

[2] - DEROUET B. et l’équipe de la revue Histoire et Sociétés Rurales en sont les principaux représentants.

[3] - Rappelons l’ouvrage déjà ancien mais considéré comme fondateur de COLLOMP A. La maison du père. Famille et village en Haute Provence aux XVIIème et XVIIIème siècles, Paris, 1983

[4] - Enfin, pour mémoire, et pour donner un autre axe historiographique, il convient de rappeler la fresque dressée par LEROY LADURIE E. Le siècle des Platers,

[5] - A.D.A.-M., Série E dépôt 3, sous-série 2 O 4

[6] - A.D.A.-M., Série 5 Mi 128 R1 à R5 et 5 Mi 128 / 11 à 16.

[7] - Citons seulement les numéros consacrés au thème dans les revues : « Contraception, mariage et relations amoureuses dans l'Occident chrétien », in Annales E.S.C., n° 6, 1969, pp. 1370-1390 ;  « Amour et mariage », in Le XVIIIème siècle, n° 12, 1980, pp. 163-176 ; ou encore quelques exemples récents, dont ZINK A. « La coutume et la pratique. Les contrats de mariage à la limite de l’Auvergne et du Bourbonnais », in Vingtièmes Journées d’Histoire de Flaran, « La Coutume au village dans l’Europe médiévale et moderne », P.U.M., 2001, pp. 201-214.

[8] - voir le n° 3 de la Revue Pays Vésubien, juin 2002, qui retrace l’épisode des « Barbets » dans le cadre du « Haut Pays face à la Révolution ».

[9] - A.D.A.-M., Série E dépôt 3, AA 1

[10] - A.D.A.-M., Série E dépôt 3, BB 1

[11] - A.D.A.-M., Série 3 E 86 / 1 à 173

[12] - A.D.A.-M., Série E dépôt 3, BB 1 à 17

[13] - DERLANGE M. (sous la Dir.) Les Niçois dans l’Histoire, Serre, 1991

[14] - A.D.A.-M., Série E dépôt 3, BB 1bis

[15] - A.H.D.N. fond paroissial de Lantosque

[16] - FROESCHLE-CHOPARD M.-H. & DEVOS R. Les confréries, l'Eglise et la cité. Cartographie des confréries du Sud-Est, Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 1988

[17] - voir inventaires du Centre d’Etudes Vésubiennes, 1998-2001

[18] - GILI E. & ISNART C. « Les édifices religieux à Saint-Martin-Lantosque. Espace historique et sacré d’un terroir », in Pays Vésubien n° 1, 2000, pp. 2-48

[19] - CUISENIER J. La maison rustique : logique sociale et composition architecturale, P.U.F., 1991

[20] - A.D.A.-M., 3 P 30498, matrice cadastrale, 1874, état de sections

[21] - Essentiellement le cadastre de c. 1490 – A.D.A.-M., Série E dépôt 3, CC 1 – étudié par BOYER J.-P. Hommes et Communautés, la Vésubie du XIIIème au XIVème siècle, Nice, 1990

[22] - A.D.A.-M., Série E dépôt 3, CC 5

[23] - BAEHREL R. Une croissance, la Basse Provence rurale (fin XVIème siècle - 1789), Paris, 1961, ou encore DELILLE G. Famille et propriété dans le royaume de Naples (XVème-XIXème siècles), Ecole Française de Rome, Ed. E.H.E.S.S., Rome-Paris, 1985

[24] - A.D.A.-M., Série E dépôt 3, CC 7

[25] - Document iconographique, fond du C.E.V.

[26] - A.D.A.-M., Série E dépôt 3, 2 M 1

[27] - GILI E. Familles et Patrimoines à Saint-Martin-Lantosque (XVIème-XIXème siècles), thèse 3ème cycle en cours de réalisation. Cet épisode est retracé et expliqué dans l’introduction de cette recherche.

[28] - DERLANGE M. Op. Cit.

[29] - REZIO L. Notables et vie villageoise à Belvédère, Valdeblore et Saint-Martin-Vésubie. 1770-1814, mémoire de maîtrise, Nice, 1999

[30] - Pays Vésubien, n° 3, juin 2002, mais surtout RAIBERTI L. Saint-Martin et la Madone de Fenestres, Rééd. Nice, Serre, 1983

[31] - Informations à confronter avec RUGGIERO A. La population du Comté de Nice de 1693 à 1939, Serre, 2002

[32] - Hôtel La Châtaigneraie, Saint-Martin-Vésubie ( http://www.raiberti.com ).

[33] - DIANA P. & GILI E. « Conscrits et chasseurs alpins dans le Haut Pays Niçois (1860-1939) », in Pays Vésubien, n° 2, 2001, pp. 4-49

 


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