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IAFELICE Michel [1] - Une résistance populaire à l’occupation française du Comté de Nice : les Barbets (1792-1814)

Notre recherche est d’abord liée à une rencontre fortuite avec un département périphérique de l’espace national : les Alpes-Maritimes. Enseignant d’origine provençale nommé temporairement à Nice au lycée MASSENA, nous avons fréquenté avec constance le fonds des Archives Départementales et en observant avec attention les séries L et M [2], nous avons pu constater l’existence durant la première période française, d’un mouvement populaire et rural délibérément négligé, opposé à la Révolution (et à l’Empire).

Le champ de notre étude doctorale s’est progressivement porté sur les modalités de la résistance populaire dans l’ancien Comté de Nice pendant près d’un quart de siècle, de la conquête française amorcée le 29 septembre 1792 pour prévenir les menaces de la Contre-Révolution européenne jusqu’à la Restauration sarde de 1814.

Plus de deux décennies durant lesquelles les réticences à l’entreprise française d’assimilation politique et institutionnelle ne se sont jamais vraiment tues.

Le pays niçois apparaît ainsi comme une zone de « ratage » de la Révolution française comparable à d’autres aires internes Européennes rétives à cette vaste œuvre de modernisation (Ex : Calabre, Aragon).

Nous ne pouvons considérer la période précipitée comme une simple parenthèse à la manière de l’historiographie italienne du XIXème siècle.

Une mentalité nouvelle s’est alors forgée dans le département des Alpes-Maritimes mettant fin même inconsciemment aux équilibres ancestraux et les erreurs postérieures de la Restauration sarde ne feront que valoriser les acquis posthumes de la Révolution française et de son prolongement napoléonien.

Rien ne pourra donc plus être comme avant 1792. Ce qui nous permet d’affirmer que la victoire des principes universalistes de la République se mesure dans le long terme car même opiniâtrement les valeurs nouvelles ont pu cheminer, notamment dans la poignée de centres urbains de ce nouveau département.

Le refus de la conscription et d’une fiscalité jugée pesante et la détérioration du régime impérial, secoué par des crises internes et des défaites extérieures, ont davantage écœuré les Nissards de la domination française que le désir profond de restauration monarchique ne les a animés.

On a pu pour expliquer les résistances à la réunion française, évoquer la topographie de la région. Le relief tourmenté, ces vallées étroites s’insinuant entre les flancs montagneux abrupts, constitue un élément non négligeable. Ainsi, l’insuffisance des voies de communication a freiné incontestablement la diffusion des idées nouvelles dans ce petit espace périphérique de l’Europe méditerranéenne. Beaucoup trop de villages demeurent isolés une bonne partie de l’année (autarcie).

Nous nous sommes donc efforcés de relever les causes structurelles des difficultés éprouvées par la France révolutionnaire dans sa politique assimilatrice.

A la fin du XVIIIème siècle, le Comté de Nice appartenait depuis cinq siècles (dédition de 1388) au Royaume de Sardaigne qui constituait un royaume plus éclairé que son voisin français. Eloigné de Turin par des montagnes carrément infranchissables durant l’hiver, le Comté trouve peu à peu à redire à une tutelle sarde relativement souple.

Le pays niçois est donc composé de nombreuses (98) communautés paysannes qui déployant une certaine énergie pour obtenir leur autonomie, ont pris en main leur destinée dès la fin du Moyen Age (XVème siècle), par le contrôle des bois et des pâturages (3/5 des terres appartiennent à la paysannerie, 12 % aux nobles).

L’écosystème traditionnel niçois est fondé sur l’usage des pratiques collectives qui maintiennent la cohésion de la société villageoise (rôle essentiel des biens communaux).

La montagne du pays niçois comporte des communautés dynamiques, beaucoup plus vivantes sur le plan de la vie collective qu’en Provence (société de petits propriétaires à faire valoir direct).

Des servitudes collectives limitent le droit de propriété (dépaissance du bétail local sur terre gaste) et la lutte pour l’individualisme agraire, esquissé sous le pouvoir sarde et développé par la législation révolutionnaire provoquera de tenaces résistances paysannes (défense de la vaine pâture ou du partage des communaux). La vie agropastorale engendre des confrontations que la période française aiguisera [3].

Cette structure sociale « archaïque » d’un pays niçois faiblement pénétré par l’urbanisation expliquera l’absence d’un véritable réseau jacobin, de la très faible densité des sociétés populaires, lieux de diffusion par excellence de l’idéologie révolutionnaire en l’an II. On a pu d’ailleurs évoquer la pérennité d’une structure à l’antique (patriciens/plébéiens) suggérant ainsi l’immobilisme de la formation sociale niçoise.

Culturellement, le catholicisme s’affirme comme un ensemble de valeurs inébranlables surtout dans les catégories populaires empreintes d’une incontestable religiosité de type baroque (76 % des communautés possèdent des pénitents en 1792, 72 % en 1809). L’abbé BONIFACY [4], prêtre à l’esprit caustique et réactionnaire traduit les sentiments d’une large partie du clergé niçois. La première période française est assimilée selon lui à la « captivité de Babylone ». Son hostilité à la République est totale et ne souffre d’aucun compromis.

Mais, c’est sous le poids des réquisitions, de l’arbitraire des administrateurs français que s’est opéré le retournement des populations de l’arrière pays qui ont d’abord accueilli le changement de régime dans une indifférence quasi générale. Les exigences jacobines paraissent insupportables et provoquent rapidement les désillusions des nissards à l’égard de ceux que la propagande dépeignait comme des « libérateurs ».

Le comportement déplorable de certains volontaires nationaux n’a fait qu’accélérer les mouvements protestataires vis à vis d’une occupation étrangère à priori tolérée par les autochtones.

BUONARROTI [5], représentant en mission, dénonce d’ailleurs durant l’hiver 93 les excès de certains agents révolutionnaires qui « ont laissé dans l’esprit des habitants les plus funestes impressions ».

Le Comté de Nice, considéré comme un poste avancé face aux coalisés, devient une base de départ pour l’Armée d’Italie qui plonge cette région pauvre dans une situation économique déplorable. Comment nourrir 20 à 30 000 hommes de troupes lorsque l’on n’a pas de ressources suffisantes pour alimenter sa propre population ? La prolétarisation de tout un secteur paysan, base de la société rurale d’Ancien Régime, est ainsi inévitable

Notre regard s’est donc volontairement porté sur la forme majeure du refus de l’occupation du pays niçois : le mouvement des Barbets, du nom des protagonistes de notre contribution à l’histoire régionale de la Révolution française, longtemps restés dans l’ombre.

En étudiant le barbétisme coincé trop longtemps entre légende ou dénigrement systématique, nous avons voulu cerner la réalité d’un mouvement anti-révolutionnaire « mobile, évolutif et ambigu » que l’érudition républicaine classique a considéré, suivant en cela le schéma des accusateurs militaires, comme de féroces brigands, des « monstres sans foi ni loi » [6].

Il est bien entendu que nous n’avons rien voulu puiser à la tradition d’une historiographie nissarde particulariste née au XIXème siècle qui n’hésite pas à présenter les Barbets comme une « guérilla… de combattants de race exceptionnelle », tout en exposant une vision apocalyptique de la Révolution française. Pour André COMPAN, gardien de la mémoire blanche et inépuisable pourfendeur du jacobinisme, les révolutionnaires ont détruit le caractère organique d’une société traditionnelle : « religion, monarchie, droit, patrimoine et ressources… tout s’écroule ». L’historiographie italienne limitrophe (ligure) n’est guère plus tendre [7]. Le fasciste FERRAIRONI revendique inlassablement l’italianité du territoire niçois, victime de l’Anschluss. Nilo CALVINI auteur de plusieurs articles dans les années 1947-1950 (au moment de la cession de la Brigue et de Tende), dresse de la présence française un tableau affligeant, proche de l’univers concentrationnaire des lagers nazis. La résistance anti jacobine durant ces années d’occupation est rapprochée de celle exercée par les maquisards ligures (entre les nazifascistes en 1943-45).

Notre étude a donc tenté de dépasser toute tendance à la mythification d’un phénomène spécifique au pays niçois. Nous n’avons pas prétendu donner une idée complète mais forcément globale et approximative du phénomène barbet. Ceci parce que notre quête archivistique a souvent été ingrate. H. SAPPIA [8], au début de notre siècle, évoquait peut-être avec exagération le « silence sépulcral » des fonds documentaires. Les informations tirées des sources ne sont point systématiques vues sous l’angle quantitatif car dans les archives communales des feuillets entiers concernant le barbétisme ont été délibérément arrachés : un ordre de destruction aurait été donné sous la Restauration sarde, avancent certains historiens, ce qui prouverait la volonté étatique d’occulter cette soi-disant « parenthèse ». Les motivations des actes commis par les Barbets, l’image qu’ils pouvaient se faire d’eux-mêmes ou celle que se faisait la population d’eux, l’organisation interne des bandes avec leurs lieux de refuge, tout ceci apparaît également peu dans les sources.

Cette situation ne nous a donc pas permis de tirer des conclusions définitives, mais nous avons tout de même pu formuler quelques hypothèses permettant de crédibiliser notre travail de thèse. Le phénomène barbet nous est apparu suffisamment durable pour qu’il puisse mériter une attention soutenue et alimenter notre travail de recherche.

La géographie du barbétisme oppose nettement le littoral « jacobin » ou républicanisé et l’arrière pays, les cantons du centre et de l’Est du département (L’Escarène, Aspremont, Contes, Levens et Sospel).

L’ensemble des vallées du département a connu une structuration des maquis barbets sous le Premier Directoire.

Ces secteurs par leur topographie (montagnes difficiles d’accès), la quasi-absence de voies de communication, leur densité relativement élevée (problème du Lebensraum : espace vital foncier) et la surcharge pastorale (une fois et demi plus d’animaux que d’habitants) ont offert des conditions privilégiées à l’épanouissement du barbétisme.

La francisation s’avère d’ailleurs un échec pour ce qui concerne les masses paysannes de cette région parce qu’inadaptée à la vie au sein de la « Grande Nation ». Sous le consulat, le sous-préfet BLANQUI nous apprend que dans les communes du haut pays, les instituteurs sont généralement des prêtres qui ne maîtrisent pas la langue française.

La « révolution culturelle » a donc largement été manquée dans le pays niçois ; ce qui pourrait justifier l’ampleur prise par la Contre-Révolution durant l’an VII et l’an VIII. L’accès à la politique moderne et nationale s’avère une gageure. Pour l’ensemble des Nissards, l’intégration dans l’Etat-nation français n’a pu s’accomplir. Les paysans de l’arrière-pays, enfermés dans leurs horizons étroits, n’ont pas saisi les avantages du régime nouveau, basé sur des concepts abstraits. Leur comportement est d’abord lié à un mode d’existence précarisé plutôt qu’à des facteurs idéologiques et religieux déterminés. Dans la perspective hobsbawmienne du bandit social, leur rébellion est perçue comme primitive lorsqu’elle témoigne d’une nostalgie qui peut paraître passéiste d’un ordre ancien, jugé naturel et intangible. Ainsi le barbet Charles CRISTINI, natif d’un hameau d’Utelle, se révolte-t-il lorsque les soldats de la colonne BARRAL lui enlèvent arbitrairement son troupeau et ainsi pour paraphraser Hobsbawm les paysans les plus passifs peuvent ensuite lancer les fureurs les plus meurtrières. Cependant, l’insurgé primitif n’a pas de perspective. Sa justice sociale est liée à la destruction de l’adversaire qui a offensé son sens de l’honneur. Sa mère ayant été violentée par les gendarmes, CRISTINI se met à la tête d’une bande et commet de multiples assassinats. Il disait : « avoir tué plus de français qu’il n’avait de cheveux sur la tête ».

Il est tentant de rapprocher les Barbets des Sanfédistes calabrais dans leur commune xénophobie anti française et animosité anti républicaine. Ces paysans offensés qui aiment leur village, leur église et leur curé se soulèvent naturellement. Les symboles du système honni sont prétextes au défoulement frénétique de frustrations séculaires. Ainsi, les arbres de la liberté sont-ils systématiquement arrachés ou coupés, dans les communes occupées momentanément par ces anti-révolutionnaires. Ils peuvent être également brûlés, le feu purificateur régénérant le lieu où se dressait le symbole honni.

La ferveur religieuse peut aussi constituer un des facteurs quoique non décisif de la rébellion contre l’administration française et ses agents. En l’an VI et en l’an VII, la multiplication des processions publiques, soutenues par certaines administrations municipales de l’épicentre du barbétisme (Aspremont, Lucéram, Sospel) témoigne du refus radical des tendances déchristianisatrices, exprimées par le commissaire du département MASSA.

Le barbétisme apparaît donc à la lumière de ces éclairages comme la manifestation de choc de deux mondes antagonistes, du heurt conjoncturel entre les défenseurs souvent d’ailleurs inconscients d’un ordre traditionnel et les intrus étrangers qui sont porteurs de valeurs nouvelles, apparemment incompréhensibles et traumatisantes pour des communautés paysannes homogènes.

Le pays niçois se profile donc comme une zone d’ombre de la domination française et constitue le théâtre d’une guérilla tenace où les bandes armées, conduites par des chefs peu scrupuleux (il n’y a pas eu de chef général coordinateur) attaquent l’arrière garde de l’armée d’Italie, troublent les liaisons de communication et interceptent le ravitaillement vital jusqu’au Consulat. La grande majorité de la population se réfugie dans l’attentisme et respecte l’Omerta, malgré les sollicitations d’appel à la délation lancées par les autorités. La désobéissance est généralisée et les composantes du Directoire départemental signalent fréquemment en l’an IV et V la grande négligence des agents municipaux nissards qui refusent de faire battre les patrouilles afin de pourchasser les Barbets. Cela peut se comprendre aisément puisqu’en l’an V la garde nationale sédentaire est peuplée d’émigrés rentrés qui se solidarisent avec des anti révolutionnaires et peuvent même leur donner un asile sûr  [9].

Le barbétisme semble « immergé » dans la société locale et ses protagonistes protégés par la connivence des masses : le chef Contin est poursuivi en vendémiaire an V par le juge de paix du canton de la Brigue FERRAGLI et une colonne mobile. L’agent directorial peut alors mesurer l’hostilité que lui portent les habitants de la commune d’Ormea où Contin a trouvé refuge. Dans les rues et sur les places de cette petite localité de la Ligurie intérieure, on n’entend que les cris hostiles des autochtones à l’encontre du juge et des troupes françaises accusés d’être « des coquins ayant été chez eux pour arrêter un honnête homme du nom de Contin ».

Plusieurs phases (3) peuvent caractériser l’histoire des Barbets dans l’ex-Comté de Nice.

Nous pensons que la chronologie classique adoptée par la plupart des historiens (avant et après le traité de Paris c’est-à-dire : 1/ patriotes et 2/ brigands) ne distingue pas nettement le caractère évolutif et protéiforme du barbétisme. Elle ne permet pas de saisir les différences entre rébellion, insurrection et brigandage. La révolte populaire spontanée doit se dissocier de cette sédition « manipulée » par un chef d’orchestre plus ou moins mythique.

La rébellion spontanée des Barbets éclate dès l’automne 1792. Il s’agit d’abord d’une réaction d’autodéfense de paysans outragés. Le 3 novembre 1792, ceux-ci déciment une grosse partie du deuxième bataillon de l’Aude. L’émergence du barbétisme est liée aux excès commis par les armées de la République et est associée à l’attachement des paysans nissards au système agraire communautaire. Leur combat est inséparable aussi de la guerre des positions qui sévit dans le département jusqu’à sa conquête complète en avril 1794.

En 1796, le licenciement des régiments provinciaux fait accroître fortement le nombre des barbets qui constituent alors un mouvement autonome et structuré. Les maquis se développent avec des bandes indépendantes les unes des autres. Cette « flambée » est dénoncée par les patriotes jacobins qui en dénonçant la croissance irrésistible du barbétisme, jouent sur les craintes pour faire agir le Directoire dans une direction résolue : l’envoi d’une force militaire accrue et la dissolution des organisations royalistes très actives dans le Midi. La menace imminente de la contre-Révolution est un argument constamment employé en l’an IV dans le département des Alpes Maritimes : une « seconde Vendée » est en formation et le spectre barbet peut être utilisé dans ce contexte par le commissaire du département A. GASTAUD [10].

Progressivement, l’insécurité s’étend sur l’ensemble du département. L’aspect périlleux de certaines voies de communication devient une évidence. Ainsi, le courrier postal est-il maintes fois arrêté par les barbets sur la voie routière qui mène de Nice à la Turbie.

Le moment paroxystique du barbétisme correspond à l’année 1799. Il se généralise à tout le département. Même à l’Ouest, francophile, n’est plus épargné et le pays niçois apparaît ainsi comme un des foyers les plus actifs de résistance à la Grande Nation. La Contre-Révolution nissarde peut s’insérer dans le cadre des mouvements insurrectionnels traditionalistes qui ont explosé dans la plupart des régions de la péninsule italienne à l’annonce de la vaste offensive de la deuxième coalition. Durant l’été 1799, l’Italie est perdue sauf Gênes défendue par MASSENA. Les terribles conditions d’existence des populations sont déterminantes dans ce contexte d’évolution notable de la conjoncture politique européenne. Barbets, sanfédistes et Viva Maria se soulèvent contre la Grande Nation, encouragés par la perspective de l’arrivée imminente des armées « libératrices » de la deuxième coalition.

Le combat des barbets paraît d’arrière-garde ; il correspond à la défense pathétique de l’ancien monde bouleversé par les effets de la modernité qui cherche à le déstabiliser et à la détruire. Toute innovation est suspectée d’aggraver la situation et c’est aux profiteurs de la domination française que les insurgés traditionalistes réservent leur haine la plus féroce. Les frustrations des paysans du pays niçois, meurtris dans leurs espérances lors de la vente des biens nationaux peuvent se manifester, car celle-ci a profité essentiellement à une minorité de bourgeois, de rentiers et de spéculateurs particulièrement liés à la République. Les collaborateurs jacobins autochtones payent donc un lourd tribut lors de la Terreur Blanche du printemps 1800. S’ils habitent dans un petit village ou dans un hameau isolé, ils sont à peu près sûrs que les barbets viendront s’approvisionner chez eux. Ils seront menacés, rossés, détroussés ou même assassinés, d’où la recherche fébrile d’un abri sûr : gros bourg et surtout ville (Nice).

Durant la brève mais violente restauration austro-sarde de prairial an VII, une nouvelle vigueur est d’ailleurs insufflée à la terreur des barbets, ceux-ci constituent un des principaux soutiens de la reconquête du Comté (guides ou éclaireurs des Austro-Sardes). On assiste alors à des scènes empreintes de violences démesurées. Guerre civile et brigandage s’apparentent jusqu’à se confondre. A Monaco, les barbets se livrent alors à des actes imprimés d’un véritable vandalisme antirévolutionnaire ; l’attaque contre les insignes de la République exprime une véritable « catharsis ». L’autel de la patrie est totalement détruit et l’arbre de la liberté incendié. D’ailleurs, le ministre FOUCHé ne s’y trompe pas et estime que la brève occupation du département par les Autrichiens est le signe de l’importance des barbets qui lui apparaissent comme les « véritables vainqueurs » de cette affaire. Il révèle aussi fort à propos, la découverte d’un vrai projet contre-révolutionnaire ayant d’étroite ramification dans le département des Alpes-Maritimes.

Avant l’interruption austro-sarde, le général WILLOT a tenté de faciliter la généralisation de la contre-révolution sur le territoire national afin de restaurer les Bourbons. Il espère soulever l’ensemble des départements méridionaux contre le Directoire. A la tête d’une armée, il aurait dû se porter de Turin vers Nice après avoir franchi les Alpes. Ses agents auraient tissé des relations avec quelques chefs barbets (FALQUI, COMTE et CRISTINI), anciens officiers du régiment des Chasseurs de Nice. Mais les victoires napoléoniennes et la paix d’Amiens mettent fin aux ultimes espoirs de la Contre-Révolution qui n’a pas su ou pas pu adopter une stratégie cohérente de l’utilisation des masses insurgées.

Le renforcement de l’appareil répressif en l’an IX et le ralliement des notables à la pax napoléonica (ordre et propriété) conduisent indiscutablement à une dérive du barbétisme et à sa phase finale.

Le patriotisme local n’est plus alors qu’une couverture pour l’accomplissement d’activités douteuses de bandes éparses qui se livrent à des règlements de comptes crapuleux et à des vengeances personnelles.

Le mouvement barbet a les ailes coupées et ses actions ne sont plus que sporadiques. L’irruption de ces brigands de plus en plus isolés, est le témoignage d’une protestation anarchique, dernière forme de la protestation sociale. Le banditisme marque l’échec de la révolte barbet. Il atteste de son immaturité chronique car ses tentatives sont incapables de s’élargir dans un mouvement politique.

Le barbétisme n’est pas pour autant éteint. Ses rangs sont épisodiquement grossis par des réquisitionnaires déserteurs et des conscrits réfractaires. Le calme est précaire dans les Alpes Maritimes et la fin de la séquence impériale connaît un regain de la dynamique d’affrontement intra communautaire. Les bandes s’étoffent des victimes de la conjoncture économique catastrophique. Dans certaines communes, les mauvaises récoltes provoquent une famine effroyable et de nombreux cas de mortalité.

En 1813, de nombreuses localités du moyen et du haut-pays niçois connaissent une situation pré insurrectionnelle. L’esprit de révolte et d’insoumission est réel à l’Escarène, foyer historique du barbétisme où les habitants refusent d’acquitter les impôts et manifestent un rejet radical du régime napoléonien. La virulence du barbétisme ressurgit en 1814 où se réveillent des haines locales mal dissimulées. Elles tendent même à s’exacerber comme à Roquebillière où le clanisme n’a cessé de se nourrir de vengeances punitives et de batailles pour le pouvoir local.

Mais avec la restauration sarde, le barbétisme disparaît brusquement. Il s’inscrit donc dans une tranche de cette Europe immobile ou archaïque qui a cherché à résister par tous les moyens aux nouvelles formes de représentation politique, au mode de production capitaliste véhiculé par ce laboratoire de la modernité qu’a incarné la France révolutionnaire.

Le barbétisme, phénomène durable et essentiellement rural, n’a jamais vraiment menacé la présence française, mais il a surtout gêné le ravitaillement, paralysé le commerce et les activités économiques d’une région périphérique pauvre. Il a par ailleurs entravé le recrutement local de l’administration, ce qui expliquerait la permanence du personnel politique durant cette période.

Pour notre travail de recherche, nous avons souhaité voir réhabilité tout projet d’une histoire sociale globale reléguée depuis une décennie avec la redécouverte de l’autonomie du politique, au rang du parent oublié de l’historiographie. C’est du terrain local que monte aujourd’hui une impérieuse demande d’une nouvelle histoire sociale aux champs d’études éclatés (apport de la micro-histoire pour une vision au ras du sol).


 

[1] - Docteur en histoire de l’Université de Paris I, Michel IAFELICE enseigne l’Histoire-Géographie à Berre l’Etang. Il vient de terminer une contribution très attendue au Dictionnaire des Communards en traitant des membres issus du département des Bouches du Rhônes. (Article : « Une résistance populaire à l’occupation française du Comté de Nice : les Barbets (1792-1814)», Pays Vésubien, 3-2002, pp. 38-46)

[2] - A.D.A.-M., Série L, Période révolutionnaire… – Série M, Personnel et administration générale

[3] - COSTAMAGNA H. « Aspects et problèmes de la vie agro-pastorale dans le Comté de Nice (1699-1792) », in Revue d’Histoire Economique et Sociale, 1971

[4] - BONIFACY J. (Abbé) Sommario del notizie storiche di Nizza et suo comtado, 1792-1803, A.M.N.

[5] - BUONARROTI F, rapport au Ministre de l’Intérieur, 1793, A.N. AF 2, 412, Plaquette 3314

[6] - voir CANESTRIER P. in Nice Historique

[7] - Lire l’essai stimulant de F. DIAZ, L’incomprensione italiana della Rivoluzione francese, Turin, 1989, 92 p.

[8] - SAPPIA H. « Les Barbets de nos Alpes », in Nice Historique, 1906

[9] - Acte d’accusation prononcé contre le maire de la commune de Moulinet, condamné à mort sur ordre du général GARNIER en 1796

[10] - Rapport minutieux envoyé au Directoire, 4 octobre 1796, A.N.

 


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