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1793, Gilette


souvenir d’une bataille

DIANA Pascal [1]

Champ de bataille où le sort des Alpes-Maritimes s’est joué maintes fois [2], le massif de l’Authion est un lieu chargé d’histoire. L’Authion est considéré comme la clef de voûte de la défense du Comté de Nice aussi bien par les stratèges piémontais, soucieux de  protéger le col de Tende, porte d’entrée de la plaine lombarde, que par leurs homologues français dans leur volonté de repousser une offensive italienne vers Nice et la Provence.

Vaste cirque où la Bévéra prend sa source, le massif est composé de trois sommets dépassant les 2 000 mètres d’altitude. Sur le flanc Nord, la ligne de crête mène au col de Raus. Au Sud-Est, Giagiabella, Ventabren et Mangiabo conduisent aux cols de la Linières et de Brouis. Enfin, au Sud-Ouest, la crête passe par Tueïs, Turini et Peira Cava. Véritable bastion naturel, l’Authion commande les passages latéraux entre la Vésubie et la Roya.

R. MILLE évoque l’angoisse qui devait tirailler les combattants français montant à l’assaut de ces pentes vertigineuses en juin 1793 : « Ces foutues montagnes ! La plupart n’en avait jamais vu des montagnes aussi hautes, ils venaient de Marseille, de l’Hérault, de la Drôme, du Vaucluse, conscrits et volontaires mêlés, ils venaient de la plaine et du soleil. La montagne : une succession de ravins, de failles, de précipices, de pentes qu’il allait falloir escalader sous la mitraille et la canonnade.(…) et puis cette masse noire qui coupait l’horizon, une sorte de grosse bête pointue du bout, la bête de l’Authion [3] ».

 

La République mise en échec

A l’automne 1792, la retraite des troupes Austro-Sardes permet à l’armée française, conduite par D’ANSELME, d’occuper la ville de Nice sans combattre. Le commandant piémontais DE COURTEN dispose ses forces devant la forteresse de Saorge, afin de tenir les passages alpestres vers le Piémont [4]. Ce redéploiement offre aux Austro-Sardes une position défensive solide et compense en partie la supériorité numérique française.

Au printemps 1793, les positions semblent établies. Les Français ont pris le contrôle du littoral, de la vallée du Var et d’une partie de la Vésubie. Deux armées se font face. Les Français sont à Belvédère, à La Bollène, à Peira Cava, à Lucéram, à l’Escarène et au col de Braus. Les Austro-Sardes occupent les crêtes du Capelet à l’Agaisen. Le dispositif s’articule autour des camps de l’Authion au centre (4 000 hommes) et de l’ensemble Brouis-Linières au Sud (7 000 hommes).

Afin de percer les lignes ennemies, le général BRUNET [5] opte pour une attaque sur l’Authion. En avril 1793, une première attaque lui avait permis de tester l’organisation défensive dans ce secteur. Cependant, la contre-attaque austro-sarde avait obligé les Français à se replier sur Lantosque et à abandonner une partie de la Vésubie.

Malgré la neige tardive, les Piémontais ont entamé, dès le mois de mai, des travaux considérables pour transformer l’Authion en camp  retranché [6]. Des épaulements en terre, des tranchées et des batteries sont dressés à Tueis, à Plan Caval et à Parpella pour fortifier la position et la rendre inexpugnable. Des redoutes sont mises en chantier au sommet des Mille Fourches et de la Forca.

Le général BRUNET est persuadé qu’une attaque massive devrait permettre d’enlever la position et d’ouvrir la route du Piémont. Aussi, près de 20 000 soldats sont engagés dans l’offensive générale qui débute le 8 juin.

Trois colonnes convergent vers l’Authion. Au Sud, les Français, partent à l’assaut de l’Agaisen, de la Linières et du Mangiabo. De ses hauteurs les Français dominent le camp du Brouis. Au centre, depuis Peira Cava, le général DORTOMAN progresse vers Montégas, le Camp d’Argent et Tueis mais il est refoulé à l’Authion et aux Mille Fourches. Au Nord, les Français occupent les Terres Rouges, le vallon de Graus et la tête de Rugger. Mais, le général SERRURIER ne parvient pas à prendre possession du col de Raus et doit se retirer.

L’attaque sur le Brouis, qui devait être secondaire, connaît un succès inattendu. Les Piémontais qui ont perdu la Linières, le Mangiabo, le Brouis et Moulinet, se replient sur le Ventabren et l’Authion. Exploitant leur avantage, les Français remontent la vallée de la Roya et entrent dans Breil le 10 juin. 

Afin d’emporter la décision, BRUNET ordonne une nouvelle offensive générale sur l’Authion. Le 12 juin, les attaques contre le Raus et les Mille Fourches sont réitérées sans plus de succès. Epuisés par les manœuvres en terrain montagneux et par le mauvais temps, les soldats se débandent devant les défenses ennemies.

L’opération est un échec. Les Austro-Sardes ont reculé mais l’Authion tient toujours. L’apparition d’une flotte anglo-espagnole fait craindre un débarquement sur les arrières de l’armée française et impose une retraite générale.

Les pertes sont considérables [7]. Cadavres et blessés abandonnés jonchent le sol. L’intendant MATTONE DI BENEVELLO note le 20 juin : « On assure qu’il a été accordé à l’ennemi un armistice de trois jours pour ensevelir ses morts. C’était indispensable : l’air était empoisonné » [8].

En juillet, une nouvelle attaque contre le Raus et les Mille Fourches est repoussée. Le relief et l’artillerie ont joué un grand rôle, offrant aux défenseurs un avantage déterminant. BRUNET acquiert la conviction que seule une offensive sur le littoral permettrait de faire sauter le verrou. Cependant, son projet, qui implique la violation du territoire neutre de la république de Gênes, est refusé. Tenu responsable de cette défaite retentissante, le général BRUNET est relevé de ses fonctions en août.

En décembre, les chutes de neige abondantes obligent les belligérants à se retirer. Les Français abandonnent Tueis et Fougasse pour prendre leurs quartiers d’hiver à Moulinet et à Lucéram. Les Austro-Sardes se replient sur Fromagine et le Caïros. Des sentinelles sont néanmoins laissées à l’Authion pour garder les retranchements pendant l’hiver. Dès la fonte des neiges, chacun reprend ses positions. Dans le courant des mois de février et de mars, les Austro-Sardes entreprennent de nouveaux travaux pour renforcer et compléter les fortifications existantes.

Tirant les enseignements de l’échec de juin 1793, les stratèges français [9]  sont convaincus qu’une attaque frontale ne peut réussir. L’idée de BRUNET est reprise. Un corps de troupe est confié à MASSENA [10]. Ce dernier est chargé de contourner l’Authion et la Roya en longeant le littoral et en traversant le territoire génois. Le 6 avril, MASSENA se met en route [11]. Pour masquer la manœuvre, des attaques limitées sont lancées contre l’Authion afin de faire diversion et de fixer l’attention des Austro-Sardes. Vaincus à Colle Ardente et au Tanarello, les Austro-Sardes battent en retraite et abandonnent Saorge le 28 avril. Menacé d’encerclement, l’Authion est évacué par Saint Véran et le col de Raus.

La bataille de l’Authion a laissé à Moulinet une « trace » dans la mémoire locale. Situé au pied du massif, le village constitue un poste stratégique pour protéger les communications entre les camps retranchés piémontais de l’Authion et de la Linières. Moulinet fut l’objet de plusieurs attaques avant d’être occupé par les Français. Les anciens racontent que : « Ahura, en Prouverieras es tout pelà, perqué d’un temp, lì es agù una guerra. Aquès que defendien, avien talhà tout’i larzes, i-s-avien esparas e li-s-avien ligas ensem, n’amoun sus i testas. Cour’i-s-autres puhàvan à l’ataca, tahàvan li ligames e aquès trouncs davalàvan en la penta e pistàvan tout. Acò, li disien : far de bilhounàias, perqué estacàvan de bilhouns » [12]. De même, « Aquel journ, di, paréisse qu’a Béura coulava roussa ! » [13] Ces « histoires » que l’on raconte, et que l’on se transmet de génération en génération, sont le reflet d’épisodes qui ont profondément marqué les esprits des populations. Certes, le mode de transmission orale est sujet à caution car le rôle des veillées n’était pas de transmettre une vérité historique et scientifique. Cependant, ces « légendes » témoignent du souvenir laissé par ces combats meurtriers dans l’imaginaire collectif. 

 

Vestiges du champ de bataille

Les travaux de fortification successifs, entrepris après le rattachement de 1860, ont profondément transformé le paysage [14]. Les militaires français, chargés d’organiser la défense du massif, mettent au jour les vestiges des camps retranchés Austro-Sardes. Ces découvertes fortuites sortent de l’oubli une page d’Histoire méconnue. Les militaires français vont dès lors jouer un rôle déterminant dans le souvenir de la bataille de juin 1793 qui constitue pourtant la principale victoire austro-sarde sur la France.

Le Colonel WAGNER, qui commande le Génie, inspecte le Haut-Pays afin de prévoir les aménagements nécessaires à la défense des Alpes-Maritimes. Au cours de ces visites sur le terrain, il cartographie les positions Austro-Sardes. Partiellement publiés par KREBS et MORRIS [15], ces travaux sont une source d’informations précieuse pour les historiens. Dans leur ouvrage, ils se réfèrent à maintes reprises au travail du colonel WAGNER. Confrontés aux archives, les relevés réalisés par les militaires apparaissent fiables. A l’Authion, notamment : « Les traces de tentes ou de baraques indiquent une garnison de 4 350 hommes (…) Il y aurait eu 264 grandes baraques ou tentes et 788 petites. Ces chiffres concordent avec les indications des archives de Breil, les 12 batteries à 400 hommes en moyenne présentant en effet 4 800 hommes dont il faut défalquer les gardes et sentinelles » [16].

Un autre témoignage vient confirmer la qualité des observations possibles sur le terrain à cette époque. Un siècle après la bataille, le capitaine DAUTHEVILLE, chargé de construire la Redoute de la Pointe des Trois Communes (1897–1899), établit un rapport détaillé mentionnant différentes  découvertes réalisées au cours du chantier. Le capitaine relève des traces de retranchements au sommet de l’Orthiguier et aux Trois communes. Il note « qu’après un siècle on retrouve encore intacts les contours, et presque le relief des redoutes, tranchées, abris et trous de tente des camps Austro-Sardes » [17]. L’état de conservation des structures est tel que certains de ses confrères envisagent même de les réutiliser. 

L’Authion est un chantier permanent. Les fouilles, entreprises en 1887 pour la construction du fort des MilleFourches provoquent la destruction de la redoute austro-sarde qui coiffait cette hauteur. Les travaux gigantesques mettent fréquemment au jour de nouveaux vestiges. Cela aboutit, en 1901, à l’édification du monument de la Baisse de Tueis où sont rassemblés les ossements découverts aux alentours : « Le XIème groupe alpin, en construisant une route a déterré des ossements, des uniformes et des armes, l’on a reconnu que cela appartenait à des soldats français, l’on a tout réuni en un ossuaire et maintenant chaque fois qu’une troupe passe elle rend les honneurs. Il est situé à 2 000 m d’altitude et l’on trouve encore la trace des tranchées qui avaient été construites par les défenseurs » [18].

Les militaires qui sillonnent le massif sont ainsi des témoins privilégiés des combats de l’époque révolutionnaire. Aujourd’hui encore, les indications données par les militaires nous permettent de différencier les positions de l’époque révolutionnaire de celles réalisées postérieurement par les Français (1860–1940) et les Allemands (1943–1945). Des emplacement de tentes et de tranchées en pierres sèches sont toujours nettement visibles à La Forca, aux Mille Fourches ou à La Béole.

Menacé de disparition, ce patrimoine doit être sauvegardé et protégé des assauts du temps et des hommes. Le risque est réel. L’aménagement de la station de ski de Camp d’Argent a entraîné la destruction d’une partie des structures en pierre du « château » ou « donjon » [19] de Tueis. Des observations récentes sont venues confirmer l’exceptionnel potentiel archéologique du site. Les travaux de mise en sécurité des ouvrages de l’Authion engagés, depuis 1999, par le Parc national du Mercantour, conjointement avec les services de la Préfecture des Alpes-Maritimes et du Ministère de la Défense, ont permis la mise au jour de nouvelles découvertes (boucles de ceinture, boutons d’uniforme, balles en plomb, boulets, baïonnettes). Parmi ces objets, une plaque de bonnet d’infanterie autrichien portant le monogramme F.II, correspond au règne de François II d’Autriche (1792-1835) [20].

Pourtant, le visiteur qui s’engage sur le circuit de l’Authion ne dispose pas d’informations sur les événements historiques qui ont modelé le paysage. Vandalisé en mai 1997, le circuit d’interprétation n’existe plus. Espérons que la réouverture prochaine de la Maison d’accueil du Parc national à la Baisse de Tueïs constituera une nouvelle étape dans la valorisation de ce site, lieu de mémoire exceptionnel du Haut-Pays niçois. 


 

[1] - (Article : « L’Authion, souvenir d’une bataille », Pays Vésubien, 3-2002, pp. 16-20)

[2] - Notamment lors des campagnes de 1744 -1748, de juin 1793 ou encore d’avril 1945.

[3] - MILLE R. Le temps des tempêtes, Albin Michel, 1999.

[4] - Les communications avec le Piémont se font par les chemins muletiers de la Gordolasque, des Fenestres et surtout du col de Tende, dans la vallée de la Roya, desservi, depuis 1610,  par la route royale.

[5] - Le général BRUNET a remplacé en décembre 1792, le général D’ANSELME, suspendu à cause de ses erreurs, des pillages et des exactions commises par ses troupes.

[6] - KREBS et MORRIS Campagnes dans les Alpes pendant la Révolution (1792-1796), Plon, 1891-1895.

[7] - Il est très difficile de donner un bilan chiffré précis de la bataille. Les Français reconnaissent 280 morts et 1252 blessés, mais ont tout intérêt à minimiser le nombre de victimes. MATTONE DI BENEVELLO estime les pertes françaises à 6 000 morts et blessés.

[8] - « Correspondance de l’intendant du Comté de Nice MATTONE DI BENEVELLO », in Nice Historique, 1927-1933.

[9] - Le général DUMERBION qui dirige l’Armée d’Italie depuis l’éviction de BRUNET, consulte BONAPARTE, responsable de l’artillerie. Le levensois MASSENA A. et le brigasque RUSCA J.B. ont certainement, par leur connaissance du terrain, influencé ce choix tactique.

[10] - Les combats de l’Authion permettent à André MASSENA de s’illustrer. Chef de brigade, il prend le Mangiabo en juin 1793, puis reçoit le commandement du camp de Fougasse.

[11] - DOUMENC A. Le mémorial de la terre de France, Contribution à l’histoire militaire de nos provinces, Arthaud, 1940.

[12] - « Maintenant, l’Authion est entièrement déboisé parce que, dans le temps, il y a eu une guerre. Ceux qui défendaient [l’Authion] avaient coupé tous les mélèzes, les avaient ébranché et les avaient lié ensemble, en haut, sur les sommets. Quand les autres montaient à l’attaque, ils coupaient les liens et ces troncs dévalaient la pente en écrasant tout. On appelait ça faire des bilhounàias parce qu’ils attachaient des grumes ». Propos de MOSCHETTI Ange, dit Princi (1904-1994), recueillis par M. Pallanca. Version corroborée par Jean TRUCHI, dit Teòfelou ou Jan Troumbeta  (+/- 90 ans).  

[13] - « Il paraît que ce jour là, la Bèvéra coulait rouge ! ». Propos de Jean Truchi, dit Teòfelou ou Jan Troumbeta

[14] - DIANA P. & GILI E. « Conscrits et chasseurs alpins dans le Haut Pays niçois », in Pays Vésubien, n°2, 2001, pp. 4-49

[15] - KREBS et MORRIS

[16] - Ibidem

[17] - Note du capitaine du génie DAUTHVILLE au sujet de la construction du blockhaus de la Pointe des Trois Communes avec l’emploi de béton armé, 1899, SHAT, Vincennes.

[18] - Carte postale datée du 3 juillet 1906, collection DIANA.

[19] - Plan cadastral de Moulinet de 1806.

[20] - Nous tenons à remercier Max BLED, Président de l’association Edelweiss, pour ces renseignements. Selon les recherches réalisées par M. BLED, la position était occupée par le Ier Bataillon du 2ème Régiment de garnison (1 200 hommes) qui, lors des combats du 12 juin 1793, a perdu 22 hommes, 65 autres étant  blessés.

 


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