Histoire d’une expérimentation
Collectif 2000
Dans le cadre de l’Atelier Patrimoine du Collège de la Vésubie, créé en
1999, il était prévu que les élèves réalisent un ethno-site sur les
fours à plâtre et expérimentent la fabrication ancienne de ce matériau à
partir du gypse. C’est la commune de Lantosque qui a logiquement été
choisie pour ce projet car elle possède une vaste carrière de gypse qui
est aujourd’hui exploitée de façon industrielle par les entreprises
Lafarge, et fut longtemps le lieu de production du plâtre. Mais le gypse
a aussi longtemps fait l’objet d’un usage traditionnel et individuel pour
l’habitat local, d’ailleurs nettement reconnaissable à la couleur rose du
plâtre, ce que nous avons pu faire découvrir à nos élèves tout au long de
l’année.
Nous avions donc contacté M. THAON, maire de
Lantosque dès juin dernier. Intéressé, celui-ci nous avait promis
l’octroi d’un terrain dans sa commune pour la réalisation de notre
projet. De plus, il nous avait semblé opportun d’élargir et d’ouvrir le
projet sur le devenir de ces techniques et matériaux en contactant
l’entreprise Lafarge. Malheureusement nous n’avons jamais eu de réponse
de leur part.
Cette partie « pratique
et expérimentale » de notre atelier a été amenée par l’étude du bâti
traditionnel local, centrée cette année autour du vieux village de
Roquebillière. En liaison avec l’étude d’un patrimoine architectural,
c’est aussi un « vécu » que les élèves ont côtoyé à travers leur
expérimentation et le recueil de témoignages sur les pratiques anciennes
de fabrication du plâtre.
En amont, des séances de l’atelier ont été consacrées à
la préparation des élèves sur le sujet parallèlement à leur travail
personnel d’enquête orale :
-
exposé de l’architecte, M. François-Bernard DUGEAY,
sur les usages de la chaux et de l’enduit après l’analyse sur le terrain
de l’habitat traditionnel.
-
exposé d’un ethnologue, M. Thierry ROSSO, sur les
fours à plâtre et à chaux (leurs intérêts, leurs méthodes et leurs lieux
de construction) dans la vallée et en France.
Puis, à partir des informations recueillies auprès
de personnes ayant encore réalisé cette technique
,
les élèves ont produit les panneaux et livrets nécessaires à
l’explicitation du site.
Les travaux d’aménagement du site et la construction
des fours n’ont pu commencer que fin mai - début juin, suite aux
difficultés pour aménager le terrain promis (accessibilité et mise en
sécurité). Les élèves ont alors réalisé un véritable exploit, en
aménageant en trois semaines de travail acharné, parfois même hors temps
scolaire, l’ethno–site des fours, travail initialement prévu sur deux ou
trois mois. Faisant preuve d’un réel enthousiasme pour cette partie
pratique et expérimentale, ils ont travaillé d’arrache-pied et, encadrés
de quelques bénévoles du Centre d’Etudes Vésubiennes dont M. MERCADIER,
charpentier-ébéniste, ont tout réalisé depuis l’accès au site, la
construction des murs en pierres sèches, la fabrication des montants pour
les panneaux et bien sûr la construction des fours.
C’est dans le cadre des
« Journées du Patrimoine Rural », des 17 et 18 juin 2000 que nous avons
expérimenté la fabrication du plâtre en mettant le feu à l’un des fours.
Présents sur le site pendant près de 50 heures, les élèves de l’atelier
ont veillé à l’entretien du feu. L’expérimentation s’est clôt le dimanche
18 juin vers midi par l’inauguration du site que présida le maire de
Lantosque. A cette occasion, les élèves ont présenté leur travail en
expliquant les méthodes traditionnelles de fabrication des fours à plâtre
et les usages de ce matériau dans le bâti local. Ils ont terminé avec
succès cette présentation en broyant devant le public une pierre de gypse
cuite, encore brûlante, dont la poudre, mélangée à de l’eau, a donné un
plâtre rose si typique au val de Lantosque.
E. DEPUIDT, professeur d’Histoire Géographie à
Roquebillière
Responsable de l’Atelier Patrimoine du Collège
L’enduit
Il sert à couvrir une
façade ou un mur. L’enduit est une protection ou une décoration. L’enduit
peut être fait de deux façons, soit avec :
·
la chaux pour l’extérieur car il est plus
résistant à l’eau.
·
le plâtre pour l’intérieur car il se
dissout à l’eau et il est moins résistant.
On met de l’enduit sur les maisons et les monuments
publics surtout quand les pierres ne sont pas taillées, car elles ne sont
pas belles pour l’œil. L’enduit est utilisé comme trompe-l’œil, frise,
bardeaux, encadrements de fenêtres, chaînes d’angle. C’est une mode qui
apparaît au XIXème siècle pour les maisons d’habitation. On peint sur
l’enduit quand il est sec ou humide. Il est conseillé de le peindre quand
il est humide, permettant d’utilisation la technique de la fresque (a
fresco – « à frais », car les pigments de peinture pénètrent ainsi
dans l’enduit et le teintent). A Roquebillière, les maisons sont plutôt
recouvertes d’un enduit de chaux, mais il serait intéressant d’analyser
sa composition exacte. Notre expérimentation nous laisse croire qu’il
peut s’agir d’un mélange, notre gypse, chauffé très fort et longtemps, a
donné une autre matière que le simple plâtre, bien plus résistant, et qui
pourrait s’apparenter à une chaux.
La couleur dominante est l’orange. Il n’y a pas
beaucoup de décors. Roquebillière est un village relativement pauvre, qui
a subi un grand glissement de terrain en 1926, et depuis un abandon
réglementaire des travaux d’embellissements. Des interdictions
successives ont empêché les habitants de restaurer leurs habitations.
Quelques décors sont toutefois repérables ; des trompe-l’œil, comme des
chaînes d’angle, des encadrements de fenêtre, enseignes de commerçants.
La chaux
Dans le bâtiment, la
chaux est utilisée de plusieurs manières : c’est d’abord un liant,
utilisé en mortier (mélangée avec du sable). La chaux est la base du
métier qui maintient le mur. Elle peut aussi servir d’enduit de façade. A
l’intérieur des maisons on pouvait l’utiliser comme aseptisant en
badigeonnant les murs.
La chaux est fabriquée à partir d’une pierre calcaire
qui est chauffée à plus de 1 000 ° C pendant environ une semaine dans un
four construit à cet effet. On en faisait rarement, car il fallait le
chauffer à haute température, donc cela consommait beaucoup de bois et
coûtait cher. Lorsque qu’elle est sortie du four on l’appelle la « chaux
vive » et est très dangereuse. Il ne faut pas la toucher à mains nues.
Pour l’utiliser, il faut alors « l’éteindre », en lui envoyant de l’eau
dessus. Elle est ensuite pulvérisée puis peut être employée comme liant.
Les diverses
utilisations du plâtre
Une autre matière, plus
simple de fabrication et d’emploi, est utilisée. Le plâtre. Il est ici
surtout utilisé pour la construction des bâtis traditionnels. Il est
facile de trouver du gypse dans la moyenne vallée car il affleure de
partout. Le plâtre est utilisé comme enduit à l'intérieur car il est
soluble à l'eau, ce qui explique qu'on ne verra jamais du plâtre à
l'extérieur, parce que s’il se mettait à pleuvoir, il s'écoulerait le
long de la façade et il ne servirait plus à rien. C'est un isolant qui a
l'avantage de permettre au mur de respirer. L’humidité ne reste pas
emprisonnée à l’intérieur, elle s’évacue quand le soleil chauffe le mur.
Il est aussi utilisé comme liant pour coller les pierres d'un mur entre
elles. Il peut aussi servir de remplissage entre le bois des colombages,
pour faire des cloisons intérieures. Le plâtre est rouge comme on peut
l'apercevoir sur les maisons traditionnelles. Il est fabriqué avec du
gypse en provenance des carrières de Lantosque qui a la particularité
d'être de couleur orangée, ou collecté par les personnes elles-mêmes.
Le procédé de
construction des fours
Dans la vallée de la
Vésubie, il y a de nombreux fours à plâtre et à chaux. Ils servaient à
fabriquer du plâtre et de la chaux qui étaient utilisés pour construire
des maisons. Plusieurs sont construits en pierres, pour qu'ils puissent
être réutilisés (au Suquet de Lantosque pour le plâtre, au Suquet
d’Utelle et au Cros près de Saint-Martin-Vésubie pour la chaux). Mais
beaucoup d'Anciens de la vallée faisaient des fours artisanaux et
temporaires. C'est ce que nous avons réalisé sur l’ethno-site de
Lantosque, grâce aux témoignages oraux, et notamment ceux d'Armand
PALAYER et Alex STEVE. Il faut donc creuser des demi-cercles dans des
talus ou à flanc de colline, qui ont environ un ou deux mètres de
circonférence. Ensuite, on construit une voûte en pierre à plâtre ou
gypse. Les plus grosses pierres sont situées au plus près du foyer, car
elles sont plus longues à cuire. Elles aident aussi pour l'équilibre de
l'ensemble du four, qui, comme cela, ne s’écroule pas lors de la chauffe.
Il faut prévoir une bouche assez vaste pour y introduire le bois, et
alimenter le feu à l'intérieur, ce qui permet au plâtre de cuire. On
conserve quelques grosses pierres de gypse pour former la voûte. Cette
pierre est facile à tailler, ce qui permet de lui donner la forme voulue.
Une fois celle-ci réalisée, il suffit d’entasser régulièrement les
petites pierres de manière à former un dôme. Enfin, on jette la poudre de
gypse issue des manipulations de la pierre, afin de ne rien perdre. Le
four est prêt à être mis en chauffe. Les interstices entre les pierres
permettront l’évacuation des fumées et assureront le tirage du
foyer.
La cuisson du plâtre
Le plâtre est fait
avec du gypse. Celui-ci doit être chauffé à une température de plus de
150 à 200 ° C pendant une période de 24 à 48 heures selon la quantité de
gypse. Le gypse est une roche sédimentaire formée de sulfate de calcium
hydraté, cristallisé. On l’appelle souvent « pierre à plâtre », car,
quand il est chauffé, il perd de l’eau (il est déshydraté) et se
transforme en plâtre. Les fours doivent être placés dans un endroit où il
y a du gypse pour éviter son transport (nous avons porté plus de 4 tonnes
de gypse pour construire notre ethno-site) et du bois, car il en faut une
grosse quantité pour alimenter le feu. Pour la cuisson du plâtre, il y
avait une petite astuce : elle consiste à positionner au-dessus de la
voûte, de l’arrière à l’avant, des morceaux de bois durs et très secs. Le
bois, une fois consumé, indique que le gypse est cuit. Le sommet du four
devient tout noir, alors que les pierres proches du foyer sont, elles,
très blanches. Une fois le gypse cuit, on obtient cette même couleur
blanche. On peut alors le réduire en poudre avec des masses en bois,
puis, on l’utilise rapidement, ou on le met à l’abri de l’humidité. En y
rajoutant de l’eau, il se ré-hydrate et reconstitue la pierre, ce qui
explique qu’il va adhérer aux autres pierres. Lors de la présentation de
l’expérimentation, nous avons pisté une pierre pour montrer à
l’assistance, et nous y avons rajouté de l’eau. Nous avons eu la surprise
de voir notre poudre blanche donner un liant très rose, comparable à
celui des maisons et granges anciennes de Roquebillière et de Lantosque.
ANNEXE
Témoignage : Claire CORONA et Mélanie LATTUGONI,
élèves de 4ème au Collège de la Vésubie, membres de l’Atelier
du Patrimoine 2000
« Nous sommes deux élèves du Collège de la
Vésubie. Durant notre année de 4ème (1999-2000), nous avons
participé à l’Atelier Patrimoine de notre établissement, encadrées par
Mlle Elodie DEPUIDT et M. Eric GILI, professeurs d’Histoire et
Géographie.
Tout au long de l’année, nous avons travaillé sur
notre projet ‘les gypsiers’, devant se réaliser à Lantosque. Sur le
terrain, nos professeurs ont formé trois groupes :
-
le premier a aménagé le terrain pour faciliter l’accès,
afin d’amener le gypse sur les lieux servant de construction aux fours.
-
le deuxième a bâti des murs avec des pierres trouvées sur
le terrain pour éviter les glissements de terrain et devant servir
esthétiquement lors de l’inauguration.
-
le troisième, avec l’aide de M. Daniel MERCADIER,
menuisier à La Bollène (au quartier de Gordolon), est allé chercher les
pierres de gypse nécessaires à la réalisation des gypsiers.
Nous avons pu construire les fours de façon
traditionnelle sur deux jours, grâce à l’expérience d’un ouvrier de
l’ancienne carrière de Lantosque. Le premier jour a servi à l’aménagement
du terrain, à la construction des murs, et à débuter les fours. Ce fut la
plus épuisante des deux journées. Nous avons passé notre nuit dans les
tentes sur le terrain que M. le Maire avait prêté et débroussaillé pour
l’occasion. Le lendemain, nous avons passé la journée sur la fabrication
des fours et à régler les derniers détails, comme enlever les herbes… Ce
soir-là, tout le monde fut bien content de terminer les fours,
heureusement que M. Jean Marie CORNILLON (Mahi) nous avait préparé
la polenta. Cette nuit-là fut la plus longue, car nous avons dû
nous relayer chaque trois heures, en trois groupes, pour surveiller le
feu dans le premier four, pour voir s’il tenait bien à la chaleur, et
aussi pour notre propre compte, voir si notre œuvre fonctionnait.
Nous les avons inauguré le lendemain matin, en
présence de nombreuses personnes ».