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DEPUIDT Elodie [1] - La répression des barbets

La chasse aux barbets

La répression des barbets repose sur un arsenal de mesures très diverses. Souvent prises au coup par coup, elles s’adaptent progressivement aux spécificités de la guérilla menée par les barbets et pallient au manque constant de moyens en hommes et en équipement. Dès 1793, quatre brigades de gendarmerie, accompagnées de guides et éclaireurs, sont créées à cet effet. Elles s’ajoutent aux actions menées par les troupes françaises. Mais devant l’inertie des communes plus ou moins complices des barbets, et devant la progression du phénomène, des mesures plus coercitives sont prises avec la création des colonnes mobiles et l’obligation, pour chaque commune, de former une garde nationale [2]. Toute personne requise qui refusait de marcher contre les barbets était condamnée. Afin d’inciter à la répression, des récompenses étaient prévues pour leur capture. Cet appareil répressif fut complété par toutes sortes de mesures préventives, telles que l’interdiction de porter des armes, de tirer des coups de fusil [3], de porter des masques [4], et de sonner le tocsin. Tout monument susceptible d’être un refuge pour barbet, château, abbaye et autres sites fortifiés, devaient être systématiquement détruits [5]. En outre, des visites domiciliaires furent organisées afin de confisquer les armes et de déloger de leurs caches les éventuels barbets [6].

Le général GARNIER, « maître d’œuvre » de la répression

La répression dans le Haut et le Moyen Pays est surtout l’œuvre d’un homme, le général GARNIER. Né à Marseille le 19 décembre 1756, Pierre Dominique GARNIER entre au service de l’armée dès l’âge de 17 ans, en 1773. Il servit notamment comme volontaire en Amérique de 1784 à 1788 [7]. De retour à Marseille, il prend une part active à la Révolution, qu’il soutient ardemment. Officier de la Garde Nationale de Marseille, il monte à Paris et joue un rôle essentiel dans la prise des Tuileries, au point qu’on le surnomme « le Héros du 10 août ». Puis, il fait un court passage par les armées des Alpes et du Rhin, avant d’être affecté à l’armée d’Italie, en 1793. Il est nommé commandant en 1794. Après avoir brillamment mené des opérations dans le Haut Pays Niçois pour le compte des armées Révolutionnaires, il devient le principal artisan de la répression du barbétisme. Pour cette mission, il s’appuie sur la compagnie des Eclaireurs [8], une brigade anti terroriste qu’il a créée spécialement et sur les colonnes mobiles mises en place dans le département en 1796 [9]. Ces dernières sont composées de détachements de la Garde Nationale sédentaire. Ce procédé a l’avantage de permettre à ces unités légères d’intervenir rapidement sur les lieux de troubles. De plus, elles sont composées d’hommes du cru, aguerris au terrain, et notamment à la montagne. Cependant, elles présentent l’inconvénient d’utiliser des hommes qui sont parfois liés aux barbets qu’ils pourchassent. GARNIER sera tout particulièrement chargé de la colonne mobile de Tende, à la suite du général CASABIANCA. Celle-ci fut créée par un arrêté du 14 fructidor de l’An IV (31 août 1796) [10]. Comptant au total, près de 900 hommes, elle se compose de 50 gendarmes des Alpes-Maritimes, de 30 gendarmes du Var, de 100 hommes de la Garde Nationale des Alpes-Maritimes, de 200 hommes de la Garde Nationale de Grasse, de 300 hommes pris dans la division du général CASABIANCA, et de 200 hommes pris à Antibes et aux îles Sainte-Marguerite. Ces hommes furent envoyés à Tende avec deux pièces de canon. L’action de cette colonne mobile fut étroitement liée à une Commission Militaire siégeant aussi à Tende et chargée de lui transmettre toutes les informations recueillies au sujet des barbets. A ce titre, les archives mettent en évidence une active correspondance entre l’Administration française et des particuliers qui les renseignent sur les meilleurs moyens de tromper et de capturer les Barbets [11]. La Commission était composée de 5 membres : il s’agit des citoyens Gabriel RUCHE, Hylaire HEVRARD, Marc-Antoine VILLARET, Joseph RELIN et Pierre MARTINOL, tous domiciliés à Nice [12]. GARNIER développe les colonnes mobiles en multipliant les réquisitions des citoyens valides qu’il fait équiper et loger aux frais des communes touchées par le barbétisme [13]. Dès l’automne 1796, c’est près de 6 000 hommes qui parcourent les montagnes à la poursuite des barbets [14]. De 1796 à 1798, GARNIER prétend que l’emploi des colonnes mobiles se révèla particulièrement efficace contre les barbets. On peut cependant difficilement mesurer leur portée, d’autant plus que l’Administration française se plaint régulièrement de l’inertie des communes pour éradiquer le barbétisme. L’extinction du phénomène n’est-elle pas aussi liée à un reflux spontané du mouvement ? Toujours est-il qu’en 1801, GARNIER s’enorgueillit auprès de BONAPARTE d’avoir éradiqué le barbétisme dans le Haut Pays niçois [15]. Ces prouesses lui valent d’être nommé Commandeur de la Légion d’Honneur, en 1815, et le droit d’avoir son nom inscrit sur la face sud de l’Arc de Triomphe [16].

La guillotine à Nice

Symbole de la répression contre les opposants à la Révolution, dans quelle mesure la guillotine a-t-elle été employée à Nice contre les Barbets ?

C’est en 1793 que le Comité de Salut Public de Paris décida d’équiper la province en guillotine. Son acheminement jusqu’à Nice connut bien des péripéties et prit beaucoup de retard, au point que les administrateurs du département s’impatientent « vu le nombre de condamnés à mort ». On sait qu’elle coûta 220 livres et 10 sous. Elle arriva finalement à Nice le 21 novembre 1793. D’après BRULE et VERJADE, deux agents nationaux, « tout le monde courut la voir » [17]. Le 25 brumaire an II (15 novembre 1793), le Conseil Municipal décida que la guillotine serait installée « sur la place de l’Egalité (…) [N.B. actuelle place du Palais de Justice] au centre de la ville » [18], afin qu’elle soit vue par le plus grand nombre et que, « par conséquent, [elle soit] plus à même d’inspirer la crainte aux malveillants et ennemis du bien public » [19]. Rapidement installée, elle ne fut pourtant pas employée, car seuls les tribunaux militaires prononçaient des condamnations à mort. Le seul condamné à la peine capitale par un tribunal révolutionnaire aurait été un certain GIRAUDI, mais faute de guillotine, il fut passé par les armes, le 18 octobre 1793. Cette machine à décapiter, qui n’était pas utilisée à Nice, fut donc prêtée à Grasse. Le 20 janvier 1794, le tribunal révolutionnaire en ordonna sa restitution, mais la reconstruction de l’échafaud à Nice causa de nombreux problèmes, étant donné la réticence des ouvriers. C’est donc seulement fin janvier 1794 qu’elle fut, enfin, définitivement installée place de l’Egalité, en face du couvent des Dominicains. Elle y demeura jusqu’au 23 novembre 1794, date à laquelle elle fut enlevée sans jamais avoir eu à fonctionner !

Les effets de la répression

En fin de compte, « la grande battue » menée par les colonnes mobiles, et à laquelle contribuèrent de nombreuses communes, comme Roquebillière, Lantosque et Belvédère, eut quelques effets sur l’extinction du barbétisme. De nombreux barbets, dont des chefs renommés comme Ferusso à Roquebillière, Contin à Drap et FULCONIS (Lalin) à l’Escarène sont arrêtés, emprisonnés ou fusillés. S’il est vrai que la justice d’exception créée pour juger les barbets se montra particulièrement sévère, ses sanctions étant immédiatement exécutoires, sans recours possible, la justice civile s’est montrée, selon L. RIPART [20], beaucoup plus indulgente. L’explication en serait moins le résultat d’une politique délibérée d’apaisement qu’à l’humanisme de juges, lesquels, pénétrés des idées de VOLTAIRE et BECCARIA, répugnent à condamner à mort. L’usage de la guillotine à Nice, on l’a vu, fut plus que timoré.

D’autre part, de nombreux non-lieux furent prononcés par des juges conscients des fausses accusations portées et des arrestations abusives pour « délit de faciès ». Les conseils de guerre ont acquitté, entre l’An VIII et l’An IX, 108 des 109 civils qu’ils avaient à juger [21].

Néanmoins, cette répression a laissé dans la mémoire collective l’empreinte d’actions brutales et sanguinaires. En 1793, le chef de bataillon RUSCA, à la tête de troupes françaises menées dans le Moyen Pays, s’illustre par ses exactions. Il terrorise en effet les populations de Contes et d’Aspremont, où il menace « de faire pendre, la corde au cou, tout habitant qui n’obéirait pas à ses ordres, de les faire fusiller, de leur trancher la tête… » [22]. Quant au général GARNIER, véritable « maître d’œuvre de la répression des barbets dans le Comté de Nice », il est considéré par l’abbé BONIFACY, anti révolutionnaire notoire, et par ses contemporains, comme « le plus grand fléau du pays » [23]. On lui attribue la responsabilité de la macabre mise en scène du corps du Lalin. Etendu sur un mulet, le poignard dans sa main levée et le fusil en bamdoulière, son cadavre fut ainsi exhibé dans les rues de Nice [24]. Vérité ou légende, toujours est-il que la violence de la répression alimente toute une mythologie autour de la mort des barbets, lesquels sont souvents présentés dans la mémoire orale comme des martyrs.

[1] - (Article : « La répression et la mort du barbet », Pays Vésubien, 3-2002, pp. 73-76)

[2] - A.D.A.-M., Série L 0036, An IV – An V, séance du 12 fructidor (29 août 1796) : Arrêté de l’administration centrale contre les Barbets, Art. 3 « Tous les individus valides, depuis 16 ans jusque 60, qui, au son du tocsin ou de tout autre signal, ne se rendront sur le champ au lieu qui leur aura été désigné, ainsi que dans les endroits où lesdits barbets seront reconnus s’y trouver, demeureront personnellement responsables de tous les événements et seront, en outre, tenus de payer tous les frais et dommages qui auraient été causés à cette époque, et considérés comme complices desdits assassins ou barbets, [seront arrêtés], traduits devant les tribunaux, et punis comme tels ». Il est précisé que le fait de ne pas avoir d’arme ne peut pas être considéré comme une excuse recevable : « Chacun doit se mettre en avant ne fut-ce qu’avec des bâtons et des pierres ».

[3] - A.D.A.-M., Série L 0037, An VII, séance du 26 germinal (15 avril 1799) : Art. 1 - Tous les hommes des communes des cantons de Contes, L’Escarène, Sospel, La Briga, Roquebillière, Valdeblore et Lantosque, déposeront (…) toutes les armes dans leur respective maison commune (…) à l’effet d’être distribuées aux bons citoyens ».

[4] - A.D.A.-M., Série L 1026, 10 pluviôse An V (29 janvier 1797) : Interdiction de se travestir et de se masquer après le coucher du soleil à Levens

[5] - A.D.A.-M., Série L 0059, An II : Arrêté relatif à la destruction des châteaux. D’après le texte, il s’agit de faire disparaître « l’emblème de la servitude et de la féodalité », mais aussi de raser « ces repères à brigands ».

[6] - A.D.A.-M., Série L 0036, An IV – An V, séance du 22 fructidor (8 septembre 1797) : Arrêté de l’administration centrale contre les barbets. Art. 1 – « Les commandants de la force armée, chargés d’aller à la poursuite des barbets, sont autorisés à faire, de nuit comme de jour, des visites domiciliaires dans les seules communes infestées par ces brigands ».

[7] - CANESTRIER P. « Le Général P. GARNIER, 1756-1827 », in Nice Historique, 1938, pp. 33-47

[8] - A.D.A.-M., Série L 0036, 25 floréal An V (14 mai 1797)

[9] - IAFELICE M. Op. Cit. p. 168

[10] - A.D.A.-M., Série L 0036, An IV – An V, séance du 14 fructidor (31 août 1796) : Arrêtés de l’administration centrale contre les barbets

[11] - A.D.A.-M., Série L 0163 : Lettre d’un certain JACQUEY, capitaine à la 104ème ½ brigade, commandant du poste d’Aspremont, du 12 ventôse An IV (2 mars 1796 - Annexe 3)

[12] - A.D.A.-M., Série L 0036, 14 fructidor An IV (31 août 1796) : Art. 1

[13] - A.D.A.-M., Ibidem, séance du 5 vendémiaire An V (26 septembre 1796) : Arrêtés de l’administration centrale contre les barbets. Art. 1 : Les communes de Lantosque, Roquebillière, Belvédère, Saint-Martin-Lantosque, Utelle, Levens, Valdeblore, Saint-Etienne, Isola, Le Villars, Puget-Théniers, et toutes celles où le général GARNIER se portera sont autorisées à lui fournir les subsistances et autres objets exprimés dans ses réquisitions.

[14] - IAFELICE M. Op. Cit. p. 170

[15] - IAFELICE M. Op. Cit. p. 169

[16] - CANESTRIER P. Op. Cit.

[17] - DEMOUGEOT « L’arrivée de la guillotine à Nice en 1793 », in Nice Historique, 1958, p. 56

[18] - A.D.A.-M., Série L 0034, séance du 25 brumaire An II (15 novembre 1793)

[19] - DEMOUGEOT, Op. Cit.

[20] - RIPART L. « Compte-rendu de IAFELICE M. Barbets », in Recherches Régionales, n° 150, 1999, pp. 96-102

[21] - IAFELICE M. Op. Cit.

[22] - Ibidem, p. 163

[23] - Ibidem, p. 169

[24] - TOSELLI Précis historique de Nice, 2ème vol., par. 28, p. 164

 


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