DIANA Pascal
Du printemps 1789 à l’été 1792, la France connaît
des transformations politiques considérables. En à peine plus de trois
ans, le royaume de France passe d’un régime de monarchie à une République,
abolissant de fait la société d’Ancien Régime. Les monarchies européennes
observent avec inquiétude les difficultés du souverain français. Le roi du
Piémont-Sardaigne est attentif à l’évolution de la situation politique sur
ses frontières.
Malgré des liens matrimoniaux étroits entre les
deux dynasties,
une rivalité ancienne oppose en effet la France et le Piémont. La Maison
de Savoie cherche depuis le Moyen Age à contrôler les cols alpins pour
s’imposer comme le « Portier des Alpes ». Alliances et guerres jalonnent
les relations entre les deux Etats. Afin de servir leurs intérêts, les
souverains savoyards n’hésitent pas à dénoncer leurs alliances et à
changer de camp. Cette politique diplomatique de « bascule » fait de la
Savoie un voisin peu fiable.
Les troubles
révolutionnaires qui agitent la France depuis l’été 1789 ont porté à Nice
une importante colonie d’ « émigrés »
qui lui vaut le surnom de « Petit Coblentz ». Les réfugiés entretiennent
dans le Comté une agitation contre-révolutionnaire qui inquiète les
autorités sardes. Des incidents de plus en plus fréquents opposent à
partir de 1791 partisans et détracteurs de la Révolution
.
Une frontière faiblement défendue
En France, le parti de la guerre progresse. Au sein
de l’Assemblée législative, élue en septembre 1791, une majorité de
députés souhaite une guerre qui libèrerait les peuples étrangers de leurs
princes. Louis XVI approuve. Ce dernier espère ainsi qu’une défaite
française lui rendra ses anciens pouvoirs. Le 20 avril 1792, la France
déclare la guerre à l’Autriche. Afin de négocier au mieux son soutien
éventuel à l’un des deux camps, le Piémont reste neutre, puis décide en
juillet de rejoindre les souverains européens opposés à la Révolution. Une
coalition européenne se forme pour combattre la France révolutionnaire
.
Les relations entre la
France et le Piémont sont tendues et les préparatifs militaires
s’accélèrent. En septembre 1792, les effectifs sont à peu près équivalents
de part et d’autre du Var. La situation est en réalité à l’avantage des
Français. Depuis le démantèlement de la forteresse niçoise en 1706, le
Comté est vulnérable. La frontière est faiblement défendue, les travaux
engagés pour fortifier Aspremont et établir des redoutes le long du Var
restent très insuffisants. Cette ligne de défense discontinue est d’autant
plus fragile qu’elle risque d’être prise à revers par une intervention de
la garnison française de Monaco ou par une opération de débarquement dans
la Baie des Anges
.
Le conflit apparaît inéluctable. Par précaution, la
Caisse royale, le personnel de la Trésorerie, l’intendant du Comté et le
Sénat sont transférés à Saorge. La fuite des cadres administratifs sardes
laisse présager une attaque imminente.
La France prend
l’initiative
La France déclenche les hostilités. Tandis que
MONTESQUIOU attaque la Savoie, D’ANSELME se prépare à franchir le Var. La
rumeur, soigneusement entretenue, laisse penser que les Français disposent
de forces considérables. C’est dans ce contexte que, le 28 septembre, le
chevalier DE COURTEN, gouverneur militaire de Nice, apprend la chute de la
Savoie et reçoit l’ordre de sauver le Piémont en se repliant sur Saorge
pour fermer le col de Tende. Le retrait précipité des troupes piémontaises
plonge la ville dans la consternation. L’abbé Gourdon du diocèse d’Agde,
réfugié à Nice depuis août 1792, témoigne de la confusion qui règne dans
le Comté. La route du Piémont offre un spectacle de désolation.
Pris d’une « terreur panique » plusieurs milliers de personnes réfugiées
se précipitent sur la route de Tende pour gagner le Piémont et fuir
l’arrivée des Français : « je pris le chemin du Piémont comme tous
les autres. J’eusse désiré trouver une monture ou une charrette pour
emporter tous mes effets, mais la troupe s’était saisie de tout, de sorte
qu’il fallut que je chargeasse mon dos. (…) Tout le long du chemin, je vis
le même spectacle de gens qui fuyaient avec précipitation (…). La plupart
pleuraient et s’imaginaient que les Français, entrés déjà dans leur ville,
allaient les égorger »
.
Nice est abandonnée. Le 29 septembre, les Français
entrent dans la ville. Les intempéries et la crue du Var offrent aux
Piémontais un répit salutaire. La brusque montée des eaux empêche
l’acheminement des troupes et de l’intendance. Isolé sur la rive gauche du
Var, D’ANSELME préfère consolider ses acquis avant de pousser plus avant.
Les Français s’emparent du littoral sans rencontrer de réelle résistance,
puis s’engagent dans les vallées. Ils sont à l’Escarène le 1er
octobre, à Sospel le 4 octobre. Ils atteignent Roquebillière le 22
octobre.
Le 4 février1793, le
Comté de Nice est rattaché à la France et devient le 85ème
département français. Toutefois, la situation est illusoire car en réalité
les Français ne contrôlent qu’une partie du territoire, seulement un
tiers. Le Haut-Pays est fermement tenu par les troupes piémontaises et
autrichiennes, habilement soutenues par les milices.
Les Piémontais ont opéré un repli stratégique pour
organiser une ligne de résistance devant la forteresse de Saorge.
S’appuyant sur le relief, Piémontais et Autrichiens occupent et fortifient
les positions de Raus, de l’Authion, de la Linières et du Brouis. Une
véritable guerre de positions commence. Les coups de main se succèdent
sans qu’aucun camp ne parviennent à prendre un avantage décisif. Le destin
de Sospel illustre cette situation indécise. Entre septembre et décembre
1792, la ville change de main à neuf reprises
.
L’arrivée de la neige va imposer un bref répit. Le front se stabilise et
les armées prennent leurs quartiers pour l’hiver.
L’accalmie est de courte durée. Les Français
veulent achever la conquête et prendre le contrôle du Haut-Pays.
Bénéficiant désormais d’une supériorité numérique, ils lancent une
offensive générale. L’attaque contre l’Authion en juin 1793 se solde par
une défaite retentissante. Mis en échec, les Français doivent faire face,
à l’automne, à une contre-offensive austro-sarde sur Gilette (octobre) et
Utelle (novembre). Ainsi, malgré des combats intenses les positions
restent stables. Les Français occupent le littoral et les basses vallées,
alors que les Austro-Sardes contrôlent l’essentiel du Haut-Pays.
La conquête du Haut-Pays
Les attaques frontales ayant échoué, une nouvelle
stratégie est adoptée. L’Armée française conduite par MASSENA engage un
vaste mouvement tournant pour déboucher au nord-est de Tende et de Saorge.
Traversant le territoire neutre de la République de Gênes, les Français
s’emparent d’Oneille, puis remontent vers le nord. Emmené par le brigasque
J.B. RUSCA, les Français bousculent les Piémontais à Colle Ardente. Prise
à revers, la citadelle de Saorge tombe le 29 avril 1794. Menacés
d’encerclement, Piémontais et Autrichiens évacuent l’Authion et se
replient. Exploitant leur avantage, les Français s’emparent du col de
Tende le 8 mai et du col des Fenestres le 9 mai. La réussite française est
complète. Bien que les milices poursuivent les hostilités, l’essentiel du
Comté de Nice est désormais occupé.
Les offensives
piémontaises pour inverser le sort des armes échouent. L’expédition
BONNAUD de la fin août 1795 pour reprendre Saint-Martin Vésubie se termine
par un désastre. Battu à Mondovi, le roi de Piémont-Sardaigne doit signer
l’armistice de Chérasco (28 avril 1796) et reconnaître la perte du Comté
de Nice par le Traité de Paris le 15 mai 1796. Toutefois, la paix ne
revient pas pour autant. Le Haut-Pays reste en état de guerre car les
Barbets poursuivent les hostilités contre les troupes françaises. Les
embuscades et les opérations menées par ces bandes nécessitent
l’organisation de colonnes mobiles qui sillonnent les vallées.
La deuxième coalition
ramène la guerre en pays niçois. En mai 1800, l’offensive Austro-Russe sur
le Piémont provoque le reflux des troupes françaises. Le général
autrichien MELAS franchit le col de Tende et poursuit l’offensive,
déterminé à prendre la Provence. Les troupes françaises, commandées par
SUCHET, refusent l’affrontement et se retirent en livrant des combats
d’arrière-garde pour ralentir la progression ennemie.
Le repli Français sur la rive droite du Var permet
aux Piémontais de réoccuper le Comté pendant quelques jours. Cette courte
période est marquée par une flambée de violence. Les Barbets s’en prennent
à ceux qu’ils considèrent comme des « collaborateurs ».
La résistance des troupes de SUCHET fixe les
Autro-Sardes sur le Var. Profitant de l’effet de surprise, BONAPARTE
franchit le col du Grand Saint Bernard, investit le Lombardie, puis
s’avance dans les vallées piémontaises. Redoutant d’être pris au piège
dans le Comté de Nice, MELAS renonce à la Provence et se replie. SUCHET
passe à l’attaque et talonne les Austro-Sardes. Les Français reprennent le
terrain perdu rapidement : le 29 mai la ville de Nice est investie, puis
le col de Braus, le 30 mai, et Saorge, le 1er juin. Enfin, le
col de Tende est atteint le 3 juin. Le Comté est solidement entre les
mains des Français. La victoire de BONAPARTE à Marengo, le 14 juin 1800,
consacre la domination française sur le Nord de l’Italie.
L’occupation du Comté de Nice ne prend fin qu’avec
la chute de l’Empire napoléonien. Le 18 mai 1814 les troupes françaises
évacuent les Alpes-Maritimes. Vaincue, la France est ramenée à ses
frontières de 1789. La monarchie sarde retrouve ses possessions et
s’efforce de restaurer son autorité sur un territoire qu’elle avait
renoncé à défendre en septembre 1792.
- GHIRALDI D. « L’exode des émigrés niçois fin septembre
1792 », in Recherches régionales