GILI Eric
Les milices du Comté de Nice sont l’image et la
survivance des ‘libertés’ médiévales, octroyées par les souverains de
Provence. Le modèle est connu ailleurs en Europe, avec des fortunes
diverses. Dès le Moyen Age, quand le duc de Provence décide de guerroyer
en Piémont
,
il réunit les milices des différentes vigueries dans les prés sous les
murailles (lou barri) de Saint-Martin Lantosque, au quartier
Roghieras. Le lieu est propice, suffisamment vaste pour accueillir les
troupes
.
La conquête des vastes contrées d’au-delà de la « fin des terres » (Fenestris)
nécessite de leur demander de bien vouloir surseoir à leurs privilèges en
acceptant de quitter « exceptionnellement » les terres de Provence
.
Les guerres et conquêtes médiévales expliquent qu’encore aujourd’hui, les
vallées piémontaises proches de la crête des Alpes soient des terres de
langue d’Oc et se reconnaissent comme telles. La politique des souverains
Angevins imposait rapidement l’assimilation des institutions. Son
administration embryonnaire réussit ce tour de force.
Cette conception territoriale de la défense est une
caractéristique des espaces montagnards. La « guerre des cols » en
souligne les difficultés et les limites. C’est en barrant le passage de
celui de Fenestres que les milices communales obtinrent leur plus
prestigieuse victoire, à la fin du Moyen Age, alors que les troupes de
routiers « français » revenaient des terres italiennes. Ils ne purent
accéder à la Vésubie et durent traverser les Alpes méridionales par le col
de Tende, s’occupant par la suite de ravager les villages rencontrés,
comme le faisaient habituellement les troupes de passage. C’est encore par
ce pas que furent conservées les Terres Neuves de Provence, futur Comté de
Nice, dernière terre possédée par la Maison de Savoie, et défendue comme
telle, lors des guerres de la fin du règne de François Ier qui menèrent au
Traité de Nice assurant par là le partage des influences pour un
demi-siècle entre les maisons Habsbourg et Valois.
Ces caractéristiques expliquent encore le rôle des
milices communales durant l’invasion française révolutionnaire. Capables
d’agir par petits groupes (les escouades) très homogènes car formées par
les différents villages, les milices mènent un combat de places, de sites,
et sont rarement utilisées en masse. Leur connaissance du terrain, ainsi
que le profond sentiment qui les anime de défendre leurs biens et les
leurs en font des troupes intrépides et souvent redoutables. Pourtant,
leur « indiscipline » constatée et comparée à la stratégie moderne est
alors considérée comme un handicap par les généraux qui cherchent à les
comparer aux troupes de ligne.
Devant le retrait
calamiteux de ces mêmes troupes régulières, le glissement des milices dans
une « clandestinité » vilipendée par les Français peut alors être présenté
selon la logique de leur constitution : chasseur ou voltigeur
dirions-nous, il faut absolument défendre le pais. J.-L. SAUVAIGO
rappelle qu’elles devraient recevoir la « même solde que les régiments
d’ordonnance » mais qu’il n’en est rien, jusqu’à ne plus recevoir de
traitement après 1794, malgré leur engagement constant durant les deux
années suivantes. Cette situation financière, associée aux ressentiments
attisés par les exactions des troupes en campagne, nourrirent ainsi les
premiers groupes de barbets. Pour en réduire l’influence, et très
rapidement, les autorités françaises décidèrent de proposer des
aménagements au retour dans la vie civile de ces « exclus », promettant de
faire cesser les poursuites judiciaires dans ce cas. Les multiples appels
lancés à la reddition, associés à la clémence réelle des tribunaux civils
volontairement chargés de la réhabilitation des « mutins » n’obtinrent
pourtant que peu de résultats. Seuls les cadres de cette armée populaire,
essentiellement les capitaines et lieutenants, représentant socialement
les classes les plus aisées des villages, la notabilité locale, acceptent
les termes proposés par les Français, leur assurant une sortie honorable
de la guerre. Ils ont en effet à protéger leurs acquis, à maintenir leur
position sociale, ce qui est loin d’être le cas de la troupe formant la
milice, plus défavorisée. Cette disparité sociale est l’un des éléments
d’explication de la poursuite des opérations par les milices. Celles-ci
continuaient à bénéficier du soutien d’une part importante de la
population, par familiarités et raisons clientélistes.