Colloque de Nice
Du village à
l’Etat, réflexion sur l’intégration des élites du Haut Comté de Nice : la
famille RAIBERTI (XVIIème-XIXème siècles)
E. GILLI
Cette communication
a pour cadre le village de Saint-Martin-Vésubie, dont nous considèront
une partie de l’histoire sur le temps long, du XVIème au XIXème siècle.
Elle s’attache à mettre au jour tant des éléments matériels
qu’immatériels (comme la mémoire) d’une famille des plus remarquables,
celle des RAIBERTI. Le contexte historiographique se propose de présenter
une synthèse, ou du moins de manière moins ambitieuse, une jonction entre
la microhistoire dont je reste un fervent défenseur
,
et la vision renouvelée de l’école française des nouveaux ruralistes
,
en utilisant les méthodes de cette dernière pour donner un cadre
différent à la première. L’intérêt de pouvoir suivre une pareille trame
permet de s’attacher à la présentation des différents jeux d’influences,
qu’elle oriente ou qu’elle subit. Elle permet également de circoncire au
plus juste les réalités d’un pouvoir qui dépasse largement le simple
cadre du village, s’élargissant dans les institutions de la province du
Comté de Nice, pour atteindre celles de l’Etat en élaboration. Enfin,
elle met en lumière ses principales manifestations.
Je vous propose donc d’examiner les
multiples formes du pouvoir détenu par les membres de la famille RAIBERTI
dans le cadre de notre village, et d’en définir les fondements
structuraux ; de ces pouvoirs, je proposerai ensuite une vision
thématique qui devra permettre de les replacer dans l’espace plus vaste
de l’Etat et de ses représentations auprès du souverain ; enfin, je
consacrerai une dernière partie à l’évocation de quelques exemples
significatifs du rôle de ma famille modèle, tout en soulignant son
caractère évolutif et moderne, allant jusqu’à exprimer ce qui, dans la
mémoire orale aujourd’hui, par non-dits suggestifs, en confirme la
permanence.
Le pouvoir au village peut être décelé
par ses multiples aspects. L’intérêt de l’étude familiale réside dans la
confrontation des théories avec la pratique, le concret, le réel
.
Dans ce cadre, la méthode micro-historique nous permet d’identifier un
certain nombre de comportements, au travers d’exemples de parcours de vie
.
Un document rare me permet d’en débuter
l’étude. Il s’agit d’une simple lettre
,
glissée dans une procédure qui eut pour objet la confrontation entre deux
familles au sujet de la construction d’une maison. L’objet du litige est
une « présumée » appropriation d’un petit terrain, seulement quelques
mètres carrés, suffisant à la réalisation du projet. En l’absence de
preuve écrite, s’agissant de ce que l’on appelle couramment un « hors
ligne », ou « délaissé », sur le bord de la nouvelle route du village, il
est fait appel à l’enquête de commodo – incommodo, à la mémoire
locale et aux témoignages. Après quelques mois, l’un des témoins
favorable à l’érection se rétracte, et communique avec la partie adverse.
Ses mots sont durs, lourds de sens, d’une éloquence directe. Il s’agit de
dénoncer un « faux » témoignage. Les causes en sont les pressions
exercées par la première partie. Deux personnes sont venues le voir, l’un
étant le frère du propriétaire de la maison, l’autre l’instituteur du
village. Nous parlerions aujourd’hui d’intimidation, sinon même de
pression morale, ces personnalités lui faisant comprendre où était son
intérêt, « ayant un garçon à l’école ». Si notre personnage a témoigné
dans ce sens « c’est qu’ils ont le pouvoir ». Le mot est dit. Car il
s’agit bien de cela.
C’est pour mettre au jour ce, ou plutôt
ces pouvoirs, qu’il m’est apparu intéressant de concentrer les différents
relevés d’archives sur des points forts identifiables par l’événementiel.
Le caractère naturellement lacunaire du fond communal, même amélioré par
les mentions relevables dans ceux des communes voisines, par les archives
notariales et bien sûr par les indications retrouvées dans les archives
de l’Etat, ne suffisent pas pour retrouver l’ensemble des actes des
personnages intéressants. Le préalable aura été d’en retracer les
généalogies
,
afin d’identifier au mieux les individus. En soit, ce long travail
permettait déjà de dresser les contours d’une organisation familiale, à
différentes périodes de son activité. Je ne pense pas être d’une grande
originalité si je dis qu’on ne se marie pas avec n’importe qui dans la
période qui m’intéresse. Le sujet a largement été exploré
.
Mais il faut tout de même aller plus loin, et considérer les alliances
comme de véritables marqueurs du pouvoir dès que l’on s’intéresse à la
frange sociale qui en détient l’essentiel.
Ce sont de véritables « clans » qui se
dégagent de cette étude. Le mot n’est pas trop fort, et trouve sa
véritable justification justement dans les moments de crises qu’a pu
rencontrer le village dans son histoire. Les différentes guerres et
invasions, mais aussi les actes de l’Etat en construction, permettrent de
souligner les réactions de individus. Souvent, par recoupements
successifs, ils permettent de déterminer les raisons des actions
considérées, et de circoncire l’ensemble humain agissant de concert.
Comment alors ne pas parler de « clan » quand il s’agit d’affrontements
ouverts entre différents groupes de familles. C’est le cas lors de
l’Annexion française de 1860, mais plus avant déjà pendant la période des
guerres révolutionnaires et de l’Empire français
,
ou encore lors de la grande réforme administrative de 1775, lors de la
conquête Gallispane, pendant les interventions françaises des guerres de
Louis XIV, ou juste précédemment, lors de la tentative d’inféodation de
Saint-Martin au Comte De GUBERNATIS… je pourrais encore multiplier les
exemples, le phénomène possède de réelles similitudes, même dans des
contextes différents. Cette permanence permet d’en identifier les
critères de convergence.
Le pouvoir se
décline donc selon ces termes. La famille RAIBERTI peut, à juste titre,
être considérée à Saint-Martin comme l’une des plus importante en
prestige, et ce encore de nos jours. Selon la mémoire familiale, les
premiers représentants seraient arrivés avec le Comte de Savoie, au
moment de la dédition du Val de Lantosque, aux alentours de 1388. De
fait, les archives communales les présentent dès la fin du XIVème siècle
,
avec Anthoine, qui tient la charge de syndic cette année là. En 1508,
Jean RAIBERTI est baile du village et notaire
.
Si l’on doit se référer aux qualificatifs connus des membres du lignage
entre le XVIème et le XVIIIème siècle, ils détiennent d’importantes
charges gratifiantes de pouvoir social : en ce qui concerne les notaires
,
nous en connaissons 3 au XVIème siècle, 6 au XVIIème siècle et 3 encore
au XVIIIème siècle. Avocats, médecin, speciaro (apothicaire) sont
nombreux. Si l’on y rajoute les charges édilitaires et communales
,
nous en connaissons 10 comme syndics, de 1497 à 1783, auxquels faut-il
rajouter pour la période française le maire Eugène en 1877, la continuité
étant assurée depuis Charles RAIBERTI, syndic en 1852 et 1855. Pour ce
qui est de la charge de baile, au moins 11 d’entres eux le furent,
essentiellement d’ailleurs dans la période du XVIème au premier tiers du
XVIIème siècle, le prestige de la charge étant alors l’élément recherché.
Il peut s’agir en fait d’un premier indicateur qui, par sa répétition,
permet d’affirmer la prédominance d’une famille et sa proximité d’avec
l’Etat en gestation. La démonstration est suffisante.
Il est une date et un moment dans
l’histoire de ma famille qui marque un véritable tournant. Vers 1640,
deux branches se séparent. L’une, issue du notaire Gaspard, conserve sa
prééminence à Saint-Martin et y est toujours représentée. L’autre fait le
choix plus direct du service de l’Etat, issue de Jean-Louis
,
avocat et sénateur au Sénat de Nice où il s’installe. Ses descendants
tinrent les charges civiles les plus importantes : secrétaire d’état,
régent de la Grande Chancellerie… ou charges militaires : colonel et
major général… C’est un autre choix familial, celui de la France en 1860,
qui offre le plus belle exemple de cette proximité et du service de
l’Etat : Flaminius RAIBERTI, qui fut successivement député, sénateur,
ministre et enfin Président de l’Assemblée Nationale.
Une certitude pourtant. Malgré ces choix
divergents, ces trajectoires qui peuvent sembler éloignées, il a toujours
existé une proximité certaine entre les membres de cette famille. Une
conscience de l’appartenance, qui a pu apparaître de temps à autres,
autant que j’ai pu les déceler, au moins jusqu’à la fin du XIXème siècle.
Lazare RAIBERTI, modèle même de l’érudit de la Belle Epoque, historien,
botaniste, naturaliste, géologue à ses heures, et surtout écrivain,
conservait ces contacts, comme il se devait d’une personne de sa qualité.
Même si sa trajectoire finale semble emprunte des hésitations propres à
son époque. La mémoire familiale a conservé de sa décision la volonté de
« partir en Italie, en ayant tout vendu à Saint-Martin » ; Il me reste à
définir qui furent les acquéreurs de ses biens. Il ne serait pas
surprenant de découvrir qu’il s’agit de la famille.
Revenons donc à la branche familiale qui
est restée à Saint-Matin. Nous l’avons vu, elle immobilise les
différentes charges communales à son profit ou en fait profiter ses
proches. Il est d’autres indicateurs de ce pouvoir, laissant apparaître
l’ostentation nécessaire au maintient du prestige. D’aussi loin que l’on
peut le considérer, le village possède deux confréries de Pénitents.
Elles nous sont avérées dans le deuxième tiers du XVIIème siècle
(alors qu’une trace certaine existe dans la vallée dès le XVème siècle, à
Lantosque
). Ces assemblées sont de véritables sociétés d’entraide, possédant un
mont granatique, agissant pour les pauvres de la confrérie… Rien que de
bien classique dans le rôle des Pénitents dans notre région
.
Elles ont leur chapelle, leur prieur, leur procession, leur matériel de
procession…
Mais elles sont aussi des regroupements d’intérêts, assemblant dans une
même organisation les tenants de ce que j’ai pu présenter comme un
« clan ». Les RAIBERTI, avec une autre famille, celle des CAGNOLI,
dominent les Pénitents noirs de Saint-Martin. Prestige et services, mais
aussi clientélisme et finalement pouvoir qui s’exerce avec l’assentiment
de tous, comme il est de naturel.
Enfin, pour souligner leur puissance,
deux matérialisations majeures doivent encore être rappelées. La famille
RAIBERTI possédait « sa » chapelle dans l’église paroissiale, et ce
jusqu’à la loi de translation des cimetières hors les murs, effective en
1784 à Saint-Martin. Il s’agit de la chapelle des Ames du Purgatoire,
dont le vocable à lui seul est une attribution de pouvoir. La propriété
est de prestige, mieux encore quand quand on la considère comme celle qui
s’approche le plus de l’autel majeur, côté Evangile. L’importance du
culte
,
commun à tous les habitants, et renforcé dès le début du XVIIème siècle
par la réforme de l’Eglise, rajoute en sa qualité et dans le sens, pour
les besoins de l’ostentation baroque.
L’autre symbole de leur pouvoir est leur
habitation
.
Dans un village aux rues étroites, aux intérieurs réduits, partagés à
l’extrême à la suite de nombreuses successions, la famille RAIBERTI
possède un véritable palais, tel que l’on peut les imaginer dans la Nice
Moderne (à Saint-Martin, seuls quatre édifices peuvent ainsi être
qualifiés) : le palais « R », qui peut avoir été érigé vers la fin
XVIIIème - début XIXème siècle. Immeuble de 4 étages, s’élevant sur la
rue principale (la Rue Droite, appelée aujourd’hui CAGNOLI, où coule le
beal le canal urbain de Saint-Martin-Vésubie). Son emprise
spatiale recouvre environ quatre à six structures « moyennes » du
village. Au cœur du village, à proximité de l’église paroissiale, elle
est un véritable symbole de l’emprise sociale de la famille. Par
extension, et pour entrer dans la modernité de l’époque postérieure (la
Belle Epoque), Lazare RAIBERTI, dont nous avons déjà parlé, est
sans doute le premier habitant du village a construire une véritable
« villa de villégiature », hors les murs, et ce dès avant 1874
.
La bâtisse est toujours visible sur la rive droite de la Vésubie, avant
d’arriver au village proprement dit.
Enfin, un dernier
indicateur du pouvoir familial réside dans la propriété foncière. Sans
aller jusqu’à relever les différentes mentions présentes dans les
documents fiscaux médiévaux
,
la famille RAIBERTI possède tout au long de l’époque Moderne un
patrimoine foncier estimable. Près de 9 ha pour la seule descendance
directe du notaire Louis en 1702
,
ce qui ne représente pas une très grande propriété si on la compare avec
celle d’autres régions
,
mais bien un patrimoine de première importance pour ce qui est de
Saint-Martin, territoire de montagne et de micro-exploitations éclatées.
Louis RAIBERTI se positione dans les cinq premières fortunes foncières de
l’époque. En fait, la propriété foncière de la famille ne varie que peu
en superficie pendant l’époque Moderne, où la microfondiae
caractérise l’exploitation agricole. Elle est rendue nécessaire pour
permettre au patrimoine familial de répondre à l’ensemble de ses besoins.
Les informations tirées du cadastre de 1760
sont en tous points d’analyse identiques. Je vois dans cette réalité un
héritage des exploitations vivrières, ne posant pas véritablement de
problème d’identification aux familles notables, l’essentiel de leur
pouvoir n’étant déjà plus seulement déterminé par l’importance foncière.
Cette caractéristique souligne justement la modernité des comportements
sociaux. Cette propriété connaît paradoxalement une expansion inégalée
durant le XIXème siècle. Le cadastre Napoléonien nous présente une
propriété de plus de 78 ha. détenus par l’ensemble des familles RAIBERTI
à cette époque. Mais à y regarder de plus près, l’orientation symbolique
elle-même n’a pas véritablement changé. Ce sont de bonnes terres, les
mieux exposées, et surtout formant de véritables exploitations de
plusieurs ha. d’un seul tenant, ce qui est véritablement exceptionnel. La
compréhension du phénomène doit faire appel à la nature des productions,
qui a été totalement renouvelée par l’introduction de nouveaux modes
culturaux et de nouvelles plantes, tels le maïs et la pommes de terre.
Ces derniers sont capable de nourrir plus facilement une famille que ne
le pouvaient les seules céréales. Ce qui explique qu’une part de ces
terres soit utilisée durant cette période pour des usages nouveaux. Leur
nouvelle attribution peut être qualifié de « terres d’honneur ». Nous
avons déjà parlé de la splendide villa « de villégiature » érigée par
Lazare RAIBERTI à l’extérieur de la ville. Elle est complétée par
l’adjonction d’un kiosque et d’un plan d’eau. Des cartes postales
anciennes y montrent une barque dont les occupants se prélassent,
certaines dames avec une ombrelle. L’ensemble est complété par un jardin
d’agrément, au tracet géométrique
.
Un comportement de loisir, que l’on peut considérer comme un véritable
marqueur social identifiable. Une autre terre, celle-ci immédiatement
hors du village, voit une partie amputée pour le bien public. Elle sert
alors à l’installation de la nouvelle place de la Mairie et de ce dernier
bâtiment (1863), pour un prix de vente que l’on peut qualifier de
dérisoire
.
Ici encore, le comportement naturel du prestige de la famille se traduit
par une abnégation réelle au profit de tous, pour embellir le village et
lui donner son image de station moderne.
Après avoir dressé
ce portrait des tenants réels du pouvoir d’une notabilité de village,
capable de s’inscrire dans une politique plus large et d’entretenir des
liens étroits avec l’Etat, quelques « moments forts » de l’histoire de
Saint-Martin pourront illustrer ces caractères, et me permettront d’en
renforcer l’analyse. A la suite d’une explication thématique, je vous
propose d’adopter le plan chronologique imposé par la longue période.
J’ai retenu trois périodes, permettant de rencontrer les acteurs de notre
famille à des moments de crise aiguë, et d’en souligner les
comportements.
Une première limite
doit être présentée. Une très importante quantité des documents
disponibles a été consultée dans les fonds précédemment cités, mais il
reste sûrement de nouvelles informations à croiser. La démarche
micro-historique le nécessite. Aussi, ne puis-je livrer que l’analyse
d’une première prospection, avec toutes les limites qu’elle peut
comporter.
Revenons tout
d’abord sur le moment critique de la tentative d’inféodation de
Saint-Martin, dont la nouvelle arrive dans la ville le 20 mars 1684
.
Le comte Jérôme Marcel De GUBERNATIS vient d’obtenir des lettres patentes
du Duc lui attribuant le fief de Saint-Martin avec le titre comtal. Sans
rentrer dans les détails, le village réagit violemment, interdit l’entrée
du nouveau « comte » dans son village, et agit aussi bien par la voie
judiciaire que fiscale pour mettre fin à ce qu’il juge être un « coup
d’état ». Il obtient finalement raison en quelques mois, puisque le 30
octobre de la même année l’acte initial était révoqué. Deux avocats sont
mandés par la Communauté de Saint-Martin, dont un certain Jérôme Marcel
RAIBERTI. Il s’agit d’un personnage tout à fait remarquable. Docteur ès
Lois, avocat au Sénat de Nice, il fut Juge de la Viguerie de Sospel puis
Juge de Nice
.
C’est en cette dernière qualité qu’il intervient au service et au profit
de sa cité natale. Une personnalité de premier plan, qui joue déjà un
rôle important dans la structure du pouvoir à l’échelle provinciale. Aidé
par la fin de la Régence et la prise de pouvoir personnel du souverain
(Victor Amédée II), il obtient satisfaction pour la Commune. Pour
mémoire, il termina sa carrière comme Conservateur Général du Tabellion
du Comté, en 1694, ce qui nous montre également que « l’affaire de
Saint-Martin » fut pour lui un véritable tremplin. Le personnage de
Jérôme Marcel RAIBERTI représente l’archétype de la notabilité locale
jouant à la fois une carrière honorifique de niveau provincial puis
national, mais qui ne perd pas pour autant les liens qui l’unissent à sa
ville d’origine. Ses implications locales, par la famille mais aussi par
la part des patrimoines physiques qu’il conserve, nous en donnent la
preuve.
Autre temps, celui
de la période révolutionnaire. Saint-Martin est alors sur la ligne de
front pendant plusieurs années, tenue par les Français dès le mois de
mars 1793 (du 3 germinal An III jusqu’au 18 floréal An IX)
,
et y séjournent une forte garnison de troupes. Saint-Martin sert de base
arrière pour la guerre dans la Tinée et dans le tout proche Piémont. La
« bataille de Saint-Martin » (nuit du 14 au 15 fructidor An III - 31 août
au 1er septembre 1795) en marque le point d’orgue, quand les
Sardes, épaulés par leurs alliés Autrichiens, échouent dans leur
tentative de reprise du village et de la Haute Vésubie. Cette période
connaît l’épisode des Barbets
.
La famille RAIBERTI reste présente à Saint-Martin, malgré une perte
considérable de population dont nous ne pouvons aujourd’hui encore
expliquer la nature (1/3 des habitants « disparaissent » en quelques
mois, essentiellement sans doute par suite de l’émigration consécutive
aux combats
). Mais ils ne laissent que peu de traces dans les fonds d’archives.
Lazare RAIBERTI (1898) nous présente leur comportement comme une forme de
résistance passive mais essentielle, car répondant aux nécessités
impérieuses de l’époque. Saint-Martin possède une statue « miraculeuse »
de la Madone, dite de Fenestres, du nom du sanctuaire qui l’abrite durant
la période estivale, au pied du col éponyme permettant le passage en
Piémont. Elle représente aux yeux des Saint-Martinois mais aussi de
plusieurs villages alentours, l’objet le plus sacré et le plus précieux
du lieu, chacun lui vouant un véritable culte. La statue, en bois
polychrome, peut être datée de l’extrême fin du XIIIème siècle, mais plus
sûrement du début du XIVème siècle. Ce qui en fait, en plus de la
dévotion dont elle est l’objet, une pièce patrimoniale unique. Celle-ci
aurait été cachée durant la présence française, dans le « souterrain » de
la maison RAIBERTI. Le conditionnel est historiquement de mise,
l’information étant tirée de la mémoire locale. Toujours est-il que cet
acte ne fut jamais dénoncé, et qu’aucune perquisition, dont les registres
municipaux regorgent pourtant de descriptions, ne la trouva. L’importance
politique symbolique de notre famille s’en trouve fortement renforcé.
Faisant une nouvelle fois appel à la mémoire familiale, Jacky RAIBERTI,
actuel représentant éminent de notre famille,
m’informa que son ancêtre obtint de l’évêché l’autorisation d’octroyer
les sacrements. Ce renseignement revêt une importance considérable si on
la replace dans le contexte de l’époque, et explique quelques
interrogations suscitées par les fonds documentaires disponibles. En
effet, le nombre de mariages a fortement diminué pendant la présence
française, du fait sans doute de la moindre importance de la population,
mais il fallait rechercher d’autres causes. Les mariages clandestins,
imaginés jusqu’alors grâce à quelques mentions marginales dans les
registres officiels de catholicité et d’Etat Civil, « officialisant » des
sacrements déjà passés, peuvent désormais être considérés comme une
réalité. La famille RAIBERTI ayant sans doute œuvré en ce sens. Ne
concluons pourtant pas sur cette seule information, pertinament croisée,
et attendons une preuve documentaire qui me permettra d’en attribuer
définitivement la réalisation.
Enfin, et pour
terminer, je m’attacherai à l’attitude des principaux membres de ma
famille aux temps de l’Annexion française de 1860. Quand bien même
certaines familles avaient pu faire le choix de l’Italie, certains
RAIBERTI ayant d’ailleurs combattu dans l’armée Sarde contre les
Autrichiens (Ignace Pompée, de la branche niçoise, mais sans doute
d’autres encore de la branche Saint-Martinoise, le meilleur exemple étant
celui de Jean TARDEGLIO dont nous possédons la lettre de Milan où il se
bat dans les compagnies de Pepin, GARIBALDI, et doit s’embarquer
prochainement à Gênes pour la Sicile
). L’ensemble de la famille accepte de devenir française, et nous l’avons
souligné, les membres les plus éminents tiennent les charges honorifiques
les plus importantes aussi bien dans le village (Charles, Eugène et
Charles, respectivement grand-père, père et fils, mais aussi Lazare),
qu’au niveau du département et de l’Etat. Rappelons la trajectoire du
« cousin » Flaminius RAIBERTI, dont nous avons déjà parlé.
En conclusion : Pour avoir retracé une
série de trajectoires de la famille RAIBERTI depuis le XVIème siècle
jusqu’à la veille du XXème siècle, je terminerai cet exposé en posant la
question de cette réussite. Pour celle-ci, combien d’autres familles ont
échoué, totalement disparu ? Modulons tout de même cette vision, sans
doute obscurcie par les transferts des successions féminines qui ont fait
disparaître les noms. Cet exemple peut être repris pour l’autre grande
famille du village, celle des CAGNOLI qui succède à la fois à celle des
FABRI de l’époque médiévale, et à celle des GILLETTA de l’époque moderne.
Le génie des RAIBERTI aura été celui du jeu des alliances et de la
survivance du nom. C’est sûrement la réussite des chefs de familles qui
ont fait les bons choix dans l’urgence devant les événements mais aussi
au quotidien, lors des transferts d’héritages en s’assurant de la
pérennisation de leurs pouvoirs.
Ainsi en était-il de ceux qui justement,
« avaient le pouvoir ». Lors du témoignage initial, les acteurs
contemporains l’exprimaient bien différemment, nous pouvons en convenir,
qu’au début de notre période. Pourtant, le comportement du « témoin »,
dont nous parlions en introduction de cet exposé, est sans doute très
semblable à celui de ses ancêtres des XVIème-XVIIIème siècle, quand il
s’agissait de protéger le groupe familial, au nom du « clan », ne
serais-ce qu’en disant « sa vérité », parce qu’il est des choses qui se
font par la simple force de continuité des structures mentales.
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- Citons seulement les numéros consacrés au thème dans les revues :
« Contraception, mariage et relations amoureuses dans l'Occident
chrétien », in Annales E.S.C., n° 6, 1969, pp. 1370-1390 ;
« Amour et mariage », in Le XVIIIème siècle, n° 12, 1980, pp.
163-176 ; ou encore quelques exemples récents, dont ZINK A.
« La coutume et la pratique. Les contrats de mariage à la limite de
l’Auvergne et du Bourbonnais », in Vingtièmes Journées d’Histoire
de Flaran, « La Coutume au village dans l’Europe médiévale et
moderne », P.U.M., 2001, pp. 201-214.
- FROESCHLE-CHOPARD M.-H. & DEVOS R. Les confréries,
l'Eglise et la cité. Cartographie des confréries du Sud-Est,
Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 1988