Collectif 2000
L’ATELIER
PATRIMOINE 1999-2000
La plupart des élèves de
l’atelier avaient déjà été sensibilisés au patrimoine dans le cadre du
club qu’ils avaient fréquenté les années précédentes et qui les avaient
amenés à travailler sur le patrimoine d‘un village du Haut Pays :
Belvédère. Il s’agissait non seulement cette année de réinvestir les
connaissances et les méthodes abordées précédemment pour l’étude d’un
autre village de la Vésubie : Roquebillière, mais aussi d’approfondir
l’étude du patrimoine rural et la réflexion (observation, analyse,
confrontation des données, restitutions variées) grâce notamment à
l’intervention de professionnels, financés par des crédits D.R.A.C. et
Conseil Général. Les élèves ont appris à décrypter un bâti, à en
reconnaître le mode de construction et les matériaux utilisés. Ils ont
pris conscience du lien entre l’histoire, le bâti et son évolution dans
le temps et dans l’espace. De plus, l’étude du Vieux Roquebillière est un
cas particulier qui a éveillé leur sens civique et l’intérêt de préserver
le patrimoine dans la mesure où le village est amené à disparaître. Mais
l’intérêt essentiel de l’atelier a résidé dans la mise en pratique des
élèves et l’expérimentation des fours à plâtre qui découlait de l’étude
du bâti. Celle-ci a donné l’occasion aux élèves de découvrir des métiers
en relation avec le patrimoine architectural et en amont d’enquêter
auprès des anciens sur les anciennes techniques de production du plâtre.
La seconde production
des élèves fut l’exposition relatant les « Patrimoines de Roquebillière »
qu’ils ont pu découvrir et étudier, et qui fut proposée au Syndicat
d’Initiative du village à l’occasion des Journées Nationales du
Patrimoine 2000.
L’habitat
traditionnel
A partir des dernières
maisons composant le Vieux Village de Roquebillière, une série de visites
d’études ont permis de relever les éléments du patrimoine
« vernaculaire ». Autour de la place de la chapelle
,
nous nous sommes intéressés à une haute maison. Nous apercevons sur sa
façade une enseigne qui nous indique qu’il s’agissait autrefois d’une
ferblanterie – quincaillerie. Cette maison est située à droite de la
chapelle des Pénitents blancs. Elle représente le type même des
habitations traditionnelles du village. Sa façade n’est enduite que sur
un étage, pour mettre en évidence le commerce, à une époque tardive. On
note sur les bords de l’édifice des trompes l’œil représentant un
chaînage d’angle.
Nous nous trouvons à la
Place Vieille, où se situe la chapelle des Pénitents blancs. Nous nous
sommes attachés à repérer les caractéristiques de la structure et de
style de la maison que nous avons étudié. Nous avons relevé les mesures
de l’ancienne ferblanterie – quincaillerie.
De l’autre côté de la
route, d’autres maisons, très hautes, sont conservées. Elles se situent
sur la Place Neuve du Vieux Village. Nous les avons choisies car elles
montrent bien d’une part la structure « en escalier » du village, en
rangées successives suivant les courbes de niveau de la pente depuis la
rivière. D’autre part, ces habitations sont, par leur hauteur,
caractéristiques de l’habitat traditionnel local, en pierres rondes (des
galets) liées par du mortier de chaux. Avec cinq étages, elles peuvent
atteindre quinze mètres de hauteur, ce qui est assez rare pour un village
alpin (même si Roquebillière ne se situe qu’à environ 700 m d’altitude).
On y distingue aussi nettement les ouvertures sous le toit, qui
correspondent aux soleias, lieux de séchage et de conservation des
aliments (maïs, jambon, châtaignes…). Le toit est légèrement pentu car il
n’est pas besoin de faire glisser la neige qui tombe rarement en hiver à
Roquebillière. La charpente en bois supporte une toiture de tuiles rondes
ou canal, de fabrication locale.
Nous avons pu montrer
une autre spécificité de l’habitat traditionnel local. Les maisons sont
accolées les unes aux autres. C’est un moyen d’économiser l’espace tout
en logeant plus de monde, mais aussi pour les matériaux, en réutilisant
un pan de mur déjà construit. On note aussi que les ouvertures, une ou
deux fenêtres par étages, sont disposées en alignement vertical. Elles
sont étroites, hautes et peu nombreuses, pour se protéger du froid
l’hiver et de la chaleur l’été.
Dans le village du Vieux
Roquebillière, les habitations sont parfois en pierres apparentes, mais
bien plus souvent recouvertes d’un enduit sur la façade principale. Les
pierres sont liées à la chaux ou au plâtre qui est rose car il est issu
d’une production locale (voir notre ethno-site sur les fours à plâtre à
Lantosque et l’article précédent). Pour ce qui est de l’enduit, les
couleurs dominantes sont le rouge, le jaune et l’orangé. Les décors sont
rares, car les habitants de la vallée étaient relativement pauvres. Quand
ils existent, il s’agit le plus souvent de trompes l’œil, d’encadrements
de fenêtres en blanc et de balcons généralement en bois et remplacés plus
tard, pour les plus riches, par du fer forgé.
Le plan cadastral
du vieux village avant la catastrophe
Ce plan nous montre
qu’il s’agissait d’un village-rue. Les habitations sont en effet
disposées le long de la route départementale, même si, à l’époque du
chemin muletier, celui-ci arrivait plus haut sur le versant. Elles sont
aussi, selon le modèle des anciens villages de notre région, accolées les
unes aux autres. Les rues sont étroites et souvent parallèles à la route
départementale. En fait, elles suivent parallèlement la dénivellation de
la pente. On peut repérer, au nord-est du plan, la partie du village sans
doute la plus ancienne au-dessus de la chapelle des Pénitents blancs et
le long de l’ancienne rue Droite qui s’interrompt brutalement.
Le quartier
industriel
Selon les dires de
notre guide, actuelle habitante du moulin à huile, celui-ci a vu le jour
en 1108, au sein du quartier appelé aujourd’hui « La Bourgade ». Il
s’agissait véritablement à l’époque d’un site industriel, où l’on pouvait
trouver réunis une scierie verticale, un martinet de forge, un moulin à
foulons et à farine. Cette zone d’activités était un véritable pôle
d’attraction, car elle permettait aux habitants de la vallée de venir
s’approvisionner après que les matières premières aient été
transformées : le bois en planche ou poutre, le grain en farine, les
olives en huile. Tous ces moulins, certains privés, d’autres communaux
existaient et fonctionnaient dans le même objectif : produire les
éléments essentiels d’une alimentation de base.
Aujourd’hui, l’un d’eux,
après un incendie accidentel, est dégradé. Malheureusement, c’est un
spectacle désolant qui est offert aux regards du promeneur : aubes
brisées, longues traces noirâtres, structures en fer élançant vers le
ciel leurs longs bras désœuvrés… Avec la volonté de sauvegarder ce
patrimoine, la commune a décidé de remettre en état ce bâtiment, dont
l’objectif initial était de détriter les olives pour produire de l’huile.
Le fonctionnement
général peut paraître, d’un prime abord, élémentaire, mais c’étaient
quantité d’engrenages, de pièces métalliques qui concouraient
méthodiquement à la production du fameux liquide or ; une production qui
aurait été d’ailleurs anéantie par la moindre sécheresse, si commune dans
notre région, puisque le « moteur » du moulin était bien évidemment le
courant de l’eau vive circulant dans le canal du Martinet, traversant le
bâtiment de part en part. Dès lors, le système se mettait immuablement en
marche.
Après que le meunier
avait actionné le levier de palanque, l’eau s’engouffrait dans le rodet
qui permettait à la meule de tourner, de manière à écraser les olives,
préalablement déposées dans un tarare pour être nettoyées de toute
impureté extérieure au fruit. Il s’agit là des principaux organes du
moulin, reliés eux-mêmes par des barres métalliques mises en mouvement
par toute une série d’engrenages. A la fin du premier pressage, la pâte
d’olive ainsi obtenue était mise sous presse, de manière à en extraire le
liquide si convoité, à le consommer ou à le commercialiser.
Mais c’est avec
amertume, et pourquoi pas nostalgie, que nous retrouvons, en cette fin de
millénaire, un monument industriellement laissé à l’abandon, qui a
pourtant nourri pendant des siècles nos ancêtres. Dès son arrêt total, en
1963, le moulin s’est reconverti en habitation. Certes, on peut nous
rétorquer que nous n’avons plus besoin aujourd’hui d’une huile produite
artisanalement, que des industries hautement technologiques sont
davantage productives, que notre vallée, comme beaucoup d’autres, soumise
à l’exode rural ne pourrait assurer la relève des meuniers, ou, enfin,
qu’il est préférable de voir débarquer des huiles américaines dont la
matière première est génétiquement modifiée. Et que l’Europe impose des
normes auxquelles peu de producteurs peuvent répondre. A tout cela nous
ne parvenons pas à nous y résoudre.
Persuadés par l’idée qu’il fait partie
intégrante d’un patrimoine culturel et économique, nous souhaiterions le
voir revivre. Dans son état actuel, la seule activité exploitable serait
de le transformer en musée, mais, si quelques subventions permettaient de
le remettre davantage en état, de nettoyer les faisses
(les planches de culture)
aujourd’hui laissées à l’abandon, notre moulin reprendrait vie et
produirait son huile dorée, lumineuse et naturelle, si chère aux grands
gastronomes et à toutes les personnes de bon goût.
L’église
Saint-Michel du Gast
L’originalité de
l’église Saint-Michel du Gast tient au mélange des styles. La nef
s’appuie sur des piliers soutenant une voûte de style gothique. On
observe ces mêmes voûtes en croisées d’ogives dans les bas-côtés. Ceux-ci
sont séparés de la nef centrale par des arcs en plein cintre, qui
semblent, eux, plutôt de style roman. C’est bien cette époque romane que
l’on retrouve dans les décors sculptés des chapiteaux et les colonnes.
Preuve que l’édifice a subi plusieurs étapes de constructions à des
époques très différentes, depuis le Moyen Age.
Ces chapiteaux
possèdent chacun une sculpture. Quelques exemples, avec un soleil, des
cordages, une croix pattée, une croix… nous retrouvons aussi dans les
angles de l’église des têtes de béliers sculptées.
Le retable du Rosaire,
dont l’auteur est inconnu, pourrait, selon Mado
,
dater du XVème siècle, bien que l’ornement soit de style baroque. Ce
dernier est composé de deux piliers « du Temple du Roi Salomon ». Orné de
feuilles de chêne, de fruits du Paradis, et de grappes de raisin. Les
quinze scènettes représentent les différentes étapes de la vie de Jésus,
c’est à dire les Cinq Heures Joyeuses, les Cinq Heures Douloureuses, les
Cinq Heures Glorieuses. Toujours d’après Mado, Jésus est représenté « un
peu grassouillet ». Nous y retrouvons pourtant une série de personnages
enrubannés, rappelant les Barbaresques qui infestaient les côtes
Méditerranéennes au XVIème siècle. Au centre de la composition, la statue
en bois polychrome de la Vierge représentée tenant l’Enfant Jésus sur son
bras droit, alors qu’habituellement, il s’appuie sur l’autre bras.
Au-dessus du retable, Dieu le Père est représenté
tenant la Terre christianisée. Des anges sont disposés au-dessus du
fronton.
Les chapelles
rurales
Deux petits édifices
se retrouvent le long de l’ancien chemin muletier vers Nice. La deuxième
chapelle est plus ancienne, et date vraisemblablement du XVIème siècle.
Dédiée à saint Roch, elle devait sans doute servir à des processions et
protéger la sortie méridionale du village. Saint Roch est né à
Montpellier au XIVème siècle. Fils d’un riche marchand, il se fait
ermite, et passe la plus grande partie de sa vie en pèlerinage. Il est le
patron des malades atteints de la peste. On le reconnaît à son bourdon
(le bâton), à sa gourde, à sa panetière de pèlerin, et à la coquille de
saint Jacques, qui est portée par ces voyageurs particuliers.
Urbanisme du nouveau
village
Avant la catastrophe de
1926, le vieux village de Roquebillière était trois fois plus grand qu’il
ne l’est aujourd’hui. C’était un village vivant, bien situé, de fond de
vallée, sur la route qui traverse la Vésubie, au centre de l’ancien Val
de Lantusca. La commune possédait une mairie, une église, une école, des
chapelles, quelques commerces qui faisaient vivre les quelques 2 000
habitants et même une gare dans laquelle s’arrêtait le tramway qui
reliait la Vésubie à la côte. A présent, il reste à peine 200 personnes
et les deux bars-restaurants sont les seuls commerces qui animent ce qui
reste de l’ancien village. Car après la catastrophe, il a été choisi
d’abandonner le site et de construire un nouveau village presque en face,
sur l’autre rive. Seuls deux ponts relient désormais ces deux
agglomérations de la commune. L’ancien pont qui permettait autrefois aux
habitants de Roquebillière de se rendre au quartier de la Bourgade, pour
la messe du dimanche à Saint-Michel-du-Gast ou pour ses moulins, a été
conservé. Mais un nouveau pont permettant la circulation des automobiles
a été construit juste au-dessus. Le choix du quartier du Cros
comme site du nouveau village a conduit l’Etat à aménager un autre pont
en aval et une route qui permettent d’y accéder.
La légende de
Roquebillière, racontée par Mado, nous apprend que ce ne fut pas le
premier changement de site du village. A chaque catastrophe, il fut
transféré, de la rive droite à la gauche, inversement, et connu de
nombreuses migrations. Le patrimoine bâti du nouveau village n’a rien à
voir avec celui de l’ancien. Il date des années 1930. Pourtant quelques
indices nous laissent penser que l’âme du village, elle, n’a pas tout à
fait disparue.
Nous avons choisi deux
extraits d’une délibération municipale de la commune de Roquebillière
datée du 13 juin 1929. Ils nous apportent de nombreuses indications sur
le processus qui conduisit à construire le nouveau village. Ils portent
sur la reconstruction du village de Roquebillière qui avait été détruit
lors de l’éboulement du 24 novembre 1926. Le premier extrait est relatif
à la construction d’un nouveau village au quartier du Cros,
endroit qui fut choisi par un référendum organisé auprès des
habitants du Vieux Village. L’autre extrait parle de l’urgence de la
situation. En effet, trois ans après la catastrophe, les sinistrés vivent
encore dans des conditions précaires : « sous les ponts », « dans des
baraques » ou « dans des immeubles ruraux éloignés de l’ancien village ».
De plus, la
délibération mentionne que la municipalité a décidé de donner « dans le
nouveau village, à chaque habitant, un emplacement identique à celui
qu’il avait dans l’ancien ». C’est-à-dire que si un villageois habitait
sur la place du Vieux Roquebillière, il devrait retrouver une habitation
à un endroit similaire dans le nouveau village. « Qu’ainsi seront
écartées de nombreuses contestations ». La suite des événements infirma
ces dires. Non seulement il fallut attendre le milieu des années 1930
avant de voir réellement s’effectuer les travaux de reconstruction, mais
en plus ils furent l’objet de nombreuses plaintes.
Le plan du Nouveau
Roquebillière montre que le village n’a pas été reconstruit à
l’identique. Les rues sont plus larges et disposées de manière
symétrique. Cette organisation, comme l’architecture de la plupart des
maisons, correspondent aux conceptions et au style des années 1930. Par
contre, on note le réemploie de certains noms de rues, comme la Rue du
Four, la Rue Droite, la Rue du Planet…
Les habitants
sinistrés se sont rassemblés au sein d’une société coopérative de
reconstruction, afin de mieux défendre leurs intérêts et d’obtenir un
maximum de subventions pour leur indemnisation et leur relogement. Malgré
ses initiatives, tous les habitants n’ont pas toujours été unanimes à
accepter les projets proposés, et ont pu faire entendre leurs
mécontentements.