ISNART Cyril

« ‘Les carnavals alpins’

à propos de BREL (A cura del), Carnevali della montagna. Aosto. Colloquio internazionale 12 gennaio 2002,

Turin, Priuli e Verlucca, 2003, 191 pages »

La publication dans ce numéro de Pays Vésubien d'études concernant le carnaval de Saint-Martin-Vésubie nous donne l'occasion de présenter l'édition récente d'un ensemble de contributions à la connaissance et à l'analyse des traditions carnavalesques des Alpes occidentales.

L'ouvrage réunit dix communications, en italien ou en français, qui présentent plusieurs aspects du traitement ethnologique des fêtes de carnaval. Depuis les essais de théorisation sur les pratiques carnavalesques dans le contexte de la « tarda modernità » jusqu'aux études localisées de carnaval des Alpes occidentales, les contributeurs analysent les formes actuelles du rituel, les fondements symboliques, populaires et socio-politiques et les enjeux esthétiques de cette pratique festive singulière. Tous les acteurs s'accordent à la fois à vivre le carnaval comme une continuation traditionnelle de la culture locale et à actualiser ce rituel par une spectacularisation de plus en plus marquée. Les carnavals de la montagne sont tout à la fois un moment communautaire fort et un spectacle qui a su s'adapter aux contraintes contemporaines de la fête.

En ce sens, cette publication souligne l'intérêt de l'étude de petits phénomènes localisés à travers lesquels on peut atteindre une compréhension plus générale de la vie sociale de la montagne. Longtemps marquée par le stéréotype de l'arriération physique de ses habitants et la complexité topographique de sa géographie, la montagne apparaît, lorsqu'on se penche attentivement sur ses carnavals, comme un lieu dynamique qui met en concordance ses propres critères festifs et culturels avec les exigences de la société globalisée et urbaine.

La profondeur symbolique du temps carnavalesque et de ses personnages rituels – le Vieux et la Vieille, les animaux sauvages, comme l'ours, les travestis, les sapeurs, ou encore les groupes masqués de quête cérémonielle – est analysée notamment par Michel Revelard et André Carénini. Ils s'accordent pour décrire et interpréter le moment de carnaval comme un des pivots de l'année, moment de fête et d'exaltation du lien communautaire, mais encore institution du passage de la culture locale d'une génération à l'autre. Le calendrier et ses manifestations cycliques, l'espace sauvage ouvrant ses frontières et pénétrant dans le village, les masques, objets transitionnels entre le monde des morts et des vivants – les usages carnavalesques témoignent d'une empreinte symbolique très forte que les ethnologues tentent de saisir comme une des expressions les plus frappantes des cultures locales.

Les conditions de modernisation et d'actualisation des fêtes de Carnaval, comme un contrepoint post-moderne aux contributions sur le symbolisme, témoignent quant à elles d'un souci de contextualisation des carnavals locaux dans une dynamique sociologique plus générale. L'hypothèse ethnologique, défendue notamment par Bravo[1], d'un lien de plus en plus serré entre les urbains pendulaires et leur lieu d'origine, permet de mieux saisir les raisons d'une vitalité et d'une popularité du carnaval en milieu alpin. De l'homo ludens cité par Ambrogio Artoni à l'invention d'une reconstitution historique hybride décrite par Jean-Gabriel Rivolin, les rituels collectifs de carnaval sont, comme toutes les fêtes dites traditionnelles actuelles, continuellement adaptés, par les organisateurs, aux contraintes de la spectacularisation, de l'esthétisation et de la concurrence. 

Il reste à signaler l'exceptionnelle qualité de la documentation photographique qui illustre l'ouvrage. Des masques suisses aux enfants en train de pratiquer une quête cérémonielle en Val d'Aoste, des costumes de chèvres roumaines aux fanfares musicales, la photographie apporte à ce volume un intérêt original, pour tous ceux qui sont confrontés à l'enquête ethnographique de terrain ou ceux qui ont en tête une tradition carnavalesque particulière. Ce volume de contributions offre ainsi une très bonne vision des carnavals actuels dans les Alpes occidentales et permet au spécialiste l'établissement de comparaisons avec son propre terrain d'enquête. Il est une seule chose à regretter, qu'une contribution spécialisée sur la musique de carnaval n'ait pas pu être ajoutée à cet ensemble déjà remarquable. Ce volume généraliste est complété par La parole alle maschere. Carnavals de la Vallée d'Aoste qui rassemble une série de monographies des carnavals, rédigées par Alexis Bétemps, ainsi qu'un « portfolio » réalisé lors du défilé des groupes carnavalesques valdôtains en janvier 2003.