Le poids économique
de la troupe
L’été, les troupes
sillonnent les montagnes de l’arrière-pays et leurs passages se
multiplient dans les villages. La durée des cantonnements varie, mais il
est fréquent qu’une même unité reste plusieurs semaines dans le même
village. Cette présence est une véritable aubaine pour le commerce local
.
Un bataillon représente prés de 500 personnes, et autant de consommateurs
actifs dès le temps du repos arrivé. De ce fait, il n’est pas étonnant
que des commerces ambulants suivent les troupes dans leurs déplacements :
« partout où peut passer un Alpin avec son mulet, le mercanti arrive avec
ses provisions de bouche. Les artilleurs n’auront pas encore débâté leurs
animaux (...) et déjà le mercanti aura fait un étalage alléchant :
saucisson et fromage, pain blanc, raisins, pêches et melons, tomates,
aubergines, haricots verts, piments, concombres, tout ce qui peut
rapidement frire, rissoler ou accompagner le mouton de l’intendance »
.
Les besoins des militaires sont considérables (nourriture, fourrages,
bois,...). Les retombées financières sont donc importantes pour
l’ensemble des commerçants et des artisans. Les taxes perçues par
l’octroi représentent une ressource non négligeable pour les communes.
Cette manne économique fait des envieux, les municipalités cherchent
toutes à obtenir la création d’un poste militaire permanent. Cette
concurrence frénétique est qualifiée en 1888 de « Comédie garnisons » par
l’éditorialiste du Mentonnais
.
La troupe est une
clientèle recherchée et de nombreuses baraques-cantines ouvrent l’été à
proximité des cantonnements. A l’Authion, il existe une dizaine
d’établissements saisonniers de ce genre. A cette altitude, les
distractions ne sont pas légions et ces commerces connaissent une forte
affluence. Le courrier des militaires nous laisse imaginer l’ambiance qui
règne en ces lieux. En août 1926, un soldat qui s’est distingué pendant
les écoles à feu raconte « Hier soir nous étions toute l’équipe des
vainqueurs, une brave cuite et aujourd’hui se sera la suite, nous avons
250 Fr à boire à 7 ! »
.
Une autre carte datée du 28 juillet 1929 précise « L’autre jour les
camarades m’ont presque forcé à aller souper à Peïra Cava en auto. On a
passé la soirée. Ils ont dansé, moi-même j’ai un peu dansé, (oh ! pas
beaucoup) et le soir à une heure on se couchait à Cabanes Vieilles. Ce
soir ils redescendent »
.
Les soldats étant des consommateurs appréciés, de nombreux villages
cherchent à obtenir la construction d’une caserne ou d’un poste
militaire. L’Armée joue un rôle économique d’autant plus important
qu’elle crée également des emplois. Travaux de fortification,
constructions de casernes, de routes et même de téléphériques (Rimplas,
Fourches, Authion) mobilisent une main d’œuvre importante. Les chantiers
militaires s’étalent sur plusieurs années, offrant aux entrepreneurs
locaux des contrats forts rentables. La fortification de la frontière est
une aubaine pour l’économie régionale. Le programme Séré de Rivières
amène la construction d’une quinzaine de forts entre 1883 et 1899. Le
période Maginot (1928-1940) voit la mise en chantier de 14 gros ouvrages
et 20 petits ouvrages. A ces forts, il convient d’ajouter l’aménagement
de casernes, batteries, poudrières, avant-postes et autres équipements
complémentaires. Toutes les vallées sont concernées et la montagne se
transforme en un gigantesque chantier. Les enjeux stratégiques
transforment de simples alpages en stations touristiques renommées. La
mise en valeur de ces lieux n’est possible que grâce à la main d’œuvre
militaire et à des investissements financiers considérables. Ainsi, les
travaux engagés par l’Armée sont comparables à un coup de « baguette
magique »
qui bouleverse le paysage en quelques années.
Patriotisme et
intégration
Le Comté de Nice ayant
tardivement été rattaché à la France en 1860, l’Armée a un rôle important
à remplir pour favoriser l’intégration des populations. Par son dynamisme
et ses activités, la troupe doit « habituer les gens du pays à notre
costume militaire, dans les contrées annexées, l’œil a besoin de se faire
aux uniformes nouveaux pour oublier peu à peu les anciennes couleurs
nationales »
.
Cette mission pédagogique va s’exercer sous de multiples facettes. Les
troupes de passage organisent des prises d’armes et dépôts de gerbes afin
de rendre hommage aux soldats tombés aux champs d’honneurs pour la
défense du pays. Ce travail de mémoire est le résultat d’une volonté
politique qui prend corps après le désastre de 1870. Le recours à
l’Histoire doit mobiliser les esprits et rendre sa fierté à la Nation.
Les hauts faits accomplis, les valeurs de devoir, de sacrifice sont
glorifiés afin d’entretenir le « culte des traditions »
.
Nos montagnes abritent de nombreux monuments funéraires élevés en mémoire
de militaires décédés accidentellement au cours d’exercices. Considérée
comme la clef de voûte de la défense des Alpes-Maritimes, les hauteurs de
l’Authion ont de tous temps été occupées. Parmi les vestiges qui
attestent de cette présence militaire, deux monuments centenaires
méritent d’être distingués. A l’entrée du circuit de l’Authion se
dresse un étonnant ossuaire en forme d’obélisque. Ce monument fût édifié
en 1901 après la découverte, lors des travaux de construction de routes
militaires, d’un grand nombre d’ossements. Il s’agissait, comme en
témoignent les restes d’uniformes et de boutons, des reliques de soldats
français tués en 1793 et 1794, lors de la conquête du Comté de Nice par
les troupes révolutionnaires. Les chasseurs alpins du 24ème
B.C.A., à l’origine de cette découverte, décidèrent alors de construire
un monument à la mémoire de leurs « précurseurs ». Plus loin, au sud du
massif, près de la Baisse de La Déa, à proximité du sentier menant au
Mangiabo, une stèle en pierre rappelle la mémoire du sous-lieutenant
Henri MENSIER du 27ème BCA, décédé au cours d’une marche de
reconnaissance. Le 14 mars 1900, le sous-lieutenant MENSIER fît une chute
mortelle dans un ravin en voulant porter secours à l’un de ses hommes qui
venait de glisser sur un névé. Ces monuments jouaient à l’époque, un rôle
pédagogique et patriotique fondamental. Les actes qu’ils commémorent ont
valeur d’exemples. Les autorités militaires veillent soigneusement à ce
que ces lieux de mémoire soient régulièrement entretenus et visités. La
démarche semble efficace, elle produit un certain effet sur les soldats.
« Sospel, le 4 juillet 1902. Nous sommes ici avec le 27ème
bataillon. Nous montons avec lui demain au Mangiabo. Les honneurs seront
rendus à ce pauvre Mensier, dont le mausolée perpétue la mémoire ».
Un autre témoignage conforte cette idée. Une carte postale datée de 1906,
représente deux chasseurs au garde-à-vous devant le monument Mensier.
L’expéditeur l’a annoté en précisant que « ce pèlerinage nous a rudement
fait mouiller la chemise ! »
.
Les hommages permettent de sensibiliser les soldats aux actes héroïques
de leurs prédécesseurs et de donner un sens à leur mission.
Civils et militaires ne
manquent pas de s’associer pour célébrer la Fête nationale, l’Armistice,
la fête patronale,... La fête des chasseurs, « la Sidi Brahim », le 25
septembre est une cérémonie suivie avec beaucoup d’attention. Cette fête
commémore l’héroïsme des chasseurs du 8ème Bataillon, à Sidi Brahim en
1845, face aux tribus révoltées d’Abd-el-Kader pendant la campagne
d’Algérie. La résistance d’une centaine d’hommes contre plusieurs
milliers d’assaillants est l’acte fondateur de « l’esprit chasseur »,
synonyme de courage et de sens du sacrifice. Pendant la période de
l’entre-deux guerres, le monument aux morts de la guerre de 1914-1918
devient le lieu privilégié de toutes les cérémonies patriotiques. Dans
chaque village existent alors de puissantes associations d’anciens
combattants et ces commémorations sont suivies avec une grande émotion,
car peu de familles ont été épargnées par le deuil. Le monument aux morts
joue un rôle patriotique et éducatif fondamental. Il est souvent édifié
sur la place du village, en association étroite avec la mairie et
l’école. « Ce monument, nous avons voulu l’ériger à la porte de la maison
commune pour que l’âme de ceux qu’il magnifie continue à veiller sur les
destinées du village natal (...) Ce monument, nous avons voulu l’élever à
la porte de l’école pour que dès le plus jeune âge, nos enfants sachent
que leur vie est faite de la mort d’une légion de héros, pour qu’ils
apprennent et retiennent l’admirable leçon du devoir et du dévouement ».
La place publique étant le principal lieu de rencontre, de divertissement
des enfants comme des adultes, le monument aux morts est au cœur de la
sociabilité villageoise. En effet, c’est sur cette esplanade que
s’organise le festin, que se déroulent les parties de boules, que jouent
les enfants, que se commentent les nouvelles... Ainsi, les « morts
glorieux » sont associés à la vie du village et chacun est appelé à se
souvenir de leur sacrifice. Il ne s'agit là que d'un retour à une
permanence ancienne, qui faisait du cimetière du village le lieu d'une
certaine convivialité, où se tenaient les grandes réunions politiques,
parfois aussi le marché...
.
Malgré les désagréments qu’elle peut causer, la présence de la troupe est
finalement ressentie avec une certaine fierté. Lors des funérailles des
trois chasseurs du 6ème bataillon, décédés aux cours de manœuvres en
juillet 1890 dans le secteur de l’Authion, le maire de Moulinet déclare :
« En vénérant ces martyrs, je tiens à prouver qu’à l’extrême frontière de
la France, ces vaillants soldats (...) trouvent au milieu de nos
populations des compagnons dévoués (...) qui au moment du danger savent
comme ces malheureux chasseurs, braver la mort pour protéger l’intégrité
de notre territoire »
.
Quelques années plus tard, à Moulinet encore, le maire déclare à
l’occasion du cantonnement de troupes en juillet 1897, toute sa confiance
en l’Armée « cette grande famille qui est l’orgueil de notre chère
France. (...) Armée si forte, si vaillante pour parer à tous les
événements si jamais il devenait nécessaire de défendre nos trois
couleurs qui pendant quelques jours viennent de flotter sur les positions
militaires qui nous entourent »
.
La vallée de la Bévéra est alors jugée être « aux avant-postes de notre
chère Patrie ». La notion de frontière est un sujet sensible en ces temps
où le séparatisme reste un courant influent : « Derniers venus à la
Patrie française, dont nous avons été séparés si longtemps (...) situés à
cette limite extrême de la frontière où la France finit et où commence la
Terre étrangère ».
Dans ce contexte, l’Armée est le trait d’union qui relie l’ancien Comté à
la France. Il est probable que la situation frontalière et la dégradation
des relations franco-italiennes depuis 1881 exacerbent les sentiments
patriotiques. Bien que Français depuis peu, les habitants du Comté de
Nice n’hésitent pas à afficher leur attachement à leur nouvelle patrie.
Dans l’entre-deux guerres, l’inquiétude des Niçois sera renforcée par les
discours annexionnistes de Mussolini.
Conflits et droits
d'usage
Manœuvres, travaux,
festivités... l'Armée fait partie intégrante du paysage. Toutefois, il
n'est pas toujours facile de concilier les nécessités de la vie civile
avec celles de la vie militaire et des conflits d'intérêt surgissent.
Dans les Alpes-Maritimes, l'Etat-Major exerce une grande influence sur
les décisions administratives, notamment en matière de voie de
communication. Pendant longtemps, les autorités militaires vont s'opposer
à la construction de routes inter-vallées qui, en cas d'invasion,
faciliteraient la progression d’un éventuel envahisseur. Les responsables
de la défense nationale accordent une attention particulière à la
maîtrise des transports car la défaite de 1870 est en partie attribuée à
la lenteur de la mobilisation et des déplacements des troupes. Certes,
l’Armée cherche à améliorer la desserte des zones stratégiques mais elle
oppose son droit de veto aux projets offrant à l’Italie de nouveaux axes
d’invasion.
Ainsi, l’Etat-Major
encourage la construction de la ligne ferroviaire
Nice-Digne-Grenoble-Chambéry qui est parallèle à la frontière ou bien
celle qui longe le littoral entre Draguignan et Menton. Ces voies ferrées
permettent d’acheminer rapidement des renforts et de compenser ainsi
l’infériorité numérique de l’Armée des Alpes. Inversement les militaires
sont hostiles au projet transfrontalier de ligne Nice-Coni car le col de
Tende et le bassin de Sospel constituent l’axe historique d’invasion de
la Provence. Envisagée depuis le milieu du XIXème siècle, cette voie
ferrée connaît de multiples tribulations. Il faut attendre la « détente »
des relations franco-italiennes pour qu’un accord soit trouvé en 1904.
Les réticences de l’Etat-Major français et les difficultés techniques
rencontrées ralentissent considérablement l’exécution des travaux
.
Finalement, l’inauguration de la ligne a lieu en octobre 1928, mais le
regain de tension entre la France et l’Italie porte préjudice à
l’exploitation de la ligne.
Toutefois, la création
des nouvelles voies de communication se réalise sous conditions. L’Etat-Major
influence les tracés et opte pour des itinéraires qui nécessitent la
construction d’ouvrages d’art (ponts, viaducs, tunnels). En cas de
danger, la destruction de ces infrastructures garantit une neutralisation
immédiate des communications. Ainsi, des emplacements pour la pose de
mines sont prévus le long de chaque itinéraire
.
Cette préoccupation défensive est parfaitement illustrée par la
construction de la chiuse
de Saint-Jean-la-Rivière (1887) dans la vallée de la Vésubie. Situé
dans des gorges étroites, l’ouvrage est creusé dans les parois de la
falaise. Les galeries souterraines mènent à des abris (60 hommes) et à
des postes de tir qui prennent la route nationale en enfilade. Le système
défensif est complété par deux ponts roulants, manœuvrables de
l’intérieur du fort, qui permettent de couper la route. Une chiuse
identique a été édifiée à Bauma Negra pour surveiller la route de la
Tinée. Les mêmes principes stratégiques ont dicté la construction dans
les années 1930 de l’avant-poste du Pont Saint-Louis près de Menton
.
Pour les villages du
Haut-Pays, le désenclavement est un enjeu vital. Les élus déploient des
trésors de persuasion afin d’obtenir l’aval des militaires pour
l’ouverture de nouveaux itinéraires routiers. Dans l’entre-deux guerres,
la situation se débloque quelque peu. Les élus de Saint-Martin en sont
convaincus, la présence au Comité de défense, puis au Ministère de la
Guerre (1934) du maréchal PETAIN, « citoyen d’adoption de notre
département
»
a facilité les choses. « Saint-Martin se souviendra toujours que c’est
grâce à ce grand soldat qu’à été levé le veto qui frappait la route
Vésubie-Tinée et a ainsi permis la construction du chemin 31 qui en
reliant les deux vallées rend un service inestimable à nos populations »
.
Les répercussions pour la commune sont importantes puisque l’ouverture de
la route entre Saint-Martin et Valdeblore a pour conséquence directe la
création de la station de ski de La Colmiane en 1931. Dans la vallée da
la Bévéra, la route carrossable s'arrête, depuis 1885, à Moulinet. L'Armée
refuse au grand dam de la population, que la route de Sospel soit
prolongée jusqu'au col de Turini. Le veto militaire maintient le
village dans une situation de « cul de sac », gênant son essor économique
et touristique. Il faut attendre 1925 pour que la jonction
Moulinet-Turini se réalise. Cependant, lorsque des convois militaires
empruntent cet itinéraire pour se rendre à l'Authion, la circulation est
interdite aux civils. De même, en septembre 1901, une polémique éclate
entre la commune de La Bollène et le Génie militaire à propos de la route
qui traverse la forêt de la Maïris. Le maire proteste contre le Génie qui
désire limiter le poids des véhicules circulant sur cette voie. Le maire
est furieux car cette initiative nuit à la vidange des coupes de bois qui
constituent une importante source de revenus pour la commune
.
L'hébergement des
troupes pose parfois des difficultés. Les propriétaires appelés à loger
des militaires se plaignent de la faiblesse de l'indemnité accordée par
l'Armée. Les maires réclament une harmonisation des tarifs avec la cherté
de la vie afin de « concilier nécessités des obligations militaires et
des intérêts de nos concitoyens »
.
Les militaires sont des
hommes turbulents. Régulièrement les habitants protestent contre les vols
commis par les militaires dans les cultures et les vergers
.
Il est vrai que les cale (les « descentes ») répétées dans les
jardins situés à proximité des cantonnements peuvent avoir de lourdes de
conséquences pour les propriétaires. Après le départ d'une unité
militaire, la population dispose alors de trois jours pour déposer des
réclamations. Ce délai passé, le maire délivre un certificat de « bien
vivre » attestant que le cantonnement s'est déroulé dans de bonnes
conditions. Dans le cas contraire, les officiers versent des indemnités
aux propriétaires lésés.
Les incidents ne sont
pas toujours imputables aux militaires qui sont eux aussi victimes de
malveillances. Ainsi, l'Armée se plaint régulièrement auprès des maires
de vols et de dégradations dont sont victimes les installations
militaires. En effet, certains civils n'hésitent pas à profiter de
l'absence des troupes pour récupérer sur les bâtiments tôles, bois et
autres matériaux. En juin 1922, le Préfet écrit au maire de Breil pour
lui signaler des actes de vandalisme contre la ligne téléphonique
militaire de Cabanes Vieilles à Fontan, « le fil de la ligne a été volé
et un grand nombre de poteaux ont été coupés à coups de hache à 0,50 cm
au-dessus du sol »
.
En quelque saison que ce
soit, les manœuvres s'accompagnent invariablement d'exercices de tir
d'armes individuelles ou d'artillerie. Au plateau de la Céva, à l'Agaisen,
à Peïra Cava, au Mangiabo, dans le vallon de l'Arp à l'Authion... les
Ecoles à feu constituent un temps fort de l'instruction militaire.
L'existence de champs de tir temporaires ou permanents est une source de
nuisances pour les habitants du Haut-Pays. Le périmètre de sécurité
couvre généralement plusieurs hectares de terrains. Champs cultivés, prés
et sentiers deviennent inaccessibles en période d'exercices. Les maires
des communes concernées et les Eaux et forêts sont chargés de prévenir la
population des lieux et de la durée des exercices. Affiches, écriteaux et
fanions sont installés sur les chemins qui mènent aux zones de tir. Des
sonneries de clairon et des tirs de sommation à blanc annoncent le début
et la fin des exercices. Malgré les précautions prises, les sentinelles
doivent faire preuve de la plus grande vigilance car les riverains
acceptent mal d’être consignés chez eux « Les éclaireurs empêchaient les
paysans d’aller avec les troupeaux dans le secteur. Des fois, il fallait
les faire sortir à toutes pompes. Il fallait pas traîner dans la montagne
»
.
Aussi, pour limiter les contraintes et ménager les intérêts des
propriétaires et des estivants, les autorités militaires limitent les
tirs à des périodes de quatre jours consécutifs.
Exercices de tir et travaux occasionnent de sérieux dommages à la forêt
et aux pâturages. De plus, déblais, talus, tranchées, barbelés
constituent un danger réel pour les troupeaux. Régulièrement, les
autorités militaires adressent à ses unités des consignes pour éviter les
nuisances causées aux civils. Malgré les recommandations, un problème
réccurent apparaît dans nos régions escarpées, la chute de déblais et de
pierres qui viennent endommager les propriétés des riverains
.
Les confrontations les
plus sérieuses concernent le contrôle des points d'eau. Les sources de la
Bévéra ont été captées en 1898, pour alimenter les casernements de
Cabanes Vieilles. Depuis cette date, l'Etat et la commune de Moulinet se
partagent l'utilisation des abreuvoirs et des bassins. A plusieurs
reprises, l'Armée envisage de détourner les sources de la Bévéra pour
alimenter les casernes de Peïra Cava
.
En 1933, ce projet déclenche une vive émotion. A Moulinet comme à Sospel,
on s'inquiète d'un détournement des eaux au profit de la vallée de la
Vésubie. Le maire de Moulinet est le plus virulent car le cours d'eau
alimente son village en eau potable mais permet aussi le fonctionnement
de l'usine électrique et du moulin à farine
.
Dans des secteurs
fortifiés comme l'Authion, le Tournairet ou les Fourches les périmètres
militaires ne cessent de s'accroître. Dans la grande majorité des cas,
les communes répondent favorablement aux sollicitations de l'Etat et les
ventes de parcelles se règlent à l'amiable. Les cessions de terrain sont
acceptées par devoir patriotique. Toutefois, les négociations sont
parfois longues avant qu'un accord définitif soit trouvé. Lorsque les
désaccords persistent l'Etat se montre inflexible, n'hésitant pas à
recourir à des expropriations et à des décrets d'utilité publique. La
sécurité nationale l’emporte sur les doléances des propriétaires et des
riverains.
En plus des indemnités
financières, des avantages en nature sont accordés. Les élus exigent que
soit notifiés dans l'acte de vente les droits de passage, jouissances et
d'utilisations, accordés à leurs concitoyens. Pour ménager les
susceptibilités, l'Armée n'hésite pas à prendre en charge certains
travaux. Les militaires construisent un grand nombre de fontaines (Zeigler
aux Granges de la Brasque, Wagner à Turini), de lavoirs et d'abreuvoirs
dont ils partagent l'usage avec les civils. De même, des rampes sont
aménagées aux abords des routes stratégiques nouvellement tracées pour
faciliter l'accès des troupeaux aux pâtures. En août 1923, un cultivateur
de Lucéram écrit au Génie car, contrairement aux habitudes, il n'a pas pu
récupérer la paille des écuries militaires au départ de la troupe. Cet
habitant est désappointé car « Avant la guerre, la paille m'était cédée
de préférence à moi plutôt qu'à d'autres, du moment que les dégradations
sont commises sur mon terrain. Depuis, il n'y a plus de paille pour moi
et cela m'indigne »
.
Tous ces « petits arrangements » font que les habitants acceptent plus
facilement d'être dépossédés d'une partie du territoire communal,
détourné finalement de ses fonctions au profit de tous.
Vie sociale et
culturelle
L’arrivée d’un
détachement militaire est pour chaque village un événement et la
population se réjouit à l’avance des distractions qui vont agrémenter ce
séjour. Pendant toute la durée du cantonnement, la vie du village va être
bouleversée. Défilés, musiques, cérémonies commémoratives, bals et autres
distractions animent le village d’une vitalité qui n’est pas la sienne
durant les autres saisons.
Fanfares et musiques militaires : Les
fanfares des bataillons alpins sont de taille modeste (une trentaine de
membres). Toutefois, elles jouent un grand rôle et renforcent
incontestablement le prestige des unités alpines. Chaque bataillon de
chasseurs alpins possède une fanfare qui l’accompagne dans tous ses
déplacements. La fanfare scande la marche du bataillon au rythme de cent
quarante pas par minute. C’est le fameux « pas des chasseurs ». Ce pas
accéléré, proche du pas de gymnastique, illustre la mobilité des
chasseurs. De même, les fanfares des chasseurs se produisent en
mouvement. Mouvements circulaires, lancés... assurent une mise en scène
spectaculaire.
Les fanfares alpines
sont caractérisées par le rôle dominant des cuivres. Le cor est
l’instrument mythique des chasseurs. Ses sonneries indiquent le lever, le
coucher, les ordres de marche et rythment la journée des soldats. Le
chasseur Aimé BARELLI garde un souvenir ému des prestations réalisées
pendant son passage dans les rangs du 22ème BCA. Malgré le
succès international qu’il connut par la suite, A. BARELLI considéra
toute sa vie que la libre interprétation de l’extinction des feux qu’il
exécuta à Cabanes Vieilles en septembre 1939 fût son plus beau récital
.
Le cor de chasse devient
l’insigne des unités de chasseurs. Chaque bataillon personnalise son
insigne en associant la silhouette du cor à un motif qui correspond à son
histoire : l’hirondelle du 6ème BCA symbolise la mer et la
garnison de Nice, le tigre du 27ème BCA rappelle les
félicitations adressées par G. CLEMENCEAU en 1918 à cette unité, le coq
du 24ème BCA commémore le chant de la victoire, le chamois du
22ème BCA ou la cigogne surmontant l’edelweiss du 20ème
BCA leurs positions alpines. Les mêmes symboliques sont reprises par
d’autres unités alpines. Sur les insignes des Bataillons alpins de
forteresse, on retrouve une edelweiss pour le 74ème BAF, un
aigle et des montagnes pour le 75ème et le 76ème
BAF, associés à leur devise : « On ne passe pas ».
Ainsi, revues
militaires, défilés et prises d’armes sont des spectacles très prisés par
les populations civiles. En marge de ces manifestations officielles, les
fanfares participent activement à l’animation du Haut Pays. Pendant les
manœuvres estivales, les fanfares sont une source de divertissements dans
les villages où elles sont cantonnées. En fin d’après-midi, une fois les
exercices militaires terminés, les fanfares donnent des concerts forts
appréciés par les villageois et les estivants. A Saint-Martin-Vésubie, le
kiosque de l'Allée des Platanes est le lieu favori de ces rencontres
musicales
.
Souvent même, les musiques militaires se chargent d’animer des bals
populaires et des soirées dansantes. La fanfare change alors de
répertoire et « le jazz du bataillon fait tourner des couples nombreux »
.
Le village est en fête certes, mais les festivités reproduisent les
clivages de la société française. Le témoignage de Mme CARENCO nous
rappelle que même en ces temps de manœuvres les rapports sociaux restent
soigneusement codifiés. « Les militaires mettaient de l’animation,
surtout les chasseurs alpins. Les autres unités aussi, mais c’était pas
pareil. En 1938, on avait eu des RIA de Marseille, mais les chasseurs
c’était autre chose. En fin de journée, ils donnaient des concerts. Et
surtout le soir il y avait des réceptions, des soirées privées. Il
fallait être invité pour y aller. On ne mélangeait pas les torchons et
les serviettes. Il fallait voir ces Messieurs, Dames. Les officiers se
mettaient en grande tenue. Le plus souvent cela se passait au Paradisio,
aux Tilleuls ou chez ODDO. La musique du Bataillon jouait sur la
terrasse. Comme on n’avait pas le droit d’y aller, nous on venait sur le
boulevard, on s’installait sur le parapet à côté de la propriété pour
écouter la musique. Je me rappelle même avoir dansé sur la route
».
Officiers, notables et estivants sont les principaux acteurs de ces
soirées mondaines. Villageois et hommes de rang sont tenus à l’écart. Par
contre, des bals populaires permettent à l’ensemble de la population
d’apprécier les performances des musiciens du bataillon. « De temps en
temps, ils donnaient des bals sur la place du village, le nombre
dépendait de la durée du séjour. Ils installaient une estrade en bois au
bout de la place. Au même endroit où maintenant, on fait le festin.
C’était l’événement »
.
Ces soirées sont ponctuées de concours de danse qui facilitent les
échanges entre les villageois et les militaires. Ces amicales
confrontations débouchent parfois sur des rendez-vous galants et quelques
mariages. Un air de fête souffle sur les villages des vallées niçoises et
le départ du détachement qui a partagé la vie des habitants, laisse
planer une certaine nostalgie. A Moulinet, les anciens ont encore en
mémoire la chanson « Moulinet, the Tango » écrite par deux
militaires du 3ème RIA en 1928
.
Ce « tube » rythma, tout au long des années Trente, les nombreuses
soirées dansantes qui égayent le village.
Ainsi pendant quelques
jours, le village vit au rythme des Alpins. La venue d’un détachement est
un événement qui bouscule les habitudes et ne laisse personne
indifférent. Le passage des chasseurs à l’Escarène, laisse à R. LACAN le
souvenir d’une parenthèse enchantée. Le départ du détachement ramène les
villageois à la routine quotidienne : « Et le lendemain, les yeux pleins
de sommeil, nous nous retrouvions dans notre village de vacances où le
rêve bleu-jonquille, les couleurs des chasseurs alpins, s’était évanoui.
Il nous restait à attendre la venue d’une autre unité
».
La présence des
chasseurs est un gage de réussite, elle donne un éclat particulier aux
festivités locales. Partout les Alpins prennent part aux manifestations :
ils animent les « festins », participent aux cérémonies commémoratives,
aux batailles de fleurs, présentent des chars au carnaval de Nice...
L’implication des alpins dans toutes les manifestations de notre région
leur vaudra le surnom de « bataillons des fleurs »....
La vie religieuse : La vie religieuse est
révélatrice des liens étroits qui unissent civils et militaires. Aux
sanctuaires de Laghet ou de la Madone de Fenestres, de nombreux ex-voto
attestent la reconnaissance des soldats envers la Vierge qui les a
protégés des dangers. Dans le même esprit, les militaires sont à
l’origine de la construction de plusieurs édifices religieux notamment à
Peïra Cava et au Tournairet. Peïra Cava est un emplacement stratégique,
situé à proximité de l’Authion et de la frontière. La position est
renforcée en 1887 par la construction des casernes Crenant qui permettent
l’occupation du site en toutes saisons. Cette présence militaire intense
assure le succès de Peïra Cava. Simple hameau de Lucéram, Peïra Cava
devient, en quelques années, une station touristique renommée. Le
développement de la station est rapide, de nombreux chalets, hôtels et
pensions s’ouvrent, une ligne autobus assure la liaison avec Nice
plusieurs fois par jour. Toutefois il n’existe à Peïra Cava aucun lieu de
culte et la messe est célébrée chaque dimanche sous un hangar militaire.
Pour remédier à cette situation, militaires et estivants financent en
1903 la construction d’une chapelle. Conformément au souhait d’un des
principaux donateurs, le colonel Robert de COURSON de la VILLENEUVE,
l’édifice est consacré à Notre-Dame-de-la-Paix. En effet, pendant la
guerre de 1870, Robert de COURSON, tenait un poste d’observation dans
l’église de Lorry-les-Metz. Un jour, un obus éclata à ses pieds sans le
blesser. Il se promit alors d’élever à la vierge de Lorry un autel. A la
fin des hostilités, Robert de COURSON fît venir de la Lorraine annexée la
statue de la Vierge de Lorry et lui éleva un autel à Moncontour en
Bretagne. Sa carrière militaire terminée, Robert de Courson se retira à
Nice. Apprenant la construction prochaine d’une église à Peïra Cava, il
finança une grande partie du projet à la condition que la chapelle fût
dédiée à la vierge de Lorry
.
La façade du bâtiment rappelle ce don, puisqu'un bas-relief, situé
au-dessus de la porte, représente au centre la Vierge Marie portant
l’enfant Jésus, à sa droite, en uniforme, Robert de COURSON et une femme
du pays, à la gauche de la Vierge un chasseur alpin et un skieur. Un
autre exemple se rencontre aux Granges de la Brasque. Les hauteurs du
Tournaïret sont occupées depuis 1889 pour surveiller la haute Vésubie.
L’afflux de troupes en période estivale amène l’abbé ROCHAND, curé de
Lantosque, à lancer une souscription pour construire un lieu de culte :
« c’est pour que nos soldats aient les offices religieux que je viens
vous demander la charité »
.
La chapelle de Notre-Dame-des-Victoires est inaugurée en 1932, elle a
coûté deux millions de francs. Le destin de cette chapelle est intimement
lié à la présence des troupes. Lorsque le Tournaïret perd sa fonction
militaire, elle tombe en désuétude. Aujourd’hui le bâtiment est en ruine.
La troupe, ambassadeur de l’hygiène et de la
modernité : Les gouvernements de la IIIème République accordent une
grande attention à ses soldats-citoyens. Pour améliorer la vie
quotidienne des militaires, l’Armée entreprend d’importants travaux. Les
communes concernées par ces réalisations négocient avec les autorités
militaires droits de passage et d’usages afin que les civils profitent
des progrès apportés par les différents aménagements (routes, abreuvoirs,
adduction d’eau...). Au fil du temps, les bâtiments se spécialisent :
cuisines, infirmeries, logements pour la troupe, écuries pour les
animaux, réfectoires, mess... A partir de 1875, les casernes sont toutes
édifiées sur le même modèle. Cette standardisation permet de baisser les
coûts de construction, tout en renforçant le prestige de l’Armée de la
République. La caserne Crenant à Peïra Cava, inaugurée en 1887, présente
un ensemble architectural incomparable. Au centre, une vaste cour
d’honneur utilisée pour les prises d’armes, les appels, les exercices.
Disposés autour de ce « cœur », les chambrées, le foyer, le réfectoire et
divers locaux nécessaires à l’intendance. Un peu plus loin, à l’écart,
les logements et le mess des officiers, les écuries, la poudrière. Là où
il n’y avait que la forêt et quelques granges, un hameau voit le jour.
Réfection de la route, adduction d’eau, construction de bâtiments en
pierre de taille… la main d’œuvre militaire accomplit là, bien avant
l’heure, une véritable opération d’aménagement du territoire. Le succès
de Peïra Cava est foudroyant, été comme hiver, la station ne désemplit
pas.
La caserne est un
bâtiment neuf, symbole de modernité. La caserne type est construite en
pierre de taille, elle dispose d’un système de ventilation, d’un poêle
pour le chauffage, de l’eau courante, de latrines désinfectées à la
chaux, de douches. Le règlement militaire évolue vers un renforcement de
l’hygiène et d’une amélioration des conditions d’accueil des
citoyens-soldats. Les draps et le linge de corps doivent régulièrement
être changés, tandis que le décret de 1892 rend obligatoire le café du
matin (le « jus ») et deux repas quotidiens. Ainsi, bons nombres
d’appelés bénéficient pendant leur service militaire de conditions
sanitaires meilleures que dans leur village d’origine. Comme en témoigne
un contemporain « La présence des troupes a métamorphosé la notion du
confortable dans maints hameaux ».
La santé publique devient un argument pour renforcer la renommée du
village. Les communes engagent d’importantes dépenses pour se doter
d’équipements sanitaires modernes et défendre leur réputation : « le bon
renom de la ville comme station estivale, exige que tout ce qui peut
porter atteinte à la salubrité publique soit évité (...), il convient
d’entretenir en bon état et de multiplier même le nombre de cuisines et
de latrines militaires »
.
L’Armée contribue à faire évoluer les mentalités. En 1920, le
conseil municipal de Moulinet lance un vaste programme d’assainissement
du village qui prévoit la construction de douches et de water-closets
pour satisfaire les estivants et « retenir certains jeunes gens qui ont
pris au régiment l’excellente habitude d’user des bains douches »
.
Pour répondre à ses besoins, l’Armée réalise de nombreux travaux
d’adduction d’eau. Partout où les troupes s’installent, les citernes, les
abreuvoirs, les lavoirs et les fontaines se multiplient. Ainsi, la
présence militaire contribue à modifier la conception de l’hygiène dans
le haut pays. Le souci des autorités de maintenir les hommes en bonne
santé aboutit à des situations cocasses. En 1889, le commandant de la
subdivision de Toulon et d’Antibes s’adresse au Préfet pour lui faire
part de ses soupçons sur la présence d’une maison de tolérance
clandestine à proximité du cantonnement de ses troupes à Peïra Cava
.
Tous ces jeunes hommes isolés en pleine montagne constituent une
clientèle de choix et là où les troupes s’installent durablement, les
établissements de plaisirs prospèrent, les fameux B.M.C. (« Bordels
militaires de campagne »). Le commandant est inquiet car certains
pensionnaires de ce lieu sont porteuses de maladies contagieuses. Les
responsables militaires interviennent avec succès auprès du Préfet pour
que cette situation cesse et ...que soit créé « une maison de tolérance
autorisée »
.
Cette reconnaissance officielle permet de mettre en place le suivi
médical des jeunes femmes qui fréquentent l’établissement.
En quelques années des
liens étroits se sont tissés avec la population. Il faut se souvenir que
le 27ème bataillon de chasseurs est rapatrié d’Afrique du nord
en 1887 pour porter secours aux habitants du Mentonnais durement éprouvés
par un tremblement de terre. Intérêts stratégiques et humanitaires sont
intimement liés, et le bataillon ne quittera plus notre région. A maintes
occasions les soldats prêtent assistance aux civils. Distribution de
soupe aux indigents, lutte contre les feux de forêt, déneigement des
routes, aide aux sinistrés lors du glissement de terrain de Roquebillière
en 1926 ou de l’incendie de Saint-Etienne-de-Tinée (31 juillet 1929).
Cette œuvre sociale renforce incontestablement la popularité des alpins.
Cette renommée est telle que les chasseurs sont utilisés comme argument
publicitaire. Images et cartes postales à leur effigie sont offertes en
cadeaux lors de l’achat de chocolat, de biscuits et autres produits. Les
oeuvres des peintres militaires assoient la renommée des alpins. Des
artistes anonymes ou réputés comme Pierre COMBA (1859-1934) et Emmanuel
COSTA (1833-1921) immortalisent les faits et gestes des chasseurs en
manœuvres dans les montagnes niçoises. Le parcours de Pierre COMBA est
exemplaire. Neveu de Joseph FRICERO, portraitiste à la cour de Russie et
fils de Pierre-Paul, peintre militaire, Pierre COMBA poursuit cette
lignée familiale en devenant peintre-aquarelliste au Ministère de la
Guerre. Initié à la peinture par son père, P. COMBA entre à l’Ecole des
Beaux-Arts à Paris et devient l’élève de L. GEROME. Appelé sous les
drapeaux, il part en Afrique et participe à la campagne de Tunisie. Cette
expérience est décisive, elle détermine sa vocation de peintre de
militaire. De retour en France, P. COMBA est affecté comme
peintre-aquarelliste au Service Géographique du Ministère de la Guerre.
Revenu dans sa ville natale pour des raisons de santé P. COMBA reste
fidèle au thème militaire. Il accompagne les chasseurs alpins sur les
sentiers et s’attache à décrire leur quotidien. Le réalisme et la
précision des scènes lui valent d’être surnommé « le peintre des
Chasseurs ». P. COMBA fait preuve d’un talent incomparable pour évoquer
la lumière et les couleurs si particulières des montagnes niçoises :
« Ses innombrables aquarelles (…) nous retraçent les mille aspects
attirants des Alpes : sapins d’altitude, eau claire des vallées, cimes
recouvertes d’un manteau de neige, ciel orageux avec, toujours en bonne
place, saisissant de vérité et d’allure, au repos ou le bâton à la main
et le fusil à l’épaule, le vaillant chasseur alpin ».
La célébrité de P COMBA s’affirme, ses aquarelles sont éditées en cartes
postales et l’artiste collabore à différents ouvrages à la gloire les
Diables-Bleus. Toutefois, P. COMBA doit sa renommée aux vues panoramiques
de Nice avec une jeune femme en costume local au premier-plan, qu’il
réalise avant la Grande Guerre. Diffusés sous forme d’affiches ou de
cartes postales ces vues de Nice lui permettrent de passer à la
postérité. Grâce à ces images, nombre de niçois mobilisés emportèrent
ainsi dans les tranchées un peu de leur pays. « Mon grand-père était
parti au front avec la carte de Nissa la Bella. Il la tenait
toujours avec lui, même dans les tranchées de Verdun »
.
La troupe se fond dans le
paysage et fait corps avec la population dont elle partage l’existence.
C’est un véritable laboratoire social qui fonctionne lors de ces temps de
manœuvres. Les contacts avec une population militaire issue de milieux et
d’origines différentes ouvrent les villages sur la réalité nationale.
Pour une population rattachée à la France en 1860, l’Armée est la
meilleure représentation de la nouvelle Patrie. Les incidents qui ont
émaillé l’installation des troupes au lendemain du rattachement semblent
loin. « On comprend qu’on ne trouve guère de traces de mécontentement. L’Armée
est trop étroitement unie au pays (...) Qui songerait à se plaindre d’une
armée qui travaille, paye, indemnise ses dégâts, et en prime régale les
populations de ses airs de fanfare »
.
Ainsi, par sa présence et par son rôle civique, l’institution militaire
contribue à l’intégration des populations du Comté de Nice.
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