à la veille de la Révolution
GILI
Eric
Introduction
Le Comté de
Nice avant la conquête des Français - Aspects historiques
L’appellation de
« Comté » pour Nice est une création du XVème siècle. Cet ensemble de
terres se compose en fait de plusieurs entités territoriales, dont celle
du « Val de Lantosque », associée depuis le XIIIème siècle au Comté de
Vintimille, forment l’espace central. Appartenant à la Provence, elles
apparaissent distinctes au moment de leur union, en 1388, lors des
déditions au comte de Savoie. Aux temps de la guerre de l’Union d’Aix
,
qui vit s’opposer les partisans des deux prétendants à la succession de
l’illustre Reine Jeanne, nos terres prirent le parti opposé à celui de
l’héritier angevin désigné, Charles Ier. Celui-ci est victorieux du parti
Durassien et des villes qui le soutenaient. Pour ne pas lui céder, nos
régions se choisirent comme protecteur le comte Amédée VI de Savoie (le
Comte Rouge, de la couleur de son armure). Lors d’une chevauchée parfois
aventureuse, le seigneur savoyard reçoit les déditions du Val de
Lantosque, puis de Nice. Les anciennes Terres Neuves de Provence (les
vigueries de Nice et du Val de Lantosque) entrèrent ainsi dans l’espace
« savoisien » pour ne le quitter qu’en 1860. Le comte de Savoie acquit en
1405 le titre ducal, mais il lui fallut attendre les dernières guerres du
règne de Louis XIV pour voir son refus de l’hégémonie française
récompensé. Il obtint alors la dignité royale tant espérée, par
l’acquisition, en second temps, de la Sardaigne. Début XVIIIème siècle, le
Comté de Nice appartient à la toute nouvelle monarchie sarde, appellation
rassemblant également la principauté de Piémont et le duché de Savoie...
Ces aspects géopolitiques permettent de replacer notre région dans un
cadre à la fois plus vaste et de lui restituer une profondeur historique
essentielle, capable d’en expliquer les épisodes qui vont être contés.
Aspects
socio-économiques
Le Comté de Nice, à la fin du XVIIIème siècle, a enfin
connu une longue période de paix, après les derniers soubresauts des
guerres gallispanes, ce qui permet le rétablissement d’un certain
équilibre économique. Mais le pays reste pauvre, vivant, à l’instar des
autres contrées de l’Europe continentale, essentiellement des produits
agricoles. Les espaces de montagne, cloisonnés et pentus, ne permettent
pas de grands progrès agricoles. La force de l’habitude
et la peur des nouveautés n’incitent pas le producteur à consacrer
quelques arpents à de nouveaux produits. La structure même de la propriété
foncière, pulvérisée en une multitude de petites exploitations, interdit
d’en distiller quelques planches de culture sans risque de ruiner toute
une année de production en cas d’échec. Propriétés souvent étagées, elles
permettent de bénéficier de l’ensemble des potentialités productives des
sites. Renforçant ces handicaps structurels, les temps de paix sont
généralement ceux des hautes eaux démographiques. Les classes d’âges
reconstituées pèsent de tout leur poids sur le développement des
productions, la surface utile n’étant pas extensible. Celles-ci restent
orientées vers la satisfaction quasi-exclusive des besoins domestiques
avec, au premier chef, les céréales.
Le seigle domine encore les productions, cultivé
jusqu’aux plus hautes altitudes, au-delà de 1 500 mètres. Les pommes de
terre et le maïs font une entrée timide parmi les productions, se heurtant
encore à l’incompréhension et à la crainte de l’échec synonyme de disette
pour la famille. Ils sont encore d’introduction récente. Les maigres
surplus obtenus dans les bonnes années permettent, une fois
commercialisés, d’obtenir les quelques pièces de monnaie destinées à payer
l’impôt. Cet argent fournit encore à la famille les quelques denrées qui
ne sont pas produites sur place : le sel et quelques épices, l’huile et le
vin pour les régions d’altitude…
Pays de petits propriétaires, cette particularité
explique que même la noblesse savoisienne ne s’identifie généralement pas
par d’importants biens fonciers. Les notabilités de village, dont l’élite
est très liée au pouvoir central monarchique, aussi bien à l’échelle du
Comté que de l’Etat
,
maintiennent un certain « partage du pouvoir », assurance de la pérennité
de leur domination sociale et économique. Les chefs de familles forment
l’unité citoyenne de la société. Leurs choix d’achats ou de ventes de
terre prennent souvent la forme d’« échanges », dans un espace aux faibles
possibilités numéraires. Les projets d’héritages et de successions sont
autant d’indicateurs qui marquent la faiblesse des opportunités de
progressions éco-sociales qui leurs sont offertes.
Le problème
des transports
C’est le problème structurel essentiel du développement
de l’économie du Comté de Nice. La compartimentation spatiale propre au
jeu des vallées interdit les grands travaux que ne peut soutenir une
économie fragile. Seuls fonctionnent encore les chemins muletiers
médiévaux, dont certains sont bien plus anciens encore, capables de
drainer les convois d’animaux de bât le long des versants aux pentes
escarpées. L’ancienne voie principale reliant Nice au Piémont par la
vallée du Pailhon de Saint-André puis par la Vésubie jusqu’au col de
Fenestres a été remplacée au début du XVIIIème siècle par la première
artère carrossable. La nouvelle Strada Reale, suivant le Pailhon de
l’Escarène, atteint la Bévéra puis la Roya jusqu’au col de Tende. Hors de
cette véritable route, les échanges restent confidentiels. Seules quelques
produits peuvent être exportés : la tome de fromage, le drap…
Le trafic peut pourtant être intense dans le Comté quand
les conditions climatiques le permettent (soit pendant quatre à six mois
dans l’année permettant la traversée des cols), mais les volumes
transportés et la rapidité de ces moyens restent un véritable handicap
pour les échanges. Ainsi une année connaissant des accidents climatiques
peut-elle encore être catastrophique pour des populations dont les
subsistances restent essentiellement tirées de leurs terroirs, sans que le
commerce ne puisse se substituer à ces déficiences. Le phénomène est
encore aggravé par la pénurie de numéraire dont beaucoup souffrent.