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Barbets !
De la réalité à la légende


STEVE Antonin [1] - Où l’on parle des Barbets : de la réalité à la légende

Les soirées d’hiver sont longues. Les paysans d’ici les passaient souvent réunis autour d’un bon feu, un soir chez l’un, un soir chez l’autre. Ils discutaient mais surtout chacun racontait ce qu’il avait vécu, vu, entendu, tout en faisant quelque chose : les hommes écossaient des haricots ou du maïs, les femmes filaient, tricotaient, cousaient. On buvait de bons verres de vin, on mangeait les châtaignes rôties, et souvent on finissait par des chansons. Au cours de ces soirées, les exploits des barbets sont revisités, enjolivés, glorifiés. La mémoire orale contribue à ancrer l’esprit des barbets dans l’identitaire niçois.

Bonnes veillées d’autrefois !

En hiver, il y a peu de travail donc les journées sont calmes. Par contre les soirées sont longues et nos paysans aiment bien se réunir pour les passer autour de l’âtre où ils entretiennent un bon feu, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, entre voisin et amis. Ils discutent. Ils racontent. Surtout, ils relatent ce qu’ils ont vécu, vu ou entendu au cours de l’été ou bien encore ils se remémorent des temps plus anciens. En même temps, le plus souvent, ils s’occupent. Les hommes écossent des haricots secs, égrainent des épis de maïs… Les femmes filent, ravaudent, tricotent… Et cela ne les empêche pas de bavarder. Ils s’arrêtent de temps en temps pour mieux raconter avec les mains ou écouter le conteur, pour boire un verre de vin chaud. Souvent ils mangent des châtaignes rôties ou bouillies ou mieux encore, des pommes de terre cuites sous la braise accompagnées de fromage, ou une tarte… et alors la veillée se prolonge et finit par des chansons.

Ce soir-là, ce sont les enfants qui interpellent leur grand-mère : « Petite Mamet ! Raconte-nous… » et ils se regroupent autour d’elle, assis ou accroupis près de la cheminée. Pour qu’ils ne s’endorment pas, ou pour les endormir, c’est avec plaisir qu’elle commence donc la veillée. Les adultes, consentants, écoutent aussi avec un sourire complaisant.

« Là haut dans la montagne, au pied du dernier mélèze avant les nudités alpestres, un homme audacieux, courageux, est blotti entre les rochers, bien emmitouflé dans sa houppelande pour ne pas avoir froid. La nuit tombe et devient noire mais il ne bouge pas. Qu’attend-il donc ?

Enfin la lune se lève et monte au-dessus de la cime du Diable. Alors, lentement et sans bruit, il se dresse juste assez pour que sa tête dépasse à peine les rochers et il regarde tout autour. Il scrute l’ombre. La lune éclaire les grandes falaises, tous les éboulis, les buissons et les derniers arbres… Mais que guette - t’il donc aussi attentivement, aussi patiemment ? Un chamois attardé ? Un bouquetin égaré ? Un sanglier solitaire ? Un loup affamé en chasse ? Mais non, mais non ! Regardez, ce n’est pas un chasseur car il n’a pas de fusil. Mais alors que veut-il surprendre ? Voyons. Voyons un peu.

Enfin voilà qu’il se dresse : il a vu quelque chose qui brille sous les rayons de lune, là-bas au milieu des pâturages de « breül ». On dirait bien un chamois ou un bouquetin avec de grandes cornes…Mais qu’est-ce qu’il a bien pu mettre sur ses cornes et ses sur sabots qui scintillent et jettent des éclats comme de petites étoiles ? Maintenant l’homme avance, s’approche de cet animal extraordinaire en s’abaissant, en se dissimulant… Regardons bien. Non ! Non ! Ce n’est pas après un chamois, ni un bouquetin qui paît là-bas qu’il court. C’est une chèvre. Mais quelle chèvre ! Bien sûr, c’est la fameuse chèvre aux cornes d’or et aux sabots couverts de diamants ! C’est la Chèvre d’Or. Et oui ! Dans la Vésubie tous les anciens connaissent l’existence de cette chèvre extraordinaire qui se promène dans la montagne les nuits de pleine lune ou les nuits de gros orage car alors les éclairs qui illuminent toute la montagne font briller encore plus ses cornes d’or et les diamants sur ses sabots. Mais peu d’hommes l’ont vue car elle est si extraordinaire qu’il est très difficile de la trouver.

Il faut être audacieux et persévérant comme celui-ci pour passer des nuits entières à l’attendre car elle ne sort jamais dans la journée. Elle ne sort que dans la nuit pour aller paître la bonne herbe que l’on appelle « le breül » qui ne pousse que sur les pentes abruptes. Juste avant l’aube, elle rejoint vite son repaire, une grotte cachée, inconnue de tous. Mais quelle grotte ! C’est la grotte au Trésor ! . Le fameux trésor des Barbets y est enfoui, caché et elle en est la gardienne. Une si bonne gardienne que jamais aucun homme, aussi bon montagnard soit-il, n’a réussi à le découvrir. Beaucoup d’hommes comme celui que nous venons de suivre ont fait comme lui : ils ont guetté des nuits entières, du côté de Fenestres ou de l’Authion, vers la cime du Diable ou encore de Castel Gineste et du Brec d’Utelle car on ne sait jamais quel pâturage elle choisira. Ils y sont allés souvent même, sous l’orage, croyant mieux réussir leur coup. Quelques-uns, après de longues attentes, des nuits entières, ils ont quelques fois pu la repérer grâce à ses cornes brillantes et à ses sabots scintillants sous les rayons de lune ou les éclairs. Alors ils ont essayé de la pister afin qu’elle les amène à la grotte et donc au fameux trésor, mais jamais aucun n’a réussi à la suivre jusqu’au bout.

Notre homme, comme bien d’autres avant lui, voulut poursuivre cette chèvre enluminée. Discrètement, se tenant à distance, il essaya mais très vite il se retrouva dans des rochers abrupts où, bien qu’essayant de courir, il fut distancé par l’animal fabuleux et il le perdit vite de vue. Alors, ce qui devait arriver arriva : une pierre roula sous ses pieds et il partit avec elle dans un éboulement fort douloureux. Il se retrouva au pied de la montagne, tout meurtri, blessé à la tête, aux bras, aux pieds. Et il en fut ainsi pour tous les hommes qui voulurent suivre cette chèvre qui les faisait rêver, espérant toujours découvrir la grotte au trésor. Ils perdaient la trace de la chevrette et en revenaient bien endoloris. C’est une gardienne émérite sans doute dressée par ces Barbets qui savaient si bien courir par nos montagnes afin d’échapper à l’envahisseur français.

Mais que ne ferait-on pour trouver un trésor ? Car depuis 1815, nos paysans du val de Lantosque restent persuadés que ce trésor existe. Mais où l’ont-ils caché ?

Mais qui sont ces Barbets, maminou ?

Les Barbets sont ces paysans du Comté de Nice qui ont résisté aux armées françaises de la Révolution, entre 1792 et 1814, il y a 200 ans. Ils auraient alors caché dans la montagne, leurs fortunes familiales mais aussi et surtout les butins qu’ils auraient pris aux Français.

Pourquoi les cachaient-ils dans les montagnes ?

Les soldats français pillaient les maisons sur leur passage et ils recherchaient plus particulièrement les écus d’or, les bijoux. Aussi, avant qu’ils n’arrivent dans un village, les chefs de famille prenaient tout ce qu’ils possédaient de valeur et allaient les cacher loin dans la montagne, dans une grotte ou dans une de leurs granges éloignées. Dans quoi mettaient-ils leur fortune ? Simplement dans une marmite en terre parce que c’était le seul récipient que l’on pouvait enterrer sans crainte qu’il ne se désagrège. Ne trouve t’on pas encore aujourd’hui des poteries qui datent des Romains et même plus lointaines ? Mais alors les soldats déçus de ne rien trouver, se mettaient en colère et ils massacraient les pères de famille qu’ils attrapaient. Ceux qui avaient pu fuir devenaient Barbets et pouvaient mourir alors avec leur secret. Résultat ? Plus personne ne savait où étaient cachés les bijoux et les « merenguins », toute la fortune des Barbets !

Personne sauf la Chèvre d’Or, bien sûr, puisqu’elle en était la gardienne secrète.

Et oui ! Mais, tous nos paysans connaissaient toutes les grottes de la région, celle de la Chamoussiero près de Fenestres, ou de Bramafam au-dessus du Val de Blore, tout comme celle de Faraoudou dans le vallon de Bagnolard et celle de Courpassiero dans les falaises de Duranus, si difficile à atteindre dans un a-pic qu’il faut s’encorder pour l’atteindre… Et les plus audacieux sont allés les visiter. Avec des pioches ils ont creusé leur sol et leurs parois espérant toujours retrouver ces trésors cachés, mais en vain. Beaucoup d’habitants de Roquebillière sont, paraît-il, allés chercher, fouiller, creuser dans leur vallon de Spagliart parce qu’on disait qu’il y avait là une bonne partie des trésors des Barbets mais trop tard : les eaux des orages ont dû tout emporter à la mer, à moins que les premiers venus y aient mis la main dessus à l’insu de tout le monde…

En effet, on peut penser que certains de ces trésors ont été retrouvés. Nous en avons pour preuve cette affaire que l’on raconte encore par ici.

Le Barbet qui cachait sa marmite aux écus ne devait rien dire à personne, il devait garder son secret pour être sûr de ne pas être trahi. Mais, s’il en avait le temps, sachant qu’il pouvait être tué à tout instant, il prenait une précaution. Il notait l’endroit de la cachette sur un petit bout de papier, ou, le plus souvent, ne sachant pas écrire, il faisait un dessin des lieux, une sorte de plan puis il cachait ce papier en un endroit où il pensait qu’un jour, plus tard, un de ses enfants pourrait le trouver, ce qui lui permettrait de retrouver la fortune familiale. Le moindre signe pouvait donc guider ces chercheurs de trésors.

Ainsi, à Pélasque, il n’y a pas si longtemps, un père de famille aurait trouvé, dit-on, en refaisant son « brasero », un petit papier avec un drôle de plan. Il indiquait 30 pas d’un côté puis 20 de l’autre qui devaient se rejoindre en un point précis, en haut dans son champ de Campaüri sur les pentes du Tournairet. Il est donc monté pour se rendre compte. Il a mesuré et remesuré, il arrivait toujours juste sous la petite fenêtre de l’étable de sa grange. Plus aucun doute, son grand-père le Barbet avait caché là, dans ce mur, « la pignato d’or ». Mais avant de démolir son mur il voulut s’en assurer. Il alla trouver le sorcier du village, afin qu’il vienne avec sa baguette magique. Il savait remettre en place une entorse du pied, il savait dire si on pouvait trouver de l’eau à plusieurs mètres sous terre, il devrait pouvoir lui dire s’il y avait de l’or dans le mur de sa grange.

Ils grimpèrent tous deux sur la montagne, l’un avec sa pioche, l’autre avec sa baguette de coudrier. Le sorcier la tenant à deux mains, bien concentré, fit lentement le tour de la grange en la pointant son bois vers le mur, tout en marmonnant des mots confus, des incantations incompréhensibles.

« Rien ! dit-il. Voyons de l’intérieur. »

Il recommença la manœuvre, toujours bien concentré, les yeux fixés sur son instrument, toujours en parlant aux pierres.

« Rien mon pauvre ! Rien !

Tu en es sûr ? Cherche encore un peu là, sous le fenestron, va… »

Le magicien recommença juste à cet endroit puis baissa les bras. « Rien ! »

L’homme lui paya son dû, plutôt grassement, puis s’en retourna au village bien déçu.

Quelques jours après il remonta à sa grange. Surprise ! Le mur sous la petite fenêtre était tout démoli, écroulé : restait un grand trou béant ! Stupéfaction ! Son silence et son air pensif en disaient long : il avait vite compris. Il ne lui restait qu’à reconstruire son mur…

Que s’était-il donc passé ? … Chutt !…

De retour au village il ne dit rien mais commença à surveiller, à épier : il lui a vite semblé que chez le sorcier on faisait facilement la fête... mais il ne dit rien.

Quelques temps après, un autre propriétaire d’un champ à Campaüri alla trouver le Sorcier et lui demanda de venir vérifier si dans sa grange il n’y avait pas, par hasard, une marmite cachée.

« Bien sûr, dit le sorcier. Tout de suite si tu veux. »

Ils sont partis.. Arrivés sur les lieux, l’homme recommença ses incantations et son manège avec sa fameuse baguette de coudrier.

Mais, quand dans l’étable il se tourna pour dire « Rien, vraiment rien », il s’est trouvé en face des deux propriétaires  de granges qui ont commencé par lui donner une bonne correction à coups de bâton avant de régler les comptes... Il réussit à fuir en geignant et en maudissant son métier, et les gens du village le regardaient passer en souriant, en riant, en se moquant du sorcier malhonnête ».

Les enfants allèrent au lit, contents, rattrapés par le sommeil. Mais la discussion était lancée et hommes et femmes continuent toujours la veillée par l’évocation des barbets, résistants valeureux aux exploits enjolivés avec fierté ou brigands exécrables aux méfaits indignes, décriés. Chacun sa manière. Certitudes de la mémoire orale, utilisations politiques de ce phénomène complexe que peu d’études historiques ont clarifié : ainsi naissent les légendes.

Mais la veillée finit toujours par la triste complainte que chantait L’Avoust :

                               « Oh ! Nanoun ! Bello Nanoun !

                               Un brodou de couilhouns de mouninos !

                               Oh ! Nanoun ! Bello Nanoun !

                               N’aven jamai que lai mans per plourar !

                               Bello Nanoun ! Bello Nanoun ! Bello Nanoun ! »[2]


 

[1] - (Article : « Une résistance populaire à l’occupation française du Comté de Nice : les Barbets (1792-1814)», Pays Vésubien, 3-2002, pp. 85-89)

[2] - Traduction Annexe 6

 


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