DEPUIDT Elodie
- La répression des barbets
La chasse
aux barbets
La répression des barbets repose sur un arsenal de
mesures très diverses. Souvent prises au coup par coup, elles s’adaptent
progressivement aux spécificités de la guérilla menée par les barbets et
pallient au manque constant de moyens en hommes et en équipement. Dès
1793, quatre brigades de gendarmerie, accompagnées de guides et
éclaireurs, sont créées à cet effet. Elles s’ajoutent aux actions menées
par les troupes françaises. Mais devant l’inertie des communes plus ou
moins complices des barbets, et devant la progression du phénomène, des
mesures plus coercitives sont prises avec la création des colonnes mobiles
et l’obligation, pour chaque commune, de former une garde nationale
.
Toute personne requise qui refusait de marcher contre les barbets était
condamnée. Afin d’inciter à la répression, des récompenses étaient prévues
pour leur capture. Cet appareil répressif fut complété par toutes sortes
de mesures préventives, telles que l’interdiction de porter des armes, de
tirer des coups de fusil
,
de porter des masques
,
et de sonner le tocsin. Tout monument susceptible d’être un refuge pour
barbet, château, abbaye et autres sites fortifiés, devaient être
systématiquement détruits
.
En outre, des visites domiciliaires furent organisées afin de confisquer
les armes et de déloger de leurs caches les éventuels barbets
.
Le général
GARNIER, « maître d’œuvre » de la répression
La
répression dans le Haut et le Moyen Pays est surtout l’œuvre d’un homme,
le général GARNIER. Né à Marseille le 19 décembre 1756, Pierre Dominique
GARNIER entre au service de l’armée dès l’âge de 17 ans, en 1773. Il
servit notamment comme volontaire en Amérique de 1784 à 1788
.
De retour à Marseille, il prend une part active à la Révolution, qu’il
soutient ardemment. Officier de la Garde Nationale de Marseille, il monte
à Paris et joue un rôle essentiel dans la prise des Tuileries, au point
qu’on le surnomme « le Héros du 10 août ». Puis, il fait un court passage
par les armées des Alpes et du Rhin, avant d’être affecté à l’armée
d’Italie, en 1793. Il est nommé commandant en 1794. Après avoir
brillamment mené des opérations dans le Haut Pays Niçois pour le compte
des armées Révolutionnaires, il devient le principal artisan de la
répression du barbétisme. Pour cette mission, il s’appuie sur la compagnie
des Eclaireurs
,
une brigade anti terroriste qu’il a créée spécialement et sur les colonnes
mobiles mises en place dans le département en 1796
.
Ces dernières sont composées de détachements de la Garde Nationale
sédentaire. Ce procédé a l’avantage de permettre à ces unités légères
d’intervenir rapidement sur les lieux de troubles. De plus, elles sont
composées d’hommes du cru, aguerris au terrain, et notamment à la
montagne. Cependant, elles présentent l’inconvénient d’utiliser des hommes
qui sont parfois liés aux barbets qu’ils pourchassent. GARNIER sera tout
particulièrement chargé de la colonne mobile de Tende, à la suite du
général CASABIANCA. Celle-ci fut créée par un arrêté du 14 fructidor de
l’An IV (31 août 1796)
.
Comptant au total, près de 900 hommes, elle se compose de 50 gendarmes des
Alpes-Maritimes, de 30 gendarmes du Var, de 100 hommes de la Garde
Nationale des Alpes-Maritimes, de 200 hommes de la Garde Nationale de
Grasse, de 300 hommes pris dans la division du général CASABIANCA, et de
200 hommes pris à Antibes et aux îles Sainte-Marguerite. Ces hommes furent
envoyés à Tende avec deux pièces de canon. L’action de cette colonne
mobile fut étroitement liée à une Commission Militaire siégeant aussi à
Tende et chargée de lui transmettre toutes les informations recueillies au
sujet des barbets. A ce titre, les archives mettent en évidence une active
correspondance entre l’Administration française et des particuliers qui
les renseignent sur les meilleurs moyens de tromper et de capturer les
Barbets
.
La Commission était composée de 5 membres : il s’agit des citoyens Gabriel
RUCHE, Hylaire HEVRARD, Marc-Antoine VILLARET, Joseph RELIN et Pierre
MARTINOL, tous domiciliés à Nice
.
GARNIER développe les colonnes mobiles en multipliant les réquisitions des
citoyens valides qu’il fait équiper et loger aux frais des communes
touchées par le barbétisme
.
Dès l’automne 1796, c’est près de 6 000 hommes qui parcourent les
montagnes à la poursuite des barbets
.
De 1796 à 1798, GARNIER prétend que l’emploi des colonnes mobiles se
révèla particulièrement efficace contre les barbets. On peut cependant
difficilement mesurer leur portée, d’autant plus que l’Administration
française se plaint régulièrement de l’inertie des communes pour éradiquer
le barbétisme. L’extinction du phénomène n’est-elle pas aussi liée à un
reflux spontané du mouvement ? Toujours est-il qu’en 1801, GARNIER
s’enorgueillit auprès de BONAPARTE d’avoir éradiqué le barbétisme dans le
Haut Pays niçois
.
Ces prouesses lui valent d’être nommé Commandeur de la Légion d’Honneur,
en 1815, et le droit d’avoir son nom inscrit sur la face sud de l’Arc de
Triomphe
.
La
guillotine à Nice
Symbole de la répression contre les opposants à la
Révolution, dans quelle mesure la guillotine a-t-elle été employée à Nice
contre les Barbets ?
C’est en 1793 que le Comité de Salut Public de
Paris décida d’équiper la province en guillotine. Son acheminement jusqu’à
Nice connut bien des péripéties et prit beaucoup de retard, au point que
les administrateurs du département s’impatientent « vu le nombre de
condamnés à mort ». On sait qu’elle coûta 220 livres et 10 sous. Elle
arriva finalement à Nice le 21 novembre 1793. D’après BRULE et VERJADE,
deux agents nationaux, « tout le monde courut la voir »
.
Le 25 brumaire an II (15 novembre 1793), le Conseil Municipal décida que
la guillotine serait installée « sur la place de l’Egalité (…) [N.B.
actuelle place du Palais de Justice] au centre de la ville »
,
afin qu’elle soit vue par le plus grand nombre et que, « par conséquent,
[elle soit] plus à même d’inspirer la crainte aux malveillants et ennemis
du bien public »
.
Rapidement installée, elle ne fut pourtant pas employée, car seuls les
tribunaux militaires prononçaient des condamnations à mort. Le seul
condamné à la peine capitale par un tribunal révolutionnaire aurait été un
certain GIRAUDI, mais faute de guillotine, il fut passé par les armes, le
18 octobre 1793. Cette machine à décapiter, qui n’était pas utilisée à
Nice, fut donc prêtée à Grasse. Le 20 janvier 1794, le tribunal
révolutionnaire en ordonna sa restitution, mais la reconstruction de
l’échafaud à Nice causa de nombreux problèmes, étant donné la réticence
des ouvriers. C’est donc seulement fin janvier 1794 qu’elle fut, enfin,
définitivement installée place de l’Egalité, en face du couvent des
Dominicains. Elle y demeura jusqu’au 23 novembre 1794, date à laquelle
elle fut enlevée sans jamais avoir eu à fonctionner !
Les effets
de la répression
En fin de compte, « la grande battue » menée par
les colonnes mobiles, et à laquelle contribuèrent de nombreuses communes,
comme Roquebillière, Lantosque et Belvédère, eut quelques effets sur
l’extinction du barbétisme. De nombreux barbets, dont des chefs renommés
comme Ferusso à Roquebillière, Contin à Drap et FULCONIS (Lalin)
à l’Escarène sont arrêtés, emprisonnés ou fusillés. S’il est vrai que la
justice d’exception créée pour juger les barbets se montra
particulièrement sévère, ses sanctions étant immédiatement exécutoires,
sans recours possible, la justice civile s’est montrée, selon L. RIPART
,
beaucoup plus indulgente. L’explication en serait moins le résultat d’une
politique délibérée d’apaisement qu’à l’humanisme de juges, lesquels,
pénétrés des idées de VOLTAIRE et BECCARIA, répugnent à condamner à mort.
L’usage de la guillotine à Nice, on l’a vu, fut plus que timoré.
D’autre part, de nombreux non-lieux furent
prononcés par des juges conscients des fausses accusations portées et des
arrestations abusives pour « délit de faciès ». Les conseils de guerre ont
acquitté, entre l’An VIII et l’An IX, 108 des 109 civils qu’ils avaient à
juger
.
Néanmoins, cette répression a laissé dans la mémoire
collective l’empreinte d’actions brutales et sanguinaires. En 1793, le
chef de bataillon RUSCA, à la tête de troupes françaises menées dans le
Moyen Pays, s’illustre par ses exactions. Il terrorise en effet les
populations de Contes et d’Aspremont, où il menace « de faire pendre, la
corde au cou, tout habitant qui n’obéirait pas à ses ordres, de les faire
fusiller, de leur trancher la tête… »
.
Quant au général GARNIER, véritable « maître d’œuvre de la répression des
barbets dans le Comté de Nice », il est considéré par l’abbé BONIFACY,
anti révolutionnaire notoire, et par ses contemporains, comme « le plus
grand fléau du pays »
.
On lui attribue la responsabilité de la macabre mise en scène du corps du
Lalin. Etendu sur un mulet, le poignard dans sa main levée et le
fusil en bamdoulière, son cadavre fut ainsi exhibé dans les rues de Nice
.
Vérité ou légende, toujours est-il que la violence de la répression
alimente toute une mythologie autour de la mort des barbets, lesquels sont
souvents présentés dans la mémoire orale comme des martyrs.