Le
Père Cent
Arrive le temps de la
Libération. Après plusieurs années passées sous les drapeaux, c’est le
moment attendu et redouté du retour dans la vie civile. Tout comme le
recensement de la Classe ou la convocation devant le Conseil de révision,
la fin du Service est marquée par un nouveau rite de passage : le
décompte du temps qu’il reste à passer à la caserne. De nombreuses cartes
postales anciennes comportent la mention « ...au jus » pour permettre
aux militaires de personnaliser leur courrier
.
L’expression « au Jus » désigne le café servit chaque matin aux soldats.
Ce rituel incontournable marque le début de la journée et sert à
décompter le nombre de matins qu’il reste avant de retrouver la vie
civile. Dans la plupart des cas, ces cartes sont illustrées par des
scènes de libations ou de soldats délaissant ses effets militaires pour
revêtir des costumes civils. La personnification de ce moment est
dénommée « Père Cent ». C’est la fête par excellence des « Libérables »,
elle a lieu à cent jours de la « libé ». Et l’on retrouve le rapport à la
boisson, à la camaraderie, à la fraternité de classe. Généralement le
soir du « 100 » commence par un repas pris en commun par les libérables.
La soirée se poursuit fort tard. Chants, alcool et visites
d’établissements de loisirs sont au programme afin d’ « enterrer le Père
Cent ». Le courrier en a conservé le souvenir. On écrit pour relater le
bon déroulement de la fête ou réclamer l’argent nécessaire pour rendre
cet instant « mémorable »
.
De multiples témoignages attestent de l’impatience qui animent la classe
des libérables. Les soldats peuvent acheter des calendriers illustrés de
scènes représentant les activités accomplies pendant le service. Les
photographies immortalisent la classe devant une ardoise ou un écriteau
sur lesquels est mentionné le nombre de jours « au jus », qu’ils notent
parfois à la craie sur leurs vêtements pour l’occasion. Le décompte des
jours est omniprésent dans les correspondances, que l’on termine en
précisant le temps qu’il reste à faire. Un chasseur alpin, en manœuvres
aux Granges de la Brasque, écrit le 23 juin 1914 à sa famille pour lui
donner des nouvelles et termine son courrier en disant : « enfin la
classe se fait de plus en plus belle, c’est plus que 89 jours à faire et
la belle liberté »
.
Ce soldat attend avec impatience le mois de septembre pour être libéré.
Le destin est parfois cruel, ce même 1er août, la France entre en guerre
contre l’Allemagne. Soldat anonyme, comme tous ceux de sa classe, il est
maintenu dans son unité et envoyé au front.
L’appelé consacre les derniers jours sous les
drapeaux à confectionner la « quille » qui symbolise la fin du service
militaire. Cette pratique tirerait son nom du bateau qui ramenait les
forçats de Cayenne lorsqu’ils avaient purgé leur peine. D’autres la lient
à l’expression « prendre ses quilles (jambes) à son cou ». Dans ce temps,
tout est bon à railleries. La religion elle-même n’y réchappe pas. Le
Conscrit se réinvente son credo, sa foi, ses pratiques
.
Le temps du service écoulé, l’appelé rentre chez
lui, contenant une certaine appréhension, après plusieurs années passées
sous les drapeaux. L’angoisse du retour à la vie civile ne doit pas être
négligée, car il va devoir maintenant trouver sa place dans la société.
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