FULCONIS Michel
- Le Mont Mounier et son observatoire
A Mme Hermione GUIBERT, de Beuil,
descendante de la famille du gardien météorologiste Joseph MAYNARD.
Introduction
Du haut de ses 2 817 m, le mont Mounier occupe une
situation centrale entre vallées du Var et de la Tinée. Montagne du
crétacé inférieur, il fait partie de la chaîne de Pal et domine les gorges
du Cians qui constituent une sorte de fossé recevant les eaux d’une zone
de 172 kilomètres carrés. Ses puissants contreforts est et ouest, comme
ses barres au Sud, l’ont fait souvent appeler « lion », « cathédrale
gothique » ou encore « roi » trônant au milieu de satellites moins
ambitieux que lui, et qui l’entourent comme une cour. On en compte
habituellement sept : lou Démant, lou Sadour, Galestrièro, Burento, lou
Couloumbet, l’Adré et l’Estrop. Cet environnement immédiat
était très giboyeux fin XIXème siècle, et sa flore était riche et variée.
Les intérêts du Mounier sont ou ont été multiples : géologique,
géodésique, botanique, astronomique, météorologique et historique. Ce sont
surtout ces trois dernières dimensions que nous allons évoquer ici.
I. Les origines
Le toponyme « Mounier »
Pendant longtemps et jusqu’au milieu du XXème
siècle, il s’appela Monnier, dérivé de « mons niger » signifiant
« mont noir ». CESSOLE l’écrivit « Mounier » en 1893, mais après de
nombreuses recherches et discussions avec des érudits, il optait un an
plus tard pour la dénomination « Monnier », la plus répandue dans les
écrits de l’époque et de plus collectée chez les autochtones. Il notait
d’abord que certaines vieilles cartes d’Etat-Major sarde donnaient le nom
de « meunier ». Ce nom était à ses yeux une déformation de « Monnier »,
comme pour « Mounier ». Il écorchait d’ailleurs au passage une étymologie
fantaisiste selon laquelle les neiges tardives paraient la montagne de
longs mois durant, la rendant blanche comme un meunier. Même si la
particularité du Mounier est de conserver longtemps la neige sur ses
versants, c’était bien là un comble pour un nom signifiant « mont noir » !
CESSOLE étayait l’explication de RISSO (le calcaire bleu-noir ayant donné
« mons niger ») par la présence à proximité de la Cimanegra,
ainsi que d’une autre dénomination prise sur une très ancienne carte
manuscrite du département : mont Niert
.
Selon lui, l’évolution de « Monnier » en « Mounier » viendrait peut-être
d’une erreur de copiste ou d’imprimeur, le u et le n étant
interchangeables en écriture manuscrite.
Les expéditions au Mounier
Première figure locale à monter au Mounier, le
naturaliste niçois RISSO, qui fit plusieurs fois son ascension, notamment
avec FODERE début XIXème siècle. Ce dernier la qualifia en 1803 de « plus
élevée des montagnes secondaires du département ». Selon RISSO, vers 1820,
son pic s’écroula avec « un fracas horrible », ce qui signifierait qu’il
était plus haut
.
Il affirma aussi que l’on pouvait y apercevoir « assez distinctement » le
Ventoux, le fort Lamalgue près de Toulon, les îles d’Hyères et celle de
Pomègue près de Marseille, ainsi que les plaines de la Crau et les
embouchures du Rhône. Gageons qu’il s’agissait là d’une plaisanterie. Il
est vrai que le Mounier offre – tout comme le Cheiron et le Mont Vial -
une des plus belles vues du département sur les Alpes maritimes et
au-delà : Corse, Viso, Pelvoux...
Puis en 1858, l’économiste et sénateur Jean-Joseph
GARNIER y monta, en compagnie d’un autre Beuillois - le propriétaire de la
montagne - Maurice POURCHIER. Ils déposèrent « orgueilleusement » leur
carte de visite « sous une des pierres qui forment la colonne élevée sur
le plus haut sommet (…) par les officiers piémontais du Corps Royal d’Etat-Major ».
Preuve de l’importance stratégique de la montagne : elle était déjà
parcourue par les militaires qui devaient s’en servir de poste
d’observation ou de terrain de manœuvres
.
POURCHIER vendit le Mounier en 1868 à la commune de Roubion pour 60 000
francs, payés moitié en argent, moitié en bois.
Le 7 août 1888, l’avocat Antoine RISSO récolta au
grand pic plus d’une trentaine de plantes et fleurs, dont le fameux génépi
(Artémisia glacialis).
Enfin, ce fut le tour du Chevalier Victor de
CESSOLE à visiter le mont en août 1892, à partir de Beuil, guidé par
l’aubergiste POURCHIER. On comptait 3 h avec un mulet pour faire cette
randonnée via le col de Mulinès. A l’époque, l’itinéraire passait
par le Mont Démant puis bifurquait vers l’est, au pied du Mounier, où sort
une source et montait directement par les éboulis à l’échancrure entre les
deux cimes. La pointe orientale était alors nommée « Grand Pic du
Monnier ». Déjà inscrit au C.A.F., CESSOLE n’allait cesser de louer
cette montagne et la promouvoir dans des monographies du bulletin du
C.A.F. Section Alpes-Maritimes, ce qui contribua à la choisir pour la
construction de l’observatoire
.
Il y alla de nombreuses fois, et parfois pour des
séjours dans la maison d’habitation de l’observatoire, tantôt ému par de
merveilleux levers et couchers de soleil, tantôt devant rebrousser chemin
devant d’effroyables tempêtes
.
Ainsi, il put voir à la clarté hivernale tous les jours de la première
quinzaine de février 1896 le phénomène « inoubliable » du « spectre ».
Déjà observé au Mont Blanc, il expliquait que « la montagne projette, au
moment du lever du soleil, son ombre dans l’espace ». Depuis la petite
cime, la pointe sommitale « dessine aussi dans les airs à une distance de
plusieurs kilomètres sa belle pyramide ». Durant environ une demi-heure,
« les contours du spectre, d’abord vivement colorés de vert et de bleu,
passent successivement par diverses nuances et peu à peu cette grande
ombre s’efface devant l’apparition de l’astre ».
Deux ans auparavant, en décembre, CESSOLE louait
déjà le « spectacle vraiment grandiose » du Mounier lorsque la lune se
lève : « Le jour ne subit presque pas d’interruption : c’est une seconde
journée qui commence, semblant nous apporter comme l’illusion de ce que
peut être le soleil de minuit au pôle Nord. Malgré la nuit, nous
continuons en effet, de notre haut belvédère, à jouir de la vue complète
des Alpes, en admirant le reflet rouge que la clarté de la lune communique
aux champs neigeux. »
II. L’observatoire du Mounier
Projet, construction et destruction
Ces trois étapes s’enchaînèrent en peu de temps,
fait singulier pour l’époque au vu de l’éloignement du site, des
difficultés pour y travailler et y rester. Et pourtant, en 1893, la
création d’une station d’observation astronomique au Mounier était
envisagée comme « relativement facile et réalisable à bref délai » par les
responsables de l’Observatoire de Nice. Ils se basaient en fait sur un
programme bien défini : les recherches étaient fixées d’avance et limitées
à la partie du ciel où se meuvent les grosses planètes ; de plus, leur
matériel et leur personnel étaient jugés suffisants dans cette entreprise.
L’an précédent, à l’automne 1892, des observations préalables au moyen
d’une lunette de 0,15 m d’ouverture avaient permis de fonder des espoirs
solides pour l’Astronomie. Et ce malgré une installation précaire et des
travaux incomplets.
Un tel projet n’était pas chose nouvelle : déjà,
les scientifiques voulaient éviter les inconvénients « de plus en plus
sensibles de l’atmosphère des villes »
; il s’agissait de gênes causées par les trop grandes variations de
températures, d’humidité, de pression atmosphérique, de vent. Les
Américains avaient montré la voie en construisant l’observatoire Lick au
mont Hamilton, en Californie. Il y avait aussi ceux d’Aréquipa, dans les
Andes péruviennes, du Ventoux et du mont Aigoual. En fait, l’observatoire
du Mounier serait le troisième en altitude en France, derrière ceux du
mont Blanc – aujourd’hui le refuge Vallot - et du pic du Midi (2 877 m).
Le projet du Mounier restait quand même d’envergure
avec trois bâtiments prévus ainsi qu’une coupole à 2 741 m. Cette coupole
métallique sphérique mesurerait 8 m de diamètre et serait mobile sur un
chemin de fer établi à la partie supérieure d’un bâti en bois de 4 m de
haut, de même diamètre. Elle abriterait sous son toit recouvert de tôles
de fer la lunette
et son pied qui seraient, comme elle, construits à Paris.
Deux baraquements en bois rectangulaires étaient
prévus : le premier (L : 10 m ; l : 4 m ; h : 3 m) aurait double paroi
garnie de varech et serait la maison d’habitation, reliée à la coupole par
une galerie de plus de 4 m de longueur. Le second, plus petit et plus
simple (L : 5 m ; l : 3 m ; h : 2 m) servirait de dépôt, le cas échéant
d’abri pour mulets, et peut-être d’atelier à l’origine des travaux. Il y
aurait enfin un atelier de forge pour permettre aux ouvriers de travailler
à l’abri.
Le tout devrait être démontable et préalablement
essayé en bas du Mounier ou à l’Observatoire de Nice. Chaque pièce ne
devrait pas peser plus de 100 kg.
La commune de Roubion céda donc au député
BISCHOFFSHEIM, mécène du projet
,
un terrain de 14 000 m² sur le plateau du petit Mounier. L’administration
de l’Observatoire privilégia l’acheminement des matériaux depuis Beuil,
mais créa pour cela un nouveau sentier, plus large et plus aisé
.
La fin des travaux, prévue pour le début de l’été 1893, s’acheva
effectivement vers la fin de cette saison. L’entrepreneur MAYNARD, de
Roubion, réalisa la construction en bois avec célérité et habileté, malgré
toutes les difficultés. On creusa ensuite la citerne dans le rocher
,
à l’ouest de la maison d’habitation ; d’une capacité de 49 m3
,
elle accueillait les eaux de pluie et de la fonte des neiges
.
Tout était prêt à fonctionner, mais un sinistre allait dévaster la maison
d’habitation.
Le mercredi 13 décembre 1893, à 8 h, tandis que M.
PERROTIN – directeur de l’Observatoire de Nice - M. PRIN, astronome, et
les frères MAYNARD complétaient l’installation de l’intérieur de la
coupole, le tuyau du poêle laissé en activité avec du charbon dans la
maison mis le feu aux boiseries. Rien ne put être fait pour sauver quoi
que ce soit, et les quatre hommes furent contraints à contempler le
désastre, impuissants. Ils retrouvèrent des pièces d’or et d’argent
fondues, preuve de l’intensité du feu. Ils durent redescendre à Beuil le
jour même, n’ayant plus la possibilité de rester sur place ; la neige
abondante et leurs chaussures insuffisantes leur rendirent la marche
particulièrement difficile, puisqu’ils n’arrivèrent au village qu’à 18 h.
Reconstruction
Par précaution, on descendit l’objectif et le
micromètre à l’Observatoire de Nice. Ce funeste destin ne rebuta pourtant
pas BISCHOFFSHEIM qui voulut réparer le désastre rapidement. Diverses
améliorations allaient être réalisées. On prévit donc une nouvelle maison
d’habitation en maçonnerie cette fois, contenant quatre chambres, rebâtie
sur l’emplacement de l’ancienne. Ainsi qu’une galerie de 29,80 m de
longueur pour la relier à la coupole. D’aucun disent que l’on trouve
encore aujourd’hui les vestiges de ce tunnel en pierres sèches, qui était
éclairé par plusieurs lucarnes et recouvert d’une chape en ciment protégée
par 20 cm de terre pour préserver le ciment de la neige et des fortes
gelées. Mais nous ne nous expliquons pas pourquoi de 4 mètres, le tunnel
s’allongeait à presque 30 après l’incendie… Soit il y a erreur dans les
longueurs, soit ce tunnel reliait la coupole à un autre bâtiment plus vers
l’est.
La coupole en toile goudronnée avait également
sérieusement souffert des conditions climatiques (le vent emporta un jour
la toiture)
.
On la remplaça par une couverture en tôle galvanisée.
Enfin, une autre réalisation importante et
spectaculaire : le téléphone. L’Observatoire ne devrait plus rester isolé,
et on le relia à Beuil. Il était aussi prévu de le relier à Roubion par
télégraphe. On trouve encore aujourd’hui quelques rares traces de poteaux,
morceaux de fil ou isolateurs. Les poteaux suivirent les sentiers pour
servir de guides en hiver. Il était aussi prévu de prolonger le téléphone
jusqu’à l’Observatoire de Nice pour une communication directe et
constante.
Toutes ces améliorations devaient permettre à
MAYNARD de rester toute l’année sur place pour surveiller les baraquements
et faire les observations météorologiques. Celles-ci étaient transmises
dans la journée par dépêches au Bureau Central Météorologique de Paris,
c’est à dire par le câble téléphonique de 8 km reliant Beuil ; on pouvait
ainsi « correspondre très rapidement avec les habitants du Monnier »,
selon les mots de CESSOLE.
Recherches scientifiques
Les premiers travaux astronomiques commencèrent en
août 1895. Les observations au-dessus des couches les plus denses de
l’atmosphère étaient d’un intérêt particulier, car la netteté des images
était grande. PERROTIN étudia Vénus, ses disques et sa rotation jusqu’en
février 1896, avant d’en faire une importante communication à l’Académie
des Sciences. On hésitait à croire que Vénus tournait toujours la même
face au soleil, ce qui revient à dire que sa durée de révolution autour du
soleil est exactement égale à sa rotation sur elle-même ; mais grâce aux
observations depuis le Mounier, il n’y eut plus aucun doute de cette
particularité. Mais une des découvertes les plus extraordinaires pour
l’époque, réalisée par PERROTIN qui était secondé par l’astronome JAVELLE,
fut celle des protubérances ou sortes de renflements brillants émergent
dans la partie obscure de la planète, et entre autre la « lumière cendrée
de Vénus », sujet d’observation controversé à l’époque.
Selon certains rapports du bulletin du C.A.F.,
c’est aussi là-haut que l’on mit en évidence l’existence de vapeur d’eau
dans l’atmosphère de Mars. Nous pensons qu’il y a ici une erreur et que
l’on a inversé Mars et Vénus et, qui plus est, que cette découverte n’est
pas réelle
.
On peut néanmoins avancer que le but spécial de la création de
l’observatoire du Mounier fut partiellement atteint dans le courant de
l’hiver 1895-96.
Tout cela amena les scientifiques niçois à attacher
le plus grand prix à l’existence de cet observatoire, appelé à accroître,
selon PERROTIN « dans des proportions inestimables » les moyens dont
l’observatoire du mont Gros disposait déjà, pourvu lui-même d’un personnel
instruit et zélé.
« Savant infatigable », « éminent astronome »,
PERROTIN était loué à l’époque pour la clarté de ses explications données
à tous, pour sa bienveillance et l’obligeance qu’il avait à montrer les
splendeurs du ciel grâce à l’équatorial. On pouvait ainsi visiter
l’observatoire, et dans d’excellentes conditions.
Quant aux relevés météorologiques, ils parurent dès
mars 1897 dans la Revue Alpine, publiée par la Section de Lyon du
C.A.F. A cette époque, la météorologie progressait sensiblement, et
l’inventeur de la météorologie télégraphique LEVERRIER la qualifiait de
« science d’avenir ». On en était au défrichement par l’enregistrement des
données et des observations ; la seconde étape, l’analyse et la
compréhension des informations, viendrait plus tard.
On y étudia aussi les orages. En 1899, un astronome
très enthousiaste notait à plusieurs reprises dans le même article que
l’on pouvait au Mounier mieux que partout ailleurs se rendre compte de
leur formation et d’en apprécier les effets. Et il mêlait science et
poésie en expliquant que la lumière à ces altitudes a « des propriétés
merveilleuses et qui tiennent de l’illusion », et en peignant les couleurs
d’un lever et d’un coucher de soleil au Mounier. Ainsi le site a-t-il
fasciné beaucoup de scientifiques.
Le gardien MAYNARD
Joséphin MAYNARD, lui, surveillait et entretenait
les appareils météo – hygromètres - « à lecture directe » ou enregistreurs
fonctionnant en continu. Il relevait et transmettait ainsi les
températures
à 7 h et 18 h. Toutes ces observations étaient d’une autorité spéciale vu
les lieux inhabituels des relevés. La station du Mounier constituait un
complément parfait de celle du mont Gros car malgré le peu de distance les
séparant (60 km), chacune était sous un climat très différent. Ainsi,
Beuil devint célèbre dans les milieux scientifiques dès juillet 1896.
La nouvelle maison d’habitation construite sur les
ruines de la précédente était confortable et « très solidement établie ».
C’était bien indispensable car la neige atteignant parfois 5 mètres
pouvait la recouvrir entièrement
.
CESSOLE remarquait ce confort dans la nuit du 12 décembre 1895 où il
dormit « dans de vrais lits, munis de chaudes couvertures » - il y avait
aussi de la paille disponible - après « une savoureuse soupe au riz, au
lard et aux choux », tandis que le poêle chauffait « agréablement l’abri »
.
Il fallut du courage et de la ténacité à Joseph
Silvère MAYNARD pour rester seul avec son chien à la « cabane du Mounier »
pendant 25 ans
.
Pour accéder à ces 2741 m d’altitude, on comptait alors 3 h de marche
depuis Beuil, 4 h depuis Péone, et 6 de Saint-Sauveur. Il pouvait et
savait accueillir les randonneurs en leur préparant soigneusement des
déjeuners « plantureux »
et
les étonnait par des menus très appréciés. Enfin, membre de l’équipe de
l’Observatoire de Nice, il avait une grande compétence scientifique. Ses
relevés météo étaient publiés dans les principaux journaux et revues
scientifiques de France. Il faisait un travail important d’engrangement
pour une science dont on traçait les grandes lignes. Son mérite fut de
bien comprendre et bien remplir son rôle.
Il redescendait régulièrement à Beuil où était sa
maison. Il prit une série de clichés de la commune, du Mounier et de ses
environs, imprimés en cartes postales, qu’il vendait au refuge ; les
visiteurs avaient plaisir à envoyer une de ces cartes avec le tampon ovale
«Joseph MAYNARD – météorologiste – observatoire mont Monnier », ainsi que
celui de la date. Président du syndicat d’initiative de Beuil, il
concourut aux débuts du développement du tourisme montagnard dans le
sillage de CESSOLE.
Qualifié tour à tour de « brave » ou « excellent »
par ce dernier, MAYNARD mourut en 1919. Il avait trois enfants, dont un
fils chercheur qui occupa un poste important chez Dassault. A une époque
où la population était essentiellement rurale et où les techniques
agricoles traditionnelles étaient les mêmes depuis des siècles, MAYNARD
fut considéré à juste titre comme un scientifique éclairé en son pays, ce
qui valut à ses enfants de bénéficier d’une sorte d’aura bien après sa
mort. On lui dédia de son vivant une variété de mollusques terrestres
vivant en nombre sous les pierres calcaires du Mounier, à 2 800 m et sur
le plateau du Démant à 2 400 m. L’Helix coelata, variété Maynardi
était la seule connue en France, vivant sous la neige dans les parties non
ensoleillées.
III. Continuité et fin de l’exploitation
d’altitude
Les « touristes » (randonneurs), ainsi appelés par
CESSOLE, montèrent de plus en plus nombreux au Mounier dont la notoriété
croissait. En 1893 et 1894, les membres dirigeants du C.A.F. s’y rendirent
en prévision de ces réalisations hors du commun. Deux ans plus tard, le
Mounier était la cime la plus visitée du département (123 personnes dont
des femmes y allèrent entre août 1895 et avril 1896)
.
Deux guides muletiers
furent nommés à Beuil par la section départementale du C.A.F. CESSOLE
envisageait même la création prochaine d’un « chalet-hôtel »
non loin de l’observatoire : c’était un projet sérieusement étudié. Il
imaginait que cette « station de haute montagne offrirait de réels
avantages aux touristes en leur permettant de vivre commodément dans le
silence et le calme d’une pareille altitude, d’admirer à loisir un
panorama merveilleux et de humer à pleins poumons le grand air des
Alpes ». Faire connaître la montagne et en faciliter l’accès fut l’œuvre
de l’infatigable chevalier alpiniste, tout en faisant appel aux
autochtones experts de la montagne (il bénéficiait du reste d’une grande
popularité parmi eux). Ainsi pensait-il à toutes les améliorations
possibles, comme, au Mounier, la présence d’une petite pharmacie ou encore
une carte plane ou en relief pour informer les voyageurs des itinéraires
et surtout des cimes du panorama.
Un second incendie eut lieu le 31 juillet 1910,
dont nous n’avons pu trouver nulle relation. L’Université de Paris avait
reçu par legs l’Observatoire de Nice et son annexe du Mounier de
BISCHOFFSHEIM. Mais après la guerre, le 31 décembre 1918, elle abandonna
les bâtiments du Mounier qui tombèrent en ruine. Le matériel astronomique
avait été récupéré au préalable, et on se souvient à Beuil que la lunette
aurait ensuite été apportée à l’observatoire du Pic du Midi. Quelques
années après, l’ancienne maison de MAYNARD deviendrait un refuge alpin où
un fils de MAYNARD serait lui aussi gardien. La structure était restée 25
ans en activité, et cela constitue un véritable exploit dans la durée,
après celui de l’édification du tout en un endroit si hostile. Cette
entreprise hors du commun permit de faire des découvertes scientifiques
notables ; elle permit aussi à des centaines de randonneurs d’y manger,
dormir, s’y reposer, et même visiter un véritable observatoire, bien que
la maison du gardien n’ait pas pour vocation celle d’un refuge. Et cela
permit enfin de faire découvrir la montagne à des sportifs à une époque
pionnière en la matière
.
BIBLIOGRAPHIE
Bulletins du Club
Alpin Français, Section Alpes-Maritimes, Nice, à partir de 1893
jusqu’en 1910
Cdt CAZOT Etude sur
les Mollusques terrestres et fluviatiles de la Principauté de Monaco et du
Département des Alpes-Maritimes, Monaco, 1910
CESSOLE V. De La Neige
dans les Alpes-Maritimes pendant l’hiver 1903/1904 monographie
CESSOLE V.
De & NOETINGER F. La Suisse Niçoise, éd. Sirius, 1982
COMPAN A. Etude
d’Anthroponymie de la Provence Orientale au Moyen-Age, thèse, Paris,
1975.
DONADEY A.Beuil
Historique, inédit, Nice, 1898
Manifestation
organisée par la Section des Alpes-Maritimes, le 4 avril 1925, en
l’honneur de Monsieur Victor de CESSOLE, édité au siège de la section,
Nice, 1925
PERROTIN M. Notice sur
les titres scientifiques de Paris, 1896
PERROTIN M. Annales de
l’Observatoire de Nice, Paris, 1899
Avec mes remerciements pour leur aide et
leur amabilité : Mme H. GUIBERT, le Club Alpin Français section des A.M.,
la Bibliothèque de CESSOLE.
- Curiosité de la nature, la cime de Pal, non loin de là entre Tinée
et Var, a une forme ressemblante à celle du Mounier, et la même
altitude (à un mètre près). Plus pointue que ce dernier, on peut
imaginer qu’elle ressemble au pic du Mounier qui se serait écroulé.
- Les Italiens firent d’importants travaux géodésiques dans leurs
Alpes occidentales en 1877, qui débordèrent en France ; la trame
venait jusqu’aux sommets du Mounier et du Tournairet par prétexte
d’identification avec d’anciens points fondamentaux de la carte sarde.
Des stations géodésiques y furent réalisées en 1878 et occupées dix
ans plus tard par le Service géographique. D’autre part, l’altitude
2741 – à l’Observatoire - avait été déduite de 71 observations du
baromètre à mercure, faites simultanément à Nice et au Mounier,
auxquelles on fit application de la formule de Laplace. Par la suite,
elle fut rectifiée à 2 729 m (celle de la cime aussi (2 819 m) ).
- Le 18 novembre 1802, une violente bourrasque provoqua la mort d’un
habitant de Roya, Clément MURRIS, âgé de 65 ans. Il perdit la vie dans
une tempête au col de Crous, en venant de Péone. Son corps enseveli ne
fut retrouvé qu’après 10 jours de recherches.
Le 4 avril 1904,
Marius DONADEY, beau-frère de MAYNARD, fut emporté par une violente
rafale dans les barres d’Aigue Blanche, en tentant de retenir son
béret. Son bâton ferré qu’il planta dans la glace dans un réflexe, se
brisa. Il avait 19 ans et faisait partie d’une caravane de 9 marcheurs
guidée par MAYNARD qui mena lui-même l’équipe de secours beuilloise
alertée le jour-même.
- La lunette avait 7 m de distance focale pour une ouverture de 38 cm
– soit la moitié de celle de Nice, la plus grande du monde en son
temps - avec « mouvement d’horlogerie et rappel en ascension droite et
en déclinaison ». Sa partie mécanique fut des plus ingénieuses.
Alliant commodité pratique (légèreté et facilité de mouvement) et
grande précision, elle réduisait notablement le poids de l’instrument
par un équilibre parfait. Ce sont les contrepoids, d’ordinaire pesants
sur un équatorial, qu’on avait réussi à supprimer. La monture
équatoriale tout à fait spéciale fut réalisée par M. Gautier. Le pied
de l’instrument était disposé de telle manière à permettre plus
particulièrement les observations de la zone du ciel dans laquelle se
meuvent les grosses planètes, ce qui simplifie beaucoup la
construction de la partie mécanique et d’en réduire le poids de façon
conséquente. Une zone assez limitée de la partie nord du ciel était
exclue d’observation (elle n’était d’ailleurs pratiquement jamais
étudiée). Tout cela résultait d’une disposition simple et n’engagea
que des frais minimes. L’équatorial portait un micromètre à fil de
platine, avec vis micrométrique. Il pouvait recevoir les
grossissements suivants : 140, 190 et 270 fois. C’est avec cet
instrument que Vénus fut étudiée, donnant des images excellentes et
permettant de se faire une idée assez nette de sa configuration.
- Selon GARNIER, il existait une source à quelques mètres sous la
cime, côté nord, mais CESSOLE ne put la trouver. Il pensa qu’il
s’agissait de celle qui sourd dans la prairie de Sellevieille, sous le
col de Crousette. Il apprit plus tard d’un vieux berger qui l’avait
vue longtemps sa réelle existence ; elle s’était tarie.
- Les températures variaient moins en hiver qu’en été. Il fit jusqu’à
– 30° C en février 1901, de nuit. Il y avait à la station un baromètre
Fortin et divers thermomètres, des enregistreurs Richard notant les
diverses variations de pression (2 baromètres : taille moyenne et
grande taille), et un abri météorologique commun à ce type de
stations.
- La neige était alors plus abondante que de nos jours, même s’il y
avait des variations. En 1896, il y eut 80 jours de neige au Mounier,
et sa hauteur variait entre 0,60 m et 4,80 m. Mais ce n’est rien en
comparaison des chutes hivernales en 1901 – 1902 et 1902 – 1903 :
leurs nombres accumulèrent des couches qui atteignirent sur
l’esplanade de l’Observatoire du Mounier jusqu’à 12,50 m de neige !
(Oui : 12,50 m !) Et en 1903 - 1904 au camp des Fourches, près de la
Bonette, à 2 248 m, le gardien Joseph GALLEAN était resté emprisonné
en tout 3 et 2 jours à l’intérieur à cause de la neige qui lui causa
beaucoup de peine pour sortir et voir le soleil ! Et pourtant, selon
MAYNARD, cet hiver là n’était pas extraordinaire, simplement au-dessus
de la moyenne. De plus, on disait partout qu’il n’avait pas fait
froid. Cela dit, pour CESSOLE, le plateau du Petit Monnier était en
hiver « converti en un véritable glacier ».
- En cela, il n’a pas trahi l’origine de son patronyme dont la
signification est « force, dureté) – du germanique MAGIN (force, qui
se dit en Allemand « macht ») avec suffixe HARD (dur).
-
Un registre des
visiteurs était à l’Observatoire. Leur nombre croîtrait alors d’années
en années ; 276 personnes en 1902 dont 154 militaires.