Le tournant
historique de 1860, annexant l’ancien Comté de Nice à la France, est vécu
dans la liesse populaire. Seuls quelques individus, appartenant
exclusivement à l’élite politique locale, refuse ce « choix imposé » et se
déclarent pour l’adoption de la nationalité italienne. Cette période est
celle des fortes eaux démographiques. Jamais Vésubie ne fut plus peuplée
jusqu’à nos jours. Les principaux villages dépassent allègrement les 2 000
habitants, pour un total de près de 9 000 habitants pour toute la vallée.
La cause principale
de cet essor sans précédent est à chercher dans le renouveau agricole.
Avec le début du XIXème siècle, de nouvelles cultures sont introduites :
le maïs et la pomme de terre, qui permettent, par la diversification des
productions comme par leur caractère végétatif rapide, d’éviter les
disettes passées et de donner l’assurance de pouvoir nourrir correctement
toute la famille. Ce que ne pouvait faire certaines années les seules
céréales. Ces surplus permettent de nourrir plus de monde à partir des
mêmes parcelles. Pourtant, le système à ses limites, qu’il faut chercher
dans les modes de transmission et de reproduction sociale. Si la nature
peut désormais multiplier les ressources, elle ne peut s’étendre, et il
devient rapidement impossible, à l’échelle de deux générations,
d’installer plus de cellules familiales et productives. La solution à ce
problème social est trouvée dans l’émigration. De nombreux « jeunes » vont
chercher du travail, tout d’abord saisonnier puis définitif, sur la Côte
d’Azur alors en pleine expansion, dans les hôtels, au service des
aristocrates étrangers, puis des bourgeois…
La création de la
route départementale n° 1, dans les années 1870, accentue ce phénomène de
départ, tout en apportant un réel renouveau à l’économie locale. La
Vésubie devient très rapidement le lieu privilégié de villégiature des
aristocrates de la Côte qui désirent retrouver la fraîcheur de l’été en
montagne : c’est la création de la Suisse Niçoise, dont le cœur se
retrouve à Saint-Martin désormais affublé du terme localisant de
« Vésubie ». Les thermes de Berthemont profitent de cette occasion pour
retrouver un dynamisme certain et devenir la seule station thermale des
Alpes-Maritimes. Les villages connaissent alors une expansion urbaine
inégalée. C’est la création des villas hors les murs, des premiers hôtels,
mais aussi la création d’une certaine modernité soutenue par de nouveaux
besoins hygiénistes. Les municipalités incitent les particuliers à
améliorer l’habitat intra muros, à rendre propre les rues.
L’adduction d’eau est réalisée, complétée là où elles existait déjà.
L’électricité enfin, devient la marque essentielle de la modernité. Le
phénomène est lui-même accentué par la nouvelle génération, qui connaît le
Service Militaire de la nouvelle Nation Française. Devant partir, ils
découvrent « le monde », et reviennent avec de nouvelles idées, de
nouveaux besoins : des bains douches publics sont créés…
La création du Canal
de Nice, prenant sa source à Saint-Jean la Rivière (commune d’Utelle),
pour alimenter la capitale azuréenne en eau potable, symbolise ce
développement moderne de notre vallée.
Cette Belle Epoque
prend réellement fin avec la Grande Guerre. Si la génération précédente
avait déjà combattu contre la Prusse, en 1870, la nouvelle participe bien
involontairement à l’hémorragie nationale. Chaque village paie le prix
impensable de cette conflagration européenne. Dans les années 1920, tout
en espérant reconstruire, ce sont les Monuments Aux Morts qui marquent
l’espace.
1926 marque un autre
tournant dans le développement économique de la vallée. Le glissement de
terrain emportant Roquebillière rompt définitivement la haute ligne
ferroviaire du tramways de la Vésubie. Quelques années plus tard, ce sont
les cars qui désormais s’installent en lignes régulières.
Avec la Seconde
Guerre Mondiale, la Vésubie se retrouve sur la ligne de front. Les
populations sont évacuées durant la « Drôle de Guerre » sur la région de
Cannes Grasse. Des combats violents s’y déroulent, sans que la ligne de
défense constituée par les fortins et forts Serré de Rivière et Maginot de
la Vésubie ne soient jamais débordés. Avec la signature de l’armistice les
habitants reviennent rapidement, pour être placées sous occupation
italienne. Pourtant, l’Etat Français ne cesse d’affirmer l’appartenance de
Nice et de sa région à la France, contrairement aux revendications du
Duce. Ainsi est créé le futur « Collège de la Vésubie », en 1941, à
quelques kilomètres seulement de la frontière italienne, alors en aval des
vallons de la Gordolasque, de Fenestres et du Boréon. De nombreux villages
de la vallée deviennent pour quelques temps le lieu de « résidences
forcées » des populations juives qui ont réussi à échapper un temps aux
griffes nazies. Malheureusement, avec l’armistice italienne, les Allemands
envahissent la zone libre de la France. Ce sont plusieurs centaines de
personnes israélites qui tentent alors de gagner le Piémont, à partir de
la Haute Vésubie, entre le 9 et le 11 septembre 1943, en espérant y
retrouver rapidement les Alliés, synonymes de libération. En fait, ils
tombent dans le piège tendu par d’autres Nazis occupant l’Italie du Nord.
Après cet épisode tragique, la Vésubie est encore secouée par les
soubresauts de la Libération. Les Allemands tiennent plusieurs mois durant
le massif de l’Authion. Les jeunes gens de la Vésubie sont alors
réquisitionnés, formés rapidement à Beuil, puis envoyés à l’assaut de ces
fortifications millénaires. Les Allemands, exaspérés, n’hésitent pas à
opérer de nombreuses « descentes », pillant Saint-Martin et d’autres
villages sur leur passage, avant de regagner leurs fortins.
La fin de la guerre,
et les quelques années difficiles de restrictions qui s’ensuivent,
provoquent indirectement la déprise réelle agricole de la vallée. A la fin
des années 1950, alors même que se met en place le nouveau système de
production hydroélectrique de la Vésubie (barrages du Boréon, de Fenestres
et de la Gordolasque, conduites forcées et usines de Saint-Martin et de
Roquebillière), le monde agricole connaît ses dernières années. Désormais,
l’économie locale « traditionnelle » périclite, les moulins ferment, faute
de matière première, les jeunes partent en ville, attirés par le fort
développement économique touristique de Nice, deviennent fonctionnaires…
La réorientation
touristique de la Vésubie se développe alors, par nécessité et réalisme.
Elle devient le lieu privilégié du repos dominical, des résidents
secondaires des Trente Glorieuses…